2. ...qui mobilise des moyens considérables au sein des collectivités
a) Une procédure longue (et parfois chaotique)...

Les renforcements successifs de la procédure contradictoire ont eu pour effet d'allonger de manière considérable la durée de l'examen de la gestion . Entre l'annonce d'une ouverture de ce dernier à la collectivité, et la remise du rapport d'observations définitives le clôturant, s'écoulent au minimum huit mois si la chambre procède à l'examen proprement dit dans un délai relativement court et si les délais de réponse des ordonnateurs concernés ne sont pas prolongés. En pratique, la durée moyenne de l'examen de la gestion est beaucoup plus longue. Certains élus ont ainsi fait l'objet de procédures s'étalant sur trois, voire quatre années !

Pour éviter ce type de situation, dans laquelle la chambre détient une part de responsabilité, la mission d'inspection de la Cour des comptes à l'égard des CRTC s'assure qu'elles procèdent aux étapes qui leur reviennent (examen de la gestion, analyse des réponses, délibération) dans un délai raisonnable.

La procédure contradictoire régissant l'examen de la gestion

1. Annonce par la CRTC de l'ouverture de l'examen de la gestion auprès de l'ordonnateur de la collectivité ainsi que, le cas échéant, le ou les ordonnateurs précédemment en fonction pour toute ou partie de la période examinée

2. Examen de la gestion par la CRTC

3. Entretien préalable (obligatoire) de la CRTC avec l'ordonnateur de la collectivité ou de l'établissement public contrôlé, le cas échéant avec les ordonnateurs précédemment en fonction

4. Formulation par la CRTC d'un rapport d'observations provisoires , qui n'est théoriquement pas rendu public

5. Possibilité de réponse écrite de la part de(s) l'ordonnateur(s), dans un délai de deux mois, qui peut être prolongé à sa (leur) demande

6. Entretien possible avec l'ordonnateur (ou les ordonnateurs) ou toute autre personne nominativement ou explicitement mise en cause

7. Arrêt par la CRTC d'un rapport d'observations définitives , destiné à être rendu public après réponse de(s) l'ordonnateur(s)

8. Possibilité de réponse écrite de la part de(s) l'ordonnateur(s) , jointe au rapport d'observations définitives si elle est envoyée dans un délai d'un mois

9. Possibilité de demande de rectification d'un rapport d'observations définitives de la part de l'ordonnateur ou de toute autre personne nominativement ou explicitement mise en cause, dans un délai d'un an après sa communication à l'assemblée délibérante.

L'intérêt d'une procédure contradictoire ne saurait être remis en cause. Force est cependant de constater que les délais qu'elle implique ont plusieurs effets négatifs.

Tout d'abord, ils induisent un décalage important entre la période examinée et la période du contrôle , qui limite considérablement l'intérêt des observations de la chambre pour la collectivité . Ces dernières sont en effet souvent difficilement réutilisables dans un contexte différent , alors que l' ordonnateur à la tête de l'organisme contrôlé a, par exemple, pu changer.

La longueur de la procédure implique, en outre, la mobilisation pendant une durée équivalente des services de la collectivité , ce qui n'est pas sans conséquences sur sa gestion.

Elle a également pour effet de multiplier le risque d'un changement de l'interlocuteur représentant la CRTC en cours de procédure, compte tenu du turnover qui caractérise certaines d'entre elles.

b) ... qui nécessite un investissement considérable de la part d'un nombre restreint de collectivités examinées de manière fréquente...

Le ciblage de la programmation sur les comptes dits significatifs implique qu'une collectivité entrant dans cette catégorie fasse l'objet d'un examen de la gestion tous les cinq ans au moins.

A ce critère de programmation s'ajoutent les enquêtes interjuridictionnelles conduites par la Cour des comptes et les CRTC qui le souhaitent , pour lesquelles l'examen de la gestion de certaines grandes collectivités semble souvent incontournable.

Il en résulte que certaines grandes collectivités font l'objet de procédures d'examen de la gestion répétées, avec pour conséquence une « plus-value » limitée pour chacune d'entre elles et une lourde mobilisation des personnels et des élus .

c) ...sans réellement protéger les collectivités contre les risques de dérive
(1) Les limites de la procédure contradictoire

La procédure contradictoire de l'examen de la gestion comporte plusieurs limites.

Les possibilités de défense des ordonnateurs sont tout d'abord inégales selon que ces derniers sont encore en fonction ou non au moment de l'examen de la gestion. Alors qu'ils peuvent s'appuyer sur leur administration et ont accès à un ensemble considérable de documents dans ce cadre dans le premier cas, ces possibilités sont considérablement réduites pour les ordonnateurs ayant quitté leurs fonctions.

Ensuite, la séparation de la procédure en deux allers-retours, conçue pour permettre à la CRTC d'ajuster ses remarques en fonction des réponses des ordonnateurs, n'a de portée en matière de garantie des droits de la défense que dans la mesure où le premier rapport d'observations reste secret. Or, la pratique a montré qu'il était illusoire de compter sur la confidentialité du rapport d'observations provisoires, compte tenu du nombre de personnes conduites à en prendre connaissance (au sein des collectivités comme des CRTC, sans compter les ordonnateurs s'étant succédé au cours de la période examinée, etc.). Un premier rapport d'observations, que la chambre comptait rectifier à la suite de la réponse de l'ordonnateur, peut ainsi très bien se retrouver dans la presse, et être récupéré comme tel alors que les deux parties seraient d'accord sur la nécessité de le modifier.

Enfin, en cas de divergence persistante entre une collectivité et une CRTC, le nombre d'échanges prévus entre les deux entités ne semble d'aucune aide pour la collectivité. Cette divergence peut concerner tant l'appréciation d'une mesure de gestion, que la définition même de l'examen de la gestion, eu égard au risque de basculement vers un contrôle d'opportunité.

Il existe certes une possibilité de réponse, publiée concomitamment au rapport d'observations définitives. Mais que pèsent ces réponses auprès de l'opinion, face aux appréciations d'institutions aussi reconnues que les CRTC, et ce à juste titre, mises à part quelques dérives dont il s'agit justement de protéger les collectivités ?

Quant aux possibilités de recours des collectivités, elles ne peuvent concerner les rapports d'observations en eux-mêmes (CE, 8 février 1999, Commune de La Ciotat). S'agissant du refus opposé par une CRTC à une demande de rectification d'un rapport, le Conseil d'Etat a estimé que « la décision par laquelle la chambre régionale des comptes, soit refuse d'apporter la rectification demandée, soit ne donne que partiellement satisfaction à la demande, est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le juge administratif. Saisi d'un tel recours, le juge administratif peut contrôler la régularité de la procédure suivie et vérifier que la décision contestée ne repose pas sur des faits inexacts et n'est pas entachée d'une méconnaissance, par la chambre régionale, de l'étendue de son pouvoir de rectification. Il ne lui appartient pas, en revanche, eu égard à l'objet particulier de la procédure de rectification des observations définitives des chambres régionales des comptes, de se prononcer sur le bien-fondé de la position prise par la chambre en ce qui concerne l'appréciation qu'elle a portée, dans le cadre des attributions qui lui sont données par la loi, sur la gestion de la collectivité ou de l'organisme en cause 113 ( * ) . »

Le député Pierre Morel-A-L'Huissier a proposé d'autoriser l'ordonnateur de la collectivité 114 ( * ) à porter devant la Cour des comptes « la contestation globale du contenu d'un rapport d'observations définitives 115 ( * ) » dans sa proposition de loi de 2008 tendant à réformer la procédure de l'examen de la gestion.

(2) Des conséquences dommageables

Cette vulnérabilité des collectivités face à l'examen de la gestion est d'autant plus préoccupante que les chambres disposent dans ce cadre de moyens considérables d'investigation, et que leurs observations peuvent avoir un impact important sur la vie locale.

Il existe en effet un fort risque de récupération et d'utilisation à des fins politiques des résultats de l'examen de la gestion. Ce dernier a certes vocation à se solder par un rapport communicable au public, puisqu'il participe du renforcement de la transparence de la vie locale nécessaire au fonctionnement de la démocratie. Il est toutefois regrettable que des remarques formulées dans ce cadre mais erronées ou dépassant l'objet de l'examen de la gestion puissent avoir des effets dévastateurs pour l'ordonnateur de la collectivité. Comme le résumait déjà le sénateur Jacques Oudin en 1998, l'examen de la gestion doit être restitué dans son rôle d'« outil d'aide à la bonne gestion » plutôt que d' « instrument de régulation politico-médiatique 116 ( * ) ».

A l'heure où des réflexions sont menées afin de revaloriser le mandat local et de susciter des vocations, il semble primordial d'attacher une importance particulière à ces difficultés, même si leur occurrence est heureusement de moins en moins fréquente.


* 113 Avis contentieux n° 267415 rendu par le Conseil d'Etat le 15 juillet 2004.

* 114 Ou toute personne nominativement ou explicitement mise en cause.

* 115 Proposition de loi n° 637 tendant à réformer la procédure de l'examen de la gestion des collectivités territoriales, enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier 2008, article 4.

* 116 Pour reprendre le constat réalisé par Jacques Oudin dans son rapport réalisé en 1997/1998, « Chambres régionales des comptes et élus locaux : un dialogue indispensable au service de la démocratie locale ».

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