2. Le contenu des déclarations d'intérêts : des déclarations sincères et précises

Sur le fondement de ces objectifs, vos co-rapporteurs ont déterminé le contenu des futures déclarations d'intérêts.

a) Une obligation générale de sincérité de la déclaration

En premier lieu, le groupe de travail a souhaité que la déclaration d'intérêts soit un outil souple, capable de s'adapter à la situation particulière de tous les parlementaires et leur permettant de prendre leurs responsabilités face à leurs pairs et aux citoyens. Dès lors, dans un souci de pragmatisme, les membres du groupe de travail ont majoritairement considéré que, si des exigences minimales devaient être définies par les textes (c'est-à-dire par la loi ou par une instruction du Bureau), il serait vain de vouloir énumérer, dans une norme figée, l'ensemble des éléments qui doivent figurer dans la déclaration d'intérêts : en effet, le législateur ne saurait tout prévoir, si bien que toute énumération limitative des intérêts soumis à une obligation de déclaration risque, à l'usage, de s'avérer incomplète ou de donner lieu à des stratégies de contournement.

Vos co-rapporteurs estiment donc que la solution la plus efficace pour garantir l'exhaustivité de la déclaration est de faire la liste des éléments « de base » devant y être retracés et d'y superposer une exigence générale de sincérité de la déclaration . Ce choix non seulement garantirait que les membres du Parlement soient confrontés à des règles claires et à des indications précises sur l'étendue de leurs obligations (ce qui assurerait la lisibilité et l'objectivité de la norme), mais surtout permettrait à l'organisme destinataire des déclarations d'intérêts de demander des éclaircissements sur les déclarations qui lui sembleraient inexactes, lacunaires ou incomplètes, ou encore d'en solliciter la rectification.

Propositions n°s 8 et 9

Mettre en place une exigence générale de sincérité des déclarations d'intérêts.

Permettre à l'autorité en charge de la prévention des conflits d'intérêts de demander des éclaircissements si elle considère que cette exigence n'a pas été respectée.

b) La typologie des intérêts soumis à déclaration

* La nature des intérêts soumis à l'obligation de déclaration

Conformément aux principes qu'ils ont retenus pour la définition du « conflit d'intérêts », vos co-rapporteurs ont, à une très large majorité, estimé que seuls les intérêts matériels des parlementaires devaient être retracés au sein de leur déclaration d'intérêts. Leurs intérêts « moraux » (c'est-à-dire spirituels, religieux, politiques, associatifs, etc.) ne seraient donc soumis à aucune obligation de déclaration.

Proposition n° 10

Limiter le champ de la déclaration d'intérêts aux intérêts matériels des parlementaires, à l'exclusion de leurs intérêts moraux.

Vos co-rapporteurs rappellent également que la description des intérêts devant figurer dans la déclaration ne doit pas être interprétée en des termes restrictifs : en vertu de l'exigence générale de sincérité de la déclaration que le groupe de travail souhaite mettre en place, il incombera à chaque parlementaire de déclarer les intérêts qui, bien qu'ils ne répondent pas aux critères cités plus haut, sont susceptibles selon lui d'influer sur la manière dont il s'acquitte de ses missions. La typologie dressée par le groupe de travail n'est donc pas exclusive, mais vise à cibler les intérêts qui, aux yeux de vos co-rapporteurs, sont les plus susceptibles de donner lieu à des difficultés : dès lors, ils estiment que ces intérêts devront être déclarés en priorité, mais sans préjudice de la déclaration d'autres intérêts potentiellement litigieux.

La majorité des membres du groupe de travail a ainsi considéré que devraient principalement être déclarés, les intérêts qui peuvent créer un lien de dépendance économique, financière ou matérielle du parlementaire vis-à-vis d'un organisme extérieur au Parlement. Par conséquent, les intérêts professionnels et financiers -qui semblent les plus susceptibles de donner lieu à un conflit d'intérêts- devront faire l'objet d'une attention particulière et être déclarés en priorité.

Proposition n° 11

Prévoir que les parlementaires déclarent en priorité leurs intérêts professionnels et financiers.

A minima , cette exigence obligerait les sénateurs à déclarer :

- les participations qu'ils détiennent dans des sociétés ou entreprises de toute nature, lorsque ces participations dépassent un certain seuil en euros ou en pourcentage du capital de l'entité en cause 79 ( * ) ;

- l'ensemble des activités ou fonctions qu'ils exercent ou ont exercé pendant la période couverte par la déclaration d'intérêts ; cette obligation s'appliquerait aussi bien aux activités rémunérées qu'aux activités bénévoles, et toucherait tous les types de fonctions, qu'il s'agisse de fonctions publiques non-électives ou de fonctions exercées dans le secteur privé.

Dans ce cadre, vos co-rapporteurs estiment que les éventuels gains tirés d'une activité professionnelle, quelle qu'elle soit, devraient être déclarés de manière précise et transparente. Majoritairement, ils proposent donc que les membres du Parlement détenant, parallèlement à leur mandat, des fonctions rémunérées soient tenus de déclarer le montant précis de leur rémunération et sa source (c'est-à-dire le nom de leur employeur) au sein de leur déclaration d'intérêts.

Proposition n° 12

Prévoir que la déclaration d'intérêts doit retracer le montant précis des rémunérations de toutes natures perçues au titre d'une activité accessoire au mandat parlementaire.

- les liens qu'ils entretiennent, dans le cadre des activités ou fonctions qu'ils exercent en-dehors du Parlement, avec des entités privées et qui sont créatrices d'un véritable « intérêt », c'est-à-dire qui peuvent conduire à mettre le parlementaire dans une situation de dépendance. C'est d'ailleurs dans cet élément que réside l'originalité de la déclaration d'intérêts par rapport aux déclarations actuelles 80 ( * ) , puisque le champ de la notion d'« intérêt » dépasse les seules fonctions ou le simple patrimoine : à titre d'illustration, et comme le soulignait M. Guy Carcassonne lors de son audition par vos co-rapporteurs-, le parlementaire qui est en même temps avocat et dont le principal client est un grand groupe pétrolier est aujourd'hui tenu, dans le cadre d'une déclaration d'activités, seulement de déclarer ses fonctions d'avocat ; à l'inverse, s'il doit souscrire une déclaration d'intérêts, il devra faire état de ses liens particuliers avec le secteur énergétique 81 ( * ) .

* La prise en compte des intérêts passés

En outre, vos co-rapporteurs ont estimé nécessaire que la déclaration d'intérêts retrace non seulement les intérêts détenus par les parlementaires au moment où ils souscrivent cette déclaration, mais aussi leurs intérêts passés : il serait en effet peu légitime et peu compréhensible pour l'opinion publique que les déclarations d'intérêts se bornent à faire état des intérêts détenus par un député ou par un sénateur au moment où commence son mandat, et ne tiennent aucun compte des activités ou des fonctions qu'il a pu exercer avant d'accéder au Parlement.

Dans ce cadre, la majorité des membres du groupe de travail a souhaité que les parlementaires déclarent, en plus de leurs intérêts présents, les intérêts qu'ils ont acquis préalablement à leur élection ; la période de référence devrait, selon vos rapporteurs, être fixée à trois ans.

Proposition n° 13

Tenir compte des intérêts détenus pendant les trois ans qui précèdent le début du mandat.

* L'intensité des intérêts soumis à l'obligation de déclaration

Par ailleurs, le groupe de travail a considéré, en cohérence avec la définition du « conflit d'intérêts » qu'il a retenue, que seuls les intérêts les plus importants (c'est-à-dire ceux qui sont intenses et spécifiques) devraient être retracés au sein de la déclaration d'intérêts. Pour prendre un exemple concret, si un parlementaire exerce, simultanément à son mandat, une activité de recherche médicale qui l'amène à être en relation avec des grands groupes pharmaceutiques privés, ce parlementaire sera tenu de déclarer ses relations avec les groupes qui le soutiennent financièrement dès lors que le montant des subventions qu'il reçoit est tel que celles-ci sont indispensables à la poursuite de ses travaux ; toutefois, si le groupe en cause n'est qu'un financeur parmi d'autres et que sa participation financière n'a pas d'impact décisif sur le cours des recherches, il ne devra pas être cité dans la déclaration d'intérêts du parlementaire.

Rappelons que cette prise en compte des intérêts les plus importants est justifiée, aux yeux de vos co-rapporteurs, par le caractère généraliste des questions traitées par les parlementaires : les députés et les sénateurs ont en effet vocation à intervenir dans l'ensemble des politiques publiques nationales, si bien qu'il semble difficile de leur demander de faire, dans tous les secteurs de la vie publique, la liste de tous leurs intérêts -même les plus « mineurs ».

À l'inverse, il semble légitime que les membres du gouvernement (dont le champ de compétence est précisément défini et nettement plus étroit que celui des parlementaires) soient soumis à des obligations déclaratives plus lourdes.

Le contenu de la déclaration d'intérêts des membres du gouvernement

Aux termes d'une instruction du Premier ministre, M. François Fillon, du 16 mars 2011, les déclarations d'intérêts des membres du gouvernement (dont le contenu s'inspire largement des préconisations du rapport de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, dit « rapport Sauvé ») doivent retracer :

- les responsabilités exercées par un membre du gouvernement en sus de ses fonctions ministérielles (fonctions électives, responsabilités dans le secteur associatif, etc.) ; sont concernées par cette rubrique, les activités exercées simultanément aux fonctions au sein du gouvernement ;

- les responsabilités et les activités exercées par le membre du gouvernement pendant les trois années précédant le début de ses fonctions (fonctions électives, activités professionnelles et autres « responsabilités publiques ») ;

- les instruments financiers détenus par un membre du gouvernement. Dans ce cadre, il est précisé que les parts ou actions d'organismes de placement collectif (de type SICAV ou FCP) ne doivent pas être déclarées, « sauf si elles se rapportent à un secteur d'activité particulier, précisément défini », et que seules les participations de plus de 5 000 euros ou de 5 % du capital de la structure concernée doivent figurer dans la déclaration. La gestion de ces instruments financiers est confiée, pendant la durée des fonctions ministérielles, à un intermédiaire agréé : on retrouve ici l'une des propositions du rapport de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, qui préconisait la mise en place d'un « mandat de gestion sans droit de regard » pour les participations financières détenues par les membres du gouvernement. Toutefois, les propriétés immobilières ne font l'objet d'aucune déclaration ;

- les « autres intérêts » des membres du gouvernement : cette catégorie « balai » doit notamment permettre aux membres du gouvernement de déclarer les intérêts de leurs proches (qui sont décrits comme des « intérêts familiaux »).

Les déclarations d'intérêts des ministres et des secrétaires d'État ont été mises en ligne, sur le site du gouvernement, le 21 avril dernier ; depuis cette date, elles sont librement consultables par le public. Pour des raisons évidentes, en ont toutefois été retirées les « informations pouvant concerner la vie privée de personnes tierces ».

c) Les modalités de prise en compte des intérêts des « proches » des parlementaires

Se pose également la question de la prise en compte des intérêts détenus non par le parlementaire lui-même, mais par des personnes si proches de lui que leurs intérêts se confondent partiellement avec les siens. En effet, il est évident que les intérêts des « proches » sont cruciaux au regard des conflits d'intérêts dans la mesure où un responsable public peut être tenté de détourner ses fonctions à son propre profit, mais aussi au bénéfice de ses amis ou des membres de sa famille.

Vos co-rapporteurs soulignent que cette question fait partie des plus délicates et des plus complexes à traiter en matière de prévention des conflits d'intérêts : ainsi, toutes les personnes qu'ils ont entendues ont mis en lumière les problèmes qu'une prise en compte trop étendue des intérêts des « proches » pourraient poser au regard du principe de respect de la vie privée (non pas du parlementaire, mais de ses « proches »).

Car la question des intérêts des « proches » soulève deux difficultés principales :

- tout d'abord, la déclaration des intérêts des « proches » conduit à dévoiler des informations qui concernent des personnes privées n'ayant, dans la plupart des cas, aucune carrière élective ou aucune responsabilité publique (c'est-à-dire n'ayant, individuellement, aucune raison valable d'être soumises à des obligations déclaratives d'une telle ampleur). Il s'agit donc d'appliquer, par capillarité, le régime applicable aux parlementaires à des personnes qui n'ont qu'un lien ténu (et qui relève strictement de la sphère privée) avec le Parlement ;

- surtout, la nécessité de tenir compte des intérêts des proches peut mener à forcer des personnes extérieures au Parlement à faire état de données qui relèvent de leur vie privée , alors même qu'elles n'ont pas choisi une carrière publique. Concrètement, l'application aux intérêts des proches de la règle d'exhaustivité et d'exactitude que vos co-rapporteurs proposent d'appliquer aux parlementaires pourrait avoir pour conséquence d'obliger les enfants et les conjoints des membres du Parlement à déclarer à l'auteur initial de la déclaration (c'est-à-dire à leur père ou à leur mère, ou à leur époux ou à leur épouse) les participations financières qu'ils détiennent, l'ensemble de leurs activités, leurs principaux clients ou le montant de leur salaire. Ainsi, M. Guy Carcassonne s'est déclaré opposé à une prise en compte trop étendue et excessivement autoritaire des proches, notamment pour les enfants majeurs des parlementaires, et M. Robert Badinter a estimé, lors de son audition par le groupe de travail, que la déclaration obligatoire de tous les intérêts des proches majeurs des parlementaires était à la fois « absurde et irréaliste » pour les parlementaires et « chimérique et presque blessant » pour les proches. Ce constat est d'ailleurs également celui auquel est parvenu la Commission pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, qui relevait qu'il était impossible d'« exiger du déclarant qu'il ait connaissance d'informations que ses proches ne lui auraient pas divulguées, ni a fortiori [d']exiger des proches de lui en adresser communication ».

Vos co-rapporteurs ont donc jugé que la prise en compte des intérêts des proches, pour indispensable qu'elle soit, devait être régie par des principes moins exigeants que ceux qu'ils ont prévu pour la déclaration des intérêts des parlementaires eux-mêmes.

C'est pourquoi la majorité du groupe de travail a estimé que, si les parlementaires devaient être tenus de déclarer les intérêts de leurs proches (et en priorité leurs intérêts professionnels et financiers), cette obligation ne serait valable que pour autant qu'ils connaissent l'existence des intérêts en cause . Il ne pourra donc pas être reproché à un parlementaire de n'avoir pas déclaré tous les intérêts de ses « proches », sauf si les intérêts non-déclarés sont notoires ou s'il existe une preuve qu'ils étaient connus du parlementaire.

Vos co-rapporteurs ont, en outre, jugé qu'il serait contre-productif qu'une liste précise des personnes qui doivent être considérées comme des « proches » soit établie, puisque cette liste serait par définition limitative et aurait donc mécaniquement pour effet d'exclure des personnes qui, bien que n'ayant pas de lien familial étroit avec le parlementaire, entretiennent avec lui des liens affectifs qui peuvent raisonnablement créer un conflit d'intérêts 82 ( * ) . Ils ont dès lors souhaité que chaque parlementaire puisse librement choisir qui, parmi les personnes qui l'entourent, doit être vu comme étant l'un de ses « proches ».

Cette liberté ne doit toutefois pas être interprétée comme un blanc-seing donné aux parlementaires : ainsi, vos co-rapporteurs ont souhaité fixer un socle minimal pour la déclaration des intérêts des proches.

Selon la majorité de vos co-rapporteurs, les déclarations d'intérêts devraient donc, à tout le moins, retracer :

- les intérêts détenus par les membres du « noyau dur » de la famille (à savoir le conjoint, le partenaire de PACS ou le concubin, ainsi que les enfants à charge). La déclaration ferait alors état, de manière précise (mais toujours dans la limite des éléments dont le parlementaire a connaissance), des intérêts professionnels et financiers des personnes en cause ;

- les intérêts détenus par les ascendants et les descendants majeurs du parlementaire. En vue d'assurer le respect de la vie privée de ces personnes, il semble toutefois nécessaire de prévoir que la description de leurs intérêts ne devra pas être trop détaillée : le parlementaire se bornera donc à indiquer dans quel secteur d'activités ses parents et ses enfants travaillent, mais ne sera pas tenu de préciser quelle est l'entreprise qui les emploie ni de faire état de leurs intérêts financiers.

Proposition n° 14

Intégrer les intérêts des « proches » des parlementaires (et notamment ceux de leur conjoint, de leur partenaire de PACS ou de leur concubin, ainsi que de leurs ascendants et de leurs descendants) à leur déclaration d'intérêts.

d) La forme des déclarations d'intérêts

Enfin, pour garantir que les parlementaires déclarent l'ensemble de leurs intérêts pertinents, le groupe de travail estime que la déclaration pourrait prendre la forme d'un formulaire qui ferait la liste des catégories d'intérêts qui doivent être retracés et que le parlementaire devrait simplement remplir. Cette présentation (d'ailleurs classique en France pour les déclarations complexes 83 ( * ) ) permettra d'éviter que le contenu de la déclaration ne soit soumis à la subjectivité de chaque parlementaire et sera de nature à renforcer la vertu pédagogique de la déclaration.


* 79 À cet égard, on rappellera que les membres du gouvernement ne doivent déclarer les participations financières qu'ils détiennent que si ces dernières sont supérieures à 5 000 euros ou à 5 % du capital de la structure concernée (voir infra).

* 80 En effet, les participations financières détenues par les parlementaires doivent être déclarées au sein de la déclaration de situation patrimoniale, et les activités et fonctions qu'ils exercent doivent être retracées dans la déclaration d'activités.

* 81 De même, un parlementaire exerçant une profession médicale et dont les recherches sont largement financées par un laboratoire pharmaceutique devra, de même, faire état de ses liens avec le laboratoire en cause -ce qu'il n'est, actuellement, pas tenu de faire lorsqu'il souscrit une déclaration d'activités.

* 82 L'établissement d'une telle liste aurait d'ailleurs pour conséquence d'exclure des personnes qui, bien que n'ayant aucun lien familial avec un parlementaire, sont affectivement proches de ce dernier.

* 83 La déclaration de situation patrimoniale s'adosse, elle aussi, à un formulaire régulièrement envoyé aux assujettis par la Commission pour la transparence financière de la vie politique.

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