XI. AUDITION DE M. JEAN-LUC GAFFARD, DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT RECHERCHE SUR L'INNOVATION ET LA CONCURRENCE DE L'OFCE

M. Jean-Luc Gaffard . - Je vais vous présenter une réflexion sur la désindustrialisation en m'appuyant notamment sur un ouvrage de l'OFCE intitulé « L'industrie manufacturière française », qui vient de paraître. Je prendrai comme référence le classement de chaque secteur en basse, moyenne ou haute technologie.

L'industrie manufacturière représente plus de 70 % de la recherche et développement et plus de 75 % des exportations. Son évolution est marquée par une chute du nombre d'emplois, dans les entreprises de basse technologie comme dans celles de moyenne ou haute technologie. En revanche, la part de l'industrie manufacturière dans la valeur ajoutée produite a beaucoup moins diminué. En valeur absolue, la valeur ajoutée augmente peu dans les secteurs de basse technologique mais dans des proportions plus importantes s'agissant des activités de haute technologique. Il convient de noter à ce sujet qu'un secteur classé en basse technologie peut comporter quelques activités à haute teneur technologique.

Par ailleurs, les entreprises de haute ou moyenne-haute technologie ont plus souvent recours à la sous-traitance et connaissent des gains de productivité plus élevés. Naturellement, leur activité de recherche et développement est plus développée.

Au total, il faut parler, plutôt que de désindustrialisation, d'une recomposition du secteur industriel, avec la montée en puissance d'activités à fort contenu technologique, ainsi que de la fragmentation et de l'internationalisation de l'activité de production.

Au niveau national, une nouvelle répartition géographique des activités se dessine, les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côtes d'Azur, ainsi que Toulouse, profitant du développement des activités de haute technologie.

À l'échelle mondiale, la part de l'Allemagne dans la production manufacturière mondiale a baissé dans les mêmes proportions que celle de la France. Toutefois, les flux internationaux sont fortement poussés par la fragmentation internationale des activités : 20 % de ce que nous exportons (25 % en Allemagne) proviennent ainsi de biens importés. Une part croissance des importations de produits de moyenne-haute technologie proviennent des pays à bas salaires.

L'industrie française rencontre donc des difficultés pour exporter sur les produits de moyenne-haute et haute technologie. Plus précisément, la France est aussi bien placée que l'Allemagne sur les activités de haute technologie, mais beaucoup moins sur celles de moyenne-haute technologie, comme en témoigne la domination bien connue de la domination de l'Allemagne en matière de machines-outils.

S'agissant de la recherche et développement, son intensité rapportée au chiffre d'affaires est assez faible dans notre pays, qui dépose nettement moins de brevets que l'Allemagne, les États-Unis ou le Japon.

Ces difficultés sont le signe d'une perte de compétitivité, qui n'est pas compensée par une baisse correspondante du coût unitaire du travail. Si celui-ci a fortement baissé au Japon et un peu moins en Allemagne, il est resté à peu près stable en France et a crû en Italie. Certaines études montrent toutefois que la baisse du coût du travail en Allemagne ne s'est pas appliquée aux secteurs qui exportent le plus.

Au fond, l'industrie manufacturière française se caractérise par un retard relatif dans son internationalisation.

Les facteurs de l'efficacité industrielle peuvent résider dans les entrées ou sorties d'acteurs ou dans les réallocations entre les acteurs existants à l'intérieur du système industriel. Les créations d'entreprises sont nombreuses en France, mais leur croissance est difficile : sept ans après sa naissance, une entreprise française est passée d'une taille de 100 à une taille de 120 en moyenne, alors qu'une entreprise américaine atteint une taille de 250 au même moment. Non seulement les jeunes entreprises jouent en France un rôle mineur dans la haute technologie, mais elles sont fragiles dans les basses technologies.

Les facteurs de survie sont le niveau de performance pour les firmes matures et la structure industrielle pour les jeunes entreprises.

Les entreprises françaises sont nombreuses à exporter : de 59 % à 92 % selon le secteur. En revanche, la quantité de biens qu'elles exportent est faible si on la compare à leur chiffre d'affaires. De plus, 10 % des exportateurs réalisent 88 % des exportations. Aujourd'hui, l'enjeu n'est donc pas de construire un petit nombre de champions, mais de constituer un tissu industriel riche et capable d'exporter plus. La difficulté semble résider dans un coût d'entrée élevé, en raison notamment des connaissances sur les marchés internationaux que doivent acquérir les entreprises avant de commencer à exporter.

En conclusion :

- les jeunes entreprises sont beaucoup plus vulnérables ;

- l'Europe connaît à la fois une croissance relativement faible depuis vingt ou trente ans et une concurrence interne marquée notamment par la stratégie de désinflation compétitive de l'Allemagne ;

- il est nécessaire d'agir sur les moteurs souvent cités de la croissance, tels que la recherche et le développement ou le développement durable, mais les pouvoirs publics dépendent trop souvent, pour leur information, de l'action des lobbies.

La politique industrielle devrait inciter les bénéficiaires des aides à coopérer au sein de consortiums technologiques, comme c'est le cas dans les pôles de compétitivité. Ce principe est suivi depuis longtemps aux États-Unis. Cette politique doit certes soutenir les filières stratégiques, mais elle ne doit pas inciter à la relocalisation car la fragmentation internationale de la production est favorable à la création de valeur domestique. Enfin, le crédit d'impôt recherche ne suffit pas : il faut aider l'industrie au-delà des seules activités de recherche.

M. Marc Daunis . - Pourquoi les entreprises françaises sont-elles plus petites que les entreprises américaines au bout de sept ans ? S'agit-il d'un problème de débouchés ou de capitalisation ? Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur les liens entre les gains de productivité et les pertes d'emplois ? Enfin, la stratégie de l'Allemagne, qui importe des pays de l'Est pour exporter des produits finis vers l'Europe, pose le problème de la pérennité d'un tel système et de la détermination des investissements à mener sur le long terme. Enfin, je fais observer que les pôles de compétitivité combinent compétition et coopération au travers de la mutualisation de plateformes.

M. Alain Chatillon , rapporteur . - Il faut en effet s'engager sur la voie de la clusterisation. S'agissant de l'exportation, il me semble qu'il faut plutôt parler, comme les entreprises allemandes, d'une internationalisation des activités. Je souligne enfin que Toulouse ne se limite pas à l'aéronautique mais possède également un secteur agroalimentaire très important.

M. Martial Bourquin , président . - Pourquoi la recherche privée n'atteint-elle pas un niveau suffisant en France ? La Cour des comptes a indiqué que le crédit d'impôt recherche bénéficie à près de 30 % à des grands groupes pour des activités qui ne constituent pas réellement de la recherche. Dans vos statistiques, tenez-vous compte des produits entièrement fabriqués à l'étranger mais vendus comme français ? Enfin, ne faut-il pas prendre en compte les circuits courts et l'empreinte carbone des produits, qui pourrait donner lieu à une fiscalité écologique ?

M. Jean-Luc Gaffard . - Sur le dernier point, il faut tenir compte des enjeux économiques lorsqu'on considère les objectifs environnementaux. Pour prendre l'exemple des circuits courts, le consommateur doit avoir les moyens d'acheter les produits. Or les prix bas dépendent de rendements croissants et de gains de productivité. Sur les autres points :

- s'agissant des mesures statistiques, on sait mesurer le contenu en importation des exportations ;

- la fragmentation de la production entraine une hausse considérable des flux de marchandises, à l'intérieur même des entreprises, et donc un développement rapide du commerce international qui peut conduire à des déséquilibres ;

- l'enjeu des clusters , c'est vraiment la coopération entre les entreprises, comme on le voit dans les pôles de compétitivité : le soutien doit passer par des programmes transversaux ;

- les gains de productivité sont globalement créateurs d'emploi : en effet, ils permettent de créer davantage de richesse et donc de rémunérer une quantité de travail plus importante sur le moyen terme. On constate par exemple, aux États-Unis comme en Europe, une corrélation entre la chute des gains de productivité et la hausse du chômage ;

- les entreprises ont en effet un problème de capitalisation et d'accès à des moyens de financement, mais il ne faudrait pas à l'inverse faciliter de manière excessive le recours aux sources de financement, car une telle stratégie risquerait de mener à la constitution de bulles ;

- enfin, s'agissant des relations entre les grandes et les petites entreprises, les innovations majeures viennent toujours des petites structures. Ce sont toutefois les grandes entreprises qui améliorent progressivement ces innovations et en font des produits de grande consommation, ce qui permet d'instaurer une relation de coopération entre les petites et les grandes entreprises.

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