C. DANS LES FAITS, LA RESTAURATION DU TAUX DE MARGE DES ENTREPRISES NE S'EST PAS ACCOMPAGNÉE D'UNE RELANCE DE L'INVESTISSEMENT

La baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée s'est accompagnée d'une hausse du taux de marge des entreprises. Elle peut être analysée comme une restauration de la rentabilité économique du capital et comme une source potentielle de financement d'un surcroît d'investissement.

Par ailleurs, les conditions monétaires se sont significativement détendues avec la baisse des taux d'intérêt qui a permis un redressement de la profitabilité du capital.

Ces événements auraient dû déboucher sur une élévation du rythme de l'investissement qui aurait pu contribuer à hausser le rythme de la croissance effective mais aussi de la croissance potentielle.

Mais, les données empiriques ne permettent pas de vérifier cet enchainement.

La déformation du partage de la valeur ajoutée n'a pas débouché sur une relance de l'investissement des entreprises non financières, malgré des conditions financières et monétaires devenues particulièrement favorables .

De plus, elle n'a permis d'alléger l'endettement des entreprises que transitoirement, celles-ci ayant largement recouru à l'effet de levier d'endettement, et la baisse des charges d'intérêt a été plus que compensée par la hausse des dividendes versés aux propriétaires du capital .

L'UTILISATION DE L'EXCÉDENT BRUT D'EXPLOITATION (EBE)
RAPPELS DE MÉTHODE
___

En comptabilité nationale, la différence entre la valeur ajoutée et les salaires est appelée excédent brut d'exploitation. Comme la part de la valeur ajoutée n'allant pas à la rémunération des salariés et donc au travail doit bien être rattachée à l'autre facteur de production, le capital, on considère que l'EBE rémunère celui-ci, autrement dit, qu'il est le profit qui va aux détenteurs du capital.

La réalité est plus complexe.


• L'EBE n'est pas le seul revenu allant aux détenteurs du capital. Il faut lui ajouter des revenus de la propriété (intérêts, dividendes...) pris pour leur valeur nette (les intérêts reçus moins les intérêts versés par exemple...). D'autres opérations doivent également être prises en compte comme lorsque des régimes d'employeurs existent au titre de la protection sociale (les prestations versées nettes des cotisations prélevées) ou les opérations liées aux assurances contre les dommages.

Ainsi, outre les profits de l'exploitation courante, l'EBE, les revenus du capital, comportent des revenus ou des charges qui ne peuvent pas toujours être rattachés directement à cette exploitation, soit qu'ils correspondent à des actifs ou passifs longs, soit qu'ils soient pluriannuels.


• Par ailleurs, lorsqu'on mentionne que « l'EBE va aux détenteurs du capital », il faut se garder de prendre cette expression dans un sens étroit. Une série de prélèvements sont effectués sur l'EBE (impôts sur les sociétés, prestations sociales des régimes d'employeurs...) qui « virtualisent » un peu l'expression. De même, les paiements d'intérêts pourraient plutôt être considérés comme « allant aux créanciers » des détenteurs du capital de l'entreprise qu'à ces derniers. Enfin, la part de l'EBE (dénommée « épargne ») utilisée pour financer les investissements de l'entreprise (ou autofinancement) ne « va pas » directement aux détenteurs du capital.

En réalité, l'expression doit être comprise non dans le sens que l'EBE serait versé aux capitalistes mais dans celui que l'EBE accroît la valeur de leurs actifs et donc de leur patrimoine .

Encore faudrait-il réserver :

- la partie de l'EBE qui correspond à la dépréciation des actifs de sorte que seul l'excédent net d'exploitation (ENE) soit considéré car seul il accroît la valeur du patrimoine des détenteurs du capital (à qui cependant incombent les charges de compenser la dépréciation de leurs actifs) ;

- certaines opérations prises en compte au niveau de l'utilisation de l'EBE (les régimes d'employeurs, les assurances-dommages) dont le lien avec la valeur du capital n'est pas évident ;

- l'impôt sur les sociétés en ce sens, que, sauf à considérer qu'il ne finance que des « retours » vers les entreprises, il réduit la rémunération du capital.

Etant précisé que, par convention , l'EBE ne comporte pas les profits qui sont redistribués aux salariés 234 ( * ) , il se répartit entre cinq grand usages :

- le paiement de l'impôt sur les sociétés (IS) ;

- le versement d'intérêts, net des intérêts reçus ;

- la distribution de revenus aux propriétaires du capital, nette des mêmes revenus reçus ;

- diverses autres opérations (prestations sociales versées au titre des régimes d'employeurs, nettes des cotisations reçues, primes d'assurance-dommage, nettes des indemnités reçues, autres transferts courants divers) regroupées en une seule catégorie ;

- l'épargne, solde de ces opérations, reste disponible pour l'autofinancement des investissements ou la réalisation d'opérations financières de bilan.

COMPOSANTES DE L'EXCÉDENT BRUT D'EXPLOITATION, EN % DE L'EBE

1950

1955

1959

1967

1972

1973

1974

1975

1976

1981

1987

1988

Revenus distribués aux propriétaires du capital

16,3

21,5

16,0

14,4

12,6

11,0

12,0

13,2

10,8

13,9

14,2

11,9

Intérêts nets versés

6,1

5,1

8,8

11,2

16,8

18,1

22,7

23,2

23,1

30,3

16,4

16,0

Impôt sur les sociétés

11,5

13,5

16,3

11,1

10,8

11,3

14,2

10,3

13,9

13,5

10,9

11,2

Autres opérations

9,2

9,9

9,4

9,4

10,8

10,7

11,4

12,2

12,3

12,8

8,1

7,3

Épargne

57,0

50,0

49,5

53,9

49,1

48,8

39,6

41,1

39,9

29,6

50,4

53,6

1989

1994

1995

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Revenus distribués aux propriétaires du capital

13,8

16,1

18,0

19,1

17,5

21,0

22,0

22,9

25,5

25,1

25,6

Intérêts nets versés

16,7

20,2

18,1

7,1

6,8

6,1

8,4

10,0

8,3

8,3

9,8

Impôt sur les sociétés

11,6

7,9

9,5

12,9

14,3

12,0

10,3

10,8

12,1

14,7

14,5

Autres opérations

7,2

5,3

8,1

7,9

8,3

11,4

8,1

8,5

9,4

9,1

9,5

Épargne

50,8

50,5

46,4

53,0

53,0

49,5

51,3

47,8

44,7

42,9

40,6

Source : Insee, Comptabilité nationale en base 2000

COMPOSANTES DE L'EXCÉDENT BRUT D'EXPLOITATION, EN % DE LA VA

1950

1955

1959

1967

1972

1973

1974

1975

1976

1981

1987

1988

Revenus distribués aux propriétaires du capital

5,2

6,1

4,6

4,1

3,7

3,3

3,5

3,4

2,8

3,3

4,4

3,9

Intérêts nets versés

1,9

1,5

2,6

3,2

5,0

5,4

6,6

6,0

5,9

7,3

5,1

5,2

Impôt sur les sociétés

3,7

3,8

4,7

3,1

3,2

3,4

4,1

2,7

3,6

3,2

3,4

3,7

Autres opérations

2,9

2,8

2,7

2,7

3,2

3,2

3,3

3,2

3,2

3,1

2,5

2,4

Épargne

18,2

14,2

14,4

15,2

14,5

14,6

11,6

10,7

10,3

7,1

15,7

17,6

1989

1994

1995

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2006

Revenus distribués aux propriétaires du capital

4,6

5,0

5,7

6,0

5,5

6,4

6,8

7,1

7,8

7,8

8,0

Intérêts nets versés

5,5

6,2

5,7

2,2

2,1

1,9

2,6

3,1

2,5

2,6

3,1

Impôt sur les sociétés

3,8

2,4

3,0

4,0

4,5

3,7

3,2

3,3

3,7

4,6

4,5

Autres opérations

2,4

1,6

2,6

2,5

2,6

3,5

2,5

2,6

2,9

2,8

3,0

Épargne

16,7

15,6

14,6

16,5

16,6

15,2

15,9

14,7

13,8

13,3

12,7

Source : Insee, Comptabilité nationale en base 2000

1. Un impôt sur les sociétés qui prélève entre 11 et 14 % des profits (entre 2,4 et 4,6 points de valeur ajoutée)

L'analyse du prélèvement fiscal sur les profits opéré par l'impôt sur les sociétés (IS) à partir des données de la comptabilité nationale (parts de l'IS dans l'excédent brut d'exploitation et dans la valeur ajoutée respectivement) est délicate notamment parce que les règles de détermination de l'assiette fiscale créent des écarts entre la base imposable et l'assiette théorique fournie par la comptabilité nationale 235 ( * ) .

Par ailleurs, il faudrait pouvoir reconstituer l'historique des taux effectifs d'imposition des sociétés pour disposer d'informations pleinement utilisables pour analyser le prélèvement fiscal et séparer dans sa dynamique ce qui relève d'un côté de la politique fiscale, de l'autre, des évolutions économiques.

Enfin, l'analyse des effets de l'imposition des sociétés suppose de disposer d'une analyse solide de son incidence. Sur qui le prélèvement pèse-t-il in fine ? Par quels mécanismes ? Avec quels effets sur la répartition de la valeur ajoutée et sur la croissance économique ? De ce dernier point de vue malgré des avancées louables dans la formalisation des mécanismes en jeu (v. notamment l'intéressant article de L. Simula et A. Trannoy « Incidence de l'impôt sur les sociétés » dans Revue française d'économie n° 3, vol. XXIV), on en reste trop souvent à des constructions formelles aux résultats dépendant de trop nombreuses hypothèses simplificatrices.

Par exemple, s'il est exact que l'impôt sur les sociétés en augmentant le coût d'usage du capital réduit sa rentabilité nette, il n'est pas certain que cet effet s'accompagne macroéconomiquement d'un découragement de l'accumulation du capital (pour le vérifier, il faudrait, en particulier, mesurer l'importance d'éventuels surprofits et apprécier l'utilisation faite des ressources fiscales liées à l'IS) non plus que d'un ajustement à la baisse des salaires. Au demeurant, celui-ci s'est produit dans un contexte marqué par la baisse du taux effectif d'imposition des sociétés qui, symétriquement, aurait dû, selon les analyses réalisées avec l'aide des modèles de simulation classiques, avoir les effets inverses.

L'analyse de l'impôt sur les sociétés est encore compliqué par le fait qu'il porte sur un facteur a priori mobile (et dont la mobilité potentielle s'est accrue dans le contexte de régionalisation puis de mondialisation), et donc, théoriquement très sensible aux phénomènes de concurrence fiscale, qui se sont renforcés 236 ( * ) .

Mais, sous cet angle aussi, la réalité peut être plus complexe que les analyses théoriques qui, quant à elles, procèdent par supposition d'un « toutes choses égales par ailleurs ». Le capital est certes mobile mais les désinvestissements ont aussi un coût qui peuvent retarder les effets de la concurrence fiscale en les concentrant sur les flux d'épargne (et en épargnant relativement le stock déjà investi). En outre, la concurrence fiscale n'est pas le seul déterminant des investissements et a des effets différents selon le type d'investissement concerné. Les holdings financières lui sont sans doute plus sensibles que les centres de recherche.

Sous le bénéfice de ces remarques de précaution, on peut observer qu' en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés (IS) , la part de l'EBE qui est prélevée à ce titre oscille entre un point bas autour de 7 % en 1992 et un point haut d'environ 16,3 % en 1959. Entre 1992 et 2007, l'IS a absorbé une part croissante de l'EBE (+ 7,5 points) dans un contexte de prétendue stabilité du partage de la valeur ajoutée et de croissance modérée. Mais, l'année 2007 peut être vue comme un point haut et l'IS a absorbé en moyenne annuelle 11,9 % de l'EBE.

L'IS est théoriquement proportionnel à l'EBE. Ainsi, le prélèvement qu'il réalise devrait être constant aux variations de taux près. Cependant, outre que des changements législatifs interviennent, il existe entre l'EBE - solde de la comptabilité nationale - et l'assiette fiscale de l'IS des différences. Et ces facteurs expliquent que le produit de l'IS exprimé en points d'EBE varie 237 ( * ) .

Quoi qu'il en soit, s'il n'est pas négligeable, l'impact microéconomique de l'impôt sur les sociétés sur la rentabilité du capital ressort comme plutôt modeste (par exemple, un prélèvement de 15 % sur un rendement de 7 % réduit celui-ci de 1,05 point le faisant passer à 5,95), d'autant que, d'un point de vue macroéconomique, il est généralement contra-cyclique .

Quant à l'écart entre la part de la valeur ajoutée prélevée par l'IS, elle n'a jamais dépassé 5 % (à comparer par exemple avec les 8 % de dividendes versés en 2006) et se trouve étroitement corrélée avec la croissance économique. Par ailleurs, l'écart entre l'évolution de cette part et celle de la part de l'impôt sur les sociétés exprimés en points d'EBE appelle quelques commentaires. Il peut s'expliquer du fait des évolutions relatives au partage global de la valeur ajoutée.

ÉVOLUTION DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS

(EN % DE L'EBE ET DE LA VA)

Théoriquement, à taux de prélèvement dans l'EBE inchangé, le produit de l'IS en points de VA devrait augmenter quand la part de l'EBE dans la VA augmente, résultat arithmétique mais aussi économique puisqu'alors la part des profits, et donc le produit relatif de leur imposition, renforce sa place dans l'économie.


* 234 Qui sont, conventionnellement, imputés à la part de la valeur ajoutée allant aux salaires, convention qui peut être discutée.

* 235 Notamment, les « bénéfices fiscaux » prennent en compte des opérations réalisées hors-frontières.

* 236 Concurrence fiscale qui, s'agissant de l'imposition du capital, bat son plein au sein même de l'Union européenne et paraît immunisée contre toutes les remises en cause pratiques si l'on se réfère au récent épisode de renflouement de l'Irlande.

* 237 Par exemple, outre les effets des opérations internationales des groupes, on peut relever un effet de « vases communicants » entre la part de l'EBE prélevé par l'impôt sur les sociétés et l'évolution des charges d'intérêt dont les variations s'accompagnent de variations de sens contraire du produit de l'impôt sur les sociétés.

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