N° 408

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 avril 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur  « Les actes du colloque sur les mariages forcés et les crimes dits d'honneur » organisé le lundi 8 mars 2010 à l'occasion de la Journée internationale de la femme ,

Par Mme Michèle ANDRÉ,

Sénatrice.

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(1) Cette délégation est composée de : Mme Michèle André, présidente ; Mme Jacqueline Panis, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Gisèle Printz, M. Yannick Bodin, Mmes Catherine Morin-Desailly, Odette Terrade, Françoise Laborde, vice-présidents ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Patrice Gélard, secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Nicole Bonnefoy, Brigitte Bout, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Yvon Collin, Roland Courteau, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, Catherine Dumas, Bernadette Dupont, Gisèle Gautier, Sylvie Goy-Chavent, Christiane Hummel, Bariza Khiari, Françoise Laurent-Perrigot, Claudine Lepage, M. Philippe Nachbar, Mmes Anne-Marie Payet, Catherine Procaccia, Mireille Schurch, Catherine Troendle, M. Richard Yung.

Allocution de bienvenue de Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mes chères collègues sénatrices,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je suis très heureuse de vous accueillir en cette Journée de la Femme au Palais du Luxembourg - c'est le centième anniversaire de la lutte de Clara Zetkin, signalons-le - au nom de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes que j'ai l'honneur de présider.

Je salue Christiane Kammermann, Gisèle Printz, Muguette Dini et Anne-Marie Payet, membres de la délégation, qui sont déjà avec nous ce matin, mais d'autres collègues nous rejoindront dans la journée.

Notre délégation parlementaire comporte, comme sa jumelle de l'Assemblée nationale, 36 parlementaires - 29 sénatrices et 7 sénateurs - issus des différents groupes politiques du Sénat. Notre mission est double : contribuer à l'information du Parlement sur tout ce qui a trait aux droits des femmes et à l'égalité entre les sexes et, en second lieu, veiller à ce que ceux-ci soient pris en compte par notre Assemblée lors de la discussion de projets ou de propositions de loi susceptibles d'avoir un impact sur la condition de la femme et l'égalité. Nous prenons très à coeur ce rôle de vigie et je crois qu'avec le temps nos collègues sont de plus en plus attentifs à nos recommandations.

Dans le prolongement de notre mission d'information, j'ai souhaité que nous organisions chaque année, à l'occasion de la Journée internationale de la Femme, une rencontre qui nous permette de débattre avec d'autres responsables politiques ou administratifs ou avec des représentants de ce qu'on appelle la « société civile », d'une question qui intéresse la situation des femmes aujourd'hui.

Je crois beaucoup à l'importance de ces échanges pour nous permettre, à nous comme à vous, de prendre la mesure de la réalité. C'est ainsi qu'en mars 2009, nous avions invité une cinquantaine de femmes remarquables, qui venaient d'accéder aux responsabilités de maire de leur commune à l'occasion des élections municipales de 2008. Elles nous avaient fait part de leur retour d'expérience et de la façon dont elles voyaient l'exercice de leur mandat.

Mes collègues sénatrices et sénateurs et moi-même gardons un excellent souvenir de ces échanges. Ils nous ont confirmé que les femmes avaient davantage d'obstacles à surmonter pour accéder à ces responsabilités, qu'elles avaient, moins que leurs collègues ou rivaux masculins, le droit à l'erreur, mais que, grâce à leur courage et à leur détermination, elles pouvaient néanmoins s'affirmer, gagner la confiance de leurs concitoyens et contribuer de façon très positive au renouvellement de la vie politique locale.

Ces témoignages nous sont précieux car ils nous montrent la voie du combat que nous devons mener pour la dignité des femmes et pour l'égalité véritable : les discriminations et les injustices existent et nous ne devons pas nous lasser de les dénoncer, sans pour autant nous laisser enfermer dans un rôle d'éternelle victime qui nous maintiendrait insidieusement dans une posture d'assistance et donc de sujétion. Il ne faudrait pas retomber dans cette situation d'« incapables majeures », où le code civil de Napoléon nous avait enfermées, qui nous a coûté si cher et dont il a fallu tant de temps pour sortir.

Ce message de courage et d'espoir, je souhaite que nous le conservions quelque part dans notre esprit en abordant les crimes dits d'honneur et les mariages forcés dont la terrible réalité nous renverra aux aspects les plus sombres de la condition de la femme aujourd'hui.

Mariages forcés, crimes dits d'honneur : deux formes extrêmes de violence envers les femmes dont je serais tentée de dire qu'elles sont « d'un autre âge », si elles n'étaient aujourd'hui si répandues dans certaines parties du monde, et présentes en Europe, notamment sur notre territoire.

Malgré l'horreur et la gêne qu'elles nous inspirent - ou peut-être précisément à cause d'elles - il semble qu'elles soient parmi les dernières à sortir de cette pénombre dans laquelle on a voulu maintenir, pendant des générations, les violences envers les femmes : il est toujours tentant d'occulter une réalité qui dérange.

Les violences envers les femmes ont longtemps constitué un sujet tabou. L'absence de données générales sur ce phénomène permettait à bon compte d'en minimiser l'importance. Que d'efforts a-t-il fallu pour commencer à lever le voile : la mobilisation des réseaux de femmes, bien sûr, le relais des grandes conférences internationales, et notamment celle de Pékin, dont nous fêtons le quinzième anniversaire, et qui a incité les États à mieux mesurer les violences envers les femmes ; enfin, cette enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France, réalisée en 2000, à la demande de Nicole Péry, qui était secrétaire d'État aux droits des femmes, à qui l'on doit d'avoir révélé l'ampleur et la gravité de ce phénomène, gravité que je n'avais pu qu'esquisser en 1989, lorsque j'ai lancé la première campagne de sensibilisation de l'opinion publique sur ce sujet.

La surprise et l'émotion suscitées par les résultats de cette enquête ont favorisé une prise de conscience dans l'opinion et incité les pouvoirs publics à adopter une première série de dispositifs pour sanctionner ces violences, plus particulièrement celles commises au sein du couple. Le Sénat, grâce à l'action de certains membres de notre délégation, a joué un rôle déterminant dans l'élaboration de ces dispositions d'origine parlementaire, puisque la première loi est venue d'ici au Sénat et avait été adoptée, je m'en souviens, à l'unanimité.

Cette enquête n'a couvert qu'inégalement les différentes formes de violence envers les femmes : elle a révélé l'importance des violences au sein du couple, elle a évalué les violences dans l'espace public, mais elle n'a pas analysé ces formes de violence « coutumières » que sont les mariages forcés et les crimes dits d'honneur. Aussi ne dispose-t-on, en ce domaine, que de données disparates et très lacunaires.

Puisque la lutte contre les violences envers les femmes a été érigée en « grande cause nationale pour 2010 », il faut en tirer parti pour faire également sortir de l'ombre ces formes de violence particulièrement insupportables.

Je souhaite que notre réunion d'aujourd'hui y contribue, et je tiens à vous remercier tous et toutes d'avoir répondu à notre appel, et plus particulièrement nos intervenants dont certains sont venus de très loin pour nous apporter le fruit de leur expérience et de leurs réflexions.

Je pense en particulier à Mme Lubna Dawani-Nimry, directrice-adjointe d'une importante association jordanienne de lutte contre les crimes d'honneur, qui nous vient d'Amman en Jordanie ; au Dr Robert Ermers, arabiste et turcologue, spécialiste des cultures du Moyen-Orient, qui nous vient des Pays-Bas ; à Mme Jacqueline Thibault, présidente de la Fondation suisse Surgir ; enfin, à ma collègue et amie Anne-Marie Lizin, sénatrice belge, ancienne ministre, ancienne présidente du Sénat belge, qui a beaucoup fait pour nous sensibiliser à cette problématique des crimes dits d'honneur et des mariages forcés et qui, revenant tout juste de New York, pourra nous rendre compte des progrès que l'on peut attendre, en ce domaine, de la Conférence de « Pékin + 15 ».

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la Famille et de la Solidarité, devait initialement assurer la clôture de notre colloque, mais elle m'a fait savoir qu'il lui était impossible d'être parmi nous, retenue par d'autres engagements.

Je salue la présence de mes collègues sénatrices. Nous rejoindront, dans la journée, Alain Gournac et Yannick Bodin ; Richard Yung a dû se faire représenter en raison d'un empêchement de dernier moment. Nous sommes en effet en période de suspension de nos travaux parlementaires pour cause de campagne des élections régionales, et cette période pré-électorale aura une incidence sur le contenu de la première intervention, mais Mme Christelle Hamel nous le dira sans doute tout à l'heure. Vous êtes donc revenus spécialement au Sénat pour participer à la réunion d'aujourd'hui. Soyez-en particulièrement remerciés.

Avant d'ouvrir nos travaux, je souhaiterais dire un dernier mot sur l'esprit dans lequel nous abordons la lutte contre ces violences que l'on qualifie parfois de « coutumières ». Certes, elles touchent essentiellement des populations migrantes et nous paraissent, de ce fait, étrangères à nos moeurs et importées d'autres régions du monde, où l'intérêt supérieur du clan, de la famille, l'emporte sur celui de l'individu.

Je crois, toutefois, qu'il serait réducteur de les interpréter sous l'angle d'un conflit entre deux types de cultures opposées et fermées sur elles-mêmes : une conception européenne privilégiant les intérêts de la personne, et des conceptions coutumières privilégiant celles de la collectivité.

Certes, aujourd'hui, en France et dans le reste de l'Europe, le consentement des époux est une condition de la validité du mariage et le choix d'un conjoint - époux, pacsé ou concubin - pour la France relève du libre choix de chacun, ce qui ne garantit pas - je le dis en passant - la pérennité des unions, comme le montre la progression du nombre des divorces.

Nous devons cependant nous souvenir qu'il n'en a pas toujours été ainsi. Le théâtre de Molière est peuplé de jeunes gens dont les amours sont contrariées par la volonté d'un père qui veut à toute force leur imposer un conjoint conforme à sa propre volonté. Sans remonter si loin, rappelons-nous qu'il n'y a pas si longtemps les mariages étaient bien souvent « arrangés » par les parents, et ce dans tous les milieux sociaux.

Le crime d'honneur, qui conduit une famille à immoler l'une de ses filles pour rétablir une honorabilité collective que celle-ci aurait compromise par son comportement, nous paraît barbare et nous voulons nous en croire incapables, mais souvenons-nous qu'il n'y a pas si longtemps encore, pour des raisons très voisines, on enfermait dans un couvent les filles « perdues » ou un peu trop rebelles. Peut-être vous souvenez-vous de ce beau film irlandais, The Magdalena Sisters ( Les soeurs Magdalene ). Celui-ci retrace l'histoire de trois de ces pensionnaires forcées : Magdalene enfermée pour avoir été violée par son cousin, Rose pour avoir eu un enfant hors mariage et Bernadette pour être trop coquette avec les hommes. Tout cela se passait en Europe, en 1960 !

Pour différentes qu'elles soient, nos cultures ne sont sans doute pas si étrangères les unes des autres, et la nôtre n'a peut-être, dans son effort pour s'émanciper d'un patriarcat séculaire, que quelques générations d'avance sur les autres. Quelques générations ! Convenons que rapportée à l'histoire de l'humanité, cette durée est dérisoire.

Nous avons donc besoin de délégations comme la nôtre pour encore dire et redire nos indignations, nos colères, nos espérances, nos déceptions : celle par exemple que nous ont inspirées les nominations au Conseil constitutionnel, la semaine dernière, où pas une femme ne figure. D'autres l'ont dit, nous le dirons, et nous pouvons à l'infini multiplier les exemples. Je crois que nous avons donc beaucoup à faire.

Je me réjouis - Anne-Marie Lizin nous en reparlera tout à l'heure - qu'à l'occasion de la réunion des Nations Unies qui se tient actuellement à New York pour tracer le bilan de « Pékin + 15 », les États membres de la Francophonie aient adopté une résolution qui, tout en réaffirmant leur attachement à la diversité culturelle, n'hésite pas à proclamer qu'aucune considération liée à la coutume, à la tradition ou à la religion ne doit pouvoir être évoquée pour exonérer un État de l'obligation d'éliminer toute forme de discrimination et de violence envers les femmes. Parmi ces formes de violence inacceptables, la résolution désigne nommément les mariages forcés et les crimes d'honneur.

Je vous remercie pour votre attention. Je vois avec satisfaction que nous avons déjà installé les participants de la première table ronde. Je vais prendre place à la tribune à côté de ma collègue Christiane Kammermann, vice-présidente de la délégation. Nous allons accueillir pour la première table ronde Christelle Hamel, sociologue de l'Institut national d'études démographiques (INED), qui va nous parler de la réalité sociale. Le Dr Emmanuelle Piet, médecin, présidente du Collectif féministe contre le viol nous parlera de la réalité médicale. La réalité vécue nous sera apportée par le témoignage de Fatou Diouf, auteure du livre Le scandale des mariages forcés et de Karima, auteure du livre Insoumise et dévoilée .

Mes chers collègues, mes amis, nous allons débuter ce colloque. Je vais donner sans plus tarder la parole à Christelle Hamel, sociologue à l'INED.

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