Audition de MM. Éric de Labarre, Yann Diraison et Fernand Girard,
responsables de l'enseignement catholique

(25 janvier 2011)

M. Eric de Labarre, secrétaire général de l'enseignement catholique . - « Redécouvrir le sens de la relation contractuelle entre un établissement privé et la puissance publique », estime le Secrétariat général de l'enseignement catholique dans un texte qu'il publiera bientôt, « pour que le contrat ne soit pas seulement un cadre vide donnant accès à des fonds publics ou, pire encore, un acte-condition qui donnerait tout juste le droit de se conformer à ce que l'une des parties exige de l'autre est sans doute un beau défi à relever tant par les pouvoirs publics que par l'enseignement catholique ». A vrai dire, c'est probablement un enjeu qui dépasse le seul enseignement catholique puisqu'il s'agit de refonder l'organisation du système éducatif sur le couple liberté et responsabilité ; liberté fondée sur la confiance dans les équipes éducatives des établissements scolaires, responsabilité qui postule la définition d'objectifs à atteindre et l'évaluation régulière du travail réalisé. La loi Debré de 1959, dans le cadre duquel travaille l'enseignement privé sous contrat, recèle des richesses inexploitées. Elle n'est pas seulement une loi de financement des établissements privés en contrepartie du contrôle de l'État. Pour remplir cet objectif, il aurait suffi de prolonger les circuits de financement mis en place par les lois Marie et Barangé de 1951. La loi Debré met en exergue le contrat d'association, qui peut s'appliquer à toutes les classes, depuis la maternelle jusqu'à Bac+2.

Choisir le contrat, c'est faire reposer la relation entre établissements privés et éducation nationale sur des droits et des obligations réciproques. Les établissements privés doivent accueillir tous les élèves sans opérer de discriminations économiques, politiques ou religieuses et s'engager à respecter les programmes de l'enseignement public. De leur côté, les pouvoirs publics financent les établissements privés sous contrat afin d'assurer « la gratuité de l'acte d'enseignement ». Cela se traduit par des dotations en enseignants qui obéissent à la coutume du 80/20, étant entendu que celle-ci est difficile à mettre en oeuvre en raison de structures très différentes de l'emploi dans les enseignements public et privé sous contrat. Les dépenses de fonctionnement sont, elles, financées via des « forfaits » versés par l'État pour les collèges et les lycées, et par les collectivités territoriales pour le reste. La règle des crédits limitatifs, qui est contraire au principe de la satisfaction du besoin scolaire inscrit dans la loi, nous oblige toutefois à refuser des élèves dans certaines régions. Autre limite, les plans de formation élaborés aux niveaux académique et régional. L'État exerce un contrôle, en reconnaissant à l'établissement privé son caractère spécifique, « son caractère propre » pour reprendre les termes de la loi. Par parenthèse, ce dernier peut prendre une forme purement pédagogique, dégagée de toutes considérations confessionnelles. Ce contrôle porte sur le respect des programmes et du quantum d'heures par discipline, non sur la méthode pédagogique. Celle-ci relève de la responsabilité de l'enseignant et du chef d'établissement. A l'inspecteur d'académie de vérifier, ensuite, la qualité de l'enseignement assuré par chaque enseignant. Du reste, des dérogations sont possibles : prévues dans la loi Debré, elles ont été élargies avec la reconnaissance du droit à l'expérimentation pédagogique à l'article 34 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école de 2005.

Quelles sont nos relations avec les rectorats ? Dans l'ensemble, elles sont plutôt bonnes. Nous observons néanmoins une tentation quotidienne d'administrer directement les établissements privés, de gommer les spécificités des établissements privés. Celle-ci se manifeste par la tentation d'uniformiser les modes pédagogiques, d'imposer des tailles de classe quand leur adaptation aux besoins des élèves paraît souhaitable, par le refus d'ouvrir une section -tantôt parce qu'elle n'existe pas dans l'enseignement public tantôt parce qu'elle existe déjà dans l'enseignement public...- ou encore par des pressions afin que nous fermions des divisions. Les moyens sont contingentés pour tous, ce que nous comprenons parfaitement ; mais n'existe-t-il pas d'autres solutions qui ne passeraient pas par une réduction de l'offre de formation ? En outre, nous regrettons d'être peu associés aux projets et appels d'offre lancés par l'État. Si le Secrétariat général de l'enseignement catholique n'avait pas recensé des besoins de places en internat d'excellence, jamais nos établissements n'auraient été contactés. De la même manière, nous sommes assez peu consultés sur l'élaboration des plans de formation et, donc, des ouvertures de sections.

Quel est le rôle du Secrétariat général de l'enseignement catholique ? Cette structure légère, qui compte une quarantaine de personnes, est une simple tête de réseau, un réseau exclusivement construit sur le principe associatif. Nous n'entretenons aucune relation hiérarchique avec les établissements, non plus qu'avec les responsables départementaux ou académiques de l'enseignement privé et catholique. Nous avons un rôle de représentation, un rôle d'impulsion et, à la marge, de régulation des relations et des intérêts. Pour ce faire, quels sont nos moyens ? La maîtrise du schéma d'emploi d'enseignants, ce qui permet une répartition inter-académique des moyens ; l'élaboration de statuts pour les personnels-clés de l'enseignement catholique -les chefs d'établissement, les personnels de direction diocésaine, les psychologues ; la définition des axes de politique éducative -l'incitation à l'inventivité, à l'expérimentation et à la prise de responsabilité. Dans trois à quatre semaines, nous appellerons d'ailleurs nos responsables à se lancer dans les explorations éducatives.

Quid des communautés éducatives ? Dans nos établissements, elles sont construites sur le mode de la cogestion avec tous les acteurs : chefs d'établissement, enseignants, personnels d'administration et de service, gestionnaires, parents et élèves. Leur logique est celle de la participation, non de la représentation des intérêts, afin d'éviter que les tensions, qui existent dans toute organisation humaine, ne deviennent un facteur de blocage. Un exemple concret : aborder la question de la participation des lycéens en termes de droits et de devoirs génère immédiatement des peurs chez les enseignants. Pour favoriser la prise de responsabilité des lycées, mieux vaut, selon nous, demander aux enseignants d'aider les lycéens à devenir de véritables citoyens dans l'école et dans la classe. La communauté éducative est également organisée autour d'une instance appelée le conseil d'établissement. Celui-ci, à la différence d'un conseil d'administration, est strictement consultatif. Il réunit autour du chef d'établissement tous les représentants des partenaires de la communauté éducative. On y traite de toutes les questions, qu'elles soient économiques, pédagogiques, éducatives ou liées à la sécurité dans l'établissement. La place du chef d'établissement est centrale dans l'organisation de notre système. Véritable animateur, il assume la responsabilité économique : la gestion des ressources humaines et, notamment, le recrutement des personnels de droit privé et des enseignants qui ne peuvent enseigner sans son accord ; et la responsabilité éducative. Un mot des parents. Pour nous, ils ne représentent pas un groupe d'intérêts qui défendraient leurs chers bambins. Individuellement, nous les considérons comme des partenaires de l'acte éducatif, dans le respect du rôle de chacun ; il n'y a pas de séparation entre l'école et la famille, de notre point de vue. Collectivement, ils sont associés au projet éducatif de l'établissement dans tous les domaines, y compris pédagogique pourvu qu'il ne s'agisse pas d'une relation entre un parent et un enseignant mais d'une réflexion d'ensemble. Ce mode de fonctionnement garantit l'harmonie et le dynamisme de nos établissements.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Vous avez évoqué des difficultés dans vos relations avec le rectorat : comment passer de la concurrence entre privé et public à la complémentarité ? La communauté éducative ne devrait-elle pas compter d'autres partenaires ?

M. Yannick Bodin . - Monsieur le rapporteur, évitons de rouvrir de vieux débats sur le « grand service public unifié de l'éducation nationale » dont je fus partisan en 1983... A quel âge accueillez-vous les enfants en maternelle, compte tenu des moyens qui vous sont alloués ? La liberté pédagogique est également une revendication syndicale des professeurs et des établissements publics. En revanche, ceux-ci, contrairement à vous, ont l'obligation d'accueillir un élève de leur secteur et n'ont pas la faculté de renvoyer un élève à cause de ses résultats scolaires. Ancien responsable des lycées à la région Île-de-France entre 1998 et 2004, j'aimerais savoir quel bilan vous tirez des vingt-cinq années de décentralisation ? Vous a-t-elle été bénéfique ? Peut-être l'aveuglement m'empêche-t-il de répondre à cette question car je suis en voie de béatification pour avoir décidé la gratuité des manuels dans toute la région, y compris dans vos établissements.

M. Eric de Labarre . - Monsieur Carle, j'ai pris soin de parler d'une logique administrative d'uniformisation, laquelle fonctionne parfois en dépit de la volonté de ceux qui la mettent en oeuvre... Le mouvement ne me semble pas dirigé spécifiquement contre l'enseignement catholique privé. L'enseignement privé associé appartient au service public de l'éducation, au même titre que l'enseignement public. Je souhaite, comme vous, que la situation que nous connaissons depuis quelque 120 ans, qualifiée de guerre scolaire, prenne fin. Une des solutions, pour y parvenir, est de rapprocher les modes de gestion, de fonder sur l'autonomie des établissements l'organisation générale du système éducatif. Ce dernier devrait compter trois niveaux de responsabilité clairement identifiés : le niveau national et politique, garant de la cohérence du système et de la détermination des objectifs, des programmes, des qualifications nécessaires pour enseigner et des modalités de validation des apprentissages ; le niveau académique et stratégique, chargé du suivi et de l'accompagnement des établissements, de leurs projets et des conventions avec les établissements impliquant l'État, les collectivités territoriales et les tiers acteurs que sont les branches professionnelles et les chambres consulaires ; enfin, le niveau local, le plus essentiel, celui des établissements, qui se construirait sur un projet éducatif piloté par un chef d'établissement. Nous pourrions ainsi gommer les différences de fonctionnement entre établissements publics et privés pour servir, ensemble, l'intérêt général.

S'agissant des acteurs de la communauté éducative, nous ne pensons pas que les collectivités territoriales et le monde professionnel en soient membres ; en revanche, ils en sont des partenaires. Dans nos établissements, l'ouverture sur le monde passe par la présence des parents d'élèves et des gestionnaires. Nos établissements étant pour la quasi-totalité des associations de loi 1901, ce sont souvent des bénévoles qui nous permettent d'équilibrer nos comptes en fin d'exercice.

Si la concurrence n'est pas souhaitable, l'émulation entre les établissements privés et publics et entre les établissements privés me semble l'être. Quant à la complémentarité, elle suscite ma réserve : l'enseignement catholique privé doit participer aux efforts d'une meilleure gestion des deniers publics, mais sa contribution au service public de l'éducation n'a de sens que si nous préservons notre spécificité. Une complémentarité stricte de l'offre de formation ne porterait-elle pas atteinte au principe du libre choix de l'école par la famille ?

Monsieur Bodin, le financement des classes de maternelle est conditionné à l'accord de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), doté de la compétence scolaire. En revanche, les communes ont pour obligation de financer les classes élémentaires, si elles sont sous contrat d'association, dans le cadre du forfait communal. Les postes d'enseignants dédiés à l'accueil des moins de trois ans se réduisant, nous scolarisons de moins en moins ces enfants. Nous avons suivi cette politique décidée par l'éducation nationale.

Concernant l'inscription, les établissements doivent accueillir tous les élèves sans distinction. Cela dit, lors de la rencontre entre le chef d'établissement et la famille ou l'élève, il peut être constaté qu'un travail en commun est impossible et que l'établissement ne répond pas aux attentes des parents. Le choix des élèves par les établissements est une question marginale : nos capacités de formation excèdent les besoins, sauf en Île-de-France, dans les grandes métropoles régionales et dans l'arc méditerranéen. D'où la nécessité de redéployer les moyens entre les territoires.

L'exclusion d'un élève, quant à elle, est décidée à l'issue d'une procédure disciplinaire qui respecte les droits de la défense. Nos textes prévoient un conseil de discipline, ce qui ne signifie pas que tous les établissements les appliquent. De plus, nous demandons à nos chefs d'établissement de ne jamais laisser les enfants à la porte de l'école. L'exclusion, qui doit rester une possibilité car elle représente une sanction symbolique, peut avoir une portée éducative à condition d'être accompagnée : dans de nombreux lieux, il existe des relations entre chefs d'établissements privés et publics pour reclasser les élèves expulsés, d'où qu'ils viennent.

Le bilan de la décentralisation est mitigé. Compte tenu de la légèreté de nos structures locales, la gestion des relations avec les collectivités territoriales et les académies est un défi. Nous n'avons pas les instruments pour être un interlocuteur crédible.

M. Fernand Girard, délégué général du département des relations politiques et internationales . - L'Île-de-France a été exemplaire : il y a eu une concertation, un plan d'action, avec des places offertes à l'apprentissage et des ouvertures dans les zones sensibles, des aides. Sur le reste du territoire, hélas, la coopération avec les collectivités territoriales se limite à ce qu'impose la décentralisation. La discussion sur le montant des forfaits pour les personnels techniciens, ouvriers et de services, et le matériel est parfois difficile. La décentralisation n'efface pourtant pas les lois nationales ! Très peu de régions ont mis en place des conventions d'objectifs et de moyens.

Quel est le rôle du président de région, par rapport à celui du recteur ? Entre déconcentration et décentralisation, les choses ne sont pas claires. Les régions, responsables des schémas de formation, sont dans une relation de subsidiarité au rectorat. En matière d'informatique, de numérisation, le rectorat et la région ne travaillent pas ensemble : aux établissements de se débrouiller... Il faut clarifier les compétences. Nous sommes à mi-chemin entre politique nationale et stratégies régionales. Nos établissements sont encore tenus à l'écart des appels d'offre du rectorat. Il reste beaucoup à faire.

Le projet d'établissement est au coeur des principes d'organisation consacrés par la loi Jospin. Le chef d'établissement est responsable de sa conception, de sa présentation devant le conseil d'administration et de sa mise en oeuvre. Le projet est à la fois la politique d'un établissement et sa gouvernance ; c'est ce qui fait la différence entre établissements. Le système éducatif meurt de ne pas savoir faire vivre les différences, la différence citoyenne. Trop d'uniformité nuit à l'égalité. Le projet d'établissement reste un instrument interne ; il faut un lien avec la stratégie rectorale.

La liberté pédagogique de l'enseignant est entière : il est expert de la transmission du savoir, mais s'inscrit dans une communauté, une équipe. Nous avons développé les fonctions intermédiaires - un enseignant peut être responsable de secteur, de filière, du partenariat avec les entreprises, des relations internationales - pour encourager une gouvernance équilibrée et une dynamique d'ensemble.

Nos expérimentations s'inscrivent dans le cadre de la personnalisation de l'enseignement et des parcours de formation, avec par exemple « L'école de toutes les intelligences ». Nous développons l'apprentissage, du certificat d'aptitude professionnelle au master ; là où les régions nous ont accompagnés, les résultats sont sensibles. Il faut moderniser l'image de l'apprentissage, qui ne doit pas être réservé aux élèves en échec !

En matière d'orientation, notre comité national a voté un texte visant à développer des équipes au niveau académique, départemental et dans les établissements. Il s'agit de dynamiser la présentation et la découverte des métiers et des formations.

En matière d'enseignement spécialisé, nos lycées ont accueilli 9 % d'élèves handicapés de plus d'une année sur l'autre. Nous avons beaucoup fait pour intégrer des élèves handicapés dans nos lycées professionnels. Nous expérimentons l'accueil d'élèves autistes en maternelle, en lien avec l'hôpital Robert Debré. Nous développons également les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), ainsi que le dispositif d'initiation aux métiers en alternance (DIMA).

Pour renforcer le lien entre lycée et enseignement supérieur, nous proposons un parcours intégré, de bac - 3 à bac + 3. Le bac + 2 est une exception française ; grâce aux crédits européens, nous pouvons aller jusqu'à bac + 3. L'enseignement supérieur concerne cinq cents lycées et 55 000 élèves.

Nous développons les relations avec le monde économique. La place des entreprises dans nos lycées professionnels est importante et reconnue ; elles contribuent à définir les objectifs de formation, la pédagogie. Je regrette que les lycées professionnels privés aient été oubliés lors de la constitution des pôles de compétitivité...

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Pas chez moi !

M. Fernand Girard . - Je m'en réjouis.

Dans les « écoles de production », qui accueillent les élèves en grande difficulté scolaire, l'enseignement est pour un tiers théorique, pratique pour les deux tiers. Enfin, l'organisme « Au service de la profession », qui travaille avec les entreprises, a développé mille projets, financés par la taxe d'apprentissage, pour des projets d'entreprise.

Mme Françoise Cartron, présidente . - Comment les proviseurs recrutent-ils les enseignants ?

M. Yann Diraison, délégué général du département des ressources humaines. - Gestion interne et gestion de l'administration se croisent. En bout de chaîne, c'est le recteur qui nomme les enseignants, mais il lui faut l'accord formel du chef d'établissement. Les nominations sont prétraitées par une commission de l'emploi, qui est paritaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - À quel niveau se font les nominations ?

M Yann Diraison. - Au niveau académique pour le second degré, au niveau départemental pour le premier degré, sachant que ce dernier tend à être géré également au niveau de l'académie.

Mme Françoise Cartron, présidente . - Comment mesure-t-on l'adhésion de l'enseignant au projet d'établissement ?

M Yann Diraison. - Le chef d'établissement reçoit systématiquement le candidat qui lui est proposé : c'est lors de ce dialogue que se noue un contrat moral autour du projet d'établissement.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Qui propose le candidat ?

M Yann Diraison. - La commission de l'emploi étudie les demandes de mutations, par exemple pour impératifs familiaux, sachant qu'il n'y a pas de système de points comme dans le public.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page