N° 368

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 mars 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les grands projets d' usines de traitement du nickel en Nouvelle - Calédonie ,

Par M. Éric DOLIGÉ,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Serge Dassault , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Philippe Marini, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

INTRODUCTION

Le présent rapport s'inscrit dans le travail au long cours mené par la commission des finances du Sénat sur les grands projets d'exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie. L'intérêt de la commission se justifie par l'ampleur financière des projets métallurgiques néo-calédoniens et par leurs conséquences majeures sur les finances de l'Etat, notamment en termes de dépenses fiscales induites . Il est l'occasion d'étudier le cas particulier du développement économique endogène d'un territoire d'outre-mer, soutenu par des dispositifs fiscaux.

Suivant les traces de nos collègues Roland du Luart, en 1996 1 ( * ) , et Henri Torre, en 2005 2 ( * ) , votre rapporteur spécial a souhaité mener, en application de l'article 57 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) 3 ( * ) , une mission de contrôle budgétaire sur pièce et sur place en Nouvelle-Calédonie du 3 au 7 mai 2010.

Le présent rapport rappelle brièvement les enjeux, déjà relevés par les précédents travaux de la commission des finances, attachés au développement du nickel pour l'équilibre économique et politique de la Nouvelle-Calédonie.

Partant des constats effectués lors de la dernière mission de contrôle de la commission, il y a six ans, le présent rapport dresse la chronique des mutations en cours et s'efforce de tirer les leçons de l'utilisation de la défiscalisation comme soutien économique aux grands projets industriels .

I. LE NICKEL : L'ÉLEMENT CLEF DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

A. UN FACTEUR ESSENTIEL DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE POUR LE TERRITOIRE

1. Un minerai stratégique

Le nickel est un minerai très largement utilisé dans l'industrie pour la réalisation de l'acier inoxydable et d'autres métaux nécessaires notamment dans le secteur de l'aéronautique.

Comme l'indique le graphique ci-dessous, 64 % de la production mondiale de nickel est destinée à la fabrication d'aciers inoxydables , pour satisfaire à la demande de nombreux secteurs d'activité : chimie, biens d'équipement, biens de consommation courante, automobile, bâtiment. Cette proportion a doublé au cours des quarante dernières années.

Usage du nickel dans le monde en 2008

Source : Institut d'émission d'outre-mer (IEOM)

Comme l'indique l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM), dans son rapport annuel de 2009 sur la Nouvelle-Calédonie, « le nickel est [...] actuellement l'élément d'addition le plus répandu dans les quelque 3 000 alliages modernes utilisés ».

2. Un atout pour la Nouvelle-Calédonie
a) 10 % des réserves mondiales se trouvent sur le territoire

La Nouvelle-Calédonie dispose d'environ 10 % des réserves mondiales de nickel , ce qui est considérable compte tenu de la taille relativement modeste de ce territoire : 18 500 km², soit un peu plus de 3 % de la superficie de la France métropolitaine.

Estimation des réserves mondiales de nickel en 2009

Source : IEOM

Au-delà de l'importance quantitative de ces ressources, le minerai néo-calédonien présente l'avantage d'être facilement exploitable , ce qui constitue un atout indéniable face à la concurrence internationale, puisque le coût d'extraction, et donc d'exploitation du nickel, en est réduit d'autant.

b) Une activité qui tire vers le haut l'ensemble de l'économie du « caillou »

Comme pour la majorité des activités minières, l'essentiel de la valeur ajoutée est produite au stade du traitement et non de l'extraction du nickel. Or, grâce à une seule usine de traitement du nickel en activité, celle de la Société Le Nickel (SLN), à Nouméa, la Nouvelle-Calédonie a produit, en 2009, plus de 52 000 tonnes de nickel métal, soit 4 % de la production mondiale .

Le nickel joue un rôle moteur pour l'ensemble des activités économiques de la Nouvelle-Calédonie. Il explique largement le haut niveau de développement de ce territoire, où la richesse par habitant est la plus forte de l'ensemble des collectivités françaises d'outre-mer de taille comparable. Son produit intérieur brut (PIB) par habitant était ainsi égal, en 2008, à 83 % de celui de la France métropolitaine, soit 25 % de plus que celui de la Martinique par exemple . Dans la zone Pacifique, la Nouvelle-Calédonie se classe en deuxième position en termes de PIB par habitant, entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Le nickel occupe une place significative dans l'économie de la Nouvelle-Calédonie. Représentant environ 10 % du PIB, il a été, ces dernières années, générateur d'emplois et de croissance.

Entre 1998 et 2006, la part du secteur du nickel dans la valeur ajoutée totale du territoire a quadruplé (passant de 3 % à 12 %), alors que les autres productions primaires (essentiellement l'agriculture et la sylviculture) sont restées stables à 2 %, ainsi que le secteur du bâtiment et des travaux public, à 9 %, et que l'industrie hors nickel, à environ 8 %.

La contribution du nickel au PIB comme à la valeur ajoutée, liée aux variations de cours du nickel sur le London Metal Exchange (LME), est toutefois fortement fluctuante, comme le montre le graphique ci-dessous.

Part du secteur nickel dans le PIB de Nouvelle-Calédonie

Source : ministère chargé de l'outre-mer

D'après l'INSEE, la forte expansion du secteur du nickel explique environ un quart de la croissance de la Nouvelle-Calédonie entre les années 1998 et 2006 .

Par ailleurs, si le nickel n'est pas la première composante de l'activité économique de la Nouvelle-Calédonie, il est en revanche le principal produit exporté. Ainsi, le minerai a représenté 93 % en valeur des exportations en 2003 et 2007. D'après les informations fournies par le ministère chargé de l'outre-mer, la reprise des exportations en 2010 devrait permettre à la Nouvelle-Calédonie d'équilibrer sa balance commerciale et de faire progresser son produit intérieur brut d'environ 8 %.

Enfin, le secteur des mines et de la métallurgie est à l'origine, d'après les estimations fournies par le ministère chargé de l'outre-mer, de plus de 3 400  emplois directs sur le territoire, soit environ 3,5 % de sa population active .

La construction et le lancement des grands projets devraient apporter un important surcroît de richesse au territoire, qui aura pour seul inconvénient de renforcer sa dépendance économique aux exportations de produits miniers et métallurgiques. Les deux grands projets métallurgiques en cours de réalisation devraient permettre de créer 1 800 emplois directs et 3 000 emplois indirects d'après les évaluations du ministère chargé de l'outre-mer, et environ 90 % des emplois liés à l'exploitation des usines devraient être pourvus par des néo-calédoniens.

Votre rapporteur spécial souligne toutefois que la richesse du nickel s'ajoute, en Nouvelle-Calédonie, à des transferts financiers importants en provenance du budget de l'Etat . Ainsi, en 2010, le territoire a bénéficié de 4 386 euros par habitants de crédits de paiement au titre de l'ensemble des missions concourant à la politique transversale en direction de l'outre-mer 4 ( * ) . Cette dotation situe la Nouvelle-Calédonie dans la moyenne des départements et collectivités d'outre-mer de taille similaire 5 ( * ) .

c) La création du CNRT « Nickel et son environnement »

Afin de favoriser la croissance liée au nickel en Nouvelle-Calédonie, dans une perspective de développement économique durable, le groupement d'intérêt public Centre national de recherche technologique (CNRT) « Nickel et son environnement » a été créé le 10 octobre 2007 .

Ce groupement associe l'Etat, la Nouvelle-Calédonie, les trois provinces, les organismes de recherche et les professionnels des secteurs miniers et métallurgiques et a pour objet « la mise en commun et la gestion de moyens et d'équipements en vue de réaliser des programmes de recherche ou de développement technologique incluant un transfert de connaissances vers les autres acteurs concernés dans un contexte de coopération scientifique ».

La contribution de l'Etat a été fixée dans le cadre du contrat de développement Etat - intercollectivités 2006-2010 et s'élève à 1,67 million d'euros, partagés à égalité entre le ministère chargé de la recherche et celui chargé de l'outre-mer. Les contributions des collectivités territoriales, d'une part, et des industriels, d'autre part, sont du même montant, ce qui porte le montant du budget du CNRT à 5 millions d'euros sur les cinq années.

D'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, le premier appel d'offres a été lancé en 2009 sur trois thèmes : nickel et technologie, nickel et société, nickel et environnement. Quinze projets de recherche ont été retenus sur une durée de un an trois ans.

3. Les tendances actuelles du marché du nickel
a) Un marché tiré par la croissance chinoise

L'Asie est actuellement le plus grand marché régional pour le nickel : elle concentre 54 % de la demande mondiale totale . La Chine représente désormais à elle seule 25 % de cette demande mondiale, et cette proportion croît avec le poids économique du pays, qui ne consommait que 4 % du nickel mondial en 2001.

Jusqu'en 2007, la forte croissance économique mondiale a soutenu la hausse de la production de nickel qui a alors atteint plus de 1,42 million de tonnes, comme le montre le graphique ci-dessous.

Evolution de la production de nickel

Source : ministère chargé de l'outre-mer

En 2008, la crise économique a entraîné une baisse de la production dans le monde entier (1,37 million de tonnes produites). Cependant, malgré la récession mondiale, la Chine, la Norvège et l'Union européenne ont réussi à augmenter légèrement leur production en 2008, tandis que des baisses ont été enregistrées en Russie, en Australie et en Nouvelle-Calédonie. En 2009, la production mondiale de nickel a continué de baisser, en lien avec la diminution de la production d'acier inoxydable (- 6 % entre 2008 et 2009).

b) L'évolution récente du cours du nickel bénéficie à la Nouvelle-Calédonie

En raison de la crise économique, les cours du nickel au LME, comme ceux de nombreuses matières premières, se sont effondrés en 2008. Ainsi, le prix moyen sur l'année s'est établi à 9,6 dollars la livre, soit une dépréciation de 43,3 % par rapport à 2007. L'année 2009, même si elle s'est traduite par une remontée du cours, passé de 5 dollars la livre en janvier à 8 dollars la livre en fin d'année, fait apparaître un cours moyen faible, de l'ordre de 6,6 dollars la livre.

Graphique du cours de la livre de nickel en dollars américains (USD) et du
cours du dollar américain en francs pacifiques (CFP)

Source : IEOM

Le cours du nickel est reparti à la hausse depuis le début de l'année 2010 et frôle en mars 2011 les 15 dollars la livre, revenant à des niveaux proches de ceux atteints dans le courant de l'année 2007. Cette remontée s'explique essentiellement par la reprise économique, qui conduit à une reprise de la demande d'acier inoxydable et par la tension produite sur les producteurs de nickel. Comme l'indique l'IEOM, « les fondamentaux du marché du nickel restent favorables, mais il convient de rester prudent du fait du niveau élevé des stocks » 6 ( * ) .

Cette évolution du prix du nickel est très favorable, depuis l'année 2010, à l'économie néo-calédonienne .


* 1 Rapport d'information n° 212 (1996-1997), « La Nouvelle-Calédonie : vouloir vivre ensemble », Roland du Luart, fait au nom de la commission des finances.

* 2 Rapport d'information n° 7 (2005-2006), « Nickel en Nouvelle-Calédonie : une opportunité enfin saisie ? », Henri Torre, fait au nom de la commission des finances.

* 3 Loi organique n° 2001-692.

* 4 Voir le document de politique transversale « Outre-mer » annexé au projet de loi de finances pour 2010.

* 5 A titre d'exemple, la Guyane reçoit 5 851 euros par habitant et Mayotte 2 880 euros par habitant.

* 6 Rapport annuel, Nouvelle-Calédonie, 2009.

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