EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le jeudi 26 juillet 2012 pour l'examen du présent rapport.

M. Simon Sutour , président :

Une délégation de notre commission s'est rendue au mois de mai en Roumanie et en Bulgarie pour se rendre compte sur place des progrès réalisés par ces deux pays pour répondre aux standards européens. Nous voulions également nous rendre dans un poste frontière pour y voir comment sont mises en place les procédures Schengen. Ce déplacement, auquel ont participé Mme Morin-Desailly, Mme Bourzai, M. Billout, M. Humbert et moi-même, a été riche d'enseignements.

Le traité d'adhésion à l'Union européenne de la Roumanie et de la Bulgarie a été signé à Luxembourg le 25 avril 2005. C'étaient alors les deux derniers pays de l'Est à retourner dans le sein de l'Europe libre. On savait qu'ils étaient moins avancés sur le plan économique et juridique que d'autres pays de l'Est, mais on espérait qu'ils allaient rattraper le temps perdu et répondre aux critères économiques et démocratiques exigeants de l'Union.

C'est ce qui fut fait, à un rythme soutenu tant était grand alors le désir de rejoindre le club des démocraties relativement riches et stables. Toutefois, il est vite apparu que la préparation de la Roumanie et de la Bulgarie ne serait pas parfaite à la date définitive de leur entrée. Nous savions notamment que la construction de l'État de droit n'était pas achevée. Les ambassadeurs de France dans ces deux pays, que nous avions entendus il y a quelques années, nous l'avaient confirmé.

En 2006, la Commission européenne signalait dans son rapport que la Bulgarie devait faire des efforts supplémentaires en matière de justice et de lutte contre la corruption ; elle demandait également une intensification de la lutte contre la corruption en Roumanie et relevait que la protection des minorités n'y avait pas enregistré de progrès tangibles.

A la veille d'un élargissement historique, il fallait rester lucide et mettre toutes les chances du côté des deux nouveaux entrants en balisant le chemin de leur progression. On créa donc le Mécanisme de coopération et de vérification (MCV), garant des conditions requises pour fonder un véritable État de droit. Depuis 2007, la Bulgarie et la Roumanie ont donc l'obligation de rapporter à la Commission sur les progrès réalisés en vue d'atteindre les objectifs de référence, la Commission faisant un bilan tous les six mois.

En 2010, les rapports étaient encore préoccupants. L'Union décida donc le 13 septembre 2010 de prolonger le contrôle de la Bulgarie et de la Roumanie pour un an ; puis à nouveau le 20 juillet 2011. Le 18 juillet dernier, la Commission a annoncé que le MCV était maintenu pour ces deux pays, et que leur entrée dans Schengen était compromise.

La déception est grande. Depuis un an, la Roumanie et la Bulgarie se battaient pour obtenir la suppression du MCV et l'entrée dans l'espace Schengen, en tentant de distinguer les critères exigés pour Schengen de ceux du MCV.

L'agacement provoqué par le MCV était palpable chez nos interlocuteurs. Mais les ministres des affaires européennes des deux pays préfèrent souligner les progrès accomplis plutôt que de remettre en cause le MCV. Les ministres de l'Intérieur font de même en ce qui concerne les critères Schengen. Le MCV reste toutefois perçu par les politiques comme une atteinte à la souveraineté nationale. Personnellement, j'estime qu'il faut aider les pays à se conformer aux standards européens, mais qu'aucun pays n'est irréprochable. Lors de la réunion des présidents des commissions des affaires européennes, mon homologue du Bundesrat s'était montré très sévère envers la Roumanie, où une procédure de destitution du président de la République est en cours, oubliant que le président allemand a démissionné car sa probité était mise en cause. En France, des douaniers de Roissy sont soupçonnés de corruption. Il faut donc relativiser !

Même si nous avons toujours insisté sur la « coopération » plus que sur la « vérification », nos interlocuteurs officiels dans leur majorité ont récusé le mécanisme, oubliant parfois qu'il ne se perpétue que parce que les avancées sont trop lentes. Pourtant, les progrès existent, même s'ils sont insuffisants. La Commission européenne le reconnaît, mais préfère continuer à exercer une pression.

La Bulgarie et la Roumanie sont sur la défensive et dans l'expectative. Les conclusions de la Commission dans le cadre du MCV sont négatives. On ne sait si la décision sur l'élargissement de Schengen, qui doit être prise à l'automne, pourra être positive.

Pourtant, un nouveau climat s'était établi depuis le changement de majorité en France. J'ai lu que Manuel Valls avait évoqué Schengen lors de son audition au Sénat hier ; peut-être Mme Tasca, qui y assistait, pourra nous en dire davantage.

Les événements politiques en Roumanie, où des élections générales se tiendront à l'automne, ont certes inquiété les chancelleries et la Commission européenne, car les réformes demandées dans le cadre du MCV impliquent un consensus politique et social fort. L'optimisme est aujourd'hui moindre, mais on ne saurait préjuger de la capacité de la Roumanie à rebondir. Plutôt que de tancer ces pays, il faut les aider !

La crise économique pèse sur leur redressement et impose une politique de rigueur aux deux États les plus pauvres de l'Union. La richesse produite par habitant reste inférieure à la moitié du niveau européen : 44 % pour la Bulgarie, 46 % pour la Roumanie. Leur population diminue. En Roumanie, la croissance est revenue à 2,5 % en 2011 après avoir connu un pic à 7,5 % en 2007 et des taux négatifs de 2008 à 2010. Le chômage reste élevé, à 12 %. Le salaire mensuel moyen est inférieur à 350 euros. Les salaires du secteur public sont gelés après avoir été dévalués de 25 %. La TVA a été portée à 24 %. 200 000 fonctionnaires ont été licenciés. En outre, la Roumanie subit l'effondrement des investissements étrangers et la fuite des cerveaux : les meilleurs étudiants sont repérés et recrutés par des entreprises étrangères comme Deutsche Bahn. Enfin, le déficit public s'élève à 34,5 % du PIB.

La Bulgarie, pour sa part, a connu une période faste jusqu'en 2007 ; la crise a ensuite empêché toute croissance. Le taux de 2011 - 1,6 % - annonce un léger redémarrage. Le salaire moyen est de l'ordre de 300 euros. Le déficit public tourne autour de 15 % mais le chômage reste élevé : 12,2 % en 2011.

Dans ce contexte, on regrette que les fonds européens ne soient pas mieux utilisés. Ces fonds - de 19,7 milliards d'euros pour la Roumanie de 2007 à 2013 et de 6,9 milliards pour la Bulgarie - ne sont pas suffisamment consommés, faute de capacités administrative et juridique suffisantes. En outre, ces pays n'ont pas de capacités d'autofinancement.

La Roumanie et la Bulgarie reconstruisent l'intégralité de leur système judiciaire, ce qui prend du temps, d'autant qu'une partie de la classe politique et judiciaire ne joue pas le jeu. La Commission européenne s'impatiente : elle demande qu'une Cour constitutionnelle et un Conseil supérieur de la magistrature fonctionnent normalement dans chacun des deux pays, et que les procédures soient accélérées dans les affaires de corruption afin que les délais de prescription ne soient pas systématiquement dépassés. Là encore, relativisons : le fonctionnement d'une Cour constitutionnelle relève de la souveraineté des États, et les problèmes liés aux nominations de magistrats ne sont pas propres à ces deux pays !

Où en sont les préparatifs pour l'entrée dans Schengen ? En Roumanie, nous nous sommes rendus dans un poste frontière. Si ce que l'on nous a montré nous a paru très positif, les policiers français qui nous accompagnaient nous ont donné un éclairage différent... Nous avons visité au ministère de l'Intérieur le système SIS I+ : là encore, nous avons vu des gens jeunes, bien formés, volontaires. Enfin, le plan d'action 2012 de lutte contre l'immigration illégale semble un gage de bonne volonté. La Roumanie a pris conscience des enjeux de Schengen. Le ministre de l'Intérieur se dit prêt. Quant à la Bulgarie, elle tient des statistiques encourageantes sur la police des frontières.

La Roumanie et la Bulgarie sont conscientes que l'entrée dans Schengen introduira des contraintes fortes et coûteuses. La France propose de renforcer la coopération en matière de douane et de créer un corps européen dans le cadre de Schengen. Les progrès sont indéniables. L'idéal, à terme, serait une douane européenne. D'ici-là, les ministres de l'Intérieur disent souhaiter une coopération avec les policiers et douaniers des autres États membres, coopération qui a déjà commencé, notamment sur la frontière serbe. Nous soutenons ces initiatives.

De cette mission ressort l'impression que la Bulgarie et la Roumanie sont encore en phase de transition, et peinent à établir un État de droit irréversible. Dans son rapport du 18 juillet, la Commission européenne doute sérieusement de la capacité de Bucarest à maintenir les réformes entreprises grâce au MCV. Les objectifs n'étaient pas atteints ; pour la Commission, ils ne sont peut-être même pas poursuivis sincèrement. C'est pourquoi elle conclut à la poursuite du MCV et exige du gouvernement roumain la révocation des ordonnances d'urgence touchant la Cour constitutionnelle et sa décision relative au mode de participation au référendum du 29 juillet sur la destitution du président de la République. Le Premier ministre M. Victor Ponta s'est engagé par écrit à respecter les exigences de la Commission. Le gouvernement roumain promet de tirer toutes les conclusions qui s'imposent et dénonce les effets dévastateurs d'une « guerre mensongère » orchestrée par ses rivaux politiques, qualifiée de « guerre lancée depuis la Roumanie contre la Roumanie ».

La Bulgarie échappe à une nouvelle évaluation à mi-parcours. La Commission juge qu'elle est en passe de remplir ses objectifs au titre du MCV, mais que celui-ci doit se poursuivre tant que des manquements perdurent.

Selon la Commission, la situation des deux pays au regard du MCV rendra très difficile la négociation de leur entrée dans l'espace Schengen, ce qui signifie que celle-ci sera à nouveau reportée. Peut-être le Conseil européen aura-t-il une position différente de celle de la Commission : les prochaines élections aux Pays-Bas - qui avaient bloqué l'adhésion à Schengen de ces deux pays sous la pression d'un des partis de la coalition au pouvoir - devraient redistribuer les cartes.

Je ne partage pas forcément l'analyse de la Commission européenne. Comme l'ont rappelé mes homologues du Sénat et de l'Assemblée nationale roumains, le peuple souverain s'exprimera, lors du référendum du 29 juillet et surtout lors des élections générales fin novembre.

Nous sommes conscients que la transition est loin d'être terminée en Roumanie et qu'elle progresse lentement en Bulgarie. Nous voulons être lucides, sans pour autant soutenir sans nuance l'attitude très sévère de la Commission. Pour le bien de la Roumanie et de la Bulgarie comme pour celui de l'Europe, il faut être vigilant - et ce dans tous les pays, car le combat n'est jamais totalement gagné !

Nos amis roumains reconnaissent que sans la pression de l'Europe, les réformes ne se seraient pas faites aussi vite. Nous avons constaté la même chose en Croatie : la volonté d'adhérer à l'Union européenne incite à faire des efforts. Plus de vingt ans se sont écoulés depuis le retour à la démocratie : c'est peu. L'Europe peut se féliciter d'avoir contribué à amorcer cette transition et la France d'avoir toujours été aux côtés de la Roumanie et de la Bulgarie. Nous avons une réelle influence dans ces deux pays, qui sont tous les deux membres de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Nous avons été très bien reçus. La jeune présidente de la commission des affaires européennes bulgare, que nous avions reçue ici, est très représentative de la nouvelle génération d'élus de ces nouvelles démocraties.

Mme Catherine Tasca :

Lors de son audition hier devant le Sénat, marquée par un très long exposé du président Sueur et de nombreuses interventions de parlementaires, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, qui avait un avion à prendre, n'a répondu que très brièvement. Il n'a fait qu'une allusion à Schengen dans son propos liminaire, pour dire que la dernière réunion du Conseil ne posait aucun problème. Je lui ai demandé comment il interprétait l'attitude des autres États membres et dit notre inquiétude face à l'évolution politique de certains États sur les questions d'immigration. Je n'ai pas eu de réponse.

M. Simon Sutour , président :

A en croire la presse de ce matin, le ministre aurait dit que la France n'était pas pour la fermeture temporaire des frontières, contrairement au gouvernement précédent.

Mme Catherine Tasca :

Le ministre a manifestement complété sa communication. Au Sénat, il n'a pas été aussi précis.

Mme Catherine Morin-Desailly :

Je partage l'analyse du président Sutour. Lors de notre déplacement, nous avons essayé de répondre aux questions et aux inquiétudes de nos homologues. J'ai pour ma part été frappée par la pesanteur du passé : on sent que ces démocraties sont très jeunes. J'ai ressenti un fort besoin d'Europe, qui s'exprime de façon peut-être exigeante, mais c'est aussi un élément dynamique. La fuite des cerveaux est une réalité, et nous avons été alertés sur le manque de formations professionnalisantes préparant à l'entreprise. Enfin, le président Sutour a toujours insisté sur les aspects positifs du MCV, et rappelé que nous préférions la coopération à la vérification.

Mme Bernadette Bourzai :

Je partage moi aussi l'analyse du président Sutour. J'ai pour ma part interrogé nos interlocuteurs sur la PAC et la politique de cohésion. La Roumanie et la Bulgarie attendent une convergence renforcée des aides au plan agricole. Pour ce qui est de la politique de cohésion, la Bulgarie s'en sort un peu mieux que la Roumanie, mais le cofinancement demeure un problème : ces pays ne parviennent pas à mobiliser des fonds pour mener les projets d'infrastructures qui permettraient de consommer les crédits avant la fin 2013. Le risque de dégagement d'office est réel. Plutôt que de les condamner, il faut aider ces pays, leur apporter ingénierie et conseils. La région Limousin, par exemple, est fortement consommatrice de fonds structurels : ne pourrait-on envisager des jumelages, des transferts de savoir-faire pour aider ces pays à progresser ?

M. Michel Billout :

Je suis chargé d'un rapport sur la population Rom dans l'Union européenne, que je rendrai en novembre. L'extrême pauvreté qui sévit en Roumanie et en Bulgarie - qui ne touche pas que cette population - hypothèque leur avenir. Elle se traduit par une très forte émigration économique, de la population Rom mais aussi des plus qualifiés. Beaucoup de médecins roumains quittent leur pays pour la France ! De nombreux étudiants français font leurs études de médecine en Roumanie, mais ne resteront pas une fois diplômés. La situation est inquiétante.

La courbe démographique de la Bulgarie est très négative et les pertes de population importantes, pour un pays qui ne compte que 7 millions d'habitants.

La Roumanie et la Bulgarie ont besoin de l'Union européenne pour atteindre les objectifs qui leur ont été fixés. La politique de sanction n'est pas la plus adaptée. Les institutions restent instables, la vie politique ne s'y appuie pas sur des partis forts, mais se structure autour de personnalités : le parti au pouvoir en Bulgarie est celui du maire de Sofia. Sans stabilité politique, les progrès seront plus difficiles. M. Bernard-Reymond et moi-même avions déjà souligné ces problèmes en 2009 dans une communication sur le MCV. Si la coopération aide à avancer, les rapports annuels entretiennent surtout le jeu politicien...

M. Jean-François Humbert :

Je serai bref, car j'étais le douzième homme de la délégation, et ne suis pas resté sur le terrain pendant toute la durée du match. On a évoqué la fuite des cerveaux : c'était le cas du fiancé de notre guide, aspiré par une grande entreprise allemande. Je partage les analyses de notre président. Ce voyage a été passionnant. J'ai été particulièrement frappé par la pauvreté ambiante en Bulgarie, qui laisse présager des jours difficiles.

M. Nicolas Alfonsi :

J'avais été le seul au Sénat à voter contre l'adhésion de ces deux pays. Ce que je viens d'entendre ne m'aura pas fait changer d'avis !

M. Simon Sutour , président :

Il était utile de nous rendre sur place et de rencontrer nos homologues. Nous devons être lucides et vigilants, mais ces deux pays confrontés à bien des difficultés doivent pouvoir trouver chez leurs partenaires européens un esprit d'amitié et de coopération. Ne nous érigeons pas en juges !

A l'issue du débat, la commission a décidé d'autoriser la publication du rapport.

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