B. UNE NOUVELLE APPROCHE POUR LA SUBMERSION MARINE

1. La submersion marine : un risque spécifique

De nombreux intervenants ont rappelé qu'hors les dégâts causés, le risque de submersion marines , n'est guère comparable à aucun autre risque d'origine naturelle , ni même au risque de crue.

M. Philippe Sergent, directeur scientifique du centre d'études maritimes et fluviales, a indiqué à la mission que « les dispositifs dédiés à la submersion marine restent insuffisants, alors qu'il s'agit d'un phénomène qui doit faire l'objet d'un traitement spécifique ». A la différence des inondations fluviales , la submersion marine s'accompagne en effet « de marées, de houle et d'une dynamique des flux-reflux systématique ».

A la demande de votre mission, le centre d'études maritimes et fluviales a explicité la spécificité du phénomène de submersion marine dans un document qu'il lui a transmis.

LES SPÉCIFICITÉS DU RISQUE LITTORAL

(L'analyse du centre d'études maritimes et fluviales)

En première analyse, le risque côtier et le risque fluvial partagent les mêmes problématiques. Il s'agit d'étudier des phénomènes hydrauliques susceptibles de provoquer des inondations par débordement ou rupture des ouvrages de protection ou, sur une échelle de temps plus longue, mettant en danger les biens et les hommes par l'érosion des berges ou le recul du trait de côte.

Il apparaît néanmoins que la prévention des risques est sensiblement différente pour le risque littoral sur au moins quatre aspects : la spécificité des phénomènes naturels marins mis en jeu, la complexité des ouvrages de protection, la forte interaction entre aléas de submersion marine et érosion et le manque de connaissance de la vulnérabilité induite par les phénomènes extrêmes.

1. Des phénomènes naturels spécifiques

Les phénomènes hydrauliques maritimes comprennent principalement les variations du niveau de la mer, qui sont de plusieurs ordres : variations du niveau moyen à long terme, marée, décote-surcote et agitation du plan d'eau par les vagues.

Le niveau de la mer peut être décomposé suivant plusieurs contributions : le niveau moyen, la hauteur de marée théorique et la surcote-décote.


• Le niveau moyen est obtenu à partir d'observations sur une période de l'ordre de l'année et est considéré comme constant à cette échelle de temps. L'élévation du niveau de la mer, estimée à quelques millimètres par an, a un impact négligeable sur le risque à court terme mais son impact à long terme doit dès maintenant être anticipé.


• La marée est la variation du niveau de la mer due à l'action gravitationnelle des astres (principalement la lune et le soleil). La hauteur de marée est une donnée locale prédictible.


• Les surcotes et décotes sont les différences entre la marée prédite et la hauteur d'eau observée. Les surcotes correspondent à une hauteur d'eau supérieure au niveau prédit. Elles sont essentiellement d'origine météorologique et comprennent la surcote barométrique (environ + 1 cm pour - 1 hPa) et l'action du vent sur la surface de la mer. D'autres phénomènes plus rares, tels les seiches, oscillations engendrées par la mise en résonance de groupes de vagues dans les baies, les golfes ou les ports, sont également à l'origine de surcotes et décotes.

Les vagues sont des oscillations de courte période générées par le vent à la surface de la mer. On distingue la mer du vent qui est le système de vagues observé en un point situé dans le champ de vent qui engendre ces vagues et présente un aspect chaotique, de la houle qui désigne les vagues observées en un point éloigné du champ de vent qui les a engendrées et présente un aspect ordonné. Un état de mer définit l'agitation locale de la surface résultant de la superposition de la mer du vent et d'une ou plusieurs houle(s). Lorsque la profondeur de l'eau diminue, la houle est ralentie, sa hauteur augmente et sa cambrure est modifiée (phénomène de gonflement à la côte). En arrivant près du rivage, l'excès de cambrure provoque le déferlement. Le déferlement est un phénomène dissipatif de l'énergie de la houle qui peut prendre différentes formes (déferlement glissant, plongeant ou frontal) en fonction des caractéristiques morphologiques et bathymétriques de la côte. Le déferlement de la houle engendre une surélévation du niveau moyen de l'eau à la côte ainsi qu'une surélévation dynamique liée au train de vagues : le jet-de-rive.

Les tsunamis, qui sont des ondes de longues périodes d'origine non météorologique puisque provoqués par des séismes, des glissements sous-marins ou des explosions volcaniques, ne seront pas considérés ici.

2. Les risques littoraux

Les risques littoraux au sens des « plans de prévention des risques littoraux (PPRL) » comprennent essentiellement le risque de submersion, le risque de recul du trait de côte et le risque induit par les avancées dunaires. Ce dernier, peu lié aux phénomènes hydrauliques, ne sera pas abordé.

2.1 Le risque de submersion

Il existe trois grands mécanismes de submersion :


• le débordement, lorsque le niveau de la mer est supérieur à la cote de crête des ouvrages ou au terrain naturel,


• le franchissement par paquets de mer,


• la rupture ou destruction d'un cordon dunaire ou d'un ouvrage de protection.

La quantification de l'aléa de submersion par débordement nécessite d'estimer la probabilité d'occurrence d'un niveau d'eau donné à partir de ses composantes de marée et de surcote, sur la base de méthodes d'estimation statistiques. Le calcul des périodes de retour, s'il peut être envisagé pour certains points où l'on dispose d'historiques de mesures longs, reste localisé et l'extrapolation sur toute une zone géographique est délicate.

Le franchissement des ouvrages ou du terrain naturel par paquets de mer est lié au dépassement de la crête des ouvrages par la houle après déferlement alors que le niveau d'eau ne l'a pas encore atteint. Compte tenu des données météorologiques disponibles, il est possible de caractériser le régime de houle au large et de le valider à l'aide des mesures enregistrées par les houlographes le long des côtes. Il est ensuite nécessaire d'utiliser des modèles numériques pour propager cette houle jusqu'à la côte, la forme de la houle étant fortement conditionnée par la bathymétrie, puis de calculer les débits de franchissement en fonction du niveau d'eau. Là encore, il sera nécessaire d'utiliser des modèles statistiques pour évaluer la concomitance d'un niveau d'eau donné avec un certain régime de houle à la côte.

Enfin, des submersions marines peuvent se produire dans le cas de défaillance d'un ouvrage de protection ou de formation de brèche dans un cordon dunaire due aux attaques marines, notamment du fait de l'énergie libérée par la houle lors du déferlement. Ce type de submersion est directement imputable à la construction et/ou l'entretien de l'ouvrage ou à l'intégrité du cordon dunaire et sa capacité de résilience.

Les phénomènes naturels à l'origine de la submersion marine comprennent les variations du niveau de la mer liées à la marée et aux effets météorologiques et le déferlement de la houle sur la côte. De plus, l'interaction entre érosion et submersion est nécessairement à prendre en compte. Par comparaison, l'aléa fluvial est essentiellement contrôlé par les conditions hydrologiques et le risque principalement associé au niveau d'eau.

2.2 Le risque d'érosion

Le risque principal associé à l'érosion est le recul du trait de côte qui est défini comme la laisse des plus hautes mers astronomiques de coefficient 120, avec des conditions météorologiques normales. Dans la pratique, il existe des méthodologies de détermination de la position du trait de côte suivant les caractéristiques morphologiques du littoral. Le taux de recul annuel moyen, extrapolé à partir des observations existantes sur l'évolution de la position du trait de côte, permet de déterminer les secteurs soumis à l'aléa érosion.

L'érosion résulte des effets combinés de la marée, des courants, de la houle, des vents, des processus continentaux et des tempêtes. Les processus naturels sont souvent aggravés par les activités humaines : limitation des apports sédimentaires par la construction de retenues, extraction de matériaux, perturbation des mécanismes de transport sédimentaires par les ouvrages maritimes et aménagements de front de mer, fragilisation des protections dunaires naturelles...

L'étude des processus d'érosion doit intégrer différentes échelles de temps (de la tempête aux évolutions géomorphologiques de long terme) et d'espace (de la plage à la cellule hydrosédimentaire). La complexité des processus littoraux nécessite la mise en oeuvre d'études pluridisciplinaires lourdes pour quantifier le risque de recul du trait de côte et la dynamique associée sur des échelles de temps longues.

Si l'érosion est principalement associée au risque de recul de la côte, elle peut avoir un impact sur les défenses côtières naturelles (rupture de cordons dunaires) ou artificielles (sape des fondations des ouvrages) et être en partie la cause de submersions marines.

Les mécanismes d'érosion côtière par les courants, la marée et la houle sont complexes et doivent être appréhendés à différentes échelles de temps et d'espace.

3. Une protection complexe

Les ouvrages de protection contre le risque de submersion doivent répondre au risque de débordement lié à l'élévation du niveau d'eau et, dans une certaine mesure, au risque de franchissement par les paquets de mer. Ils sont donc dimensionnés à partir d'un niveau marin de référence et doivent résister aux sollicitations engendrées par la mer. Ces contraintes spécifiques au littoral (déferlement, marée) complexifient le calcul des ouvrages par rapport au dimensionnement des digues fluviales. Les solutions techniques mises en oeuvre sont donc distinctes. Comme pour les risques fluviaux, la nature spécifique de la domanialité littorale et l'absence de gestionnaire identifié pour la majorité des ouvrages rendent difficile la connaissance du niveau de protection offert par les ouvrages existants.

Les ouvrages de protection contre l'érosion ont souvent été construits empiriquement. Ces ouvrages, souvent anciens, n'ont pas pris en compte l'impact à moyen terme des aménagements sur l'équilibre hydrosédimentaire global, aggravant dans certains cas les processus d'érosion côtière dans d'autres zones. Le manque de recul sur certaines techniques de protection ne permet pas toujours de juger de l'efficacité des protections mises en place.

Les ouvrages de protection du littoral peuvent cumuler plusieurs fonctions :


• protection contre l'érosion du trait de côte, de manière directe ou indirecte,


• protection contre la submersion marine,


• protection contre l'agitation du plan d'eau.

Ces fonctionnalités multiples conduisent à une typologie des ouvrages plus riche que celle des digues fluviales : murs, perrés, digues, brise-lames, épis... à laquelle il convient d'ajouter les « ouvrages naturels » de type cordon dunaire ou cordon de galets et les protections difficilement classifiables comme ouvrages : drainage, confortement dunaire, by-pass, pieux...

La gestion du littoral et son aménagement doivent intégrer la spécificité des phénomènes naturels. Ils doivent en particulier prendre en compte l'espace de liberté du littoral, lié aux variations saisonnières et pluri-annuelles de sa morphologie et donc de la position du trait de côte. Cet espace de liberté, souvent négligé par le passé, conduit aujourd'hui à envisager la gestion du littoral autrement.

La protection n'est pas une réponse unique face aux aléas littoraux. Une bonne connaissance des aléas et des enjeux vulnérables est nécessaire pour choisir une stratégie adaptée au contexte local. Les mesures envisageables sont :


• le maintien du trait de côte,


• la restauration du fonctionnement naturel avec une intervention limitée,


• un suivi de l'évolution sans intervention lorsque les risques sont limités,


• le recul stratégique, lorsque les enjeux sont faibles ou les moyens de protection trop coûteux ou non réalisables.

La mise en oeuvre de cette stratégie nécessite le développement de nombreux outils spécifiques (analyses coût-bénéfices, ...) afin de déterminer pour chaque secteur la stratégie adaptée et sa mise en oeuvre. L'impact du changement climatique et l'accélération de l'élévation du niveau de la mer renforcent aussi la nécessité d'une communication et d'un débat important sur ce sujet.

Les ouvrages de protection du littoral sont dimensionnés pour des sollicitations spécifiquement maritimes et sont souvent intégrés simultanément dans la lutte contre l'érosion et la submersion et dans une démarche plus globale de stratégie de gestion du trait de côte. Ils doivent notamment prendre en compte la forte pression foncière et l'implantation d'activités touristiques sur le littoral. Il en résulte une grande diversité d'ouvrages dont la typologie déborde celle des ouvrages fluviaux.

4. Une connaissance imparfaite de la vulnérabilité du littoral

La vulnérabilité littorale est définie par le niveau de conséquences d'un phénomène physique naturel sur les biens et les personnes.

Les études historiques permettent le plus souvent de connaître les étendues des zones submergées dans le passé. Néanmoins, pour les submersions anciennes, la connaissance précise des données météorologiques et de la dynamique de l'événement est souvent impossible. Les phénomènes à l'origine du risque sont le plus souvent caractérisés au large. L'évaluation précise de leurs conséquences sur le littoral doit faire appel à des outils de modélisation. Sur la majeure partie du littoral, celle-ci est impossible en l'absence de modèle numérique de terrain d'une précision suffisante. Le programme national Litto3D, destiné à combler ce manque, est loin d'être achevé. Ces levés topographiques et bathymétriques précis permettraient de modéliser les phénomènes hydrauliques jusqu'à la côte mais surtout de pouvoir définir précisément l'ampleur des zones submergées. Les données altimétriques actuelles, d'une précision souvent métrique, ne permettent pas une telle cartographie.

L'impact du changement climatique sur le risque de submersion conduit à envisager l'effet d'une hausse du niveau marin moyen de 1m en 2100. Cette élévation du niveau d'eau aura plusieurs conséquences :


• une plus grande vulnérabilité à la submersion par débordement des ouvrages,


• une plus grande vulnérabilité à la submersion par franchissement des ouvrages : l'augmentation du niveau d'eau en proche côtier facilitera la propagation de vagues d'amplitude plus importante sur le littoral,


• une modification des états de mer à la côte aggravant les phénomènes d'érosion et de déstabilisation des ouvrages.

Les phénomènes hydrauliques à l'origine du risque de submersion littorale étant par nature plus complexes que les phénomènes fluviaux, les conséquences d'un phénomène extrême donné sur les biens et les personnes sont plus difficiles à appréhender.

Il existe des outils de préfiguration du calcul des surcotes marines au large (Prévimer) qui permettent de prévoir sur une partie des côtes l'amplitude des phénomènes extrêmes. Néanmoins, ces prévisions ne permettent pas d'anticiper les conséquences de ces phénomènes sur le littoral au niveau local, ni de proposer les conseils de comportement adaptés.

Si la vigilance et la prévision des inondations a été mise en oeuvre de façon efficace avec les services de prévision des crues et le SCHAPI pour un grand nombre de cours d'eau, la vigilance « vague-submersion » n'est pas encore en phase opérationnelle, et aucun système de prévision des risques de submersion marine 'existe.

En conclusion, le milieu littoral, de part la complexité des sollicitations auxquelles il est exposé, présente des mécanismes d'érosion et d'inondation spécifiques. La protection des côtes est assurée par des ouvrages dont la typologie est plus large que celle des digues de protection fluviales et doit s'intégrer dans une stratégie globale de gestion du trait de côte. Enfin, si la connaissance et l'anticipation des phénomènes dangereux au large est accessible, la caractérisation de leur impact sur le littoral à l'échelle locale n'est pas encore réalisée.

Les instruments de planification et de gestion des risques doivent donc être adaptés à la spécificité du risque de submersion marine . M. Jacques Oudin, vice-président du conseil général de Vendée, a ainsi regretté, au sein des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), « l'absence de distinction entre le risque de submersion marine, conditionné par le coefficient de marée, la force du vent, la pression atmosphérique et la topographie du littoral, et le risque de crue ». Le volet « submersion marine » de ces schémas, dont les six derniers ont été adoptés en 2009, a en effet été reporté à 2015.

S'il existe des ressemblances évidentes, entre inondations par crues et inondations par submersion, notamment dans les dommages subis ou les mesures d'urgence, les causes, les modes d'action et les mesures à prendre divergent en grande partie. Ces différences ont poussé votre mission à préconiser la mise au point, aux côtés de PPR traitant des inondations par crues (les PPRI), de PPR spécifiques au risque de submersion (les PPRS).

Page mise à jour le

Partager cette page