Audition de M. Bernard BÉGAUD,
professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux,
directeur de l'unité de recherche « Pharmaco-épidémiologie et évaluation de l'impact des produits de santé sur les populations »
(mercredi 5 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux, directeur de l'unité de recherche « Pharmaco-épidémiologie et évaluation de l'impact des produits de santé sur les populations ».

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Bernard Bégaud prête serment.

M. François Autain, président - Je vous demanderai puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Bernard Bégaud - Je n'ai pas de liens - j'allais dire malheureusement - mais je le retire. Parfois, je le regrette !

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.

M. Bernard Bégaud - C'est un honneur pour moi d'être auditionné dans le cadre de cette commission d'enquête.

Je serai assez bref, mes propos risquant d'être décevants et d'ouvrir des débats qui sont déjà clos sans apporter grand chose de plus.

Je voudrais quand même dire en introduction quelques mots sur mon ressenti de la campagne et son contexte. Je le fais en tant que médecin et spécialiste des problèmes d'impact des produits de santé - et les vaccins en sont - sur les populations, à la lumière d'une affaire qui m'a personnellement beaucoup marqué, celle de la vaccination contre l'hépatite B, sur laquelle j'ai beaucoup travaillé, alors que j'ai peu travaillé sur la présente campagne.

Les pays développés, l'Europe notamment, se sont trouvés confrontés à un risque pandémique ; l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dont c'est le rôle, a fourni des indications sur ce risque, sur son niveau et sur la ou les stratégies à adopter. Il est évidemment revenu aux Etats d'adapter les moyens de prévention en fonction de leur système de santé, qui varie d'un pays à l'autre.

Dans le domaine de la politique de santé publique, on peut s'étonner de disparités aussi grandes entre des pays assez proches - je pense en particulier à l'Union européenne.

Second commentaire : il est difficile de reprocher aux Etats d'avoir mis en oeuvre des moyens même si, a posteriori , ceux-ci peuvent paraître excessifs, de manière à protéger au mieux la population. On est, en effet, là dans un principe d'incertitude et de scénario du pire.

Cela étant, il est vrai que le dispositif français paraît quelque peu disproportionné mais il est évidemment assez facile à un expert bureaucrate comme moi de le dire, surtout après coup.

Cette affirmation doit cependant être atténuée par les informations assez peu alarmistes qui provenaient des pays touchés avant nous et ayant un système de santé comparable au nôtre.

Troisième commentaire : la mise en place d'un système de vaccination de masse impose des délais très longs, compte tenu de la phase de modélisation des risques et des stratégies, de la mise au point et de l'évolution des vaccins, de leur fabrication, des négociations d'achat, des stockages, de la répartition des stocks, etc. Ceci peut expliquer qu'au terme de ces nombreux mois, on se trouve en décalage avec la réalité.

Pour entrer dans le vif du sujet - et sans vouloir « aboyer avec les loups » car je connais pour les avoir vécues ce genre de difficultés - je voudrais faire quelques commentaires.

En premier lieu, vous me permettrez de ne pas suivre une ligne d'autosatisfaction que j'ai pu voir dans la presse ou lors des débats retransmis par la chaîne parlementaire, qui consiste à dire que, dans cette affaire, tout a fonctionné pour le mieux et que, si c'était à refaire, on ne changerait rien et ceci pour deux raisons.

La première, c'est qu'il existe de sérieuses interrogations sur la campagne passée ; en second lieu, du fait de la frénésie des déplacements et de la mondialisation qui caractérise notre planète, nos pays seront de plus en plus menacés par des pandémies de ce type, parfois par des virus plus agressifs. Il convient donc d'être certain que la stratégie qui s'est développée pour le H1N1 est une réponse à la hauteur des menaces.

Ces deux interrogations se résument en fait à une seule question : le dispositif mis en place par le Gouvernement français aurait-il efficacement protégé la population si le virus H1N1 avait eu la dangerosité qu'on lui prêtait au début et s'il avait été associé à une mortalité d'au moins 10 % ?

En santé publique, quels que soient les débats, on est obligé de juger par rapport à ce qui a été fait ; si on juge ce dispositif par rapport à ce qui a été réalisé au cours de l'automne-hiver 2009-2010, la réponse est évidemment non : quand l'alerte a été levée, un peu plus de 5 millions de personnes avaient été vaccinées, soit 8 à 10 % de l'objectif initial, qui était de 47 millions. A cela, certains experts ont rétorqué qu'on avait atteint le seuil de 30 % de la population immunisée, seuil présenté à tort comme une fin en soi, du fait qu'à ces 10 % de vaccinés se surajoutaient 20 % de la population immunisée par comptage.

Cet argument est irrecevable car il reconnaît implicitement que 20 % de la population ont été atteints par le virus malgré la campagne, ce qui représente 12 millions de personnes. Si 10 % de ces 12 millions avaient développé une forme clinique et étaient décédés, cela aurait représenté 120 000 morts.

Soit le Gouvernement a su très tôt que le virus H1N1 n'avait pas la dangerosité redoutée et n'a pas fait fonctionner le dispositif à plein tout en maintenant une pression dramatique, soit le dispositif a été ou aurait été incapable de faire beaucoup mieux et c'est réellement inquiétant a posteriori mais surtout pour l'avenir. C'est la question majeure. Je n'ai pas la réponse mais cela me paraît le point essentiel de l'affaire.

Pour conclure, deux autres aspects méritaient d'être signalés. Il s'agit des aspects idoines de la campagne d'information et le fait que la campagne vaccinale H1N1, au lieu de solder l'échec de celle de l'hépatite B - qui, pour moi, est une honte républicaine - a aggravé encore la crise de confiance de la population française, en particulier des plus jeunes et du corps médical, vis-à-vis du vaccin.

S'agissant de la « cacophonie » de la campagne, un certain nombre de messages ont été inadaptés : on a dénombré probablement trop d'intervenants et trop d'organismes. Peut-être les egos se sont-ils étalés. On a présenté les vaccins avec adjuvant comme sans risque alors que l'on affirmait dans le même temps qu'on avait préparé des lots sans adjuvant pour les personnes à risque !

De la même façon, le fait d'annoncer pratiquement tous les jours le nombre de morts ne pouvait qu'induire la question de savoir combien la grippe saisonnière tue habituellement de personnes. Les chiffres étant beaucoup plus forts, certaines personnes - à tort selon moi - ont estimé que cette pandémie n'était pas si grave et qu'ils n'iraient donc pas se faire vacciner.

Ce sont des erreurs que l'on connaît dans le domaine de la gestion de la santé publique ; je ne comprends donc pas pourquoi elles ont été commises.

Pour en revenir à la campagne vaccinale, la France n'a pas, contrairement à ce qu'elle croit, inventé le vaccin - c'est plus Jenner que Pasteur - mais demeure extrêmement attachée à la vaccination. Il y a eu, ces dernières années, une non-adhésion de la population qui s'est développée avec la gestion catastrophique du lancement de la campagne contre l'hépatite B ; la décision - qui pouvait peut-être se justifier - de ne pas recourir au corps médical généraliste pour la vaccination a creusé un fossé, la campagne ayant presque été menée contre le corps sanitaire, ce qui laissera malheureusement peut-être des séquelles !

M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vous poserai une série de trois questions concernant la vaccination.

Tout d'abord, on a constaté que, dans l'hémisphère Nord, les vaccins sont arrivés trop tard pour faire barrage à la pandémie et même, comme nous l'a indiqué le professeur Bruno Lina, « à la limite de l'intérêt individuel ». Doit-on en conclure que la réponse vaccinale n'est pas adaptée à la lutte contre une pandémie grippale ? Quel jugement portez-vous sur les différentes stratégies vaccinales nationales ?

En second lieu, vous aviez établi, dans une interview au journal Libération , le 1 er février 2010, une distinction entre la campagne vaccinale contre l'hépatite B, dont vous aviez jugé qu'elle avait été « prise en mains » par les fabricants, et la vaccination antipandémique. Pourriez-vous développer cette distinction ?

Que pensez-vous des différences entre les procédures américaine et européenne d'autorisation des vaccins pandémiques ? Quels peuvent être leurs avantages et inconvénients respectifs en termes de délais de mise à disposition des vaccins et de sécurité des produits ?

M. Bernard Bégaud - Je ne suis pas sûr d'être bien placé pour répondre à la première et à la troisième questions. Je serai donc assez court car j'estime ne pas être la personne idéale.

Quant au jugement sur les stratégies différentes entre les Etats-Unis et l'Europe, je ne suis pas sûr également d'être bien placé pour y répondre.

Il a été dit très vite que c'était une affaire d'experts ou de corruption, mettant en scène l'OMS, etc.

Il est très difficile de ne pas avoir de conflits d'intérêts dans des décisions de ce type ; les agences et les Etats ne sont pas allés jusqu'au bout pour s'en protéger. On peut le regretter pour certains, qui font beaucoup trop reposer les décisions sur les experts en oubliant l'évaluation.

L'expert, même s'il est très attaché à un groupe pharmaceutique, exprime son idée qui est ensuite à nouveau analysée par des évaluateurs internes indépendants, qui pondèrent les éventuels excès.

Il est regrettable de constater qu'il existe parfois une véritable dictature des experts, que l'on suit, faute de moyens pour développer une capacité d'évaluation interne capable de déceler une contradiction évidente. Je citais l'exemple, dans Le Monde , d'un expert lié à un laboratoire qui, pour défendre les hypocholestérolémiants, a remis à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) une estimation du nombre de cas d'infarctus évités qui dépassait le nombre total d'infarctus survenus en une année en France ! Un évaluateur peut voir que cela ne tient pas debout !

Il existe donc des conflits d'intérêts, c'est inévitable. Dans le cas du H1N1, cela ne m'a pas paru le point principal. Dans le cas de l'hépatite B, on a vu un fabricant prendre en main la campagne vaccinale avec des messages ahurissants. Il affirmait, à l'époque, sur les ondes et dans la presse qu'en France, l'hépatite B tuait plus en un jour que le Sida en un an ! C'était un message scandaleux de santé publique qui a cependant servi à promouvoir cette campagne qui, au lieu de cibler les nourrissons et les 10-11 ans, a ciblé pour les deux tiers les adultes, ce qui explique le fait qu'on a observé un nombre de scléroses en plaque assez important qui n'existe pas chez les nourrissons.

La France avait acheté et payé au prix fort 90 millions de doses de vaccins - une dose et demie par habitant - pour avoir la plus mauvaise couverture vaccinale d'Europe contre l'hépatite B.

M. François Autain, président - Avec le H1N1, on n'est pas loin de cette situation !

M. Bernard Bégaud - Sauf si on les revend ; dans le cas de l'hépatite B, les doses ont été injectées à des adultes qui n'en avaient pas besoin. Pour la grippe H1N1, on a des stocks non utilisés ; je ne sais ce qu'ils deviendront mais c'est un peu différent.

Les gens ont eu en permanence le spectre de l'hépatite B quand ils ont conçu le plan contre la grippe H1N1 mais je m'étonne que l'on n'ait pas expié cette erreur et qu'on ne s'en soit pas davantage servi dans l'anamnèse, en particulier dans la communication et dans la gestion avec ou contre le corps médical.

En revanche, alors qu'aucun plan de gestion des risques n'avait été mis en place pour l'hépatite B, le plan de pharmacovigilance a très bien fonctionné.

M. François Autain, président - Etablissez-vous un lien de cause à effet entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaque ?

M. Bernard Bégaud - Non.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Après combien de temps se manifeste-t-elle ?

M. Bernard Bégaud - On expliquait qu'il s'agissait alors d'une protection à vie - chose que l'on ne savait pas à l'époque puisqu'on ne disposait pas des données des cohortes de Taiwan - et que l'hépatite B se transmettait par rapport sexuel. Les mères des nourrissons préféraient alors généralement attendre que leur enfant ait 15 ou 16 ans pour qu'il décide librement.

Paradoxalement, dans le même temps, les mêmes parents, s'ils travaillaient dans l'administration, étaient incités à se vacciner tous les quatre ou cinq ans. Certains adultes ont reçu huit à dix doses. Sachant que la sclérose en plaque est assez fréquente chez l'adulte entre 16 et 45 ans - et deux fois plus chez la femme - on peut déduire par un simple calcul de probabilité plusieurs centaines de coïncidences entre vaccination et sclérose en plaque dans les quatre ou huit semaines.

M. François Autain, président - Il s'agit donc bien d'une coïncidence.

M. Bernard Bégaud - C'est difficile à affirmer. M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat à la santé, avait demandé que l'on mène des études. Notre département a montré qu'il existait un peu trop de cas mais non significatifs. On ne sait s'il s'agit de cas totalement fortuits - ce qui paraît le plus probable - ou de cas induits par le vaccin mais qui seraient survenus plus tard à l'occasion d'une grippe ou d'un stimulus immunitaire. En somme, le vaccin aurait accéléré leur révélation.

Toujours est-il que cette affaire n'a eu lieu qu'en France, seul pays où on a vacciné aussi massivement les adultes en âge de développer la maladie, les autres pays d'Europe du Nord, comme l'Italie, ayant continué à vacciner les adultes à risque : les transfusés, les personnels de santé et les gens ayant de multiples partenaires sexuels.

M. François Autain, président - Vous indiquez qu'il y a eu conflit d'intérêts pour la vaccination contre l'hépatite B ; vous avez tendance à l'exclure pour la vaccination H1N1. Savez-vous comment sont gérés les liens d'intérêts pour ce qui est de l'OMS ? En France, la transparence n'est peut-être pas encore ce qu'elle devrait être mais elle existe, alors qu'à l'OMS, la commission d'urgence qui a pris les décisions les plus importantes concernant cette pandémie, est constituée d'experts dont on ne connaît ni l'identité ni les liens d'intérêts. On ne connaît que le professeur John Mackenzie, qui est australien.

Cette opacité ne risque-t-elle pas d'entretenir une certaine suspicion à l'égard de ces experts qui ont joué un rôle déterminant dans cette grippe - d'autant que l'on sait que le niveau 6 a été décrété à un moment où l'on savait que cette grippe n'était pas aussi grave que l'on aurait pu le craindre ? On a, nous dit-on, décrété cette pandémie après en avoir modifié sa définition, comme si cela était nécessaire pour pouvoir enfin utiliser un certain nombre de vaccins en attente.

M. Bernard Bégaud - C'est bien la question qui est posée. Je ne puis répondre, n'ayant pas fait d'investigations moi-même.

A l'époque, j'avais été assez surpris par les évaluations ou même certaine prises de position de l'OMS. Du reste, je travaille à l'heure actuelle à l'écriture d'un ouvrage sur cette affaire : il y a beaucoup de choses à dire et il faudra un jour en sortir.

Certes, l'OMS dit que les noms des experts sont tenus secrets pour les protéger. Je ne sais si c'est vrai ou non. Pour éviter toute ambiguïté, il conviendrait que l'OMS réponde clairement à cette question ou que le système soit plus respectueux de la séparation de l'expertise et de l'évaluation.

Tout système, public, privé ou supranational, s'il ne respecte pas le principe de séparation de l'expertise et de l'évaluation, ne peut fonctionner ou connaîtra des crises.

M. François Autain, président - Le système français fonctionne et s'est amélioré...

M. Bernard Bégaud - Il faut encore renforcer l'évaluation.

M. François Autain, président - Quelles seraient vos recommandations pour améliorer son efficacité et en contrôler le respect ? J'ai lu dans l'une de vos interviews que vous affirmiez que l'on faisait confiance aux experts pour déclarer leurs liens mais que s'ils ne les déclaraient pas, ils ne risquaient pas grand chose. Je pense que vous avez raison. Cela ne veut pas dire qu'on ne doive pas faire confiance aux experts pour faire leur déclaration mais il serait peut-être nécessaire de mettre en place une structure qui puisse effectuer ce contrôle qui n'existe pas.

M. Bernard Bégaud - Le contrôle existe à l'AFSSAPS ou à la Haute Autorité de santé (HAS)...

M. François Autain, président - Parlons de sanctions dans ce cas...

M. Bernard Bégaud - Je ne sais pas si c'est ce qu'il faut ou s'il ne faut pas exiger que la décision soit entièrement fondée sur les opinions des experts.

Il faudrait en France et dans les autres pays des règles plus claires sur l'expertise. Un expert qui n'aurait pas déclaré ses liens devrait, selon moi, être exclu et ne plus faire partie de la liste.

Cela ne résoudra pas le problème de la nécessité absolue d'une expertise interne par des gens compétents. C'est là où le bât blesse. Cela signifie aussi des moyens mais on peut les trouver.

Je suis toujours très inquiet lorsque je vois qu'il n'existe presque pas d'échelon intermédiaire dans une décision. C'est un péché originel qui est difficile à rattraper.

Je suis d'accord sur le fait qu'il faut une charte de l'expertise en matière de rémunérations et de bonne conduite ainsi que des sanctions mais il y a aussi le problème de l'évaluation.

M. François Autain, président - Seriez-vous favorable à un guichet unique et que, dans les conseils départementaux, nous puissions créer une liste de tous les experts qui ont des liens avec les laboratoires ?

Actuellement, ces liens sont tenus secrets par le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM). Pensez-vous qu'il serait souhaitable de les porter à la connaissance du public ?

M. Bernard Bégaud - Oui, les experts sont souvent libéraux. Ce que vous proposez me paraît une bonne solution à l'échelon départemental. Ce sont aussi souvent des hospitaliers ou des hospitalo-universitaires.

J'ai été président d'université. Très souvent, l'employeur - le ministère de la santé et par délégation l'université ou le CHU (centre hospitalier universitaire) - n'est pas au courant des liens qui existent, ni même des activités « dévoyées ».

M. François Autain, président - Il me semble que figure dans la loi Hôpital patients santé et territoires (HPST) une disposition qui doit remédier à cette situation.

M. Bernard Bégaud - Absolument. C'est récent et ne concerne que le volet hospitalier. Je pense que l'industrie pharmaceutique serait d'accord. Cela devrait faire l'objet d'un contrat dont l'employeur ne peut être exclu.

Cette transparence règlerait aussi le problème de l'employeur. Personnellement, je suis conscient qu'une partie du temps rétribué de ces personnes est consacrée à des expertises, de la consultation ou des travaux dont on n'a pas toujours connaissance. Certains entrent dans le cadre de contrats connus mais, très souvent, on n'est pas au courant.

M. François Autain, président - En ce qui concerne l'insuffisante rémunération des experts, j'ai cru comprendre en vous lisant que vous estimiez avec raison que les experts n'étaient pas suffisamment rémunérés par les organismes publics. Vous avez fait référence à des anecdotes qui vous ont choqué.

Comment établir une tarification juste, selon quels critères, et à quel niveau normatif ? Par exemple, la charte mise en place par la Haute Autorité de santé vous semble-t-elle un modèle pertinent ?

M. Bernard Bégaud - La charte de la Haute Autorité me paraît être un net progrès bien que je ne crois pas que cela réponde à tout.

Pour ce qui est de la rémunération des experts, il existe un contraste considérable. On peut citer des chiffres : pour un expert de ligne 1, les Américains payent un minimum de 1 500 dollars par jour alors qu'à l'AFSSAPS, il arrive que l'on ne vous rembourse même pas votre taxi !

Ce n'est pas très sain. Toute différence, quand elle persiste, est contre nature et cela m'inquiète. Je me demande pourquoi les gens continuent, soit parce qu'ils ne peuvent faire autrement soit parce que le fait d'être expert auprès d'agences les met en position d'être courtisés. Cela entretient le conflit d'intérêts.

Je pense que les experts eux-mêmes ne demandent pas à être rétribués par l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET), l'AFSSAPS ou autres agences à telle ou telle hauteur mais il y a un chemin symbolique à parcourir.

Quand j'allais à l'OMS ou au CIOMS (Council for International Organisations of Medical Sciences), à l'époque, nous percevions 50 dollars de per diem par jour, ce qui nous permettaient soit de payer le taxi, soit le déjeuner mais on n'en était pas de sa poche et cela changeait tout.

Il faut également regarder à qui appartient le temps de l'expertise. Si c'est un libéral, c'est pour lui ; si c'est un salarié de l'hôpital ou de la fonction publique, je pense que c'est l'employeur qui devrait contracter, quitte à avoir une faible incitation. C'est dévoyer le système que de rétribuer l'expert.

J'avais proposé que l'équipe que je dirigeais puisse avoir un contrat annuel avec l'Agence et s'engage à ne pas avoir de contacts autres. Il s'agit là d'un contrat d'organisme à université ou d'organisme à CHU.

M. François Autain, président - Aux Etats-Unis, la proposition de deux sénateurs - le Physician Payments Sunshine Act - a été intégrée dans la loi de réforme du secteur de la santé : les entreprises devront déclarer aux autorités publiques toutes leurs relations financières avec les médecins et les établissements de santé, sous peine d'amende. Ces déclarations, centralisées au niveau fédéral, seront publiées sur Internet. Que pensez-vous de ce dispositif ?

M. Bernard Bégaud - Je pense que c'est un système auquel nous arriverons forcément. Je ne vois pas l'intérêt de cacher ce genre de relations. Il est normal que l'industrie pharmaceutique fasse appel à des experts ; il est normal qu'ils acceptent. Je ne vois pas l'inconvénient qu'il y a à le faire connaître et je me permets de dire que je suis très inquiet quand je vois que l'on ne veut pas le dire ou le faire connaître. On se demande toujours pourquoi.

Je ne vois pas la honte qu'il y a à travailler pour l'industrie pharmaceutique - au contraire ! Je vois donc cela d'un très bon oeil.

Quand je lis la prise de position de tel ou tel professeur sur tel ou tel médicament, j'ai envie de savoir s'il est d'un côté ou de l'autre. Cela me paraît une très bonne chose. Je pense que l'on y arrivera forcément en Europe.

M. François Autain, président - Auditionné par la commission d'enquête, le docteur Yves Charpak a observé que la course aux brevets, dans un contexte de concurrence, conduisait à une convergence d'intérêts entre les laboratoires et le experts.

Assiste-t-on à une transformation des conflits d'intérêts, et comment pourrait-on alors les traiter ? Conviendrait-il d'élargir le cercle de l'expertise, par exemple, dans le cas de la grippe, en ne s'adressant pas aux seuls spécialistes des virus grippaux de manière à tempérer les risques que peuvent engendrer ces conflits d'intérêts ?

M. Bernard Bégaud - C'est une remarque intelligente qui ne m'étonne pas de la part d'Yves Charpak.

Je pense que, de la même manière, un bon ministre de la santé n'est pas forcément médecin ou un bon ministre des sports n'a pas forcément couru le 400 mètres.

M. François Autain, président - Médecin ou pharmacien !

M. Bernard Bégaud - J'ai employé le terme volontairement, par rapport à la ministre actuelle.

Je ne vois pas en quoi les experts et les présidents de commissions idoines doivent être forcément issus de la spécialité. Une bonne façon de diluer les conflits d'intérêts est de faire appel à des gens extérieurs ; cela offre un autre intérêt, celui d'éviter l'endogamie. Il existe parfois des monomanies transitoires et des courants de mode où les experts ne font que répéter les choses, même tout conflit d'intérêts écarté.

M. François Autain, président - Ce sont là des liens d'intérêts intellectuels.

M. Bernard Bégaud - Je crois que le président de la HAS y pense.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Bien souvent, les conflits d'intérêts intellectuels partent de la même norme de pensée.

M. François Autain, président - Monsieur le professeur, merci.

M. Bernard Bégaud - Pardon de ne pas vous avoir apporté beaucoup.

M. François Autain, président - Au contraire ! Vous avez parfaitement répondu aux questions.

M. Bernard Bégaud - J'ai les mêmes incertitudes que votre commission.

M. François Autain, président - Nous ne devons pas en avoir, surtout à la fin de notre commission. Nous devrons apporter des réponses aux questions que nous nous posons encore. C'est toute la difficulté de notre tâche.

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