Mercredi 18 mai 2011

M. Christian Charpy,
directeur général de Pôle Emploi

____

M. François Patriat , président . - Merci aux sénateurs présents aujourd'hui, après la journée dense que nous avons passée hier à Orléans où nous avons rencontré autorités préfectorales de région et département, maires, représentants de chambres consulaires et syndicats patronaux.

Monsieur Charpy, nous attendions avec impatience votre audition pour en savoir davantage sur la manière dont la RGPP affecte Pôle emploi et son activité. D'autant plus que le ministre du budget a déclaré, il y a une quinzaine de jours, que la règle du « un sur deux » s'appliquera demain aux grands opérateurs publics que sont Météo France, le CNRS et Pôle emploi. Pouvez-vous dresser un bilan de la fusion des Assedic et de l'ANPE ? Quelles sont vos perspectives ?

M. Christian Charpy, directeur général de Pôle Emploi . - Merci de cette invitation.

Commençons par rappeler que la création de Pôle emploi à partir de la fusion des Assedic et de l'ANPE est intervenue avant le lancement de la RGPP, une politique avec laquelle elle partage l'objectif de modernisation du service public. Après deux ans et demi d'existence, le temps est venu d'un bilan. Je me suis livré à cet exercice devant le Conseil économique, social et environnemental il y a deux mois et j'ai également été auditionné par la mission d'information de votre Haute assemblée.

Pôle emploi fonctionne, bien que la fusion n'ait pas été chose facile. De fait, il a fallu absorber le choc du rapprochement de deux établissements aux statuts, missions, comptabilité et personnels différents alors qu'explosait le chômage durant l'été 2008. Pour m'en tenir à quelques chiffres, le choc de la crise a signifié 100 000 chômeurs supplémentaires durant notre premier mois d'existence et, depuis août 2008 jusqu'à aujourd'hui, plus de 800 000 demandeurs d'emplois à inscrire, indemniser et accompagner.

Cette réorganisation poursuivait deux objectifs. Premièrement, simplifier l'accès au service public de l'emploi. Dès la première année, nous avons fusionné les plates-formes téléphoniques avec un numéro de téléphone unique : le 3949. Plus de 80 % des appels sont décrochés dans la minute suivante sur 500 000 appels par jour, dont deux tiers sont traités par service vocal interactif et un tiers par nos 2 000 conseillers présents dans les plates-formes téléphoniques régionales. Depuis le 2 janvier 2009, il existe un site unique -pole-emploi.fr-pour tous les services, de l'inscription jusqu'au placement. Quelque 27 millions de visiteurs s'y rendent par mois, surtout pour les questions de retour à l'emploi. Désormais, les 950 agences de Pôle emploi offrent tous les services, contre 650 antennes des Assedic consacrées uniquement à l'indemnisation et 900 sites de l'ANPE pour le seul placement. Dans les deux cas, les usagers y ont donc gagné en proximité. Leur mise en place en 2009 a nécessité relogements, déménagements et restructurations. L'affaire a été complexe avec un système de front office et de back office , mais le tout était transparent pour les demandeurs d'emploi : le guichet était désormais unique. Fort d'un programme de restructuration immobilière, nous reverrons dans les quatre à cinq années à venir l'intégralité de nos installations. Entre 90 et 95 % des dossiers d'indemnisation sont traités au moins dans les quinze jours, le délai moyen de traitement étant d'un jour à un jour et demi par dossier. L'essentiel est qu'il n'y ait pas eu de retard. Bref, nous avons rempli l'objectif de simplification avec succès, bien que des progrès restent à faire.

Deuxième objectif de la fusion : renforcer l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Malgré l'augmentation des effectifs de 5 000 personnes, les moyens n'étaient pas à la hauteur pour suivre 35 à 45 % de personnes supplémentaires. D'où la concentration des efforts sur certaines phases de l'accompagnement et certains publics. Nous avons mis l'accent sur l'inscription et les entretiens à partir du quatrième mois jusqu'au retour à l'emploi. Toutefois, la charge de travail demeure lourde : il était prévu un conseiller pour 60 personnes dans la convention tripartite, la moyenne est d'un conseiller pour 100 personnes, ce qui est loin de refléter la situation de certains agents... En revanche, est réservé un conseiller pour 60 demandeurs d'emploi dès lors qu'il s'agit de personnes qui ont signé un contrat de transition professionnelle ou une convention de reclassement personnalisé -soit, environ 120 à 130 000 personnes en 2010- dans le cadre d'un licenciement économique ou les publics loin de l'emploi. Reste que, d'après l'enquête de l'Inspection générale des finances remise au ministre il y a deux ou trois mois, notre niveau d'accompagnement -le nombre de participants au service public de l'emploi rapporté au nombre de demandeurs d'emploi- est nettement inférieur à celui des Allemands et moins bon que celui des Britanniques.

M. François Patriat , président . - Pouvez-vous préciser ?

M. Christian Charpy . - A considérer les quatre missions du service public de l'emploi, la France est plus productive en matière d'inscription et d'indemnisation, consacre davantage d'agents au service aux entreprises -10 % du temps des agents en France contre 4 % en Allemagne et au Royaume-Uni, un fait peu connu !- ; en revanche, Pôle emploi est deux à trois fois moins doté que ces deux voisins européens en matière d'accompagnement. Question de choix ! L'accompagnement sera un sujet important de la nouvelle convention tripartite à signer avant la fin de l'année.

En 2010, Pôle emploi a connu d'importantes transformations. Je pense au transfert aux Urssaf du recouvrement des assurances chômage, sauf celles des intermittents du spectacle et des expatriés, ce qui a entraîné le reclassement de 1 300 personnes -je crois- dans de bonnes conditions. En avril 2010, conformément aux préconisations du sénateur Carle dans son rapport, nous avons également récupéré l'intégralité des fonctions et des 900 personnels de l'association pour la formation professionnelle des adultes (l'AFPA) -psychologues du travail et techniciens d'orientation.

J'en viens au budget de Pôle emploi. Par la convention tripartite, l'État s'est engagé à verser une dotation annuelle de 1,36 milliard ; l'Unedic, quant à elle, a été contraint de verser au moins 10 % du produit de ses contributions d'assurance chômage. La première année, nous avons ainsi fonctionné dans de bonnes conditions budgétaires, malgré un déficit comptable dû essentiellement à la reprise d'engagements sociaux de l'Unedic. En revanche, 2011 sera encore plus tendu que 2010. De fait, les contributions de l'État pour frais de gestion, notamment 90 millions pour le versement de l'allocation de solidarité spécifique, ont disparu ; en outre, la reprise des personnels de l'AFPA ne s'est pas accompagnée d'une dotation complémentaire, bien que cette fusion représente une économie de 70 millions pour l'État en année pleine. Des efforts de synergie et de modernisation sont donc nécessaires sur les achats, l'immobilier et les frais de fonctionnement. Nous y travaillons d'autant que les frais de gestion augmentent à mesure que s'alourdit la charge de travail. Plus de demandeurs d'emplois signifie des coûts d'affranchissement plus importants ; davantage d'employés imposent des achats de matériels informatiques et des espaces de bureau pour les accueillir...

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les demandeurs d'emploi et les entreprises trouvent-ils leur compte dans la fusion des Assedic et de l'ANPE ? Quels indicateurs utilisez-vous pour mesurer leur satisfaction ?

Ensuite, les effectifs. Aujourd'hui, la moyenne est plutôt d'un conseiller pour 100 personnes que le chiffre prévu d'un conseiller pour 60 personnes. Comment interprétez-vous les récentes déclarations du ministre Baroin sur l'application de la règle du « un sur deux » à Pôle emploi ?

Quid des maisons de l'emploi ? L'État s'est engagé pour au moins trois ans à les financer, mais demande aux collectivités territoriales de mettre la main à la poche. Nous sommes inquiets pour l'avenir. A terme, cela ne se traduira-t-il par un transfert de charge vers les collectivités, en particulier les EPCI ?

Enfin, quel avenir pour les missions locales ? D'aucuns affirment qu'elles ont moins de raison d'être. Est-il trop tard pour envisager leur fusion avec Pôle emploi ? Quelles seraient les conséquences pour les collectivités territoriales qui les financent largement ?

M. Christian Charpy . - Pour mesurer la satisfaction des usagers, nous lançons chaque année une vague de questionnaires et avons entrepris une grande consultation sur internet à l'automne dernier. Les résultats de ces enquêtes sont cohérents, quoique celle menée sur internet me semble plus instructive car les usagers répondent à froid, et non sitôt après la rencontre avec le conseiller. Cette enquête, dont les résultats sont moins favorables, a porté sur 500 000 demandeurs d'emploi, qui avaient accepté de nous communiquer leur adresse de messagerie électronique. Son but était de mesurer la satisfaction globale vis-à-vis de Pôle emploi, puis envers les services que nous proposons, le sentiment ou non d'une amélioration pour les personnes inscrites avant la fusion et, enfin, l'identification des freins à l'emploi. Environ 65 % des personnes interrogées ont une opinion positive de Pôle emploi, ce qui n'est pas un mauvais score pour une maison qui a la réputation de ne pas répondre à la demande. Quelque 80 % se déclarent satisfaites de l'indemnisation, 55 % du placement. Cela paraît logique quand le public sondé n'a pas retrouvé d'emploi. En outre, la satisfaction croît avec la durée d'usage de nos services entre le troisième mois et le douzième mois avant de diminuer, sans doute en raison de la lassitude Les ateliers autour de l'écriture du CV et les bilans de compétentes sont jugés utiles. En revanche, le taux de satisfaction des entreprises est de 66 %, ce qui me semble faible par rapport au chiffre attendu de 80 à 90 %. Pôle emploi n'est peut-être pas assez proactif lorsque surviennent des difficultés de recrutement. Cela constitue, pour nous, une alerte sérieuse. Globalement, le service public de l'emploi a mauvaise presse dans tous les pays : en Allemagne, le taux de satisfaction est compris entre 23 et 25 %. La France se classe au deuxième rang.

J'en viens aux effectifs. Nous avons recruté 1 840 personnes durant l'été 2009 et 1000 personnes fin 2009. L'heure est aujourd'hui aux réductions de postes : l'État demande la suppression de 1 800 emplois, dont 1 500 CDD et 300 CDI. Un message difficile à faire passer... Nous nous sommes engagés à tenir cet objectif fin 2011. Cela a-t-il un rapport avec la RGPP ? Non, car je suis le seul fonctionnaire de cette maison dont 80 % des personnels sont des agents de droit privé. En outre, Pôle emploi n'est pas, au sens juridique, un opérateur public puisque l'État le finance seulement un tiers de son budget, l'essentiel des ressources provenant des partenaires sociaux. Cette réduction des effectifs de 1 800 personnes correspond aux personnes autrefois chargées du recouvrement des assurances chômage, compétence transférée aux Urssaf. Comme vous, j'ai pris note des déclarations de M. Baroin. Nos personnels ne sont ni fonctionnaires ni agents publics, du moins pour la plupart d'entre eux. Néanmoins, en tant qu'opérateur public, nous devons contribuer à la réduction des effectifs. Avec une population jeune du fait de nombreux recrutements, le nombre de départs à la retraite est évalué à un chiffre compris entre 600 et 800 par an.

Quid des engagements financiers de l'État envers les maisons de l'emploi ? Je ne saurais répondre à cette question. En revanche, je puis vous dire que leur cahier des charges met aujourd'hui l'accent moins sur l'accompagnement que les diagnostics territoriaux et l'animation et que leurs crédits ont diminué entre 2010 et 2011. Pôle emploi contribue aux maisons de l'emploi, dont il est membre de droit, par la mise à disposition de services ou notre installation dans leurs locaux. En revanche, nous ne leur apportons pas de financement direct. Une telle solution me semble difficilement imaginable.

L'avenir des missions locales ? Elles accompagnent les jeunes pour monter un projet de vie, résoudre les problèmes de santé, de logement ou encore d'insertion sociale, qui ne relèvent pas de la compétence de Pôle emploi. La logique est à la complémentarité, non à l'absorption. Il y a un an et demi, nous avons signé un accord-cadre définissant les conditions dans lesquelles nous leur adressons des jeunes demandeurs d'emploi, environ 200 000 par an, contre versement d'une contribution financière.

Mme Catherine Deroche . - Les mesures de simplification administrative demandées aux entreprises impactent-elles Pôle emploi ? Si oui, dans quels domaines ? Comment avez-vous procédé à l'harmonisation entre les personnels issus de l'ANPE et ceux des Assedic ? Dans la fonction publique, les gains de productivité obtenus grâce à la RGPP ont profité aux agents. En pratique, comment s'est traduite la mise en place d'un interlocuteur unique pour les demandeurs d'emploi ? Enfin, quels sont leviers pour adapter les effectifs aux évolutions de la conjoncture économique et aux disparités régionales ?

M. Christian Charpy . - Nous avons fortement contribué aux mesures de simplification administrative par l'unification du recouvrement des contributions obligatoires au sein des Urssaf. Ensuite, nous expérimentons la dématérialisation de l'attestation employeur, exigée en cas d'inscription, dans une région, avant de l'étendre à tout le territoire. Cela simplifiera la vie des entreprises, comme la nôtre. Concernant les déclarations de cotisations sociales, nous participons également au groupement d'intérêt public « Modernisation des déclarations sociales » (GIP-MDS). De son temps, l'Unedic avait mis en place un programme « déclaration nominative des assurés », abandonné du fait de la fusion. Pour le reste, nous ne sommes pas impactés directement.

Une question délicate que l'harmonisation des statuts avec 30 000 salariés de droit public et 15 000 salariés de droit privé régis par une convention collective. La loi prévoyait une convention collective de droit privé, qui s'appliquerait à tous les anciens agents de droit privé, et une possibilité d'option pour les agents de droit public. Deux éléments ont compliqué les négociations. D'après la loi, les partenaires sociaux avaient la charge de fixer la date-limite pour la signature de la convention -la règle classique impose un délai de 15 mois, ce qui constitue une forte incitation. Autant demander aux syndicats de signer leur arrêt de mort ! Nous avons finalement retenu 18 mois de négociations. Autre annonce publique, l'harmonisation devait conduire à prendre le meilleur des deux statuts. Soit, mais globalement ou section par section ? La différence de rémunération était de 25 %. La convention collective, signée fin novembre 2009, a entériné l'harmonisation vers le haut des salaires, ce qui a incité les agents de l'ANPE à opter pour le nouveau statut. Pour ce faire, ils avaient deux ans. Fin 2010, ils étaient 57 % à avoir utilisé leur droit d'option ; aujourd'hui, nous en sommes environ à 64 %. Au total, 80 % des personnels de Pôle emploi sont aujourd'hui de droit privé. Enfin, nous avons tenu un dialogue social intense sur le temps de travail, la mutuelle, la prévoyance ou encore les accords seniors.

Lors de la fusion, je croyais peu à un interlocuteur unique, car l'indemnisation et le placement sont deux métiers différents. A l'automne 2009, nous y avons renoncé car cette solution présentait davantage de problèmes qu'elle n'en résolvait. Il existe aujourd'hui un système à trois étages : le socle commun de compétences sur l'indemnisation et le placement, l'expertise professionnelle concernant l'intermédiation -la relation entre entreprise et demandeur d'emploi- ou la gestion des droits ; et, enfin, pour les agents qui le souhaitent, l'acquisition de compétences dans les deux métiers. Pôle emploi a besoin de 25 à 30 % de ces agents doubles pour ajuster les effectifs et garantir la pérennité du service de l'emploi, notamment dans les zones rurales. Ce système semble satisfaire les personnels. Enfin, durant la première partie de la fusion, nous avions gardé deux entretiens : d'une part, l'inscription administrative et l'indemnisation ; d'autre part, le diagnostic professionnel. Depuis le début de l'année, 150 sites sur 950 pratiquent l'entretien d'inscription et de diagnostic unique. L'expérimentation sera généralisée à la fin de l'année.

Enfin, l'adaptation des effectifs à la conjoncture économique et locale est la question la plus complexe. Au plan national, tout dépend de l'État et du conseil d'administration, ma marge de manoeuvre est donc nulle, si ce n'est que je peux recruter des CDD en cas de signature d'un contrat de transition professionnelle. Pour réajuster les effectifs selon les régions, nous mesurons la charge annuelle de travail. L'option du licenciement étant exclue et les déménagements toujours difficiles, le lissage des effectifs s'opère sur deux ou trois ans. C'est un véritable casse-tête pour les directeurs régionaux.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Quel rôle a joué Pôle emploi dans l'accompagnement et la reconversion des territoires frappés par la réforme des cartes hospitalière, judiciaire et militaire ?

M. Christian Charpy . - En ce domaine, Pôle emploi n'a pas eu d'actions ciblées. Pour autant, ses directeurs régionaux participent aux groupes de travail formés par la préfecture.

A propos de carte, il existe également un schéma des implantations pour l'emploi. Lors de la création de Pôle emploi, nous avions confié à Bernadette Malgorn, alors secrétaire générale du ministère de l'intérieur et membre du conseil d'administration, un rapport à ce sujet avec deux objectifs : plus de 80 % des demandeurs d'emploi à moins de 30 mn d'une agence et aucune suppression dans les zones urbaines sensibles. Nous avons présenté le schéma des implantations pour l'emploi au conseil d'administration en septembre 2010. Avec celui-ci, 95 à 97 % des demandeurs d'emploi sont à moins de 30 km d'une agence si bien que le nombre d'agences a plutôt crû : création d'agences dans les territoires vierges -Doubs ou à Concarneau en Bretagne ou encore à Dole-, suppression d'agences dans les agglomérations. Pour exemple, Nantes compte dix ou onze agences quand six ou sept suffisent.

M. Didier Guillaume . - Je crains un transfert des maisons de l'emploi vers les collectivités territoriales. A mon sens, cela placerait les élus en difficulté : ils ne sont pas compétents en ce domaine.

Je salue la qualité de vos directeurs régionaux et de vos personnels. Cependant, je m'interroge sur les effectifs : on nous alerte souvent sur l'insuffisance des moyens de Pôle emploi face à l'accroissement du stock de chômeurs en raison de la crise. Mon département de la Drôme compte aujourd'hui 32 000 chômeurs et 13 000 allocataires du RSA. La cohésion sociale passe par l'accès au service public de l'emploi.

Enfin, de nombreux chefs d'entreprise se plaignent : « On veut recruter, mais Pôle emploi n'est pas en mesure de nous fournir des collaborateurs. »...

M. François Patriat , président . - D'où le système boostemploi ...

M. Didier Guillaume . - Certes, mais il relève des collectivités ! Quelles expérimentations mettre en place pour une meilleure adéquation entre la liste des demandeurs d'emploi et les besoins des entreprises ?

M. Christian Charpy. - Les maisons de l'emploi ont été créées par la loi de cohésion sociale de 2005 -Pôle Emploi n'existait pas. Il s'agissait dans l'esprit du ministre d'impliquer les collectivités territoriales dans la politique de l'emploi et d'engager une synergie entre l'ANPE et les Assedic, sans aller jusqu'à une fusion alors jugée trop coûteuse. Fallait-il maintenir ce dispositif ? Les parlementaires ont pris cette décision.

Si les administrations sociales participent au diagnostic territorial, le développement économique et la formation sont de la compétence des intercommunalités et des régions. Bien des collectivités territoriales ont des services emploi.

La fusion, avec son lot de déménagements, de nouveaux systèmes informatiques et de stress, a impacté les conditions de travail. Beaucoup de choses ont déjà été rectifiées, mais la situation reste complexe, et le métier difficile. L'écart est cependant assez fort entre le ressenti des agents et l'expression des organisations syndicales. J'entends dire que les plateformes téléphoniques sont des usines anonymes, avez-vous perçu cela lors de votre visite en Ile-de-France ? Les conditions de travail sont meilleures dans les nouvelles agences. J'espère que l'éclaircie sur le front de l'emploi se confirmera.

Reste qu'il faudra réaliser des choix de priorité. Si l'on s'occupe d'abord de ceux qui sont le plus près de l'emploi, on pourra ensuite s'occuper mieux des autres. D'autres considèreront que les premiers ont moins besoin de nous, qu'il faut tout de suite se concentrer sur ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi, et qui demandent plus d'accompagnement. Faut-il mieux segmenter les demandeurs d'emploi ? Le conseil d'administration n'est pas unanime.

Nous interrogeons les entreprises sur leurs projets de recrutement et sur leur sentiment de la difficulté à les réaliser. Certes, 40 % anticipent des difficultés, mais la plupart des recrutements sont le fait de PME qui n'ont pas de service du personnel. En outre, le taux d'emplois vacants en France, entre 0,3 et 0,4 %, se compare avantageusement au 1,7 % de l'Union européenne et aux 2,2 % constatés en Grande Bretagne.

Vous évoquez le débat sur les métiers en tension. Il n'y pas de cuisiniers au chômage, ni de maçons. Il faut donc inciter des demandeurs d'emploi à se reconvertir. Or notre système invite, il ne contraint pas. Il convient de revaloriser l'image de ces professions, comme l'a fait le bâtiment, de les faire redécouvrir. Les entreprises doivent aussi accepter de recruter d'autres personnes. Quand le président de Synhorcat dit que nous ne trouvons pas de candidats qualifiés, c'est qu'il n'y en a pas. Il n'y a pas d'autre solution que d'en former et de recruter en alternance. Nous avons aussi une méthode de recrutement par simulation : on l'a fait à Béziers pour les gens qui font décoller les avions sur les bâtiments de la marine nationale.

M. Raymond Couderc . - Ça continue...

M. François Patriat , président. - C'est aux professionnels qu'il appartient de rendre les métiers plus attractifs, et d'abord par de meilleures rémunérations -la TVA... Je pense à la métallurgie, à Metal' Valley qui offre 250 emplois commençant à 1 500 euros et offrant des plans de carrière à 30 ans et plus : nous sommes forcés de mettre en place des formations ! Quel écart entre la vision d'un directeur général, au niveau national, et celle que j'ai sur le terrain ! Les agents me disent qu'ils n'y arrivent plus, que ce n'est plus possible ; sans notre aide, assurent les directeurs régionaux, il n'est pas possible d'organiser la semaine pour l'emploi. Oui la conjoncture est difficile, mais je ne retrouve pas votre description sur le terrain. Où sont les 70 % de satisfaits quand lundi, à l'anniversaire des missions locales, on découvre qu'elles regorgent de travail parce que Pôle Emploi n'a pas les moyens de ses missions ?

M. Christian Charpy. - Avec 800 000 chômeurs de plus à suivre qu'en 2008 et seulement 5 % d'effectifs en plus, il y a forcément plus de dossiers par personne.

M. François Patriat , président . - Est-ce le moment, malgré l'embellie ? La Bourgogne a perdu 23 000 emplois en 2 ans, dont 10 000 emplois industriels.

M. Alain Houpert . - A cause des 35 heures !

M. François Patriat , président . - Il y a 50 agents de plus pour 23 000 chômeurs.

M. Christian Charpy. - Les effectifs sont fixés en loi de finances. La transformation du recouvrement a permis de remettre 1 000 personnes sur le terrain.

Comment attirer les jeunes sur les métiers en tension ? Peugeot a recruté 2 000 jeunes en contrat de professionnalisation, 30 à 40 % ont arrêté au bout d'un mois. Nous avons la responsabilité de les accompagner, de les motiver, et nous devons continuer à travailler.

Il est logique que les directeurs régionaux se rapprochent des régions pour les formations. C'est le cas en Bourgogne comme en Rhône-Alpes car, quand nous formons 120 000 à 130 000 demandeurs d'emploi, les régions en forment deux à trois fois plus. Une coordination est utile comme elle l'était avec les départements sur le RMI -les quelque 60 avec lesquels nous avions contracté finançaient 600 emplois pour s'occuper de l'insertion ; une cinquantaine d'entre eux continuent de le faire, mais le nombre d'agents ayant diminué d'un tiers, je suis contraint à un service de base. Dans une entreprise de service comme la nôtre, remettre dans le réseau 7 à 8 % des fonctions support n'est pas à la hauteur de ce qui est nécessaire.

M. François Patriat , président . - L'Etat a décidé de supprimer l'allocation pour les chômeurs en fin de formation, ce qui représente 8 millions pour la région.

M. Christian Charpy. - Nous avons, le 1 er janvier, remis une rémunération de fin de formation, rétroactive à compter du premier janvier. C'est un peu moins généreux, mais il y a quelque chose pour eux comme pour les chômeurs non indemnisés.

M. Alain Houpert . - Au risque d'être iconoclaste, je constate que la fusion n'a pas été efficace. A Dijon, les employés me disent qu'ils passent leur temps à maquiller les chiffres, à trafiquer les dates. C'est fortement décevant.

M. Christian Charpy. - Nos contrôles internes permettent de vérifier que les statistiques ne résultent pas de telles situations. Nous essayons de les réduire, avec succès d'ailleurs.

Pôle Emploi collecte 3,3 millions d'offres d'emploi pour assurer le recrutement de 3 millions de personnes par an. Nous assurons entre 16 et 18 % du marché de l'embauche et 38 % pour les offres supérieures à un mois. Les entreprises d'intérim représentent 50 000 embauches en CDD ou en intérim. Nous restons le principal intermédiaire de l'emploi.

M. Alain Houpert . - Les candidatures spontanées sont plus efficaces.

M. Christian Charpy. - Avec 3 millions d'offres pour 3 millions de demandeurs, nous ne pouvons proposer plusieurs emplois à chacun. Nous assurons la transparence du marché de l'emploi ; nous accompagnons les demandeurs dans leur recherche (les Allemands et les Britanniques ont deux fois moins d'offres) ; enfin, nous améliorons leur employabilité.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie de vous être prêté à nos nombreuses questions.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page