C. QUELLES PERSPECTIVES POUR L'AGRICULTURE D'IRRIGATION ?

Une part importante de l'eau prélevée pour les besoins agricoles est attribuable à l'agriculture d'irrigation qui, pour n'occuper qu'une proportion minoritaire des surfaces (environ 287 millions d'hectares) est responsable de prélèvements dépassant souvent, en proportion, 90 % du total de l'eau prélevée dans les pays qui la pratiquent.

Pour le futur, l'une des questions principales est de savoir si la disponibilité en eau sera suffisante pour satisfaire les besoins combinés de l'agriculture et des autres usages de l'eau.

À cette interrogation, des études un peu « institutionnelles » apportent une réponse positive. Mais, cette conclusion n'a pas toute la portée qu'on pourrait lui attribuer puisqu'elle est tributaire d'une méthode largement tautologique dans laquelle les besoins en eau d'irrigation sont calculés à partir de projections des surfaces irriguées... elles-mêmes réalisées sous la condition d'une disponibilité présumée des ressources en eau nécessaires. La méthode est donc circulaire : il n'y aura pas de pénurie d'eau pour l'irrigation puisque les surfaces irriguées prendraient en compte les pénuries.

Ces études n'informent pas vraiment sur les besoins d'irrigation mais plutôt sur le potentiel d'irrigation à partir de critères qui ne sont pas complètement identifiables.

Dans ces conditions, tout juste peut-on relever que les estimations du potentiel posées dans lesdites études aboutissent à ce que l'expansion des surfaces irriguées serait assez modeste passant, au niveau mondial, de 287 à 318 millions d'hectares entre 2005 et 2050, soit une progression de l'ordre de 11 %.

Cette dynamique sera très inférieure à celle des besoins d'accroissement de la production agricole pour combler les besoins alimentaires (entre + 70 et + 100 %).

Par ailleurs, le potentiel serait inégalement mobilisé.

L'irrigation ne progresserait pas dans les pays développés (68 millions d'hectares constants, soit 24 % des surfaces concernées en 2005) tandis qu'elle gagnerait 14,6 % dans les pays en développement (de 219 à 251 millions d'hectares).

Hors Chine et Inde, où actuellement l'équipement d'irrigation absorbe plus de la moitié du potentiel installé dans les pays en développement (alors que seuls 2,6 % des équipements sont situés en Afrique subsaharienne), la progression serait un peu plus forte (+ 20 %).

La question des besoins d'investissement doit alors être posée. Apparemment, ils seraient limités puisque les surfaces irriguées augmenteraient peu. En réalité, même dans ce contexte, l'irrigation coûterait cher.

Les estimations sur la progression de l'irrigation concernent des progrès nets qui supposent que les gaspillages actuels soient corrigés, ce qui nécessitera des investissements considérables excédant de beaucoup ce qui serait nécessaire pour mettre en exploitation les 32 millions d'hectares supplémentaires de surfaces irriguées projetés pour les seuls pays en développement à l'horizon 2050.

Aux investissements nécessaires à cette fin s'ajoutent des investissements de réhabilitation qui conduisent à plus que les quadrupler de sorte que l'effort d'investissement (en équivalent surfaces) atteint un niveau de 173 millions d'hectares, nettement plus élevé que les besoins de financement ajustés aux seuls 32 millions d'hectares de mise en irrigation de surfaces nouvelles.

L'évaluation des besoins d'investissement pour l'irrigation suggère donc la nécessité de procéder à un effort important.

Mais la significativité de cette évaluation est toutefois limitée par une contrainte d'accessibilité à la ressource dont les termes ne sont pas complètement précisés si bien qu'on ne peut être tout à fait assuré qu'elle soit entière. Quoiqu'il en soit, cette contrainte posée en hypothèse a pour effet d'aboutir, tautologiquement, à la conclusion que l'eau ne manquera pas aux besoins d'irrigation.

Pourtant, la comparaison entre les ressources disponibles et les besoins de l'irrigation montre que les tensions s'intensifieront dans le futur (même avec la méthode utilisée pour les mesurer).

Ressources en eau renouvelables et consommation pour irrigation

Source : FAO Expert Meeting on How to Feed the World in 2050
24-26 juin 2009

Globalement, la pression sur la ressource ne s'aggraverait que peu. Mais, alors que la pression est déjà très élevée dans certaines zones, elle se renforcerait encore pour y atteindre des niveaux encore moins soutenables que ceux déjà constatés.

Tel serait le cas en Afrique du Nord-Moyen-Orient et dans le Sud asiatique où les niveaux actuels sont déjà considérés comme excessifs notamment si d'autres usages devaient mobiliser davantage la ressource.

À l'horizon 2025, le nombre des pays africains au-dessus du seuil de stress hydrique (1 700 m3) serait de 22 contre les 12 actuellement recensés.

Les pénuries d'eau suscitent la recherche d'innovations

Ainsi, le douzième plan quinquennal chinois (2011-2015), prévoit de multiplier par 5 ou 6 les pluies artificielles sur le nord-est de la Chine afin de favoriser les récoltes.

Actuellement, 50 milliards de m3 de pluie et de neige seraient provoqués. Le plan prévoit d'étendre les programmes dans quatre régions du nord-est et d'élever le niveau des précipitations artificielles à 280 milliards de m3, ce qui correspondrait à environ 10 % du total des précipitations sur le pays

Les pluies artificielles sont provoquées en « ensemençant » des nuages, c'est-à-dire en y intégrant, à l'aide fusées-roquettes, des produits tels que de la glace carbonique ou de l'iodure d'argent. Ces éléments créent des cristaux de glace qui forment les grosses gouttes à l'origine de la pluie.

Une autre technique utilisant l'énergie solaire avait été expérimentée en 2005 par les israéliens. Elle consiste à étaler au sol une grande surface noire qui absorbe l'énergie solaire sur plusieurs kilomètres carrés puis la restitue, ce qui augmente la température de l'atmosphère. L'air chaud monte, se condense et finit par produire de la pluie.

Ce programme est censé aider la Chine à parvenir à atteindre ses objectifs de production de céréales de 550 millions de tonnes par an, aujourd'hui compromis par les sécheresses.

Ces procédés s'ajoutent aux procédés plus traditionnels de désalinisation de l'eau de mer qui représentent des coûts considérables mais sont dans certaines régions, le Proche-Orient notamment, l'une, sinon la seule, des solutions accessibles pour pallier le manque d'eau.

Il va de soi que la soutenabilité de ces techniques n'est pas toujours garantie notamment quand elles concernent des milieux marins fortement contraints.