INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Année après année, le cri d'alarme sur les situations de  mal logement demeure toujours aussi aigu. 133 000 personnes sans domicile, 700 000 personnes privées de domicile personnel et, au total, 3,6 millions de personnes non ou mal logées : tels sont les constats établis, au début de l'année 2012, par la Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés.

Plus d'un demi-siècle s'est pourtant écoulé depuis l'appel du 1 er février 1954 et cinq années nous séparent de l'introduction dans le système juridique français du droit au logement opposable, le « DALO ».

La consécration en 2007 de l'opposabilité du droit à un logement décent et indépendant s'inscrit dans la continuité d'une évolution législative engagée, à la suite des chocs pétroliers des années 70, par la loi n°82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs, dite loi Quilliot. Celle-ci fait du droit à l'habitat un « droit fondamental » qui « s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent » et institue des mesures de régulation visant à instaurer davantage de justice dans les rapports entre propriétaires bailleurs et locataires.

Marquant une réelle prise de conscience, la loi n°90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, ou loi Besson, reconnaît le droit au logement à « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence ». Elle précise que la garantie du droit au logement constitue un « devoir de solidarité pour l'ensemble de la Nation ». En conséquence, chacun doit pouvoir bénéficier d'une aide de la collectivité pour accéder à un logement et s'y maintenir.

En 1995, reconnaissant au droit au logement un objectif ayant valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel assigne une ligne de conduite aux pouvoirs publics, sans pour autant donner à ce droit le caractère subjectif d'un droit constitutionnel fondamental directement invocable par les justiciables 1 ( * ) .

Dans cette ligne, le droit à un logement décent est renforcé par la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL). Celle-ci prévoit des mesures nouvelles destinées à favoriser l'accès des personnes défavorisées à un logement locatif social (renforcement des pouvoirs des commissions départementales de médiation, utilisation du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées comme outil de coordination des attributions prioritaires ou encore mise en place d'accords collectifs avec les bailleurs sociaux prévoyant des engagements annuels quantifiés d'attribution de logements).

Cependant, les mesures mises en place ne permettent pas de compenser les retards accumulés au cours des années 80 et 90 : offre insuffisante ou inadaptée à la demande des ménages à faibles revenus et hausse continue du taux d'effort des ménages en faveur du logement, difficultés de logement touchant également les classes moyennes.

Face à cette situation de crise persistante, le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, placé auprès du Premier ministre, appelle dès 2002 à envisager une nouvelle façon de traiter les problèmes d'exclusion liés au logement par l'imposition d'une obligation de résultat aux pouvoirs publics 2 ( * ) . Cette perspective est relayée par le mouvement associatif et les principaux acteurs engagés en faveur du logement et de l'insertion.

Fin 2006, la mobilisation à forte résonance des associations apparaît sans précédent. Les tentes du canal Saint-Martin en constituent à la fois la manifestation et le symbole fort.

Appelé de ses voeux par le Président de la République le  31 décembre 2006, le projet de loi instituant le DALO est adopté par le conseil des ministres le 17 janvier 2007.

Le même jour, il est déposé sur le bureau du Sénat, après déclaration d'urgence. Le 22 février 2007, avec des délais d'examen particulièrement courts, il est adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.

Le débat parlementaire a remarquablement enrichi le texte, passé de neuf articles au stade du projet à soixante-quinze au stade définitif.

Au Sénat, le texte a été rapporté par M. Bernard Seillier, membre de la commission des affaires sociales. Les rapporteurs pour avis étaient M. Dominique Braye pour la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire et M. Pierre Jarlier pour la commission des lois.

A l'Assemblée nationale, le texte a été rapporté par Mme Christine Boutin, membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Les rapporteurs pour avis étaient M. Jérôme Bignon pour la commission des affaires économiques et M. Georges Fenech pour la commission des lois.

En première lecture, le Sénat a introduit de nombreuses nouvelles mesures en adoptant des amendements concernant principalement le rôle de l'État comme garant du droit au logement, le relèvement des objectifs de construction des logements destinés aux ménages aux revenus les plus modestes, l'extension de la garantie pour risques locatifs, l'indexation des aides au logement sur l'indice de révision des loyers et la mise en place d'un nouveau dispositif de domiciliation des personnes sans domicile stable.

L'Assemblée nationale a préservé les principales mesures introduites par le Sénat tout en apportant des compléments sur des points ciblés.

La commission mixte paritaire qui s'est réunie le 22 février 2007 à l'Assemblée nationale est parvenue à l'élaboration d'un texte commun sur les articles du projet de loi restant en discussion. Elle a supprimé certaines dispositions dont elle jugeait qu'elles devaient faire l'objet d'une étude et d'une concertation plus approfondies (reconnaissance par la commission de médiation du caractère insalubre d'un logement et instauration d'une procédure judiciaire de constat d'inoccupation de locaux d'habitation).

La loi n°2007-290 instituant le droit au logement opposable (DALO) et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale a été promulguée par le Président de la République le 5 mars 2007. Le droit au logement devient ainsi le troisième droit opposable du système juridique français, après la santé et l'éducation.

Cinq ans après cette importante avancée et tandis que la crise économique est venue amplifier la crise du logement, il a paru utile d'examiner le DALO à l'épreuve des faits dans le cadre des travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.

Fidèles à l'esprit qui anime cette commission, vos rapporteurs ont considéré que ce contrôle ne devait pas consister uniquement à vérifier que les mesures réglementaires d'application du dispositif DALO ont bien été adoptées. Au-delà de ce travail d'inventaire, ils ont souhaité confronter les résultats obtenus sur le terrain avec les objectifs de la loi, tels qu'ils résultent de l'exposé des motifs et des intentions du législateur.

A cette fin, vos rapporteurs ont procédé à un nombre significatif d' auditions de différentes personnalités . Ils ont rencontré des représentants d'institutions et d'associations membres du comité de suivi de la mise en oeuvre du DALO. Ils ont entendu les acteurs du DALO au ministère chargé du logement ainsi que les bailleurs sociaux. Ils se sont entretenus avec des représentants des juridictions administratives. Des auditions ont également été menées avec des représentants d'associations d'élus (Association des maires de France, Association des maires « Ville et banlieue » de France, Assemblée des départements de France), de l'Agence nationale de l'habitat mais aussi du Comité d'évaluation et de suivi de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine 3 ( * ) .

De surcroît, vos rapporteurs ont sollicité les commissions départementales de médiation du DALO, placées au coeur du dispositif, par un appel à contributions lancé à partir d'un questionnaire. Il leur a paru nécessaire de recueillir, auprès de chacune d'entre elles, des informations éclairées par leur expérience concrète des dossiers.

Vos rapporteurs souhaitent témoigner ici leur reconnaissance à l'ensemble des personnalités rencontrées et des représentants des commissions de médiation. Ils tiennent à les remercier pour leur disponibilité et leurs contributions très utiles .

Le présent rapport est structuré en trois parties :

- la première partie présente les principales dispositions de la loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale,

- la deuxième partie est relative aux mesures réglementaires d'application de la loi et aux faits saillants qui ressortent de sa mise en oeuvre sur le terrain ,

- dans une troisième partie , vos rapporteurs ont jugé nécessaire d'aborder le problème de la gouvernance du DALO et de l'objectif de mixité sociale, dans la perspective notamment des programmes de rénovation urbaine .

Chacune des deux dernières parties esquisse des orientations possibles pour donner enfin au DALO toutes ses chances de réussite.

I. LA LOI INSTITUANT LE DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE OU L'IMMENSE DÉFI D'UNE OBLIGATION DE RÉSULTAT INCOMBANT À L'ÉTAT

L'objectif de la loi DALO, tel que l'énonçait le Gouvernement dans son exposé des motifs, est « de permettre aux personnes défavorisées prioritaires dans l'attribution d'un logement de pouvoir non seulement saisir la commission de médiation mais aussi d'engager un recours devant la juridiction administrative en cas d'avis favorable de la commission non suivi d'effet dans un délai raisonnable ».

Il s'agissait ainsi d'assurer le passage d'une obligation de moyens à une obligation de résultat, par l'instauration d'une éventuelle sanction juridictionnelle devant la carence des pouvoirs publics . La loi DALO définit en effet :

- un principe fort : l'opposabilité du droit au logement à l'encontre de l'État seul ;

- une procédure juridique innovante : la possibilité de saisir, sous certaines conditions, la juridiction administrative pour contraindre l'État à honorer ses obligations de logement ou de relogement ;

- et des mesures d'ajustement d'ordre financier et fiscal qui traduisent, plus généralement, l'effet de levier attendu de la loi sur le renforcement des capacités du parc immobilier social.

A. L'ÉTAT, SEUL GARANT DU DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE

1. Une responsabilité juridique entièrement portée par l'État
a) L'opposabilité du droit au logement

Principe phare, l'opposabilité est instituée à l'article 1 er de la loi du 5 mars 2007, codifié à l'article L. 300-1 du code de la construction et de l'habitation (CCH) : le « droit à un logement décent et indépendant (...) est garanti par l'État à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d'État, n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir ».

La loi prévoit ainsi que la responsabilité juridique du respect du DALO incombe, à titre exclusif, à l'État . Au cours des travaux préalables à l'adoption, le législateur a en effet tenu à faire valoir que la garantie étatique serait le gage d'une application équitable et solidaire du DALO sur l'ensemble du territoire. A ainsi été supprimée du projet de loi initial, à l'initiative du Sénat, toute disposition prévoyant le transfert automatique de la responsabilité de la mise en oeuvre de ce droit aux collectivités signataires d'une convention de délégation du contingent préfectoral.

Le contingent de réservation de logements locatifs sociaux dont dispose chaque préfet de département constitue le principal outil de l'État pour remplir son obligation de logement ou de relogement. En application de l'article R.441-5 du CCH, ce contingent correspond à 30 % du patrimoine de chaque bailleur social du département, dont 25 % pour les personnes défavorisées.

b) Les obligations de l'État en matière d'accès à l'information

Les auditions réalisées préalablement à l'adoption de la loi DALO avaient montré, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, des lacunes dans les dispositifs d'accompagnement social des personnes défavorisées faisant l'objet d'une procédure de logement ou de relogement.

C'est la raison pour laquelle la responsabilité de l'État au titre du DALO inclut des obligations en matière d'accès à l'information qui se traduisent par :

- le principe de la diffusion par le préfet, en concertation avec les autres organismes, les associations et les autorités publiques concourant à la réalisation des objectifs d'aide au logement dans le département, des informations relatives au DALO (article 5 de la loi) ;

- l'affirmation selon laquelle la promotion du droit au logement constitue l'un des objectifs des formations sociales proposées aux travailleurs sociaux (article 6) ;

- l'obligation pour le préfet d'informer par écrit les personnes auxquelles une proposition de logement ou d'hébergement a été adressée concernant des dispositifs et structures d'accompagnement social disponibles dans le département (article 7).

2. La possibilité d'expérimenter une délégation aux intercommunalités de la garantie du DALO

L'article 14 de la loi prévoit la possibilité de recourir, pendant une durée de six ans, à un dispositif expérimental de délégation de la garantie du droit au logement à certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, signataires d'une convention de délégation des aides à la pierre .

La convention conclue à cet effet entre l'EPCI, l'État, les communes membres de l'EPCI et les départements concernés doit prévoir la délégation au président de l'EPCI de :

- tout ou partie des réservations de logements dont le préfet bénéficie sur le territoire du département dans lequel il représente l'État ;

- la mise en oeuvre des procédures de résorption de l'insalubrité et de lutte contre la présence de plomb ;

- la mise en oeuvre des procédures de résorption des immeubles menaçant ruine ;

- la mise en oeuvre des procédures de réquisition ;

- et de tout ou partie des compétences du département dans le domaine de l'action sociale.

L'évaluation du dispositif doit intervenir dans un délai de six mois avant le terme de l'expérimentation dans le cadre d'un rapport remis par le Gouvernement au Parlement et comprenant les observations de l'EPCI et des autres collectivités territoriales concernés.

3. Un suivi du respect de l'obligation de résultat défini par la loi elle-même

L'un des traits marquants de la loi instituant le DALO est qu'elle organise elle-même les modalités selon lesquelles sa mise en oeuvre sera évaluée à échéances données . L'objectif poursuivi est d'accompagner la mise en place du dispositif en ajustant, si nécessaire, les modalités concrètes de son application, voire les échéances de son déploiement.

A l'initiative du Sénat, l'article 13 de la loi institue un comité de suivi de la mise en oeuvre du DALO associant le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, les associations représentatives d'élus locaux et les associations et organisations oeuvrant dans les domaines du logement et de l'insertion. Ce comité est chargé de remettre un rapport annuel au Président de la République, au Premier ministre ainsi qu'au Parlement .

Le Conseil économique, social et environnemental est également tenu d'établir un rapport d'évaluation relatif à la mise en oeuvre du DALO avant le 1 er octobre 2010 (article 12 de la loi du 5 mars 2007).


* 1 Décision 94-359 DC du 19 janvier 1995.

* 2 Huitième rapport du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, « Vers un droit au logement opposable », 2002.

* 3 La liste des personnes auditionnées figure en annexe du présent rapport.

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