D. UN ENJEU ESSENTIEL : VEILLER À CE QUE L'OFFRE DE CHERCHEURS PERMETTE DE SATISFAIRE LA DEMANDE DES ENTREPRISES

Un enjeu essentiel, qui n'a semble-t-il été souligné par aucun rapport 127 ( * ) , est que la réforme du CIR de 2008 n'aura guère d'utilité si l'offre de chercheurs ne permet pas de répondre à la demande accrue des entreprises . En effet, on a vu que le CIR repose pour les trois quarts sur les salaires.

Quand on dit qu'il faut maximiser l'effet de levier du CIR, cela signifie qu'il faut maximiser l'effet de levier « réel » . Il serait peu utile que les entreprises dépensent plus d'argent en R&D, si cela sert seulement à financer une rémunération plus élevée pour les chercheurs.

1. La réforme du CIR de 2008 suppose un doublement temporaire du nombre d'embauches de chercheurs
a) La captation partielle des incitations à la R&D par les salaires des chercheurs : un phénomène reconnu par les économistes

L'offre de chercheurs est relativement « peu élastique », en tout cas à court terme : compte tenu du temps nécessaire pour former un chercheur, le CIR se traduira au moins en partie non par des embauches supplémentaires, mais par des augmentations des salaires des chercheurs.

Cette question a fait l'objet de peu d'études empiriques. On peut notamment citer celle publiée en 1998 par l'économiste américain Austan Goolsbee 128 ( * ) . Cet auteur considère que l'augmentation de 11 % (en points de PIB) des dépenses fédérales en faveur de la R&D de 1980 à 1984 a augmenté les salaires des scientifiques et des ingénieurs de 3,3 % et, compte tenu de la part des salaires dans les dépenses de R&D, en déduit que cette augmentation de 11 % n'est plus que de 7,6 %, soit 30 % plus faible, une fois corrigée de ce phénomène.

b) Selon l'étude du Trésor de janvier 2009 sur le CIR, la réforme de 2008 implique de faire temporairement passer de 6 000 à 11 000 le nombre d'embauches annuelles de chercheurs par les entreprises

L'impact du CIR sur les salaires des chercheurs est reconnu par l'étude précitée du Trésor de janvier 2009.

Toutefois, il demeurerait peu significatif. Ainsi, dans le scénario qu'elle retient, en 2009-2020 le taux de croissance annuel des salaires passerait de 3,17 % en début de période à 2,04 % en fin de période, contre 2 % sans la réforme de 2008, d'où des effectifs de chercheurs accrus de 3 % de moins que ce qui résulterait de l'application d'une règle de proportionnalité à l'augmentation du ratio DIRDE/PIB.

L'effet de la réforme du CIR sur la DIRD, l'effectif des chercheurs et leurs salaires, selon la direction du Trésor

Source : Paul Cahu, Lilas Demmou, Emmanuel Massé, « Les effets économiques de la réforme du crédit d'impôt recherche de 2008 », Trésor-éco n° 50, janvier 2009

Cependant l'étude du Trésor souligne qu'« en cas de tensions sur le marché du travail, la hausse des dépenses en R&D peut se traduire par un effet prix très élevé (hausse des salaires) au détriment d'un effet volume (hausse du nombre de chercheurs) ». Or, « en tenant compte de l'accroissement des salaires, les besoins nets en nouveaux chercheurs nés du renforcement du dispositif sont estimés toutes choses égales par ailleurs à 25 000 chercheurs sur la période 2008-2020 : 5 300 chercheurs de plus par an en début de période (2009-2010), 200 nouveaux chercheurs en fin de période (2019-2020) ». Ainsi, « si les besoins du secteur privé concernent essentiellement les chercheurs en sciences, sachant que l'offre annuelle dans ce domaine s'élève à 6 000 nouveaux docteurs, la France devra sur la période 2009-2013 quasiment doubler le nombre de docteurs formés annuellement dans ce domaine ou attirer des docteurs formés à l'étranger ».

A ce jour, il ne semble pas que cet effet se soit produit. Notons par ailleurs que le taux de chômage des docteurs a augmenté.


* 127 Cet enjeu est toutefois reconnu par les deux études précitées des économistes du Trésor de 2009 et 2010. En particulier, selon l'article de 2010 « les effets de la réforme du CIR sur l'innovation et la croissance dépendront des efforts consentis pour former de nouveaux chercheurs » (Paul Cahu, Lilas Demmou, Emmanuel Massé, « L'impact économique de la réforme du crédit d'impôt recherche », Revue économique 2010/2 vol. 61, Presses de Sciences Po, 2010).

* 128 Austan Gooslbee, « Does Government R&D policy mainly benefit scientists and engineers ? », NBER Working Paper 6532, avril 1998.

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