3. L'indispensable nouvelle gouvernance

La mission estime indispensable de revoir la gouvernance en matière de gestion des digues, et particulièrement pour ce qui concerne les digues maritimes, qui semblent très éloignées des priorités des pouvoirs publics.

a) Ce changement de gouvernance suppose une connaissance des ouvrages

Certes, un recensement a été prescrit par une circulaire interministérielle du 17 août 1994 suite aux grandes inondations du Rhône qui avaient noyé la Camargue en 1993 et 1994, puis rappelé par circulaire du 28 mai 1999. Depuis 2003, une base de données appelée BARDIGUES existe mais, en raison d'une priorité accordée aux barrages et aux digues fluviales, le recensement des digues maritimes n'est toujours pas achevé et l'identification des intervenants (propriétaire, exploitant et/ou gestionnaire) est très incomplète et souvent incertaine. Pour certains ouvrages anciens, sans actes administratifs, il est parfois très difficile d'identifier les propriétaires. On estime cependant qu'il existe environ 6 000 à 7 500 km de digues sur le territoire gérés par près de 1 000 maîtres d'ouvrage et assurant la protection d'environ 2 millions d'habitants.

Pour les départements touchés par la tempête Xynthia, en Loire-Atlantique, la base de données ne fait référence qu'à une seule digue, celle des marais salants de Guérande, et en Charente-Maritime, elle n'est que partiellement renseignée. En revanche, la majorité des digues est recensée en Vendée et en Gironde, y compris celles de l'estuaire. Enfin, l'accès aux données BARDIGUES est réservé à certains services de l'Etat.

Proposition n° 54 de la mission :

Poursuivre et achever le recensement des digues maritimes et fluviales (base BARDIGUES)

b) Plus globalement, il est impératif de changer un système aujourd'hui complexe et non contrôlé

De trop nombreux acteurs interviennent dans la gestion des digues. Malgré l'accroissement du contrôle règlementaire des digues et barrages résultant de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau , les digues restent mal entretenues.

Il est indispensable que les digues « orphelines », ou plus généralement, les digues qui n'appartiennent pas à une collectivité publique, soient gérées.

En cas de carence, la dissolution d'une association syndicale autorisée (ASA) 47 ( * ) peut être prononcée par le Préfet. Après mise en demeure, celui-ci peut faire procéder d'office aux travaux aux frais de l'association , dans le cas où la carence de l'association nuirait gravement à l'intérêt public. Le Préfet peut également constater que l'importance des travaux à réaliser excède les capacités de l'association. Dans ce cas, l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent se substituer en tout ou partie à l'association.

L'expérience montre que cette procédure de substitution ne permet pas un entretien régulier des digues.

Il convient dès lors d'envisager un transfert de propriété à la puissance publique. A titre d'illustration, après la rupture d'une digue dans l'île de Noirmoutier en 1978, entraînant l'inondation de toute la partie sud de l'île, le SIVOM a racheté, pour un franc symbolique, 25 kilomètres de digues avec une bande adjacente de 25 mètres pour prévenir toute nouvelle submersion marine.

A défaut de transfert de propriété, une convention très précise doit être établie entre le propriétaire et les collectivités locales lorsque celles-ci interviennent sur une digue dont elles ne sont pas propriétaires.

Proposition n° 55 de la mission :

Clarifier le régime de propriété et envisager un transfert de propriété publique qui permettra de clarifier les responsabilités.

Votre mission estime cependant que le transfert de la gestion des digues à un établissement public national ne serait pas de nature à permettre une gestion efficace de la protection contre la submersion marine. Elle se prononce pour une gestion de proximité. En effet, les collectivités territoriales sont les mieux équipées pour connaître l'historique et la réalité des risques d'inondations et pour prendre les mesures nécessaires de prévention. Une « nationalisation » de la gestion des digues paraît d'autant moins souhaitable que l'Etat a toujours la faculté d'intervenir, pour des raisons de sécurité publique, en cas de défaillance d'une collectivité territoriale.

A titre d'illustration, en Gironde, le Syndicat Mixte pour le Développement Durable de l'Estuaire de la Gironde (SMIDDEST) est sollicité pour porter un « plan digues » avec un financement de l'Etat significatif (50 %). Maître d'ouvrage délégué, il serait responsable de l'entretien des digues une fois les investissements réalisés.

Cette gestion de proximité doit s'accompagner d'un « pilotage » national permettant de suivre l'exécution d'un plan national d'investissement pour la défense contre la mer, portant sur plusieurs années.

Cette modification de la gouvernance des digues semble faire consensus. La mission interministérielle de mai 2010 a elle même présenté trois scénarios résumés dans l'encadré ci-dessous. Si parmi ces scénarios figure l'option du « statu quo », lors de son audition, M. Michel Rouzeau, co-auteur du rapport, a précisé que si les trois scénarios n'ont pas été hiérarchisés entre eux, à la fois parce que la commande passée à la mission d'inspection ne l'exigeait pas et parce que chacun d'entre eux présentait des faiblesses, le statu quo serait particulièrement malvenu suite au passage de Xynthia. Selon lui, le fait de confier la responsabilité de la gestion des digues aux collectivités territoriales apparaît difficile dans un contexte de fortes discussions des transferts de compétences et de leurs modalités de compensation par l'Etat. La gestion par un établissement public national laisse toutefois en suspens une question similaire de partage des coûts entre l'Etat et les collectivités. Votre mission a très clairement écarté cette dernière option nationale, tandis que la seconde lui paraît plus opérationnelle.

L'amélioration de la gouvernance en matière de gestion des digues : trois scénarios développés par la mission interministérielle (mai 2010)

Pour répondre à la problématique de la mauvaise gestion des digues, le rapport envisage plusieurs scénarios :

- le statu quo « aménagé » qui ne conduit ni à la création de structures nouvelles ni à la modification de textes existants. Dans cette hypothèse, l'Etat encouragerait, avec des aides financières, la constitution de syndicats mixtes « ouverts » et le regroupement ou l'union d'associations et confierait des délégations de maîtrise d'ouvrages aux établissements publics territoriaux de bassin voire aux conseils généraux. Ce scénario prendrait du temps.

- Le transfert de la compétence de gestion aux collectivités territoriales : soit aux établissements publics de coopération intercommunale, soit aux départements, avec dans ce dernier cas le problème d'une absence de lien entre la gestion des ouvrages de protection et les compétences en matière d'urbanisme et de prévention des risques.

- La création d'un établissement public national gestionnaire , avec deux variantes : l'une maximale, par laquelle l'établissement public deviendrait le gestionnaire unique et global des travaux à réaliser sur l'ensemble des digues en France ; l'autre plus restreinte dans laquelle il ne serait que le gestionnaire des digues dont la gestion est, en fait ou en droit, exercée par l'Etat. La mission interministérielle estime que cette dernière variante présente l'avantage de la visibilité et de la stratégie de long terme, mais l'inconvénient d'un éloignement entre un établissement autonome et les responsables du ministère chargés de la politique générale de prévention des risques, de maîtrise de l'urbanisme et de contrôle des ouvrages.


* 47 La forme la plus ancienne de protection des propriétés contre la menace d'inondation est l'association syndicale de propriétaires fonciers (ASP). L'ordonnance n°2004-632 du 1er juillet 2004 distingue parmi ces associations, les associations syndicales libres, les associations syndicales autorisées, les associations syndicales constituées d'office et les unions d'associations syndicales. Les associations syndicales autorisées sont des établissements publics administratifs jouissant de prérogatives de puissance publique comme la capacité d'exproprier et celle de recevoir des redevances obligatoires de leurs adhérents.

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