B. M. JACQUES PELISSARD, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE

Merci, Monsieur le président. Je vais essayer d'être précis et concis ; mon propos aura trois temps. J'ai vécu l'élaboration de la Charte de l'environnement en trois temps.

Le premier a été une phase de conception d'amendements passionnante, en interne au sein de la Commission présidée avec efficacité par M. Coppens. Nous avons eu un débat sur la question non de la précaution en elle-même mais sur le « principe » (formule lourde) de la démarche de précaution - il y avait entre ces deux notions un certain antagonisme. Nous avons laissé les deux formules au choix du pouvoir politique. Je ne serai pas complètement d'accord avec vous, M. le président Coppens ; lorsque nous avons eu une démarche officielle et collective à l'Élysée pour présenter notre rapport contenant les deux variantes que vous avez évoquées, le président de la République s'est, certes, tapé la tête mais son geste était beaucoup plus théâtral que réel parce qu'en fait son discours était déjà rédigé et qu'il avait déjà opté pour la formule la plus lourde. La phase de conception initiale a donc ainsi été assumée.

Avec les parlementaires ici présents, nous sommes ensuite entrés dans la phase de discussions parlementaires. Là, il y a eu un progrès, essentiel à mon sens, largement porté par l'Association des maires de France. Le texte initial ne faisait pas référence aux attributions des autorités publiques : les autorités publiques, dans leur globalité, étaient chargées de mettre en oeuvre le principe de précaution. Pour nous, maires, c'était extrêmement grave dans la mesure où nous aurions pu être mis en cause sur le plan juridique et politique sur tout sujet et pour toute prétendue défaillance. Nous avons donc oeuvré sur le plan parlementaire - beaucoup s'y sont investis - pour que dans le texte initial du gouvernement soit ajouté après « autorités publiques », « selon leurs attributions ». Cette mention est essentielle car elle permet de bien sérier celles de l'État et celles dont nous sommes investis. Pourquoi ? Parce que les plus de 36 000 maires ne sont pas à même de diligenter une expertise scientifique ou technique, n'ont pas une vision suffisamment précise sur le risque et son indice, sur la relation de causalité avec tel effet négatif de telle technologie. Nous voulions donc absolument que l'État assume ses responsabilités : englober les maires parmi les autorités publiques aurait été une source de difficultés extrêmement lourdes. Deuxième temps, le temps parlementaire, où ont été précisées les attributions par le texte de la loi constitutionnelle.

Nous sommes dans le troisième temps, celui de l'application. Trois sujets principaux sont apparus. D'abord, les questions phytosanitaires. Selon les régions, beaucoup de maires ont pris des arrêtés prohibant les insecticides comme le Gaucho, le Régent, qui décimaient, pensait-on (mais je crois qu'aujourd'hui la connaissance scientifique est beaucoup plus précise, les causes sont beaucoup plus nombreuses), les populations des abeilles. Le juge administratif a considéré que le pouvoir de police spéciale d'autorisation de mise sur le marché appartenait à l'État, au ministère de l'Agriculture, et que nous, dans notre rôle, avec le simple pouvoir de police générale s'effaçant devant le pouvoir de police spéciale, n'avions pas la possibilité d'intervenir. C'est une approche claire : notre responsabilité est écartée mais nos pouvoirs sont aussi atténués par rapport aux pouvoirs de l'État. C'est ce que disent précisément des arrêts de la Cour administrative de Nancy du 10 mai 2007 et de la Cour administrative de Nantes du 24 mai 2005 : « En l'absence de péril imminent de nature à entraîner des conséquences irréversibles sur le plan sanitaire, le pouvoir de police générale s'efface devant le pouvoir de police spéciale. »

Pour les phytosanitaires, la situation est claire, comme pour les OGM. Là aussi, un pouvoir de police spéciale est reconnu au ministre de l'Agriculture au titre de l'article L533-3 du Code de l'environnement : s'il n'y a pas de péril imminent - et il n'y en a pas dans les décisions de justice que j'ai retrouvées (Cour administrative de Bordeaux du 26 juin 2007) -, il n'y a pas de possibilité de prendre un arrêté. Le juge administratif est même allé plus loin : le département du Gers n'avait pas pris une interdiction mais émis un voeu, lui-même considéré comme impossible en fonction des compétences du département pour interdire les OGM sur son territoire départemental. L'arrêté n'est pas plus possible que le voeu ; même l'organisation d'un référendum était considérée par la Cour administrative de Bordeaux comme une impossibilité d'organisation par le département en fonction de cette répartition des compétences qui sont là, en l'espèce, étatiques et relèvent du ministère de l'Agriculture.

Le troisième exemple concerne les antennes relais. Il y a là aussi un pouvoir de police spéciale reconnu au ministre en charge des Télécommunications par l'article L21-2 du Code des postes et télécommunications ; en application de ce pouvoir de police spéciale, toutes les juridictions administratives ont reconnu qu'en l'absence de péril imminent et en prenant en compte les circonstances locales, il n'y avait pas lieu de considérer que le maire pouvait intervenir. Ainsi, la Cour administrative d'appel de Versailles, commune de Saint-Denis, dans un arrêt récent du 15 janvier 2009, a rappelé que « les dispositions de l'article L2112-1 et L2112-2 du Code général des collectivités territoriales, n'autorisent pas le maire, en l'absence de péril imminent ou de circonstances exceptionnelles propres à la commune, à s'immiscer dans l'exercice de la police spéciale de la Poste et des télécommunications, que l'article L21-1-2 du Code des postes et télécommunications attribue au ministre chargé des télécommunications » (arrêt de la Cour administrative de Versailles du 15 janvier 2009 que je viens de citer). Les choses sont donc claires en matière de juridiction administrative. En revanche, il est vrai que - et Versailles est un haut lieu de la jurisprudence en matière de télécommunications, en témoigne l'arrêt que je viens de citer à l'instant du 15 janvier 2009 - on a un arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 4 février 2009 sur un autre terrain, celui des troubles de voisinage : il a considéré qu'exposer son voisin contre son gré à un risque certain et non hypothétique constitue en soi un trouble du voisinage mais il s'agit de droit privé. En revanche, le problème se posera en droit administratif pour les éventuelles antennes qui pourraient être installées par des communes sur des bâtiments publics, dans des clochers ou ailleurs. A ma connaissance, il n'y a pas encore de jurisprudence rendue et c'est un risque pour les maires.

Voilà, Monsieur le Président, je pense avoir respecté le temps de parole limité que vous m'avez imparti. Un mot de conclusion : la situation juridique, en droit administratif, est relativement stabilisée ; les maires n'ont pas le pouvoir partout en toute matière, dans les exemples que j'ai donnés ; en revanche, leur responsabilité ne peut être recherchée. Ce qui compte est la démarche scientifique en termes de recherche et d'évaluation, et dans les matières que j'ai évoquées, la seule responsabilité de l'État ; nous attendons de manière impérative et impatiente les positions de l'État car ainsi les maires pourront assumer toutes leurs responsabilités mais rien qu'elles. Merci.

M. Claude BIRRAUX

Merci, Jacques. Nous constatons qu'en respectant le temps, il a tout dit pour les élus locaux. Nous voyons maintenant que le principe de précaution n'est pas uniquement un parapluie, que nous sommes vraiment dans une vision dynamique.

Tous les regards convergent à présent vers vous, puisque, si j'ai bien compris ce qu'ont dit les précédents auteurs, Mme Pascale Briand, directrice générale de l'alimentation, vous disposez, en tant qu'administration centrale, de ces pouvoirs spéciaux.

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