Audition de M. Étienne Apaire, président du Groupe Pompidou du Conseil de l'Europe, M. Franck Zobel, rédacteur scientifique et analyste des politiques en matière de drogue à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), et M. Danilo Ballota, officier principal de police scientifique chargé de la coordination institutionnelle à l'OEDT

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Nous venons de nous pencher avec attention sur la politique française de lutte contre les toxicomanies. Nous souhaitons maintenant la replacer dans le contexte européen et international, afin d'en déterminer les spécificités et la comparer avec celles des autres pays d'Europe.

Je propose que MM. Franck Zobel et Danilo Ballota nous exposent, en une dizaine de minutes, les caractéristiques des toxicomanies en Europe et les principales catégories de politiques menées par nos voisins européens, en soulignant, lorsqu'elles existent, leurs différences les plus significatives avec la France. M. Étienne Apaire interviendra ensuite en tant que président du Groupe Pompidou du Conseil de l'Europe.

M. Franck Zobel, rédacteur scientifique et analyste des politiques en matière de drogue à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) . - L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies collecte des données auprès de trente pays : les vingt-sept États membres de l'Union européenne, deux États candidats, la Croatie et la Turquie, et la Norvège.

Les thèmes couverts par notre observatoire sont au nombre de quatre : la consommation de drogues et ses conséquences, le marché des stupéfiants, les interventions visant à réduire la consommation de drogues et ses conséquences et, enfin, les législations, les stratégies et les dépenses publiques des États européens en ce domaine.

Depuis trente ans, au coeur de la problématique des drogues en Europe - au moins en termes de santé publique, la situation étant peut-être un peu différente en termes de sécurité publique et de criminalité organisée - figure la consommation d'opiacés, en particulier d'héroïne.

En Europe, la grande majorité des entrées en traitement et des décès due à la drogue est liée à l'héroïne. On estime à environ 1,35 million le nombre d'usagers problématiques d'opiacés, soit un adulte sur deux cent cinquante. La dépendance à l'alcool concerne, quant à elle, une personne sur trente.

Les problèmes liés à l'héroïne ont très sévèrement augmenté en Europe durant les années 1980 et 1990, avant de se stabiliser puis de diminuer vers la fin des années 1990. En revanche, depuis 2003 et 2004, on observe, de façon presque choquante, une inversion de tendance, la consommation cessant de diminuer avant de repartir à la hausse, alors que l'offre de traitements a été massivement accrue et les risques réduits.

Trois facteurs d'explication semblent se conjuguer.

D'abord, après avoir été exécrable pendant une dizaine d'années, l'image de l'héroïne auprès de certaines populations de jeunes semble être devenue relativement positive.

Ensuite, il faut tenir compte du vieillissement des consommateurs d'héroïne. Entre un quart et la moitié d'entre eux sont aujourd'hui âgés de quarante ans et plus, avec des « carrières » de consommation d'au moins vingt ans. S'ils ont survécu aux pires années de la consommation d'héroïne et de la diffusion du sida, leur état de santé est souvent celui d'une personne non consommatrice âgée de vingt ans de plus. Ce vieillissement des consommateurs se constate aussi à travers l'âge des personnes qui meurent par surdose en Europe, notamment en France.

Le troisième facteur d'explication est le développement de la poly consommation. Depuis une dizaine d'années, la diffusion de la cocaïne en Europe a beaucoup augmenté. Les trafiquants sud-américains se sont davantage intéressés à notre continent ; ils ont ouvert de nouvelles routes, notamment via l'Afrique de l'Ouest. Le volume des saisies de cocaïne en Europe fluctue ces dernières années entre 60 et 120 tonnes, ce qui est considérable par rapport à celui d'il y a vingt ans. Cette disponibilité accrue de la cocaïne a eu un effet chez les consommateurs problématiques d'héroïne. En effet, ceux-ci la consomment désormais en sus de l'héroïne, de l'alcool et de médicaments comme les benzodiazépines. Or, les mélanges d'alcool et de cocaïne, ou encore d'héroïne et de cocaïne sont extrêmement dangereux.

La consommation de cocaïne a aussi augmenté de façon générale dans d'autres milieux, comme certains milieux dits « festifs ». Cette vague a cependant surtout touché des pays comme l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Irlande, l'Italie et le Danemark. Ailleurs en Europe, y compris en France, la hausse de la consommation, pour être réelle, est moins marquée.

La polyconsommation m'amène aussi à évoquer un phénomène nouveau, qui se développe depuis trois ou quatre ans : la diffusion de substances, naturelles ou synthétiques, proposées aux consommateurs comme des alternatives licites (« legal highs ») aux drogues illicites. Il s'agit par exemple de la méphédrone - un cathinone de synthèse - en remplacement de l'ecstasy ou de la cocaïne -, ainsi que de mélanges d'herbes exotiques auxquelles ont été ajoutés des cannabinoïdes de synthèse - en remplacement du cannabis.

Ce nouveau marché, très dynamique, s'est développé essentiellement sur internet. Nous avons recensé cette année cent soixante-dix commerces en ligne vendant ce type de substances. Les États peinent à suivre la rapidité de ce développement. Par ailleurs, les commerces s'adaptent rapidement aux mesures d'interdiction : chaque fois qu'une substance est interdite, ils en proposent de nouvelles en remplacement. Ce changement incessant de nom et de type des produits rend aussi très difficile la mesure de l'ampleur de la consommation de ces substances.

Le cannabis, enfin, est la substance illicite la plus consommée en Europe. Un quart des Européens environ en a consommé. Un jeune adulte sur huit en a consommé pendant l'année passée. La consommation de cannabis a fortement augmenté durant les années 1990, et l'on estime aujourd'hui que 4 millions d'Européens environ, soit 1 % de la population adulte, en consomment tous les jours. L'estimation pour la France est de 500 000 usagers quotidiens. Cette population présente des risques importants de troubles somatiques, psychosomatiques et sociaux.

La production indigène de cannabis en Europe s'est aussi beaucoup développée ; tous les États européens mentionnent aujourd'hui l'existence de plantations sur leur territoire.

Depuis 2003, tendanciellement, la consommation de cannabis en général - celle des adultes comme celle des jeunes scolarisés - a diminué en Europe. Si ce phénomène peut être rattaché au développement des mesures antitabagiques, une diminution de l'intérêt pour le cannabis a aussi pu être observée aux États-Unis et en Australie, avant même la diminution de la consommation en Europe. Toutefois, il faut rester attentif : les dernières données provenant des États-Unis indiquent un regain de la consommation de cette substance.

Au sein des institutions européennes, un consensus s'est établi sur l'absence de solution simple aux problèmes posés par la toxicomanie, et s'est exprimé le souhait d'une approche globale et intégrée, combinant à la fois réduction de l'offre - autrement dit lutte contre le trafic de drogue - et réduction de la demande - autrement dit prévention et prise en charge des difficultés dues à la drogue. L'observation de la législation et de son application fait apparaître une progressive convergence autour de la distinction entre le trafiquant de drogue, considéré comme un criminel méritant une peine de prison, et le consommateur, qu'il s'agit d'aider plutôt que de punir. Dans les faits, il semble que la grande majorité des usagers de drogues interpellés en Europe - essentiellement des consommateurs de cannabis - soient sanctionnés par un avertissement ou une amende, voire que les poursuites à leur encontre soient abandonnées. Il existe néanmoins des cas où des peines de prison sont infligées. Quant aux alternatives permettant de substituer un traitement à une peine de prison, si nous savons qu'elles existent dans la plupart des pays, nous ne connaissons ni leur nombre ni leur efficacité, très peu de données étant disponibles.

Nous n'avons également que très peu de données fiables et comparables en matière de réduction de l'offre - bref, sur le travail de la police, de la justice et des douanes. L'OEDT s'est engagé, avec la Commission européenne et Europol, à développer un nouvel ensemble d'indicateurs dans ce domaine.

Les données disponibles en matière de réduction de la demande sont plus nombreuses. Nous savons qu'en Europe, plus d'un million de personnes ont accès à un traitement lié à la toxicomanie. L'augmentation massive de cet effectif au fil des années 1990 et 2000 est due à la diversification des méthodes de soins et la multiplication des traitements ambulatoires.

La catégorie de traitement qui a connu la hausse la plus spectaculaire est celle de la substitution aux opiacés. Environ 670 000 personnes en Europe reçoivent ce type de traitement chaque année, soit sept fois plus qu'au début des années 1990. De 70 % à 75 % de ces traitements recourent à la méthadone et de 20 % à 25 %, pour la quasi-totalité en France, à la buprénorphine haut dosage. La morphine, la codéine et l'héroïne sont également prescrites en Europe, mais en très petites quantités, pour quelques centaines ou quelques milliers d'usagers.

Les autres types de traitement, destinés notamment aux usagers de cannabis ou de cocaïne, ont eux aussi connu une croissance rapide. Il s'agit avant tout de traitements ambulatoires combinés à une approche psychosociale. En effet, au contraire de la méthadone et de la buprénorphine haut dosage pour le traitement de la dépendance à l'héroïne, aucune molécule spécifique n'a montré d'efficacité pour le cannabis et la cocaïne.

Il est difficile de mesurer avec précision l'offre européenne de prévention. On peut toutefois en tracer les grandes lignes. Malgré les doutes qui pèsent sur leur efficacité, les interventions ponctuelles visant à informer les jeunes sur les dangers des drogues restent très largement majoritaires. En revanche, les programmes qui ont montré leur capacité à réduire la consommation de drogue - principalement des interventions structurées visant à améliorer les compétences sociales et à modifier certaines perceptions chez les jeunes - sont encore très rares.

La prévention sélective est également peu développée. Au lieu de s'adresser à l'ensemble des jeunes, y compris à ceux qui n'ont pas du tout l'intention de consommer des drogues, elle vise des populations à risque - jeunes en situation d'échec scolaire, jeunes délinquants, habitants de quartiers défavorisés -, chez qui la prévalence de la consommation de drogue est plus élevée. Quelques programmes néanmoins, conduits dans le domaine de la justice, se diffusent progressivement à l'échelle européenne.

Au bout du compte, les mesures phares mises en place en Europe au profit de la réduction des risques sont les traitements de substitution, déjà évoqués, et les programmes d'échange de seringues. Entre 40 et 100 millions de seringues stériles seraient échangées ou distribuées chaque année en Europe, soit en moyenne 80 seringues stériles par an et par injecteur.

Parmi les autres mesures, on peut citer la mise à disposition d'informations pour prévenir les infections ou les surdoses. Par ailleurs, depuis peu, un nombre restreint de pays teste la distribution de naloxone - un antagoniste qui permet d'interrompre l'action de la morphine - aux usagers de drogues et à leurs proches afin de leur permettre d'intervenir en cas de surdose.

Quatre pays de l'Union européenne - Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg et Espagne - ainsi que la Norvège et la Suisse ont aussi accepté la mise en place de locaux de consommation supervisés. Un peu moins de quatre-vingt-dix de ces structures ont été ouvertes en Europe dans environ soixante villes. Leur objectif est en général double : réduire non seulement les risques liés à l'injection de drogues, mais aussi les nuisances publiques, notamment la consommation de drogues dans certaines rues ou certains quartiers.

Enfin, différentes études ont montré que la population carcérale affichait souvent une prévalence élevée de consommation de drogues, avant, mais aussi parfois durant l'incarcération. Alors même que le milieu carcéral peut constituer une bonne opportunité de prise en charge des problèmes de drogue, l'accessibilité des services de traitement et de réduction des risques y est souvent faible. En outre, le taux de mortalité des consommateurs de drogues à la sortie de la prison est extrêmement élevé ; l'une des raisons en est le manque de suivi thérapeutique immédiat après la fin de l'incarcération. Il est donc possible dans ce domaine d'améliorer les réponses aux problèmes de toxicomanie. Des efforts sont en cours à l'échelle européenne.

Mme Michèle Delaunay, députée . - M. Franck Zobel, il semble ressortir de votre intervention, comme des propos tenus tout à l'heure par M. Étienne Apaire, que l'Allemagne pourrait être mieux protégée de l'augmentation de la consommation de drogues que les cinq États, dont le Royaume-Uni, que vous avez cités. Cette particularité pourrait-elle être due à des éléments spécifiques à ce pays ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager, députée . - En France, l'État dépense 600 millions d'euros pour la lutte contre le trafic de stupéfiants. D'autres pays européens font-ils preuve d'une volonté aussi forte ?

Des campagnes communes contre la drogue, ciblées par type de public - jeunes, parents, accompagnants - pourraient-elles être organisées de façon synchronisée dans les pays d'Europe ?

M. Patrice Calméjane, député . - Pour lutter contre les nouvelles filières de trafic de drogue, des coopérations en matière de répression sont-elles conduites ou envisagées avec les pays du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne, en contrepartie des aides que leur apporte l'Union européenne ? Nous savons qu'aujourd'hui, plutôt que de continuer à habiter nos grandes villes et nos banlieues, les trafiquants s'y sont parfois expatriés.

Quelle est la position de nos collègues parlementaires européens en matière de lutte contre la drogue ? Des textes sont-ils en préparation ? Ils s'imposeraient en effet à nous une fois votés.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - En Europe, nous avez-vous dit, la prévention à l'intention des jeunes est très rarement efficace. J'ai cependant cru comprendre que la méthode de prévention que la Suède avait réussi à mettre en oeuvre pour lutter contre l'accroissement de la consommation, en direction de sa jeunesse, obtenait des résultats. Qu'en est-il ?

Mme Catherine Lemorton, députée . - Dans certains pays, des seringues stériles sont-elles distribuées dans les prisons ?

Les jeunes Français ne comprennent pas du tout les messages de prévention qui leur sont destinés. Pouvez-vous faire état de situations inverses à l'étranger ?

Dans les pays où elle serait plus efficace, la prévention est-elle assurée, comme en France, par des conférences de gendarmes ou de policiers dans les écoles ? Cette méthode ne me semble pas la meilleure.

Contrairement à d'autres pays, la France préférerait de loin la buprénorphine haut dosage à la méthadone. Expliquez-vous cette situation par le manque de centres pouvant prescrire de la méthadone, ou encore par le droit qu'auraient ailleurs en Europe - au contraire de la France - les médecins de ville de faire de telles prescriptions, dans les mêmes conditions de précaution que celles respectées par les centres ?

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Comment le sevrage des produits de substitution est-il organisé, dans les divers pays de l'Union européenne ? La possibilité de prescription de tels produits par les médecins sans limite de temps et sans contrôle de l'efficacité du produit, se retrouve-t-elle dans d'autres pays ?

Une définition du toxicomane par rapport au consommateur de drogues a-t-elle été formulée par les instances européennes ?

M. Jean-Marie Le Guen, député . - Existe-t-il un modèle européen de lutte contre la toxicomanie et de prise en charge des toxicomanes ? Si oui, est-il différent d'un éventuel modèle américain, à tout le moins nord-américain ? Pouvez-vous nous éclairer sur les éventuels débats entre les États-Unis et l'Union européenne sur ce point ?

M. Franck Zobel . - Les niveaux de consommation de drogues en l'Allemagne sont comparables à ceux constatés en France.

Pour des raisons d'organisation politique des pays, il est très difficile de connaître le montant de leurs dépenses. Néanmoins, la plus grande partie de leurs budgets est affectée à la réduction de l'offre, c'est-à-dire à la lutte contre le trafic.

Nous n'avons aucune preuve de l'efficacité de la politique de prévention, majoritairement diffusée en Europe, visant à attirer l'attention des jeunes sur la dangerosité de la drogue. D'autres types d'interventions moins spécifiques - interventions auprès des écoliers pour les aider à renforcer leur capacité à agir dans la vie, à dire « non », à interagir avec les autres - ont quant à eux des résultats, y compris sur la consommation de drogues.

Pour des raisons historiques très fortes, la Suède mène une politique stable et très claire : elle souhaite une société sans drogue. Les Suédois ne comprendraient pas l'approche hollandaise, ou celle du Portugal où la décriminalisation et les locaux de consommation ont été envisagés. Par contre, si la Suède a des niveaux de consommation assez bas, comme dans la plupart des pays scandinaves et les pays du sud-est de l'Europe, et si elle arrive à éviter les consommations les moins problématiques, elle parvient difficilement à réduire les consommations qui engendrent le plus de mortalité et de morbidité.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - En parlant de « consommations problématiques », pensez-vous aux personnes souffrant de problèmes de santé ?

M. Franck Zobel . - J'entends les consommateurs réguliers de drogues dures ayant un impact sur leur vie professionnelle, sociale et familiale.

M. Jean-Marie Le Guen, député . - Considérez-vous la définition de « drogue dure » - sujet à caution dans le débat politique français - comme un concept scientifique ?

Mme Catherine Lemorton, députée . - D'après votre définition, l'alcool peut être une drogue dure.

M. Jean-Marie Le Guen, député . - Elle l'est en Suède...

M. Franck Zobel . - Je parle des drogues induisant les effets psycho-actifs les plus puissants, utilisées régulièrement et de la manière la plus dangereuse, à savoir par injection.

Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux IV (DSM IV) retient pour sa part quatre critères pour définir cliniquement la dépendance ou la consommation problématique : une consommation non contrôlée et qui modifie la vie, une consommation qui augmente au fil du temps, une tolérance à la consommation...

Mme Michèle Delaunay, députée . - Et un impact social et professionnel.

M. Jean-Marie Le Guen, député . - La première définition est soit subjective, soit restrictive s'il ne s'agit que de l'injection.

M. Franck Zobel . - La seconde définition, clinique, permet de diagnostiquer un éventuel problème de toxicomanie. Dans la mesure où l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies procède à des observations populationnelles, il a été amené à distinguer différents types de consommation, et à utiliser la définition suivante : « l'usage répété de cocaïne, d'amphétamine ou d'héroïne, ou l'injection de drogue », d'où effectivement une certaine subjectivité.

M. Jean-Marie Le Guen, député . - À mes yeux, toutes les drogues - y compris licites - peuvent être très dangereuses pour la santé mentale. Or votre définition politique renvoie à la distinction entre drogues dures et drogues douces.

M. Danilo Ballota, officier principal de police scientifique chargé de la coordination institutionnelle . - Nous avons décidé, il y a au moins cinq ans, d'apporter une définition, non pas politique, mais technique permettant de mesurer l'évolution « problématique » de la consommation, en particulier du cannabis. Et nous sommes en train de revoir cette définition pour coller à la réalité.

Dans les groupes de travail du Conseil de l'Europe, M. Étienne Apaire s'est toujours opposé à l'utilisation du terme « problématique ». Nous avons souhaité une définition technique afin de pouvoir mesurer les phénomènes, mais votre remarque est très pertinente, monsieur le député.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Les définitions sont inspiratrices de politiques, y compris celle distinguant les drogues dures et les drogues douces, tombée en désuétude dans notre débat politique, mais qui reste dans le grand public un paradigme pouvant induire bien des errements.

Aujourd'hui, certaines personnes dépendantes utilisent non pas un seul produit, mais passent d'une substance à l'autre en fonction de l'état du marché, de leur situation professionnelle, sociale ou familiale. Ce phénomène de la polytoxicomanie est-il observé à l'échelle européenne ?

Vous avez employé le terme « legal » à propos de la méphédrone au Royaume-Uni. Est-ce une réalité ou une mauvaise farce diffusée sur internet ?

M. Franck Zobel . - Les « legal highs » désignent des drogues légales. À leur arrivée sur le marché, elles ne sont pas contrôlées. Elles ne sont pas mentionnées dans les conventions internationales.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Qu'elles ne soient pas encore interdites ne signifie pas forcément qu'elles soient légales.

M. Danilo Ballota . - Dans les six prochains mois, conformément aux instructions de la Commission européenne, tous les États membres devront mettre la méphédrone sous contrôle. Mais, comme l'a dit mon collègue, les offres de drogues sont si nombreuses et variées qu'elle sera certainement remplacée par d'autres substances.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale. Les « legal highs » sont dont des substances synthétiques fabriquées par des chimistes dévoyés.

Mme Michèle Delaunay, députée . - Des pharmaciens dévoyés...

M. Danilo Ballota . - ...qui profitent des opportunités du « business » !

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - La méphédrone fait-elle l'objet d'un trafic en France, monsieur Étienne Apaire ?

M. Étienne Apaire, président du Groupe Pompidou du Conseil de l'Europe . - Dans ce domaine, la lutte contre l'offre ne fait pas l'objet d'une politique communautaire, mais les États se rencontrent chaque mois à Bruxelles dans le cadre du groupe horizontal « Drogue » pour partager les informations sur leur situation respective. Les Britanniques nous ont fait part de cette catastrophe : une drogue légale lancée comme un produit marketing, mais devenue le quatrième produit le plus consommé en un an, et qui engendre des problèmes sanitaires avec des consommations isolées ou associées. À la suite de ces informations, la commission des stupéfiants du ministère de la santé a décidé, au nom du principe de précaution, de proposer à la ministre chargée de la santé de l'époque, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, le classement de ce produit. Il est donc classé, même si son niveau de consommation n'est pas élevé en France.

M. Franck Zobel . - Nous gérons avec Europol un système d'alerte destiné à identifier les nouvelles substances. Nous en avons identifiées dix chaque année de 2005 à 2007, trente en 2008, quarante en 2009, cinquante en 2010, et nous nous attendons à un nombre plus important cette année. Le phénomène est en plein développement.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Sont-elles fabriquées dans des laboratoires européens ?

M. Franck Zobel . - Nous disposons de très peu d'informations en la matière. Souvent de type journalistique, elles renvoient à des pistes en Asie, où ces molécules sont facilement disponibles, et à de l'ingénierie plutôt européenne.

S'agissant des autres points soulevés, je préciserai que la polytoxicomanie est généralement la règle en Europe.

Quatre ou cinq pays européens, dont je vous communiquerai la liste précise, ont mis en place la distribution de seringues stériles en prison.

Dans d'autres pays, la méthadone, prescrite par les médecins généralistes, est plus accessible. Le rapport entre sécurité et efficacité de la buprénorphine haut dosage et de la méthadone fait l'objet d'un débat dans la mesure où la première est un peu plus sûr, et la seconde un peu plus efficace.

Les études britanniques sur le sevrage, s'appuyant sur le suivi de personnes en traitement, nous ont enseigné, au cours des deux dernières décennies, que la dépendance, particulièrement à l'héroïne, doit être considérée comme une maladie chronique dans la mesure où les consommateurs ont besoin d'énormément de temps pour s'en sortir.

Le gouvernement écossais a opéré un changement radical en passant d'une stratégie de réduction des risques à une stratégie orientée vers la guérison. En effet, après avoir passé en revue l'ensemble de la littérature traitant des moyens capables d'aider les gens à sortir de la toxicomanie, les Écossais ont observé deux choses : premièrement, les traitements de substitution sont les plus sûrs et les moins dangereux, et ils offrent le plus de chances aux personnes de s'en sortir ; deuxièmement, l'arrêt de la consommation et la réinsertion des toxicomanes dépendent, d'une part, du réseau social existant autour d'eux et, d'autre part, des possibilités de réinsertion qui s'offrent à eux. Ainsi, en l'état actuel des connaissances, le traitement de substitution, certes critiqué, reste le plus protecteur, non seulement pour le consommateur de drogues, mais encore pour la société - moins de crimes étant commis.

M. Danilo Ballota . - Si la France dépense 600 millions d'euros, nous ne disposons pas de montants pour les autres pays. Cependant, nous savons que les interventions mises en place par l'Europe pour lutter contre le déplacement du trafic de l'Europe du Nord vers l'Europe du Sud et l'Afrique ces cinq dernières années se sont révélées efficaces.

Le Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N), structure intergouvernementale réunissant sept pays, dispose d'agents basés à Lisbonne chargés de surveiller le trafic de cocaïne transitant de l'Amérique vers l'Europe, l'Afrique de l'Ouest étant une zone de stockage. Les résultats sont intéressants : 45 tonnes de cocaïne ont été saisies ces trois dernières années. À l'occasion d'une réunion du groupe horizontal « Drogue » à Bruxelles, le directeur du MAOC-N nous a précisé que les trafiquants ne se donnent même pas la peine de dissimuler les paquets de cocaïne sur les navires : les hélicoptères peuvent les apercevoir stockés sur le pont et les photographier. C'est une « autoroute », comme le dit Europol. Elle a été « stoppée », et nous y avons constaté une baisse des saisies l'année dernière. Cependant, nous ignorons si cette baisse est due au fait que les trafiquants sévissent ailleurs ou si la fiabilité des données sur les saisies est relative.

Avec la mise en place du Centre de coordination pour la lutte anti-drogue en Méditerranée (CeCLAD-M), la France a dupliqué cette expérience dans la Méditerranée.

Le pacte européen contre les « routes » de la cocaïne et de l'héroïne, initié par votre ministre de l'intérieur il y a quelques mois, vise à faire travailler ensemble police et justice des pays de l'Union européenne afin de lutter contre le trafic de cocaïne depuis l'Amérique latine, mais aussi d'héroïne en provenance d'Afghanistan. Nous n'avons pas de données fiables, et la lutte n'est pas gagnée. En effet, les saisies de cocaïne dans les Balkans et en Afrique de l'Est sont sans doute la preuve que d'autres « routes » se mettent en place : c'est le « balloon effect ». Cependant, à la suite de la signature du Traité de Lisbonne et de l'adoption de la stratégie de sécurité intérieure, l'Union européenne s'est donné les moyens, y compris financiers, de lutter plus efficacement contre le trafic venant de l'extérieur de l'Union.

Les substances faisant l'objet d'un trafic problématique dans l'Union européenne sont, en particulier, les « legal highs », mais aussi le cannabis, dont l'ampleur de la production nous est inconnue.

En Afrique, le trafic concerne plutôt des pays situés plus au sud que le Maghreb, comme la Guinée et la Guinée-Bissau, cette dernière étant un terrain particulièrement fertile pour le trafic en raison de sa situation sociale dramatique : les établissements pénitentiaires y sont inexistants et le salaire d'un policier se limite à 10 dollars par mois. Des projets européens existent pour cette zone. Néanmoins, comment s'assurer de la fiabilité d'un gouvernement auquel l'Union européenne alloue 4 millions d'euros ? C'est un réel problème.

Dans son action contre les drogues, le Parlement européen pâtit de la diversité de ses couleurs politiques. Les Verts, notamment, réclament une dépénalisation, voire une légalisation, du cannabis. Le Parti populaire européen est, lui, attaché à la question du sevrage et de la réhabilitation des usagers. Le Parlement européen dispose néanmoins de deux armes : premièrement, en matière de programmes financiers, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dite « LIBE », peut décider de la nature et de la destination des fonds ; deuxièmement, l'Union européenne achèvera en 2012 son cycle stratégique de huit ans, lequel sera suivi d'une évaluation extérieure permettant de mesurer les résultats de la lutte contre les drogues. Et, grâce à une nouvelle stratégie pour 2013-2020, le Parlement européen sera appelé à jouer un rôle important en établissant des directives.

Deux fois par an à Bruxelles, nous rencontrons nos homologues américains. Avant l'accession au pouvoir de M. Barack Obama, les États-Unis privilégiaient la guerre aux drogues, y compris aux usagers. L'approche de l'administration actuelle est plus équilibrée : elle repose sur une politique axée sur les aspects sociaux et médicaux du phénomène, comme celle défendue en Europe depuis une dizaine d'années, même si quelques différences importantes subsistent, par exemple en matière de réduction des risques.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Quels moyens financiers l'Europe met-elle sur la table, à la fois pour lutter contre les trafics et développer sa politique en direction des États ?

M. Danilo Ballota . - Même un fonctionnaire de la Commission européenne aurait du mal à répondre à cette question, chacune des directions générales ayant son propre budget.

Toutefois, je peux vous dire que, en cinq ans, 21 millions d'euros seront déployés dans le cadre d'un programme de prévention et d'information de la direction générale de la justice, et que la même somme le sera, à raison de 3 millions d'euros chaque année, pour un programme « Santé » piloté par la direction générale de la santé, basée au Luxembourg. En outre, un programme de recherche porte sur des centaines de millions d'euros.

Il faut y ajouter les programmes extérieurs d'aide au développement et aux relations extérieures, qui mobiliseront également plusieurs centaines de millions d'euros, par exemple les aides à la communauté LAC (latino-américaine et des Caraïbes) et les projets menés en Afghanistan.

D'après une étude réalisée il y a quelques années, le volume financé par la Commission européenne représenterait 50 % de l'ensemble des financements de tous les pays de l'Union européenne.

Il m'est difficile de vous donner un montant précis dans la mesure où, aux financements des différentes directions générales de la Commission, s'ajoutent les contributions nationales. Cependant, nous avons estimé en 2009 la contribution de l'Union européenne à 700 millions d'euros.

M. Étienne Apaire . - De très intéressants changements de stratégie ont émergé en Europe, par exemple en Écosse, mais aussi en Angleterre, dont la stratégie est désormais plus conforme à celle de la France.

D'autres pays évoluent, comme les Pays-Bas, où le débat a conduit certaines autorités locales à souhaiter voir réservée la fréquentation des « coffee shops » aux seuls résidents réguliers. En outre, la distinction entre la consommation des majeurs et celle des mineurs y est désormais plus claire. Nous attendons la nouvelle stratégie de ce pays, qui doit nous conduire à être très prudents dans nos propositions.

La Californie, après un débat important, a renoncé à légaliser la production et la consommation du cannabis. On peut cependant se demander si ce n'est pas ce débat qui a abouti à faire croire aux jeunes Américains que le cannabis n'était pas si dangereux, alors que sa consommation avait baissé de 25 % ces dernières années aux États-Unis.

Autre évolution au plan mondial : les distinctions subtiles entre pays producteurs et pays consommateurs s'amenuisent considérablement. En effet, si les drogues chimiques sont plutôt l'apanage de pays développés, leur consommation se développe dans les pays asiatiques. En outre, les pays producteurs deviennent des pays consommateurs. Le débat international reposant sur l'idée d'un partage des responsabilités plutôt au débit des pays riches est donc en train de changer, sachant que les pays producteurs disposent de beaucoup moins de moyens pour se défendre. On compte un million d'héroïnomanes en Afghanistan, entre trois et quatre millions au Pakistan. Ces pays sont désormais tout autant victimes que nous de leur production. Au Sénégal, en Guinée et Guinée-Bissau, et maintenant au Maroc et en Algérie, la route de la cocaïne déverse aussi des drogues parmi les populations.

Nous devons impérativement, dans le cadre de nos coopérations, mettre nos savoirs - en particulier en matière de réduction des risques - à la disposition de ces pays. Pour ce faire, le Groupe Pompidou est très attaché à tenir compte de la présence, dans le cadre de la « Grande Europe », de trente-cinq pays fort différents les uns des autres en termes de culture, tels que l'Allemagne, la Russie, l'Ukraine ou la Biélorussie.

Le Groupe Pompidou, dont la France a accepté de prendre la présidence, réunit en effet trente-cinq États : les vingt-sept membres de l'Union européenne, auxquels s'ajoutent, notamment, la Russie, la Suisse, la Turquie, l'Azerbaïdjan, l'ancienne république de Macédoine et la Serbie. Des accords d'association avec d'autres pays riverains - Maroc, Tunisie, Liban, Égypte et Jordanie -, notamment dans le cadre du réseau méditerranéen MedNet, permettent de mettre en place des dispositifs de formation, voire des échanges de savoir en matière de soins.

Le Groupe Pompidou permet de promouvoir une politique équilibrée, identique à celle de l'Union européenne, privilégiant à la fois la prévention, le soin et la lutte contre les trafics, et ce dans une franche affirmation du respect des droits de l'homme.

Le Groupe Pompidou a été à l'initiative de la création de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, repris par l'Union européenne. Nous souhaitons, dans le cadre de la présidence française, appuyer le caractère équilibré des politiques à mettre en oeuvre, mais aussi développer une logique d'observatoire pour tous ces pays, beaucoup d'entre eux ignorant les dangers qui les guettent : les trafics, mais aussi les conséquences désastreuses de l'usage des drogues.

La Russie, située sur la route de l'héroïne, est très désireuse de nous sensibiliser sur les dangers qu'elle court, mais également sur les possibles partages de savoir, notamment en matière de substitution et de traitement judiciaire.

Certains États membres du Groupe Pompidou, comme la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, disposent d'une panoplie étoffée d'outils de prise en charge des toxicomanes : programmes de substitution, d'échanges de seringues, communautés thérapeutiques. D'autres ont peu de moyens ; c'est le cas de la Macédoine, du Monténégro et de l'Albanie. D'autres encore s'interrogent sur les dispositifs à mettre en place. À cet égard, une des difficultés réside - comme pour toutes les enceintes - dans notre incapacité à définir les limites des concepts que nous employons. Cela renvoie d'ailleurs au débat national sur le regard des Français sur les dispositifs de réduction des risques. Certains pays fonctionnent comme le nôtre : s'ils estiment le concept précis, ils seront favorables aux échanges de seringues et à la substitution, mais s'ils se rendent compte que ces dispositifs s'accompagnent de l'existence des salles d'injection supervisées ou de la prescription médicalisée d'héroïne, ils feront un blocage et seront contre, et tout le dispositif de réduction des risques sera alors remis en cause.

Au sein de l'Organisation des Nations Unies, le même débat existe entre les partisans d'une définition des termes et ceux qui y sont opposés, souhaitant ne pas voir obérées les mesures mises en place à titre plus ou moins expérimental par certains pays. Je pense donc qu'il sera important à l'avenir de définir les termes employés.

Sans citer de pays, je dirai que toutes les expérimentations sont menées dans le monde, mais que toutes les politiques ne se valent pas. De ce fait, parmi les pays où la consommation de drogue est très importante, certains enregistrent un taux de transmission des maladies très élevé, alors que d'autres, beaucoup plus tolérants, connaissent une situation sanitaire moins grave. Il faut donc arriver à mettre en place des consensus minimaux : c'est ce à quoi la France va s'employer.

Les salles d'injection et les échanges de seringues en prison sont des dispositifs très minoritaires. Nous ne pouvons pas, dans des enceintes internationales comme le Groupe Pompidou ou le groupe horizontal « Drogue », penser que nos convictions sont obligatoirement partagées. Si nous voulons faire partager nos convictions sur certains dispositifs faisant consensus, comme l'échange de seringues et la substitution, il nous faudra avoir des ambitions plus raisonnables.

Il importe de considérer le phénomène au-delà du seul point de vue national. Pour passer beaucoup de temps dans les enceintes internationales, je sais que notre communauté scientifique souhaite voir mises en oeuvre des politiques fondées sur des preuves scientifiques. Cela implique de mettre en place des dispositifs destinés à recueillir l'opinion des populations sur les mesures existantes. L'enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes est une des rares qui existent à l'échelle européenne. L'Italie a, certes, organisé un référendum sur la politique de dépénalisation, mais très peu de pays réalisent ce genre d'enquêtes d'opinion.

Je suis très heureux que ce débat ait lieu et que la presse y participe, car nous devons aussi progresser dans le domaine de l'information des populations pour faire de la lutte contre la toxicomanie un vrai sujet de société. Cette évolution répond aux souhaits des membres du Groupe Pompidou, au même titre que le partage des politiques en matière de prévention. Un clip antidrogue européen, réalisé à l'initiative du Groupe Pompidou, a été diffusé par ARTE et par plusieurs chaînes internationales. Sous la présidence française de l'Union européenne, nous avons proposé à nos amis européens de partager quelques films de prévention, mais nous nous sommes heurtés à des questions juridiques, liées à la protection du droit à l'image.

Sachant qu'un grand nombre de Français regardent de nombreuses chaînes de télévision, nous devrions utiliser nos dispositifs de prévention de manière plus complète. Nous allons essayer de le faire grâce au Groupe Pompidou car celui-ci a la chance, en tant que groupe d'États, de ne pas dépendre, comme nos amis de l'Union européenne, de mécanismes compliqués tant sur le plan politique que sur le plan financier. Au Groupe Pompidou, ce qui est décidé le 1er janvier peut être mis en place avant le 31 décembre.

Le Groupe Pompidou propose un certain nombre de formations : une formation d'addictologue nous a permis de proposer la substitution au Maroc, ce qui n'était pas facile dans un pays du Maghreb. En Algérie, nous proposons une formation commune destinée aux magistrats, aux éducateurs et aux policiers. Nous souhaitons, avec l'aide de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, mettre en place à très bref délai des observatoires dans chacun de ces pays ainsi qu'un observatoire méditerranéen, qui pourrait être situé à Lisbonne.

Mme Catherine Lemorton, députée . - Il y a urgence à agir dans les pays producteurs dont nous connaissons l'instabilité politique - je pense notamment à l'Afghanistan - et qui deviennent à leur tour consommateurs. Il faut savoir que, dans certaines régions du monde, il est naturel de cultiver des stupéfiants. J'ai appris à ce titre que la ville de Toulouse, dont je suis l'élue, est celle où la culture du cannabis sur les balcons est la plus répandue.

Des pays se construisent et fondent en partie leur économie sur cette production. Cela me paraît très inquiétant.

M. François Pillet , coprésident pour le Sénat . - Si j'ai bien compris, M. Étienne Apaire, en matière de lutte contre la toxicomanie, il n'existe aucun début de commencement d'harmonisation des législations sur le plan européen, contrairement à ce qui se passe en matière de droits commerciaux et de droits civils. Est-ce bien la réalité ?

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Les pays qui adhèrent au Groupe Pompidou ne partagent pas tous la même philosophie. Ont-ils au moins les mêmes objectifs ? Chaque pays adhérent participe au financement du groupe, mais la participation de la France relève-t-elle du budget de la MILDT ?

M. Patrice Calméjane, député . - Je viens de consulter le site internet du Groupe Pompidou : je suggère de noter ce lien dans notre rapport d'information car il contient des informations intéressantes. On y lit, par exemple, qu'il existe un prix européen de prévention des drogues, destiné à récompenser les initiatives les plus intéressantes prises en matière de prévention et de lutte contre les toxicomanies.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Dans notre rapport figurera la liste de tels sites internet.

M. Étienne Apaire . - Mme Catherine Lemorton, vous évoquez à juste titre les pays en difficulté, mais il existe un certain nombre de pays qui se portent mieux. En Colombie, M. Àlvaro Uribe a trouvé un État détruit, où Pablo Escobar était quasiment aux commandes. Il a réussi à reconstituer un État de droit et une force de sécurité qui, petit à petit, a gagné des parts de marché sur les criminels, qu'il s'agisse des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ou d'organisations terroristes devenues des organisations criminelles. Voilà un modèle de reconstruction d'État !

Dans tous les pays frappés par le phénomène, on ne pourra regagner les coeurs et restaurer la sécurité uniquement par une coopération militaire ou policière. En Guinée-Bissau, il faut une prison civile, ainsi que des juges qui ne libèrent pas les criminels et dont on puisse garantir la sécurité. Mais on peut regagner du terrain pour une raison économique simple : le paysan qui cultive la coca, le pavot ou le cannabis est souvent exploité et profite en réalité très peu de sa production. Une mobilisation suffisante de la communauté internationale suffirait pour substituer à la production de produits stupéfiants une production de céréales, par exemple, transformant ainsi une économie malsaine en économie saine. Ces économies de substitution peuvent être développées grâce aux budgets européens.

Nous devons donc reconstituer les États. Avec l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et l'Union européenne, nous avons la volonté de développer cette « capacity building », c'est-à-dire de restaurer la capacité des États à être des États. Car ce n'est pas la drogue qui détruit les États : elle n'est qu'un révélateur de leur faiblesse. Dans certains pays qui se trouvent au coeur de l'actualité, les organisations criminelles se sont installées du fait d'un vide gouvernemental.

Concernant l'harmonisation des législations, nous nous heurtons à deux difficultés.

La première vient de ce que certains pays ne sont pas construits comme le nôtre. Dans les États fédéraux, en matière de salles d'injection, les compétences peuvent être régionales, voire locales, et on y observe parfois une très grande disparité entre les politiques mises en oeuvre. C'est le cas en Allemagne, où la politique de tel Land diffère de celle de son voisin. En Suisse, les cantons de Vaud et de Genève, pourtant peu éloignés l'un de l'autre, ne mènent pas du tout la même politique.

Seconde difficulté : le respect de la loi n'est pas le même partout. On trouve des lois « dures » associées à des pratiques « molles », et des pratiques « dures » associées à des lois « molles ». Dans ces conditions, il est très difficile pour l'observatoire d'évaluer la réalité. C'est pourquoi nous essayons de mettre en place des dispositifs minimaux. C'est ainsi que des pénalités minimales obligatoires ont été instituées sur le plan européen, obligeant chaque État à condamner les trafiquants à des peines planchers, ce qui n'était pas le cas par le passé. Cela traduit une évolution.

En outre, les mots n'ont pas partout la même signification. Dans certains États, une sanction administrative ressemble étrangement à ce que nous appelons une sanction pénale : la responsabilité a été transférée de la robe noire du magistrat à la blouse blanche du médecin, mais la sanction de privation de liberté existe tout autant. Il faut donc bien dégager les vraies différences. Nous disposons en Europe du groupe horizontal « Drogue » et du pacte européen contre la drogue : c'est bien, mais le meilleur moyen de convergence reste la population. Ce qui se passe aux Pays-Bas n'a rien à voir avec les mauvais compliments que la France adresse depuis trente ans à la politique de tolérance néerlandaise, mais doit être rapproché de l'attitude des citoyens néerlandais à l'égard de cette politique.

Nous devons être positifs, avancer vers ce qui nous rassemble et ne pas nous arrêter sur nos différences.

Les choses sont plus complexes avec les pays qui ne partagent pas notre sentiment d'urgence, dont certains d'ailleurs ne se trouvent pas à l'autre bout du monde. L'observatoire ne peut les mentionner, sous peine de se fâcher avec tous ces pays, mais il existe en Europe de gros différentiels de consommation. La France possède des frontières communes avec des pays qui comptent un million de consommateurs, tant à l'est, au sud-est, au sud-ouest qu'outre-Manche. En matière de trafic de cocaïne, par exemple, notre pays se trouve au centre d'une turbulence importante, car les substances doivent être véhiculées et la France est un grand pays de transit. L'avantage pour notre pays est que ces fortes consommations nous protègent. Nous sommes un peu dans la situation de l'appartement qui se trouve sur un palier en comptant plusieurs, mais qui seul possède une porte blindée. Cela dit, ceux de nos départements situés à la périphérie de ces pays - les Alpes-Maritimes et les Pyrénées-Orientales - enregistrent des consommations importantes. La situation sécuritaire de ces pays devra être réexaminée car ils sont victimes d'organisations criminelles qui se sont installées sur leur territoire afin d'alimenter toute l'Europe en produits stupéfiants. Nous devrons sans nul doute avancer, dans le cadre des discussions que nous menons à Bruxelles, sur le plan des conséquences sécuritaires et sanitaires des politiques qui sont menées par nos voisins.

M. Danilo Ballota . - Dès 1997, le Parlement européen s'est penché sur l'harmonisation des législations en matière de drogue. En 2005, un rapport réalisé à la demande de la MILDT présentait la situation dans les différents pays membres en matière d'usage et de possession de drogue. Le rapport de 1997 du Parlement européen a donné lieu à une initiative de la Commission européenne, mais le Conseil, sous la présidence irlandaise, a souhaité l'assouplir. Le texte adopté vise l'« approximation » des législations, et non pas leur « harmonisation ». Il est clair, à la lecture de ce texte, que l'harmonisation des législations ne fait pas consensus. Les États membres ont choisi de ne plus parler de législation, mais seulement de se mettre d'accord sur les principes - le respect des droits de l'homme, par exemple -, les objectifs et les actions. Le Conseil a ainsi adopté un ensemble d'actions s'étalant jusqu'en 2020 et laissant chaque État agir selon sa propre volonté politique.

M. Étienne Apaire . - Mme Françoise Branget, le financement du Groupe Pompidou relève du budget de la MILDT. En dépit du fonds de concours « Drogue », nos budgets sont plutôt en baisse. Si vous pouviez faire en sorte qu'ils augmentent, nous en serions très heureux.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Je vous remercie, messieurs, pour votre participation. Nos collègues ont été heureux de recevoir des réponses précises à leurs questions.

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