Audition de Loïck ROCHE, directeur-adjoint, directeur de la pédagogie et doyen du corps professoral de l'école de management de Grenoble, co-auteur de « Éloge du bien-être au travail »
(mercredi 26 mai 2010)

Puis la mission a entendu Loïck Roche, directeur-adjoint, directeur de la pédagogie et doyen du corps professoral de l'école de management de Grenoble, co-auteur de l'ouvrage « Éloge du bien-être au travail ».

A titre introductif, Loïck Roche a expliqué les raisons qui l'ont conduit à s'intéresser à la question du bien-être au travail. La première est d'ordre familial : l'un de ses grands-pères, qui était ouvrier spécialisé, a été victime de graves accidents du travail. La seconde est liée à son parcours universitaire : diplômé à la fois en sciences de gestion, en psychologie et en philosophie, il en est venu logiquement à étudier le lien entre ces disciplines.

Son dernier ouvrage, « Eloge du bien-être au travail », a été précédé de trois autres publiés au milieu des années quatre-vingt-dix, dont l'un est intitulé « Comédie du management » en référence à la « Comédie humaine » d'Honoré de Balzac. Tous portent sur la problématique du mal-être au travail et sur les dysfonctionnements observés dans les entreprises en matière de gestion des ressources humaines.

La récente vague de suicides chez France Telecom a remis au coeur de l'actualité le thème du bien-être au travail qui est pourtant très ancien. Au début du XIX e siècle, Robert Owen, industriel gallois et père fondateur du mouvement coopératif, insistait déjà sur la nécessité, pour les employeurs, d'assurer de bonnes conditions de travail à leurs salariés. Un siècle plus tard, l'américaine Mary Parker Follett, pionnière en théorie du management, développait la notion de « gagnant-gagnant » aujourd'hui largement reprise.

Comment expliquer que le mal-être au travail, phénomène latent depuis des années, apparaisse maintenant au grand jour ? Tout simplement parce que le travail ne fait plus sens et n'apporte plus de sentiment de reconnaissance. Nietzche disait, à juste titre, que « donner un pourquoi aux personnes » leur permet de « s'accommoder du comment ». Dans les sociétés actuelles, les individus ne perçoivent plus l'utilité de leur travail et ne s'accomplissent plus à travers lui.

Le stress subi sur le lieu de travail est, à raison, souvent pointé du doigt comme étant à l'origine du mal-être de certains salariés. Cependant, s'attaquer aux effets du problème n'a jamais permis d'en résoudre les causes. Le stress est un symptôme, mais pas un facteur déclenchant. La cause du phénomène est à rechercher dans l'absence de management. Pour étayer ce constat, il faut revenir à l'étymologie du terme « management ». Dans une première acception, manager signifie contrôler ; dans une seconde, il se rapporte à ménager, c'est-à-dire soigner ou cultiver les ressources humaines. C'est cette dimension qui fait aujourd'hui défaut : l'humain n'est pas suffisamment présent dans le management. Comme le montre le philosophe Michel Serres, le monde du travail est dominé par le règne de la compétition et de la performance : par peur de ne pas être à la hauteur, les individus se replient sur eux-mêmes, développent des comportements agressifs, s'insensibilisent aux autres. A terme, l'ambiance de travail devient délétère.

Comment redonner du sens au travail, individuellement et collectivement ? Comment réintroduire de l'humain dans les méthodes de gestion des ressources humaines ? En inventant un nouveau type de management, garant du bien-être des salariés, le « slow management ». Celui-ci suppose une implication très forte des dirigeants qui doivent prendre le temps d'aller au contact de leurs personnels, de les écouter, de leur tenir un discours de vérité. Le véritable manager, c'est celui qui explique les choses de manière pédagogique.

Ce n'est certainement pas en créant des centres de relaxation au sein des entreprises que l'on combattra le stress. De telles initiatives ne sont qu'un moyen, pour les employeurs, de s'exonérer de leurs responsabilités. Par ailleurs, il est indispensable de tenir un discours de vérité aux salariés : le travail, comme son étymologie l'indique (« tripalium »), est intrinsèquement difficile.

Le changement de paradigme ne viendra pas des entreprises elles-mêmes, mais d'une impulsion extérieure. C'est au politique de lancer un mouvement en faveur de « l'écologie humaine », comme cela a été le cas pour l'environnement avec le Grenelle. Le bien-être au travail n'est pas un obstacle à la performance économique, bien au contraire. C'est en réintroduisant de l'humanisme dans les entreprises que celles-ci pourront créer davantage de valeur.

Evoquant les cas de suppression d'emplois ou de fermeture d'entreprises, Annie David a fait remarquer que tenir un discours de vérité vis-à-vis des salariés concernés ne suffit pas. Parallèlement, il est indispensable de les accompagner et de leur offrir des perspectives de retour à l'emploi. Sans doute les entreprises doivent-elles davantage communiquer sur leur stratégie à long terme afin de rassurer leurs personnels.

Loïck Roche a insisté sur la nécessité, pour les dirigeants, d'être proches de leurs salariés et de prendre le temps d'expliquer leur stratégie. Toutefois, il n'est pas du ressort de l'entreprise, dont la fonction première est la création de valeur, d'améliorer l'employabilité des travailleurs. Cette mission doit relever d'une structure extérieure.

S'agissant de la récente vague de suicides chez France Telecom, s'il est indécent de parler d'effet de mode, il est vraisemblable que les premiers cas de suicide ont influencé les suivants en légitimant le passage à l'acte.

Rappelant qu'un syndicaliste de France Telecom s'est suicidé sur son lieu de travail, Annie David a indiqué que le manque de perspective alimente l'angoisse et le désespoir des salariés qui ne voient d'autre solution que se donner la mort.

Muguette Dini a émis l'hypothèse que ce syndicaliste souffrait de ne pouvoir aider ses collègues confrontés à des conditions de travail difficiles.

Loïck Roche a expliqué que le suicide repose sur un paradoxe : alors que la personne qui tente de mettre fin à ses jours est en grande détresse psychique, elle trouve quand même la force de prendre une ultime décision.

Annie Jarraud-Vergnolle a rappelé que, pour le sociologue Émile Durkheim, le suicide est certes un acte individuel, mais dont les causes sont collectives. Les dysfonctionnements observés dans les entreprises plaident sans doute pour un autre type de management. Comment le politique peut-il impulser une nouvelle donne ?

Muguette Dini a également souhaité savoir par quels moyens la représentation nationale pourrait faire avancer le débat.

Loïck Roche a répondu qu'il est temps aujourd'hui de dire « assez » et de passer à l'action. Comme le montre le philosophe Robert Misrahi, l'une des fonctions du politique est d'assurer les conditions du bonheur extérieur.

Il ne faut pas espérer trouver la solution au problème du mal-être au travail dans les théories du management. Manager des hommes, c'est avant tout quelque chose de physique : il faut entrer en contact avec eux, être à leur écoute, identifier leurs craintes.

Aujourd'hui, alors que le monde du travail est dominé par la peur, il est indispensable de replacer l'homme au centre de l'entreprise.

Muguette Dini a estimé que le législateur aura beau prendre des mesures en ce sens, il n'y aura aucun changement dans les méthodes de management si les principaux protagonistes ne s'impliquent pas personnellement.

Loïck Roche est convenu de la nécessité d'un engagement très fort de la part des dirigeants. Néanmoins, leur imposer un cadre juridique pourrait leur faciliter la tâche et les inciter à s'investir.

Annie David a également insisté sur l'importance de l'engagement personnel des managers. Par ailleurs, ne faudrait-il pas donner plus de place, dans leur formation, à la dimension humaine de leur futur métier ?

Muguette Dini a rappelé que lors de précédentes auditions, la question de la formation des managers a été posée. Dans beaucoup d'écoles de commerce ou d'ingénieurs, on observe en effet que la dimension humaine de la gestion des équipes n'est pas ou peu abordée.

Loïck Roche a répondu qu'il est sans doute souhaitable de revenir aux fondamentaux de la gestion des ressources humaines, mais qu'il est surtout indispensable de réintroduire des cours de philosophie dans les écoles formant les futurs dirigeants. En effet, comment peut-on prétendre savoir gérer des hommes sans avoir connaissance de l'éthique ?

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