EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 15 FÉVRIER 2011

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La commission examine le rapport d'information de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat sur l'adéquation de l'organisation institutionnelle de Saint-Pierre-et-Miquelon aux enjeux de développement de l'archipel.

M. Bernard Frimat . - Pour notre rapport, nous proposons le titre : « Saint-Pierre-et-Miquelon, trois préfets plus tard, penser l'avenir pour éviter le naufrage ». En effet, si l'État assure une présence à Saint-Pierre-et-Miquelon, les préfets y restent très peu longtemps, et nous retirons de notre visite une grande inquiétude pour l'avenir de l'archipel. Sa population, d'un peu plus de 6000 habitants, diminue ; les jeunes s'en vont. Cette collectivité d'outre-mer a un sénateur, un député, un Conseil territorial de 19 membres et deux mairies : Saint-Pierre-et-Miquelon-Langlade. C'est un ensemble institutionnel bien lourd pour un si petit territoire.

Le soutien de l'État est indéniable : le montant de l'effort budgétaire par habitant est le plus fort de toutes les collectivités d'outre-mer, le double de celui de la Guyane. En réalité, cela ne fait que 0,6% de ce type de dépenses et, en même temps, l'archipel doit entretenir les services qui seraient en métropole ceux d'une préfecture de plusieurs dizaines de milliers d'habitants ; il y a là une Direction régionale de l'équipement et quasiment toutes les Directions des administrations de l'État y sont représentées.

La commande publique y est essentielle et, chaque année, les deux principales entreprises du BTP l'attendent avec impatience. On s'interroge sur la pertinence de certains investissements, dont on se demande si la finalité n'a pas été uniquement de nourrir la commande publique : lorsque l'hôpital actuellement en construction sera terminé - pour 6 000 habitants - on ne va tout de même pas en construire un second ?

La situation de la population est contrastée. Les uns vivent bien, notamment ceux qui bénéficient des monopoles d'importation sur les îles. Le nombre de 4x4 est impressionnant, sans doute parce qu'ils sont soumis à un taux de TVA réduit. Une autre partie de la population, notamment les retraités dont les pensions sont indexées en métropole, subit la cherté de la vie.

La situation des collectivités territoriales est fragile, d'autant qu'elles ne bénéficient pas de l'avance par l'Etat des « douzièmes » sur les recettes fiscales. L'économie connaît les difficultés structurelles de la pêche - la « grande pêche » est une époque révolue. Il existe 12 bateaux de pêche artisanale, inactifs sept mois de l'année pendant lesquels les marins sont pris en charge par les collectivités territoriales. Il y a un pôle halieutique à Saint-Pierre et un autre à Miquelon mais ils se font concurrence. Comme on le dit là-bas, « Les navires sont à Saint-Pierre et les poissons à Miquelon ». L'aquaculture est expérimentée pour les naissains de coquilles saint-jacques depuis dix ans... L'État et le préfet ont dénoncé la Délégation de service public relative à un service de fret qui coûtait 2,5 millions d'euros. On en est maintenant à 4,5 millions... L'aéroport, surdimensionné, pourrait accueillir des A 320 alors que n'y atterrissent qu'un ATR 42 venant du Canada et un Cessna de 9 places reliant Miquelon. Il y a à Saint-Pierre un port en eau profonde, d'aspect sinistre, qui ne peut guère inciter les bateaux de croisière à y accoster.

La dépendance aux financements publics a un effet anesthésiant sur l'économie, d'autant que l'État manque de vision à long terme. L'Etat est face à une alternative : soit la commande publique est engagée pour acheter la paix sociale, soit il prend le risque de financer des opérateurs privés et de préparer l'avenir, mais le résultat n'est pas assuré. Le tourisme pourrait se développer et attirer les Canadiens. Mais il semble que les investissements de l'État soient dépourvus de perspectives à long terme.

Le contrôle de légalité est squelettique : deux délibérations ont été transmises en deux ans, alors même que la vie politico-judiciaire locale est animée : on attend une décision du tribunal supérieur d'appel concernant le président de la collectivité territoriale. Dans les journaux municipaux nous avons relevé huit marchés d'études passés par une société d'économie mixte dont la présidence est assurée par le président de la collectivité territoriale ; et l'objet de ces études ne nous est pas clairement apparu.

M. Christian Cointat - Nous avons examiné la coopération régionale avec le Canada et, à ce titre, étudié l'opportunité de passer du statut de pays ou territoire d'outre mer de l'Union européenne (PTOM) à celui de région ultrapériphérique de l'Union européenne (RUP). Or, ce changement ferait perdre à l'archipel les avantages que lui apporte son actuel statut en matière de règle d'origine et d'autonomie financière, douanière ou fiscale. Pour bénéficier des aides au titre de région ultrapériphérique, il faut avoir un PIB par habitant inférieur à la moyenne des PIB européens, ce qui n'est pas le cas de l'archipel. Celui-ci perdrait alors les subventions du Fonds européen de développement auxquelles son statut de PTOM lui donne aujourd'hui accès.

Saint-Pierre-et-Miquelon importe du Canada et exporte vers l'Union européenne. Le Canada et l'Union européenne négocient pour parvenir à un accord économique global qui risque de diminuer l'attractivité de Saint-Pierre-et-Miquelon comme porte d'entrée de l'Europe au bénéfice de la règle d'origine. La France ne défend pas les intérêts de son archipel dans cette négociation. Notre première recommandation sera que le gouvernement change d'attitude et donne mandat à la Commission européenne de prendre en compte les intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ensuite, nous allons déposer une proposition de résolution pour que l'Union européenne, dans ces négociations, tienne compte des intérêts de l'archipel. Cela rejoint une résolution que j'ai rapportée devant la commission des affaires européennes, demandant que, dans tout accord commercial qu'elle signe, l'Europe tienne compte des intérêts de ses pays et territoires d'outre-mer, ainsi que des pays associés ACP.

La façon dont se déroulent les négociations de coopération avec le Canada nous a également laissés pantois. Il y a la commission mixte officielle où ne siège que le préfet, tandis que le Conseil territorial noue des contacts parallèles. Nos partenaires canadiens semblent favorables à une coopération mais encore faudrait-il qu'ils sachent avec qui en discuter. Cette dichotomie fait désordre... Le Canada juge que cette coopération est digne d'intérêt du fait de l'application de la règle d'origine et aussi parce que le contact avec les ministères français, tous présents sur l'archipel, est facile. Encore faut-il que le Conseil territorial l'impulse. Actuellement il y a déjà des réussites en matière de sécurité, de santé, d'éducation et d'enseignement supérieur, les étudiants de l'archipel pouvant s'inscrire dans l'université de langue française de Moncton.

La coopération avec le Canada se heurte à des difficultés juridiques, ce pays étant un État fédéral où les provinces ont beaucoup de pouvoir, tandis que la France est un pays unitaire. Jusqu'à présent notre gouvernement estimait qu'il ne pouvait pas y avoir d'accord avec les provinces canadiennes sans accord intergouvernemental. Il semblerait ainsi qu'il envisage maintenant la possibilité d'une coopération directe avec les provinces. On pourrait ainsi développer la coopération en matière de placement des mineurs en danger ou d'activité scientifique. On envisage aussi que, désormais, l'archipel puisse exporter non plus seulement des produits congelés mais également des produits frais, ce qui suppose qu'ils soient analysés par des laboratoires canadiens. D'autres domaines de coopération sont envisagés : exploitation des hydrocarbures, traitement des ordures ménagères. Reste l'épineux dossier du plateau continental. La France a obtenu 12 000 kilomètres carrés de zone économique exclusive, alors qu'elle en revendiquait 47.000. Le Canada a ensuite modifié les limites de sa zone économique exclusive. Nous avons fait valoir nos droits ce qui a un peu fâché nos partenaires. Les autorités françaises doivent davantage tenir compte des intérêts de l'archipel et, pour ce faire, être plus pragmatiques et envisager des coopérations régionales comme le permet la récente modification de la loi organique statutaire.

J'en viens à l'organisation institutionnelle. On ne peut plus supporter d'avoir un système à trois collectivités territoriales pour un peu plus de 6 000 habitants, d'autant que cela s'accompagne d'un enchevêtrement de responsabilités complètement perturbant - par exemple, la commune de Miquelon n'a que 80 mètres de voirie municipale ; pour le déneigement à Saint-Pierre, la moitié d'une route dépend de la commune, l'autre moitié du Conseil territorial... Il y a une liaison par bateau entre Saint-Pierre et Langlade, qui est le lieu de villégiature des Saint-Pierrais, tandis que la liaison avec Miquelon connaît de nombreuses vicissitudes.

Les habitants étant très attachés à l'existence de leurs deux communes, il faudrait envisager un Conseil territorial qui émanerait d'elles, comme la Nouvelle-Calédonie avec ses provinces ou Paris avec ses arrondissements. Le développement économique doit bien entendu dépendre du Conseil territorial, mais la subsidiarité doit jouer pour les questions d'urbanisme, de logement, de gestion du quotidien, qui seraient de la responsabilité des communes.

Il y a également le problème du SDIS qui devrait être un STIS, un service territorial d'incendie et de secours, car les communes n'ont pas les moyens d'assumer cette compétence.

Le tourisme doit être développé, notamment le tourisme vert. Mais lorsqu'on arrive sur le quai en eau profonde de Saint-Pierre, on découvre d'horribles bâtiments sur le port, dans un cadre pourtant splendide, puisque l'Ile aux Marins se trouve de l'autre côté de la rade. Il faut réaliser les investissements nécessaires et préserver l'environnement : la seule forêt boréale que possède la France se trouve à Langlade, mais elle est menacée par les cervidés.

Avant de quitter Saint-Pierre-et-Miquelon, nous nous sommes inquiétés auprès du préfet de ce que le président du conseil territorial préside pratiquement toutes les SEM de Saint-Pierre. Nous lui avons demandé sans succès si un tel cumul était compatible avec ces fonctions car une telle pratique s'éloigne substantiellement des règles en usage en métropole.

M. Bernard Frimat . - La concentration des pouvoirs et la dispersion des énergies sont évidentes. Certes, cette concentration convient au président du Conseil territorial car cette assemblée rédige, par exemple, les règlements d'urbanisme. Si les maires signent les permis de construire, ils n'ont aucune maîtrise du foncier, qui appartient à la collectivité.

Sur un si petit territoire, une situation conflictuelle entre le Conseil territorial et les communes n'est pas acceptable. C'est pourquoi nous proposons, de façon un peu paradoxale, un cumul entre les deux fonctions municipale et territoriale, afin d'harmoniser les politiques menées. Sur la question du STIS, le Conseil, qui refuse de le créer, estime que les communes n'ont pas à se plaindre puisqu'il finance leurs crèches, par exemple.

Le superbe musée de l'Héritage, à Saint-Pierre, n'existe que par la volonté de deux personnes privées et le Conseil territorial l'ignore complètement, alors qu'une étude est engagée sur la réfection de la toiture du musée de l'Arche pour un montant de 800 000 euros ! Il faut donc revoir la répartition des compétences.

Si le Conseil territorial était l'émanation des communes, la répartition des compétences se ferait de façon plus naturelle : le Conseil pourrait ainsi garder le développement économique et culturel tandis que la dimension sociale et l'urbanisme reviendraient aux communes.

Autre problème : comme il s'agit d'une collectivité d'outre-mer (COM), le temps s'est relativement figé et certaines lois n'ont pas été transposées. Ainsi, la réforme de la formation professionnelle n'est pas appliquée à Saint-Pierre, alors qu'elle fait la part belle à la décentralisation. Nous préconisons donc un bilan sur le droit en vigueur à Saint-Pierre-et-Miquelon, afin d'éviter tout dysfonctionnement lourd de conséquences. Par ailleurs, la collectivité rencontre parfois des difficultés pour assumer ses compétences normatives, si bien qu'il n'y a pas de véritable code des douanes. Il convient de renforcer les conditions de mise à disposition des services de l'Etat.

Un cumul de responsabilités permettrait aux mêmes personnes d'exercer des fonctions différentes et de créer une synergie. Il n'est pas besoin d'augmenter le nombre de conseillers : les quinze représentants de Saint-Pierre et les quatre de Miquelon-Langlade devraient émaner des conseils municipaux, quitte à s'assurer que Miquelon soit automatiquement représentée au sein du conseil exécutif. Ce qui est certain, c'est que le statut actuel explique en partie le blocage entre mairies et Conseil territorial. Et le préfet ne tranche pas : il est là pour éviter que l'eau ne s'agite...

M. Christian Cointat . - Les préfets, qui souvent prennent leur grade en étant nommés à Saint-Pierre-et-Miquelon et sont en fin de carrière administrative, ne restent pas assez longtemps dans l'archipel, d'où l'intitulé « Trois préfets plus tard ».

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Nous donnons bien évidemment notre accord à la publication de ce rapport.

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