3. La crise politique

Au cours du premier semestre 2011, la Nouvelle-Calédonie a connu une instabilité gouvernementale inhabituelle, remettant en cause l'un des fondements de l'accord de Nouméa. En effet, le point 2.3 des orientations de l'accord de Nouméa prévoit que « l'Exécutif de la Nouvelle-Calédonie deviendra un gouvernement collégial, élu par le Congrès, responsable devant lui ». Aussi la collégialité, qui renvoie au consensus océanien, est-elle un principe fondateur de l'équilibre défini par l'accord de Nouméa.

La loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie organise par conséquent un gouvernement collégial, élu à la représentation proportionnelle par le congrès. Au-delà du dispositif classique permettant au congrès de renverser le gouvernement par l'adoption d'une motion de censure, elle précise les conséquences de la démission des membres du gouvernement. Ce dispositif a été détourné de son objet initial par une formation politique, afin de bloquer les institutions.

En janvier 2011, des élus de l'Union calédonienne reprochent au président du gouvernement de ne pas être d'accord avec le choix des deux drapeaux, tricolore et du FLNKS, comme emblème de la Nouvelle-Calédonie. Ils considèrent qu'il porte une responsabilité dans l'absence du drapeau du FLNKS au côté du drapeau tricolore au dessus des édifices publics des trois communes précitées.

Le 17 février 2011, les trois membres du gouvernement élus sur la liste présentée par le groupe UC-FLNKS, ainsi que l'ensemble des suivants de cette liste, démissionnent, provoquant la chute du gouvernement, conformément aux dispositions de l'article 121 de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie 18 ( * ) .

Il devait, dès lors, être procédé à l'élection d'un nouveau gouvernement dans un délai de quinze jours, les membres du gouvernement démissionnaire de plein droit devant expédier les affaires courantes au cours de cette période. Toutefois, dès l'élection d'un nouveau gouvernement par le congrès, les représentants du groupe Calédonie Ensemble ont démissionné en bloc pour le faire tomber, dans l'objectif de paralyser les institutions, d'obtenir à terme un décret de dissolution du congrès et de nouvelles élections.

La procédure de constitution du nouveau gouvernement comporte trois étapes :

- la détermination du nombre des membres du gouvernement (article  109) ;

- l'élection du gouvernement (article 110) ;

- l'élection du président et du vice-président (article 115).

Ainsi, par une délibération du 25 février 2011, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a fixé à nouveau à onze le nombre des membres du gouvernement. Un nouveau gouvernement a été élu le 3 mars 2011. Aussitôt après, l'ensemble des membres de la liste présentée par le groupe politique Calédonie Ensemble, à l'exception de M. Philippe Gomes, ont notifié au président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, puis au haut-commissaire de la République, leur démission des fonctions de membre du gouvernement.

Réuni ensuite, le même jour, pour procéder à l'élection de son président et de son vice-président, le gouvernement a élu M. Harold Martin, président du gouvernement et M. Gilbert Tyuienon, vice-président.

Toutefois, la démission collective, le 3 mars 2011, des membres de la liste Calédonie Ensemble a entraîné à nouveau la démission de plein droit du gouvernement et une nouvelle procédure de constitution du gouvernement.

Après avoir fixé à onze l'effectif du gouvernement, les membres du Congrès ont élu, le 17 mars 2011, un nouveau gouvernement.

MM. Harold Martin et Gilbert Tyuienon ont été alors réélus président et vice-président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

M. Philippe Gomes et les autres membres de la liste du groupe Calédonie Ensemble ont alors immédiatement présenté leur démission, provoquant à nouveau, en application de l'article 121 de la loi organique, la démission de plein droit du gouvernement.

Le 1 er avril 2011, pour la troisième fois en six semaines, les 54 élus du congrès se sont réunis pour élire un gouvernement. MM. Harold Martin et Gilbert Tyuienon ont alors été renouvelés dans leurs fonctions de président et de vice-président.

Comme pour les deux gouvernements précédents, la démission des membres de la liste Calédonie Ensemble a entraîné la démission de plein droit du gouvernement.

Un nouveau gouvernement devait en principe être élu dans un délai de quinze jours, soit au plus tard le 16 avril 2011.

Cependant, le 1 er avril 2011, alors que pour la troisième fois en six semaines la démission de l'ensemble des membres d'une liste avait provoqué la démission de plein droit du gouvernement calédonien, le congrès a adopté une résolution demandant « au Gouvernement de la République de proposer au Parlement dans les meilleurs délais possibles, une modification de l'article 121 de la loi organique susvisée du 19 mars 1999 visant à encadrer et à limiter la possibilité de provoquer la démission du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie par démission de l'un ou plusieurs de ses membres » 19 ( * ) . Il a en outre adopté un voeu demandant au président du congrès de ne plus convoquer cette assemblée pour élire le gouvernement, tant que la loi organique relative à l'article 121 n'a pas été adoptée.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a été saisi dès la fin du mois d'avril, selon la procédure d'urgence, d'un projet de loi organique sur lequel il a émis un avis, assorti des opinions de deux groupes constitués en son sein, le 6 mai 2011.

Le Sénat a examiné en séance plénière le 15 juin 2011, le projet de loi organique modifiant l'article 121 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, déposé le 25 mai 2011 20 ( * ) et l'Assemblée nationale l'a adopté sans modification le 29 juin 2011.

Auparavant, réunis en séance extraordinaire, les élus du Congrès ont désigné, le vendredi 10 juin, les 11 membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, à nouveau présidé par M. Harold Martin. Pour la première fois depuis février 2011, ce gouvernement n'a pas été remis en cause par la démission collective des membres d'une liste, M. Philippe Gomes ayant indiqué faire le choix d'une « opposition constructive ».

Vos rapporteurs soulignent que l'idée de faire flotter côte à côte le drapeau tricolore et le drapeau du FLNKS reprend le symbole de la poignée de main de Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, tenant dans leurs mains serrées ces deux drapeaux.

Il s'agit donc d'un symbole fort, qui n'est toutefois pas dépourvu d'ambigüités. La réunion des deux drapeaux peut en effet être difficile à accepter pour certains Calédoniens, qui perçoivent le drapeau du FLNKS, ou drapeau de la Kanaky pour les indépendantistes, comme le drapeau de la lutte menée par le FLNKS, tandis que d'autres perçoivent le drapeau tricolore comme celui de l'ancienne puissance coloniale.

Toutefois, les deux drapeaux flottent aujourd'hui au-dessus des édifices publics, même aux îles Belep, où ne flottait auparavant que le drapeau du FLNKS. Ailleurs, comme l'a expliqué à vos rapporteurs M. Paul Néaoutyine, membre du congrès, président de l'assemblée de la province nord et président du Palika, la levée des deux drapeaux n'est pas véritablement nouvelle, puisque les drapeaux tricolore et du FLNKS flottent côte à côte depuis des années au-dessus des édifices publics de la province Nord.

Ce symbole demeure néanmoins ambigu, puisqu'il paraît figer deux réalités qui se sont longtemps opposées, sans répondre à l'objectif d'un drapeau de la Nouvelle-Calédonie comme le prévoyait l'accord de Nouméa. Il s'agit d'un geste politique fort, d'un geste d'attente avant que la Nouvelle-Calédonie ne choisisse, un jour, de se doter d'un drapeau commun.

Le relevé de conclusions du IXème Comité des signataires, réuni le 8 juillet 2011, a précisé que « Conformément au souhait du congrès, les deux drapeaux tricolore et FLNKS flottent côte à côte, symbolisant l'esprit qui anime l'accord en rapprochant les deux légitimités pour la construction d'un destin commun. Le comité des signataires réaffirme la position arrêtée au cours du VIIIème comité. Il invite les partenaires calédoniens à effectuer, conformément au point 1.5 de l'Accord de Nouméa, un travail de recherche en commun du drapeau exprimant l'identité kanak et le futur partagé entre tous, selon les modalités qu'il leur appartient de définir. Dans l'attente, les deux drapeaux constituent une avancée significative et symbolique de la réconciliation. Tant qu'une solution n'aura pas été trouvée, les deux drapeaux doivent coexister, comme l'a décidé le congrès » 21 ( * ) .


* 18 Aux termes de l'article 121, « Lorsqu'un membre du gouvernement cesse d'exercer ses fonctions, le candidat suivant sur la liste sur laquelle celui-ci avait été élu le remplace. Ce remplacement est notifié sans délai au président du Congrès et au Haut-commissaire, ainsi que, le cas échéant, au président de l'Assemblée de province intéressée. Lorsqu'il ne peut plus être fait application de l'alinéa précédent, le gouvernement est démissionnaire de plein droit et il est procédé à l'élection d'un nouveau gouvernement dans un délai de 15 jours ».

* 19 Résolution n° 132 du 1er avril 2011 relative à la modification de l'article 121 de la loi organique modifiée n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 20 Voir le rapport de M. Christian Cointat fait au nom de la commission des lois, déposé le 8 juin 2011, n° 586 (2010-2011), http://www.senat.fr/rap/l10-586/l10-586.html

* 21 Voir le relevé de conclusions en annexe au présent rapport.

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