EXAMEN DU RAPPORT D'INFORMATION PAR LA COMMISSION

La commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire s'est réunie le mercredi 13 avril 2011 pour l'examen du présent rapport.

M. Jean-Paul Emorine, président . - Nous allons entendre notre collègue Ladislas Poniatowski présenter son rapport sur l'avenir de la filière photovoltaïque. L'enjeu est considérable. La réflexion de notre collègue est empreinte de pragmatisme et trace des pistes pour les années qui viennent.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur . - Le 9 décembre dernier, le Gouvernement a déclaré un moratoire de trois mois sur la conclusion de contrats d'achat de l'électricité produite par les installations photovoltaïques. Cette décision a suscité bien des inquiétudes. La table ronde du 9 mars tombait à pic, puisque c'était le jour même de l'expiration du moratoire et quelques jours après la publication des nouveaux arrêtés. Elle a réuni, autour du directeur de l'énergie, des représentants des organisations professionnelles - le Syndicat des énergies renouvelables, Enerplan et la Fédération française du bâtiment -, le directeur du Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles (Liten) et des représentants de deux entreprises importantes du secteur. Le message que nous voulions faire passer a été entendu : le Sénat est à l'écoute des professionnels du secteur, et il veut voir plus loin que cette nouvelle réglementation, imaginer l'avenir de la filière.

L'Union européenne demande à la France de porter la part des énergies renouvelables à 23 % de sa consommation d'énergie finale brute en 2020, sans préciser quelles doivent être les parts respectives de la biomasse, de la géothermie, de l'éolien, du photovoltaïque et de l'hydraulique. Les 27 pays européens se sont vu assigner des objectifs tenant compte de leur situation initiale.

C'est le Grenelle de l'environnement qui a précisé la part de chaque source d'énergie dans le mix énergétique. Pour le photovoltaïque, un double objectif a été fixé : 1 100 mégawatts-crête d'installations photovoltaïques en 2012 ; 5 400 mégawatts-crête en 2020. Des tarifs assez avantageux ont été mis en place pour rattraper notre retard sur l'Allemagne et l'Espagne.

Mais on a assisté à un emballement. La puissance installée fin 2010 était déjà de 973 MW, dont 90 % en métropole et 10 % outre-mer. Cette croissance ne donne qu'une faible idée des projets en cours de développement à la fin de l'année 2010, qui représentaient une puissance totale de 6 400 MW. L'objectif de 2020 - 5400 MW - était déjà dépassé !

L'électricité photovoltaïque a des coûts de production particulièrement élevés. Ce n'est qu'en 2020 qu'on atteindra peut-être en France la « parité réseau », c'est-à-dire le moment où cette électricité sera rentable sans soutien public. La France n'est pas le sud de l'Italie, où les projets s'autofinancent grâce à un ensoleillement plus fort ; elle ne peut compter que sur des innovations technologiques.

En outre, le raccordement de l'électricité photovoltaïque peut dans certains cas perturber le réseau de distribution : l'architecture des réseaux et leur dimensionnement, en France, n'ont pas été prévus pour intégrer des installations de production d'électricité au niveau local, mais pour couvrir tout le territoire. On projette par exemple de construire un grand champ de panneaux photovoltaïques dans les Landes ; la première tranche représente à elle seule 150 MGW, dans un département où l'on consomme peu d'électricité. ERDF devra consentir un investissement important pour raccorder le site au réseau !

Le soutien public, par le biais d'un tarif d'achat avantageux, est-il justifié ? Oui bien sûr, si l'on tient compte des avantages environnementaux du photovoltaïque et des investissements nécessaires pour faire progresser cette technologie encore jeune. Mais ce soutien a un coût, et c'est le consommateur qui paie via la contribution au service public de l'électricité (CSPE) : 30 % de son produit est affecté à l'achat d'électricité provenant des énergies renouvelables. Il faudra un jour discuter de l'augmentation récurrente de la CSPE : c'est un baudet que l'on charge sans trop y regarder ! Un parc photovoltaïque de 1 gigawatt (GW) représente une charge de 560 millions d'euros chaque année sur la facture des consommateurs, pendant une durée de 20 ans...

La décision du Gouvernement était donc indispensable. Mais alors que MM. Charpin et Trink, à qui a été confiée une mission de concertation, disent avoir procédé à de nombreuses auditions, les professionnels ont le sentiment de ne pas avoir été entendus. Selon eux, 25 000 emplois sont menacés. Mais je rappelle que l'installation de panneaux occupe à elle seule 20 000 personnes, quand le reste de la filière - création et production - en emploie moins de 5000.

Les arrêtés du 4 mars définissent une cible de 500 MW par an pour les nouveaux projets. Beaucoup de professionnels disent qu'il en faudrait 800 pour que la filière survive ; nous pourrons éventuellement rectifier le tir lors de la revoyure, en 2012. S'agissant des petites toitures - dont certaines n'étaient pas concernées par le moratoire -, la trajectoire prévue est de 100 MW pour les toitures résidentielles et de 100 MW pour les non résidentielles. Le tarif d'achat baisse d'ores et déjà de 20 %. Pour ce qui est des centrales au sol et des grandes toitures de plus de 100 kW, le tarif d'achat est remplacé par des appels d'offres, avec un objectif de 140 MW pour les grandes toitures et de 160 MW pour les centrales au sol. Ces appels d'offres seront simplifiés pour les installations de moins de 250 kW. Enfin une garantie bancaire sera exigée pour les installations de plus de 9 kW, afin d'éliminer les projets purement spéculatifs déposés par des bureaux d'études.

Quel fut le sort réservé aux dossiers en attente lors de l'annonce du moratoire ? Sur 6 400 MW, 3 250 ont été suspendus : il s'agit des projets les plus récents, qui pourront être redéposés dans le nouveau cadre réglementaire. Restent 3 150 MW qui bénéficieront de l'ancien tarif, à supposer qu'ils soient installés avant 18 mois ; ils s'ajouteront aux 500 MW annuels. Pendant une semaine, avant le moratoire, des projets ont été déposés sans qu'ERDF réponde ; ceux-là font l'objet d'un contentieux porté devant le Conseil d'État.

Y a-t-il place en France pour une filière photovoltaïque ? Nous avons manqué le train de l'éolien, pouvons-nous gagner ce nouveau pari ? Le premier problème est d'abord technologique. Le silicium domine actuellement le marché, mais la technique des couches minces se développe rapidement ; quelques entreprises exploitent d'autres technologies qui en sont encore largement au stade de la recherche-développement. Entre ces techniques, le choix n'est pas simple, mais nous appartient-il ? Parmi les panneaux solaires installés dans le monde, 36 % le sont en Allemagne, 26 % en Espagne, 15 % au Japon, 8 % aux États-Unis, 1 % seulement en France. Avons-nous les moyens de développer une filière industrielle ? La Chine, de son côté, réussit l'exploit de fabriquer 25 % des panneaux alors que 1 % seulement sont installés dans ce pays. La Norvège s'en sort bien, avec deux ou trois entreprises dynamiques.

J'évoquerai rapidement cinq pistes pour développer la filière française. Tout d'abord, il nous faut des champions industriels, et à cet égard je me félicite du rachat par EDF de la totalité du capital de sa filiale EDF-Énergies nouvelles : espérons que l'entreprise adoptera une politique non plus exclusivement commerciale, mais industrielle.

La réglementation doit être stable afin d'offrir de la visibilité, non seulement aux industriels et aux installateurs, mais aussi au monde financier, car un projet photovoltaïque demande un gros investissement initial, qui se rapproche de 1 million d'euros pour les toitures industrielles et agricoles.

La constitution d'un marché national peut aider au lancement d'une filière. Mais pour cela il faut rassurer, et dire que nous continuerons à subventionner ce type d'électricité.

La notion d' «intégré au bâti » est une spécificité française, sur laquelle il faut s'appuyer. Les panneaux intégrés à la toiture au lieu d'être surimposés bénéficient d'un tarif d'achat de l'électricité nettement plus avantageux ; leur installation est plus complexe et plus coûteuse, mais cette technique est plus satisfaisante au plan architectural et esthétique.

Afin de nous protéger de la concurrence venue de Chine ou d'ailleurs, nous pourrions aussi recourir aux certifications et aux labels, pour les installateurs comme pour les produits. Mais cela ne suffira pas.

Autour la table ronde, nous avons rencontré des gens amers, mais malgré tout optimistes, parce qu'ils connaissent les atouts de notre pays. Accompagnons-les dans leurs efforts de recherche-développement et encourageons la constitution de champions industriels français, afin de développer la filière française en amont comme en aval. Nous avons eu le 9 mars un débat d'une grande qualité, et les professionnels ont apprécié que les sénateurs soient attentifs à leurs préoccupations.

M. Jean-Paul Emorine, président . - La table ronde fut en effet très intéressante. Je remercie Ladislas Poniatowski pour son travail approfondi et ses propositions de bon sens. Il a bien montré quelle était la position de la France par rapport à ses concurrents.

M. Roland Courteau . - Que l'ancien tarif d'achat ait donné lieu à des dérives, qu'il ait fallu rectifier le tir, chacun s'accorde à le dire. Mais qui était à l'origine de ces dérives ? J'ai quelques idées là-dessus...

L'Agence internationale de l'énergie estime qu'en 2050, un quart de l'électricité produite dans le monde sera d'origine solaire. La question est de savoir si la France sera partie prenante de cette évolution. Pour développer une filière nationale, il faut d'abord s'appuyer sur le marché domestique. Or l'objectif de 500 MW par an et de 5400 MW à l'horizon 2020 me semble un peu faiblard... L'Allemagne produira 55 000 MW en 2020 !

Que le tarif d'achat ait baissé de 20 %, soit. Ce qui me gêne, c'est que les professionnels manquent de visibilité. Le tarif sera ajusté trimestriellement en fonction de la diminution des coûts de production, estimée à 10 % par an, et du volume des projets. Or ce dernier critère est ambigu et entretient l'incertitude.

En outre, la procédure administrative est trop lourde. Le rapporteur a eu raison de rappeler que 30 % seulement du produit de la CSPE était affecté au rachat d'électricité provenant des énergies renouvelables, et non la totalité comme on l'entend dire.

Je reconnais des évolutions positives, comme l'inclusion de critères environnementaux et industriels dans le cahier des charges, pour lutter contre les friches industrielles et protéger les espaces agricoles et forestiers : je suis un défenseur des énergies renouvelables, mais je considère que l'on ne peut pas tout faire n'importe où. Je me réjouis également de l'obligation de recycler les panneaux, et des garanties demandées pour s'assurer de la viabilité des projets.

Je m'interroge en revanche sur le soutien apporté à la recherche-développement. Face à l'intensification de la concurrence, il faut réduire les coûts de fabrication et améliorer la performance énergétique des panneaux. Or nous avons pris du retard quant aux futures générations de produits, aux dispositifs de suivi du soleil et au stockage de l'énergie produite.

M. Jean Boyer . - Je suis l'élu d'un des départements les plus ensoleillés de France et j'ai eu à m'occuper du photovoltaïque. Le rapport fait par notre collègue est constructif et visionnaire. Mais nous rencontrons des porteurs de projets inquiets, voire désespérés : il y a un an, ils avaient monté leur projet en comptant sur sa rentabilité et sont aujourd'hui désarmés par la rétroactivité des mesures prises par le Gouvernement. J'ai reçu dix-sept personnes qui ont l'impression d'avoir été trahies, et doivent à présent soit abandonner leur projet, soit revoir son montage financier. Pour les agriculteurs, il n'y a pas que les fruits rouges ou le tourisme ! Peut-on changer les règles en cours de route ? Gouverner, n'est-ce pas prévoir ? ERDF a même bloqué des dossiers déposés en arguant que ses agents avaient trop de travail : des innocents ont été pénalisés. Il ne faut pas le prendre à la légère, nos paysans parlent avec leur coeur et le sujet est grave.

M. Jean-Paul Emorine, président . - Merci de cet éclairage. Mais je ne suis pas sûr que nous n'ayons eu affaire qu'à des innocents...

M. Jean Boyer . - Elégante litote, monsieur le président, mais certains porteurs de projets se retrouvent réellement dans une situation très difficile.

Mme Élisabeth Lamure . - Peut-on avoir accès aux travaux de l'Institut national de l'énergie solaire (INES)? Les appels à manifestation d'intérêt (AMI) lancés dans le cadre des investissements d'avenir ne concernent-ils que les industriels français ?

M. Michel Magras . - Je félicite le rapporteur pour la rigueur de son propos. Je me contenterai de quelques observations sur l'outre-mer. Je suis membre d'une commission sur le photovoltaïque en outre-mer qui doit rendre un rapport le 30 juin à M. Baroin et Mme Penchard. Ces territoires bénéficient de tarifs attractifs et de mesures de défiscalisation issues de la loi organique pour le développement économique en outre-mer (LODEOM), mais on ne peut nier un effet d'aubaine, qui a conduit à la multiplication des projets. Tous semblent avoir été validés à l'ancien tarif, et la liste d'attente est considérable.

La politique énergétique de Saint-Barthélemy, comme de toute petite île, consiste à la fois à maîtriser sa consommation et à oeuvrer pour son autonomie énergétique. Nous dépendons d'EDF. Or les coûts de production de l'électricité sont incommensurablement supérieurs à ceux de la métropole. Fort heureusement, nous bénéficions de la solidarité nationale par le biais de la péréquation. Après le vote de la LODEOM, des investisseurs sont venus chez nous pour construire des centrales photovoltaïques, mais EDF a fait barrage : l'entreprise exigeait que la collectivité raccorde les nouvelles centrales au réseau à moyenne tension, ce qui n'est pas facile sur une île volcanique ; en outre, la consommation moyenne journalière étant de 18 à 20 MW, EDF répondait à ceux qui voulaient construire des centrales produisant 5 MW que les jours où il n'y aurait pas de soleil, elle refuserait d'absorber, mais délesterait. Imaginez un peu la situation un 31 décembre ! Ce serait la fin du tourisme !

Pourquoi ne pas mettre en place une politique tarifaire différenciée ? Puisque l'électricité produite par EDF à Saint-Barthélémy lui coûte 80 centimes par kWh, pourquoi l'entreprise ne rachèterait-elle pas l'électricité photovoltaïque à 40 centimes par kWh ? La collectivité avait accepté de financer le projet d'une association qui avait demandé la mise à disposition d'un bâtiment public : sur la base d'un tarif d'achat de 40 centimes par kWh, il devait être amorti en 17 années et demie. Mais à 12 centimes par kWh, il faudra 70 ans ! Entretemps, il aura fallu changer plusieurs fois de panneaux... Le projet n'est donc pas rentable. L'assemblée où je siège maintient une politique de défiscalisation en faveur des énergies renouvelables, mais elle a besoin de garanties.

M. Claude Belot . - Merci de m'avoir invité à cette réunion, en tant que membre du groupe d'études de l'énergie. La table ronde sur le photovoltaïque a eu lieu quelques jours avant la catastrophe de Fukushima. Or on n'entend en France que les apologistes du nucléaire. Tous les autres pays s'efforcent de rééquilibrer leur panier énergétique : le charbon est polluant et on n'en trouve pas partout ; il ne faut pas trop compter sur le pétrole et le gaz, comme l'illustre l'actualité - le prix du baril a augmenté de 20 % depuis le 9 mars - ; le nucléaire pose des problèmes de sécurité. L'Allemagne a décidé d'arrêter ses centrales ; les Allemands sont-ils tous aveugles ? Les États-Unis sont loin d'avoir repris tambour battant leur politique nucléaire : ils exploitent à présent du gaz de schiste, dans des conditions il est vrai hasardeuses. Au Japon, où les experts nucléaires étaient naguère convaincus de la sécurité des installations, on s'interroge. En France, il faudra mieux surveiller les centrales vieillissantes, ce qui coûtera plus cher ; l'EPR et les centrales de nouvelle génération sont peu compétitives car trop onéreuses, comme l'illustrent nos déconvenues dans le Golfe. L'électricité nucléaire est-elle bon marché ? Ce sera de moins en moins vrai.

Dans ces conditions, pouvons-nous ne pas nous soucier des énergies renouvelables ? La France n'arrive pas à faire émerger des filières industrielles : la géothermie a été stérilisée en région parisienne par les groupes pétroliers et gaziers ; dans le domaine solaire, l'État a multiplié les âneries : en accordant des primes ahurissantes, il faisait jusque récemment du photovoltaïque l'affaire la plus lucrative du siècle, et le système ne tenait pas debout. Mais les professionnels disent qu'ils sont capables de mettre sur le marché un kWh à 21 centimes, soit moins que le prix du kWh vendu aux particuliers en Italie ou en Espagne ! Il existe donc une marge de progression importante. Le marché de l'électricité n'est plus strictement national : il s'est interconnecté. Ce serait une erreur de ne pas favoriser le décollage de la filière photovoltaïque française.

La production est jusqu'à présent infinitésimale, et pèse faiblement sur la CSPE, comme l'a justement dit M. Courteau. Il faudra au moins quarante ans pour sortir du nucléaire, mais en attendant il faudra vivre. Comment ? Le débat doit être ouvert et sans dogmatisme. Chaque fois que je le pourrai, comme aujourd'hui dans un article paru dans Sud-ouest, je plaiderai pour un rééquilibrage de notre panier énergétique. On entend souvent dire que l'éolien et le solaire sont des énergies aléatoires. Mais l'électricité hydraulique dont on peut contrôler le débit représente aujourd'hui 8 % de la consommation électrique. On pourrait se fixer le même objectif pour l'éolien et le solaire, car les barrages pourraient servir de système de stockage pour cette énergie : un autre modèle économique est possible. Sortons du tout-nucléaire, et cessons de perdre de nouveaux marchés industriels. J'étais chez Photowatt à Bourgoin-Jallieu : les responsables se désolent qu'il n'y ait pas de marché du photovoltaïque en France, ce qui empêche l'émergence d'une filière.

Je souhaite que le Sénat ait une vision très ouverte de la question. Ne cédons pas aux pressions d'EDF et du lobby nucléaire, mais oeuvrons pour l'intérêt général.

M. Alain Fouché . - M. le rapporteur a parlé de la production actuelle dans différents pays. Mais quels sont ceux qui ont programmé le plus d'investissements pour l'avenir ?

M. Dominique Braye . - Oui, cher Claude Belot, nous avons besoin d'un débat ouvert et sans dogmatisme. Est-il trop tard pour construire en France une filière éolienne ? Lors du Grenelle, on a entendu dire que la filière photovoltaïque n'était pas « éco-responsable », en raison de l'énergie nécessaire pour fabriquer et détruire les panneaux : qu'en est-il ? Etait-il responsable de la part de l'État de soutenir massivement cette filière avant sa stabilisation ? Enfin, pourquoi ne pas privilégier les projets dont le raccordement au réseau est le plus facile ?

M. Marc Daunis . - Merci à la commission d'avoir pris l'initiative d'une table ronde.

Je serai plus mesuré et plus bref que M. Belot, mais je rejoins entièrement son propos. La décision gouvernementale, au-delà même de sa brutalité, demeure une erreur stratégique dramatique. Elle nous ramène à la fin des années soixante, quand il fut mis fin au programme de recherche sur l'énergie solaire mené par l'AFME, ancêtre de l'Ademe, alors que nous étions alors numéro un dans le photovoltaïque, au motif que la filière était incertaine et requérait des développements importants... Ce manque de vision à moyen terme, cette instabilité de la réglementation sont impardonnables lorsque l'on fait appel à l'investissement privé pour faire émerger une filière : on ne joue pas avec cela. Combien d'entreprises se sont trouvées en difficulté, contraintes de licencier et se demandant comment sauver l'essentiel pour redémarrer ? Nous en avons tous vu se tourner vers nous, élus. Dans la production de panneaux, entre les mains des Chinois et des Allemands, on est en train de passer à la deuxième génération : cela nous mettait en situation d'ancrer une filière française.

Je ne vois rien, dans vos cinq propositions de conclusion, qui ait trait à la recherche et au développement. C'est là un manque cruel : il serait bon d'approfondir la réflexion sur les incitations qui pourraient être portées par l'Ademe, ou par l'Institut national de l'énergie solaire, sur un possible fléchage du crédit d'impôt recherche en faveur de la filière photovoltaïque et de la filière bois, son complément, pour l'énergie issue de la biomasse.

Il faut nous préparer à un débat public nécessaire, et rapidement. Car je ne suis pas persuadé, à la différence de certains, que l'échéance présidentielle soit le meilleur moment pour mener un tel débat.

M. François Patriat . - Je ne partage pas l'avis de M. Belot. Personne ne conteste la nécessité de disposer d'une panoplie de ressources. Chacun de nous, à son échelon de responsabilité, essaie de mener une politique de diversification - éolien, photovoltaïque, biomasse - et cela dans des conditions de plus en plus difficiles : entre le dépôt du dossier par le maire et le permis de construire, il se passe sept ans minimum pour ouvrir un chantier d'éoliennes. Et ce n'est qu'un exemple.

Le choix nucléaire serait en train de reculer dans le monde ? Mais en dehors de l'Allemagne, où le sujet a toujours été très sensible, tous les autres pays vont continuer de commander des centrales - l'Italie, l'Afrique du Sud, les pays d'Europe centrale, la Norvège...

Il est vrai que les moteurs diesel destinés à suppléer une défaillance électrique pour assurer le refroidissement, qu'impose Areva, sont onéreux, mais il n'y a rien de pire que les centrales à bas coût. Les responsables de Tepco ont reconnu leur légèreté. Heureusement que les Français sont là pour les accompagner.

L'énergie demeurera, pour les quarante ans à venir, nucléaire. Il faut mettre le prix dans la sécurité. Cela suppose recherche, innovation, transparence, pour assurer ce que l'on doit aux pays émergents, qui en ont besoin.

Présidence de M. Gérard César, vice-président

M. Daniel Raoul . - Si ce rapport témoigne bien d'une chose, c'est de la mauvaise gestion liée à l'ouverture du marché à la concurrence. Les prix d'achat ont été fixés de telle sorte qu'ils n'ont pas permis à la filière photovoltaïque d'émerger. Le moratoire est un aveu d'incurie, la preuve que le gouvernement n'a rien vu venir. Pourtant, le développement du photovoltaïque n'est pas une idée née d'hier. Il y avait déjà des milliers de dossiers en 2009 : il était déjà clair que l'on allait au mur. La politique d'ouverture à la concurrence n'a fait que provoquer une bulle financière et s'est réduite à un effet d'aubaine. Elle a de surcroît importé une pollution que l'on ne sait pas comment traiter, et dont le coût n'est pas répercuté sur le prix d'achat de l'électricité. L'arrêt de Super Phénix est dans la même veine.

Alors que nous avons besoin, en France, d'une recherche en amont, portée par les producteurs, on a stoppé la recherche sur le photovoltaïque.

Les cinq points qui concluent le rapport ne tracent pas de voie d'avenir pour la filière. Il eût fallu émettre des préconisations, au-delà du rapport Charpin, pour construire une vraie filière fondée sur la recherche et le développement. Nous avons le potentiel, dans la région grenobloise, et ailleurs.

M. Rémy Pointereau . - Le moratoire imposé par le décret du 9 décembre, outre qu'il est rétroactif, pose d'énormes problèmes économiques sur le terrain, aux opérateurs comme aux collectivités. Ce dossier a été mal géré : le prix d'achat est parti de trop haut, à plus de 60 centimes ; il a fallu le ramener à 52 puis à 42 centimes.

Aujourd'hui, la situation est dramatique pour la filière. Sancoins, dans le Cher, ville qui abrite le premier marché aux bestiaux international, compte 35 000 mètres carrés de toiture. Un projet a été déposé le 2 ou le 3 décembre. Il permettait de soutenir l'économie d'un territoire mis à mal par la crise de l'élevage en mettant en place un marché mieux valorisé. Le projet a été refusé en vertu du moratoire du 9 décembre. Il était couplé, de surcroît, à un projet lié à la filière élevage. Aujourd'hui, on nous dit qu'il faut lancer un appel d'offres, sur la base du nouveau tarif, à 12 centimes. Mais on sait bien qu'aucun opérateur n'est capable de le faire : il faut déjà un million et demi pour désamianter la toiture, et le syndicat doit encore financer le projet lié à la filière élevage. C'est ainsi que l'on saborde un projet d'intérêt général.

Il aurait été bon de faire preuve d'un peu de discernement. Une commission aurait dû être chargée d'étudier les projets à repêcher. Car à côté de projets purement spéculatifs, il en est d'intérêt général, portés par les collectivités.

M. Ladislas Poniatowski . - Je rappelle que le document qui vous a été présenté n'est pas un rapport à part entière, fruit d'un travail de fond émaillé de nombreuses auditions, mais seulement le compte rendu d'une table ronde.

Le moratoire, nous pouvons tous en témoigner, a provoqué bien des remous dans les entreprises et les collectivités, choquées par la brutalité de la décision. J'ai donc suggéré au président Emorine d'organiser cette rencontre, pour montrer aux acteurs que le Parlement est à l'écoute et engager une réflexion sur la filière.

MM. Courteau, Boyer, Pointereau et Daunis ont déploré la brutalité de la décision. Notre production restait limitée à 200 MW. Pour rattraper nos voisins, qui sont à plusieurs milliers, au nord comme au sud, on a fixé des tarifs très attractifs, parmi les plus élevés d'Europe, mais sans fixer de quotas, si bien que tout le monde s'est rué : là a résidé l'erreur du gouvernement. Alors que l'objectif du Grenelle est de parvenir à 5 400 MW en dix ans, en un an, les projets déposés représentaient à eux seuls 6 400 MW ! Là est le problème. D'autant que ce sont les consommateurs qui payent les investissements, via la CSPE.

Un bémol à ce constat, cependant : les projets engagés et donc les dépenses réelles ne représentent que 1 000 MW par an. Seront assurés 3 100 MW, auxquels s'ajoutent les 500 MW par an sur lesquels s'est engagé le gouvernement.

Il est vrai qu'il eut été préférable de corriger plus tôt, ainsi que l'a fait remarquer Roland Courteau, que je remercie d'avoir précisé que la CSPE ne soutient pas que les énergies nouvelles, mais aussi d'autres dépenses, comme le tarif aménagé outre-mer ou celui de la Corse.

Sur la cible, la filière dit qu'avec 800 MW, on s'en sort, sans sacrifier l'emploi. J'ai tenté d'obtenir 800 MW du gouvernement. La date de revoyure, fixée à 2012, doit permettre de se rapprocher de cet objectif.

La protection des espaces agricoles est assurée : on n'a plus le droit d'y faire du photovoltaïque au sol, pour lequel les friches industrielles doivent être privilégiées.

Si je n'ai pas abordé la question de la recherche et du développement, qui seule assurera des projets durables, j'y consacre une partie de mon compte rendu, où je reprends ce qu'ont évoqué les intervenants : l'Ines fait un bon travail, ses subventions doivent être maintenues ; le problème majeur à résoudre, qui lèvera bien des difficultés, est celui du stockage de l'électricité. Nous avons vu en Savoie un centre, cofinancé par l'Ines et le CEA, qui fait un très intéressant travail : il permet aux véhicules de passer de 100 à 300 kilomètres d'autonomie.

Si le département de Jean Boyer n'est pas le plus ensoleillé de France, il n'est pas mal loti, comme il apparaît sur la carte annexée, où l'on voit aussi que c'est le sud-est qui bénéficie de l'ensoleillement maximum. Le syndicat des énergies renouvelables estime qu'il faudra seulement cinq ans aux projets d'installations dans ce dernier secteur pour atteindre le seuil de rentabilité, sans obligation de rachat.

Il est vrai, monsieur Boyer, qu'ERDF a tardé à valider les projets. Cela tient au coût du raccordement : il faut quelquefois plusieurs dizaines de milliers d'euros pour renforcer le réseau. Il est vrai, également, que les agriculteurs ne méritent pas que l'on soulève chez eux de faux espoirs.

Il est prévu, Elisabeth Lamure, de réserver les appels à manifestation d'intérêt aux projets français.

Je connais bien l'outre-mer, M. Magras. Y installer des centrales au fioul, comme celle que j'ai vue en Martinique, n'est pas idéal. Le photovoltaïque y est beaucoup plus intéressant. Mais il n'y a, là encore, qu'un seul interlocuteur, EDF. Au point que Bruxelles reproche à la France de reconstituer un monopole outre-mer...

Je ne partage pas le pessimisme de Claude Belot sur les énergies renouvelables. Nous irons bien au-delà de nos besoins. Les engagements du Grenelle ne portent pas seulement sur les 5 400 MW du photovoltaïque. Il y a également des objectifs beaucoup plus importants pour l'éolien, la biomasse, les biocarburants et le solaire thermique. Et nous marchons vers ces engagements, alors même que nous sommes capables d'assurer 80 % de nos besoins par le nucléaire.

Nous ne sommes pas dans le tout nucléaire, puisque les énergies renouvelables, y compris l'hydraulique, représentent aujourd'hui 13 %. Pour passer de 13 à 23 %, nous aurons besoin de l'éolien offshore mais aussi de la biomasse - le bois, mais aussi les déchets agricoles et ménagers, qui représentent autant de petits projets sur l'ensemble du territoire.

Quant à la mission commune de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), dont nous sommes ici plusieurs membres, elle n'est nullement conduite dans l'optique du tout nucléaire, mais vise à travailler sur la sécurité des installations existantes. Il fallait que cela fût dit.

Les investissements, monsieur Fouché ? La Chine, qui ne représente que 1 % du marché mondial du photovoltaïque, fournit 25 % des panneaux utilisés dans le monde. Nos voisins, également, investissent beaucoup. L'Allemagne subventionne 50 000 MW, quand nous nous contentons de 5 400.

Oui, monsieur Braye, on a raté le coche sur l'éolien. Les entreprises qui comptent sont allemandes ou espagnoles. Il est vrai cependant que récemment, Areva a racheté une société espagnole et investi dans une société française.

En matière de recyclage, la question de la durée de vie des panneaux est cruciale. La qualité des panneaux chinois ne vaut pas celle des panneaux allemands de naguère. Il faudra instituer des labels pour écarter certains types d'investissements.

Le problème du raccordement ?

M. Dominique Braye . - Pourquoi n'en avoir pas fait un critère de sélection des projets ?

M. Ladislas Poniatowski . - De fait, le décret du 4 mars retient un critère environnemental et un critère financier, mais qui ne prend pas en compte le coût du raccordement.

La recherche et développement, M. Daunis, est en effet cruciale. Les entreprises que nous avons entendues nous ont dit que les appels à manifestation d'intérêt ont suscité des espoirs, car le crédit impôt-recherche ne suffit pas pour certaines dépenses.

Entre le 2 et le 9 décembre, date de la publication du décret, M. Pointereau, monsieur Raoul, tout le monde savait que le moratoire allait tomber. C'est ainsi que plusieurs centaines de dossiers ont été déposés en une semaine, qui n'étaient pas tous techniquement mûrs.

M. Paul Raoult . - Cela s'appelle un délit d'initié.

M. Ladislas Poniatowski . - C'est ainsi qu'au milieu de tout cela, quelques bons dossiers ont été noyés. C'est le cas de ceux qu'ont évoqué Rémy Pointereau et Jean Boyer, où un début d'investissement était engagé. Certains ont saisi le Conseil d'État. Pour ceux qui sont de bonne foi et ont dépensé de l'argent, le gouvernement n'est pas hostile à un petit rattrapage au cas par cas.

Un mot, pour finir, sur mon initiative. Une précédente table ronde, sur les compteurs intelligents, avait été fort appréciée. Au point que je reçois encore des acteurs sur le sujet. Mon idée était de montrer aux intéressés que le Parlement se soucie de leurs inquiétudes. Mais si cela doit susciter plus d'inconvénients que d'avantages, je n'entends pas m'acharner. J'avais songé, si le projet du gouvernement sur l'exploitation du gaz de schiste tardait à venir, à organiser un débat sur le sujet pour entendre les acteurs. Mais il faudrait alors savoir clairement où l'on veut aller.

M. Gérard César, président . - Le projet de loi est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 10 mai, priorité consentie qui nous laisse le temps de la réflexion.

Merci, monsieur Poniatowski, de votre initiative, qui fut bonne.

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