CONSEILLER TERRITORIAL : QUEL MODE DE SCRUTIN POUR ASSURER LA REPRÉSENTATION DES CITOYENS ET DES TERRITOIRES ? (L'ANALYSE DE VOTRE RAPPORTEUR HERVÉ MAUREY)
INTRODUCTION

Le 21 octobre 2009, le Gouvernement a déposé sur le Bureau du Sénat quatre projets de loi qui constituent la traduction juridique de son projet de réforme territoriale.

Cette réforme ambitieuse comporte de nombreux volets relatifs à la rénovation de la démocratie locale, au développement et à la simplification de l'intercommunalité ou encore à la clarification des compétences des collectivités territoriales.

Cependant, malgré l'importance de ces sujets pour les élus locaux, la mesure phare de la réforme est incontestablement l'instauration d'une nouvelle catégorie d'élus : les conseillers territoriaux .

Ces conseillers territoriaux ont vocation à se substituer aux conseillers généraux et aux conseillers régionaux. L'ambition du Gouvernement est de favoriser, par leur intermédiaire, l'émergence d'un pôle département-région et de favoriser ainsi les politiques mises en oeuvre par ces deux collectivités. Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement a choisi, selon les termes du ministre de l'Intérieur, des collectivités territoriales et de l'outre-mer « de faire confiance à un élu local, le conseiller territorial, pour engager le chantier de la clarification et de la simplification que, collectivement, nous n'avons pas su faire aboutir en près de trente ans ».

En séance publique, votre rapporteur a approuvé le principe de cette réforme mais il a rappelé que « cette réforme est nécessaire, si et seulement si elle permet réellement d'assurer une meilleure lisibilité de l'action publique, une clarification des compétences, une simplification des processus décisionnels et une gestion plus rationnelle et plus économe de l'argent public ».

La création du conseiller territorial constituerait alors « la mesure phare de ce projet de loi, la clef de voûte de la réforme, puisqu'elle doit permettre de rapprocher le département et la région sans supprimer aucun de ces deux niveaux ».

À l'issue de débats nourris et passionnés, le Sénat a adopté, le 21 janvier dernier, le principe de l'instauration des conseillers territoriaux , figurant à l'article premier du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales. Le projet de loi a ensuite été transmis à l'Assemblée nationale.

Il faut toutefois souligner qu'il était apparu, dès les premiers débats au Sénat, que le mode de scrutin proposé par le Gouvernement pour l'élection des conseillers territoriaux soulevait de nombreuses difficultés et critiques. Le Président du Sénat s'était d'ailleurs lui-même interrogé sur la possibilité de trouver une majorité susceptible d'adopter le texte. 1 ( * )

Face à cette situation, le ministre de l'Intérieur avait déclaré au Sénat que le mode de scrutin proposé par le Gouvernement n'était qu'« une option ». Depuis, le Premier ministre a décidé, au mois de mars, de consulter les formations politiques représentées au Parlement afin de connaître « leurs propositions alternatives ». Par petites touches, le Gouvernement a ainsi ouvert la porte à la recherche d'un nouveau mode de scrutin.

L'existence d'un délai de plusieurs mois, entre l'adoption du principe de la création des conseillers territoriaux et l'examen des dispositions spécifiques à leurs modalités d'élection, qui figurent dans un autre projet de loi, laissait donc le temps à votre délégation de procéder à une analyse des modes de scrutin envisageables pour l'élection de cette nouvelle catégorie d'élus.

C'est pour cette raison que votre rapporteur avait proposé au président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation que celle-ci puisse, dans le cadre de ses compétences, examiner ces questions. L'objet de cette étude était clair, il s'agissait d'analyser les différents modes de scrutin envisageables pour l'élection des conseillers territoriaux afin de déterminer lequel était le plus adapté à cette nouvelle catégorie d'élus, sans remettre en cause le principe même du conseiller territorial.

L'intérêt, et l'opportunité, de cette étude , nécessaire pour contribuer à nourrir les travaux de la commission des lois et éclairer les débats du Sénat, n'ont fait que s'accroître au fur et à mesure que les semaines s'écoulaient.

L'infléchissement de la position du Gouvernement, à la suite de la déclaration du Premier ministre, n'a fait que justifier encore la démarche entreprise par votre rapporteur .

Pour mener à bien son travail, votre rapporteur a pu s'appuyer sur les décisions adoptées par votre délégation lors de sa réunion du 16 février dernier.

Au cours de cette réunion, les membres de la délégation ont eu l'occasion de valider la méthode de travail qui leur était soumise par les deux rapporteurs, accordant ainsi une légitimité supplémentaire à la démarche engagée.

En effet, sur leur proposition, la délégation a conçu une grille d'analyse permettant d'examiner objectivement les modes de scrutin envisageables pour l'élection des conseillers territoriaux. Cette grille d'analyse reprend les critères adoptés par le Sénat, à l'initiative du groupe de l'Union centriste : représentation des territoires, expression des sensibilités politiques, parité. A l'issue d'un débat au sein de votre délégation, un quatrième principe est venu compléter cette grille d'analyse : la capacité d'un mode de scrutin à favoriser l'émergence d'une majorité de gestion au sein de l'assemblée délibérante.

Votre délégation a également retenu, sur proposition de ses rapporteurs, six modes de scrutin qui feraient l'objet d'un examen approfondi. Votre rapporteur regrette que le travail important mené en commun avec son co-rapporteur (auditions et réunions) n'ait pas permis l'élaboration d'un rapport en commun.

La démarche des rapporteurs a donc été intégralement validée par votre délégation, elle est fondée sur une méthodologie rigoureuse et des critères d'analyse volontairement objectifs et consensuels.

Au total, ce rapport répond à la volonté exprimée par le Président du Sénat de voir notre assemblée participer pleinement aux débats relatifs aux collectivités territoriales. Il constitue un élément d'information supplémentaire lors de l'examen par le Sénat du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, voire si l'on en croit les débats en cours à l'Assemblée nationale, lors de la deuxième lecture du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales lequel pourrait contenir des éléments relatifs à l'élection des conseillers territoriaux, une hypothèse pourtant clairement écartée, par le Gouvernement lui-même, lors de son examen par le Sénat il y a seulement quelques semaines.

I. LE CHOIX D'UN MODE DE SCRUTIN POUR L'ÉLECTION DES CONSEILLERS TERRITORIAUX S'INSCRIT DANS UN DÉBAT TECHNIQUEMENT COMPLEXE

Le choix d'un mode de scrutin pour l'élection des conseillers territoriaux constituera une étape importante dans la détermination des caractéristiques de cette nouvelle catégorie d'élus appelés à se substituer aux conseillers généraux et aux conseillers régionaux.

Les termes de ce débat sur le mode d'élection devraient être tranchés à l'occasion de l'examen de l'article premier du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale.

L'étude d'impact jointe au projet de loi rappelle que des travaux préparatoires ont été menés pour analyser les modes de scrutin envisageables pour l'élection des conseillers territoriaux .

Votre rapporteur a souhaité examiner les modes de scrutin auxquels il serait possible de recourir pour l'élection des conseillers territoriaux afin de mettre en exergue leurs avantages et leurs inconvénients.

A. UN CONTEXTE LEGISLATIF EN VOIE DE CLARIFICATION

La recherche d'un mode de scrutin pour cette nouvelle catégorie d'élus s'inscrit dans un contexte encore incertain . Cette incertitude est provoquée par le fait que des composantes essentielles de la réforme visant à instituer les conseillers territoriaux (mode de scrutin, statut, tableau des effectifs, circonscription d'élection) n'ont pas été présentées d'emblée. Ce manque d'informations peut expliquer les inquiétudes, ou les réticences exprimées lors des débats. Il est en effet difficile de demander à des parlementaires de se prononcer sur une réforme dont ils ne connaissent pas l'ensemble des paramètres.

1. Des éléments révélés progressivement

Le choix fait par le Gouvernement de déposer trois projets de loi distincts 2 ( * ) pour réaliser cette réforme n'a pas favorisé la diffusion de l'information.

Certains éléments ont été progressivement rendus publics, notamment à l'occasion des premiers débats parlementaires.

Ainsi, lors des premiers débats au Sénat, le Gouvernement a présenté les principes qui guideront la détermination des effectifs et des circonscriptions électorales. Les zones d'ombre, ou d'incertitudes, qui pèsent sur la réforme ne se lèvent que progressivement, ce qui nuit à la clarté et à la précision du débat.

Toutefois, certains éléments de la réforme demeurent inconnus après que le Sénat ait adopté le principe du conseiller territorial . C'est notamment le cas du tableau des effectifs qui déterminera la répartition des conseillers territoriaux entre régions et départements.

a) Les dispositions déjà adoptées par le Parlement

Pour des raisons liées à la tenue des élections régionales en avril 2010, la réforme visant à instaurer le conseiller territorial a débuté par l'examen d'un texte de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et régionaux 3 ( * ) .

L'objet de cette loi, composée de deux articles, est de permettre l'élection des premiers conseillers territoriaux dès 2014.

Pour atteindre cet objectif, le législateur a ainsi prévu de réduire de six à quatre ans le mandat des conseillers régionaux élus en mars 2010 et de six à trois ans celui des conseillers généraux qui seront élus en 2011. Conformément à sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur était fondé, pour assurer le respect des exigences de clarté et de loyauté de l'élection des conseillers régionaux en 2010 et des conseillers généraux en 2011 à modifier la durée du mandat de ces scrutins, dans la mesure où cette réduction de la durée des mandats poursuit un but d'intérêt général.

L'adoption de cette loi permet de synchroniser la date d'élection des conseillers généraux et régionaux. En effet, bien que les mandats des conseillers régionaux et des conseillers généraux aient une durée identique, six ans, leurs élections respectives n'étaient pas simultanées. Une telle concomitance avait déjà été prévue, hors de toute réforme annexe, par la loi du 11 décembre 1990. Mais le renouvellement partiel des conseils généraux avait été rétabli avant même l'entrée en vigueur de cette disposition.

Elle ouvre ainsi la possibilité de procéder à un renouvellement complet des conseillers généraux ainsi que des conseillers régionaux en 2014, avec en perspective l'élection des premiers conseillers territoriaux . Cette mesure constitue l'expression juridique d'une proposition émise par le Comité Balladur dans les termes suivants : « désigner par la même élection, à partir de 2014, les conseillers régionaux et les conseillers généraux ».

Cette disposition permettra par ailleurs d'organiser simultanément l'ensemble des élections territoriales (municipales, départementales et régionales) en 2014.

Dans la perspective de l'élection des conseillers territoriaux, le Gouvernement a proposé un mode de scrutin spécifique, dont les modalités figurent à l'article 1 er du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale.

Cette proposition est consubstantielle à la création des conseillers territoriaux, il n'est pas en effet possible de maintenir les modes de scrutin actuellement utilisés pour l'élection des conseillers généraux et régionaux, puisqu'ils sont distincts.

Le Sénat a déterminé les principes qui devront guider le choix du mode de scrutin retenu pour l'élection des conseillers territoriaux. Ce mécanisme devra assurer la représentation des territoires par un scrutin uninominal, l'expression du pluralisme politique et la représentation démographique par un scrutin proportionnel ainsi que la parité. Ces principes figurent à l'article 1A du projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales , adopté par le Sénat à l'initiative du groupe de l'Union centriste. Ils sont au nombre de trois : assurer la représentation des territoires, l'expression d'un pluralisme politique ainsi que la parité .

b) Le choix d'une nouvelle circonscription électorale

L'instauration d'une nouvelle catégorie d'élus rend également nécessaire, bien qu'il ne s'agisse que d'un sujet connexe à celui du mécanisme électoral, la recherche d'une nouvelle circonscription électorale .

Cette problématique a été évoquée dans le rapport Balladur, tout comme dans l'étude d'impact jointe au projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale.

Le choix du Gouvernement est clair, le canton sera la circonscription d'élection des conseillers territoriaux.

Ce choix repose sur des motifs juridiques et politiques.

Les conseillers territoriaux étant appelés à siéger au sein des conseils généraux, leur circonscription d'élection doit être déterminée au niveau départemental . Le choix d'une circonscription régionale soulèverait des difficultés d'ordre juridique pour la répartition des conseillers territoriaux au sein des départements.

Le Gouvernement souhaite par ailleurs assurer l'ancrage territorial des conseillers territoriaux. Cet objectif, partagé par de nombreux élus, conduit le Gouvernement à retenir prioritairement le canton comme circonscription d'élection des conseillers territoriaux.

Toutefois, ce choix n'entraîne pas la pérennisation des cantons existants comme circonscription électorale . La volonté exprimée par le Gouvernement de diminuer fortement les effectifs des conseillers territoriaux se traduira par un redécoupage électoral . Cette opération, nécessaire en raison de la disparité entre les cantons, permettra de répartir les effectifs de conseillers territoriaux dans chaque département composant la région, en fonction de leurs poids démographiques respectifs.

Entendu par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le secrétaire d'État à l'Intérieur et aux collectivités territoriales a précisé que le critère de population serait le premier élément pris en compte pour la détermination des nouveaux cantons, sans que lui soit reconnue la même importance que pour les circonscriptions législatives. Le nombre actuel de cantons et le nombre de communes de chaque département seraient également pris en compte, tout comme l'étendue géographique des circonscriptions. La délimitation de ces nouveaux cantons devrait être réalisée à partir de la carte actuelle , conformément à la loi, elle respecterait les limites des circonscriptions législatives.

* 1 Le Figaro, 17 décembre 2009

* 2 Projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux devenue la loi n°2010-145 du 16 février 2010 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et régionaux, Projet de loi de réforme des collectivités territoriales, Projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale.

* 3 Loi n° 2010-145 du 16 février 2010 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux.

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