2. La réforme des collectivités territoriales
a) Une rupture : la limitation de la clause de compétence générale

Nous sommes au temps de la décentralisation-projet, pluridimensionnelle, prospective, partenariale et contractuelle. Qu'il s'agisse de l'aménagement, du logement, de l'environnement, de l'économie, du social ou du culturel...

Enfermer l'exercice des compétences de la région et du département dans un cadre d'exclusion, c'est aller à l'encontre de la vie pratique, des nécessaires mobilisations de toutes sortes, de l'efficacité économique et sociale.

La méthode retenue ne s'avère-t-elle pas, une nouvelle fois, en contradiction avec les principes de libre administration, de subsidiarité (en vertu duquel chaque collectivité a vocation à gérer ses propres affaires relevant d'un intérêt public local) !

La clause générale de compétence n'est-elle pas consubstantielle à la notion même de collectivité territoriale - par opposition à l'établissement public ? Lorsque la région devient collectivité territoriale en 1982, elle est dotée de la clause générale de compétence.

Votre rapporteur a ainsi plaidé sans succès pour des compétences obligatoires, non exclusives, pour des raisons de principes, de pratiques et d'expériences.

Il a regretté que le rapport d'Yves Krattinger et de Jacqueline Gourault 137 ( * ) n'ait pas reconnu explicitement cette thèse qui n'est finalement qu'une version du « chef de file ».

Preuve de l'extrême sensibilité de la question : le débat ne sera finalement tranché qu'en 2015 ; le Gouvernement a choisi... d'attendre. Il serait fâcheux qu'on élise en 2014 des conseillers territoriaux sans connaître leurs compétences !

b) Une innovation contestée : le conseiller territorial
(1) Des griefs politiques

Le Président de la République, estimant que nous avions trop de niveaux de collectivités territoriales, souhaitait - sans le dire explicitement - supprimer le département. Voeu difficile à réaliser étant donné la forte représentation parlementaire des « départementalistes » ; toute sensibilités confondues, il n'existe pas de majorité pour aller dans le sens présidentiel.

D'où l'idée du conseiller territorial, siégeant tout à la fois au département et à la région, que l'exposé des motifs de la loi du 16 décembre 2010 justifie en ces termes : « L'objectif est simple : faire confiance à un élu local, au plus près de la réalité des territoires, pour clarifier les compétences et les interventions des départements et des régions et organiser leur complémentarité. Ce nouvel élu développera à la fois une vision de proximité du fait de son ancrage territorial et une vision stratégique en raison des missions exercées par la région. Sa connaissance du mode de fonctionnement des structures des deux collectivités, de leurs compétences respectives et de leurs modalités d'interventions juridiques, techniques et financières, lui permettra tout naturellement de favoriser une articulation plus étroite de leurs interventions respectives afin d'éviter les actions concurrentes ou redondantes sur un même territoire ».

Cet élu hybride, à deux têtes, cumulant les fonctions, a été contesté pour les motifs suivants : il réduit la parité à l'assemblée régionale, il conduit à une confusion entre la région et le département. Il lui a également été reproché d'appauvrir la démocratie : hier en élisant les conseillers régionaux, les citoyens participaient à la désignation du président.

Certains s'interrogent : Assisterons-nous à la « cantonalisation » de la région alors que nous avons besoin d'une « région stratégique », s'investissant dans un futur fait de développement et de projets ? Les conseils régionaux ne risquent-ils pas d'être paralysés, divisés entre intérêts départementaux opposés ?

Pour ses opposants, il est difficile de prétendre que le conseiller territorial aura « plus de pouvoir » alors que les moyens financiers de nos collectivités territoriales diminuent.

Au final, la perception du conseiller territorial a introduit une véritable rupture au sein des parlementaires comme à l'intérieur des différentes associations d'élus. La Mission Belot n'en avait d'ailleurs pas retenu le principe.

Verrons-nous un déclin de la proximité avec ses solidarités sociales et territoriales ?

Assisterons-nous à un déclin du département, celui-ci devenant un service d'administration sociale de l'État, sans moyen pour faire vivre une autonomie financière et fiscale limitée ?

Une autre critique a été émise : le conseiller territorial siégeant tout à la fois au conseil général et au conseil régional, il y aurait atteinte aux principes de « libre administration » et de « non-tutelle » d'une collectivité sur une autre.

Les arguments d'appui ne manquent pas. Notre tradition institutionnelle - et la doctrine juridique - définissent la collectivité territoriale par un ensemble de composantes : une population, un territoire, un conseil élu, une libre administration, des compétences et un pouvoir réglementaire.

Chaque collectivité doit disposer d'un conseil qui lui soit propre afin d'exercer pleinement ses compétences et de définir ce qui relève de son intérêt, un intérêt qui diffère de celui des autres collectivités.

Le conseiller territorial ne favorise-t-il pas le conflit d'intérêt, ne limite-t-il pas la libre administration de la région et du département ? La solidarité départementale des conseillers territoriaux d'un département ne l'emportera-t-elle pas au sein de la région ou contre le département le moins représenté ? 138 ( * )

Dernière remarque des opposants : avec le conseiller territorial nous allons incontestablement vers une professionnalisation de la fonction et une mise en cause de la représentation des différentes catégories professionnelles, représentation déjà inégalitaire.

(2) Des griefs d'ordre juridique non retenus par le Conseil Constitutionnel

Les parlementaires socialistes défèrent la loi de réforme des collectivités territoriales devant le Conseil constitutionnel le 22 novembre 2010.

Ils formulent six griefs concernant la procédure, le mode de scrutin, les métropoles, la clause générale de compétence, les financements des partis politiques et le conseiller territorial.

Voici le principal de l'argumentaire relatif à ce dernier grief 139 ( * ) .

La loi confie deux mandats distincts à une même personne qui va devoir remplir des fonctions de conseiller régional et de conseiller général, tenue donc de défendre tout à la fois l'intérêt de la région et de son département.

Or il peut arriver que ces deux intérêts soient divergents : on ne peut confier à une même personne d'assumer la défense de l'un sans que cela se fasse au détriment de l'autre. Il y a entorse au principe de libre administration des collectivités territoriales, le législateur institue le conflit d'intérêts.

Il instaure une tutelle d'une collectivité sur une autre et le département qui comprend le plus de conseillers territoriaux aura de fait une prééminence sur le conseil régional aux dépens tout à la fois de la région et du département le moins représenté.

Les requérants estiment également qu'il y a atteinte à la liberté de suffrage : l'électeur ne peut voter qu'une seule fois pour désigner un même candidat qui va le représenter dans deux assemblées délibérantes. La région et le département ayant des compétences et des intérêts distincts, l'électeur doit être libre d'en confier la gestion à des personnes distinctes.

Le conseiller territorial porte préjudice à la représentation des collectivités territoriales au Sénat prévue par l'article 24 de la Constitution, puisque ce sont les mêmes personnes qui s'exprimeront au nom de la région et du département. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet 2000 concernant la loi relative à l'élection des sénateurs n'a-t-il pas décidé que le corps électoral du Sénat devait être composé de toutes les catégories de collectivités territoriales ?

La saisine du Conseil constitutionnel s'appuyait également sur le mode de scrutin aux élections territoriales et la répartition des sièges.

- Dans sa décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010, le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution la répartition des conseillers territoriaux mais récuse les critiques portant sur l'institution même du conseiller territorial :

- « l'institution des conseillers territoriaux n'a pas pour effet de créer une nouvelle catégorie de collectivités qui résulterait de la fusion de la région et des départements ; qu'ainsi, elle ne porte pas atteinte à l'existence de la région et du département ou à la distinction entre ces collectivités ».

- « les dispositions critiquées ne confient pas à la région le pouvoir de substituer ses décisions à celles du département ou de s'opposer à ces dernières ni celui de contrôler l'exercice de ses compétences ; que, par suite, elles n'instituent pas une tutelle de la région sur le département

- Le principe de libre administration « n'interdit pas que les élus désignés lors d'un unique scrutin siègent dans deux assemblées territoriales ».

- Le Conseil Constitutionnel décide également que « l'organisation du scrutin tendant à l'élection, dans chaque canton, d'un élu appelé à siéger au conseil général et au conseil régional ne méconnaît aucunement la double exigence de clarté et de loyauté du scrutin ; que la liberté du scrutin n'interdit pas au législateur de confier à un élu le soin d'exercer son mandat dans deux assemblées territoriales différentes »

- Il n'est pas non plus porté atteinte à la représentation des collectivités territoriales par le Sénat : si toutes les catégories de collectivités territoriales doivent être représentées dans le corps électoral sénatorial « cette exigence n'impose pas de distinguer les élus de l'assemblée départementale et ceux de l'assemblée régionale au sein du collège électoral qui élit les sénateurs ».

A la lecture générale de cette décision, les requérants estiment qu'elle est très peu motivée et opère un recul des principes de la décentralisation. Dans un récent projet, le Parti Socialiste prend l'engagement d'abroger le dispositif du conseiller territorial.


* 137 Rapport d'information de M. Yves Krattinger et de Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la Mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, n° 471 (2008-2009) - 17 juin 2009.

* 138 Le Conseil Constitutionnel considère qu'il n'y a pas fusion de la région et des départements, qu'ils continuent d'exister de manière distincte, qu'il n'y a en termes de pouvoir ni substitution, ni opposition, ni contrôle ni tutelle entre ces collectivités. « Si le principe selon lequel les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus implique que toutes les collectivités disposent d'une assemblée délibérante élue dotée d'attribution effective, il n'interdit pas que les élus désignés lors d'un unique scrutin siègent dans deux assemblées territoriales » (décision du 9 décembre 2010).

* 139 De nombreuses références doctrinales appuient cet argumentaire.

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