B. LA TRANSFORMATION DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE D'EXPERTISE S'EST TRADUITE PAR UNE DIMINUTION IMPORTANTE DES ASSISTANTS TECHNIQUES PERMANENTS ET LA MISE EN PLACE D'UNE POLITIQUE DE PROMOTION DE L'EXPERTISE FRANÇAISE À L'INTERNATIONAL

En tant que politique publique composante de la politique de coopération au développement, le recours à l'expertise technique a pris des formes variées avec cependant deux grandes catégories :

- l'assistance technique à moyen-long terme, aussi connue comme « résidentielle » qui peut se définir comme la mise à disposition d'agents d'Etat ou de contractuels par l'Etat français pour de l'appui et de l'animation des équipes sur place. Il s'agit le plus souvent d'appui aux administrations et de renforcement des capacités locales, de conseil pour la définition des politiques, et l'appui à des projets de développement spécifiques.

- l'expertise technique de courte durée mise en oeuvre par une multiplicité d'opérateurs privés ou publics sur des marchés ouverts à la concurrence.

1. L'assistance technique résidente qui a longtemps été considérée comme une force de la politique de coopération française a aujourd'hui considérablement diminué

L'assistance technique, développée par la France dans les années 1960 dans les anciennes colonies qui venaient d'accéder à l'indépendance, consistait dans la mise à disposition d'experts techniques, le temps de la mission de coopération, au service de l'Etat récipiendaire de l'aide.

En pratique, l'assistance technique a permis à la France de conserver une influence importante dans les pays de la zone prioritaire. Si les premiers décrets qui fixent le cadre de la coopération par le biais de l'assistance technique datent de 1961, la nature de la mission de coopération, la durée maximale et la rémunération sont définies par trois décrets de 1992.

Dès le début des années 1990 et, de manière plus marquée encore, après la réforme de 1998, on observe une réduction importante du nombre d'assistants techniques.

Évolution des effectifs des assistants techniques de 1990 à 2000

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

9 074

8 509

7 597

6 863

5 996

5 129

4 611

3 993

3 675

3 282

2 806

Source : MAE

En 1979, les effectifs des assistants techniques s'élevaient à environ 10 976 pour n'atteindre plus que 2 806 en 2000, soit une diminution de 75 % des effectifs.

Évolution des effectifs d'Assistance technique de 1990 à 2011

Source : MAE

Entre 2001 et 2011, la diminution s'est poursuivie ; on constate une baisse des effectifs de l'assistance technique de près des deux tiers.

Sur l'ensemble de la période de 1990 à nos jours, la diminution des effectifs s'explique principalement par l'abandon progressif de la coopération de substitution mise en place dans les années 60 à travers la mise à disposition permanente d'experts techniques, dont une grande partie d'enseignants, auprès de gouvernements ou d'institutions étrangères dans le monde.

Cette évolution correspond à la fois à la volonté politique de mettre fin à un système d'assistance permanente trente ans après les indépendances et à la prise en compte de contraintes budgétaires.

Il s'agit de rompre avec un système hérité de la période coloniale et de réduire le coût lié au financement d'un personnel permanent, installé auprès des autorités de pays partenaires qui ont eu le temps de se constituer des élites administratives.

Une fois les gros bataillons d'experts techniques supprimés, les suppressions ont eu pour cause la contribution aux contraintes imposées par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ainsi qu'à l'abandon de projets dont les financements n'étaient plus assurés.

Parallèlement, la responsabilité d'une partie des assistants techniques qui relevaient du ministère des affaires étrangères, dans les secteurs de l'éducation et de la santé notamment, a été transférée à l'Agence Française de Développement à laquelle il a été demandé de passer par FCI puis FEI pour la gestion des experts relevant de la fonction publique. Le ministère a, quant à lui, conservé la gestion des assistants liés à la gouvernance.

Le recours à l'expertise technique est cependant désormais majoritairement conçu comme des missions temporaires d'experts à haute valeur ajoutée, placés en position de conseillers auprès de décideurs locaux ou affectés à des fonctions d'animation dans le cadre de projets de développement.

Votre commission a pu constater, notamment à travers les travaux sur le terrain de ses rapporteurs budgétaires de la mission « aide au développement », MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, que cette réduction a été tellement drastique que les moyens d'interventions bilatéraux de la France pour aider à la modernisation des Etats africains ou à la transition démocratique dans les pays du Maghreb sont aujourd'hui extrêmement limités.

La présence d'assistants techniques sur le terrain demeure un atout précieux pour la coopération au développement aussi bien en matière d'efficacité que d'influence.

La récente évaluation de la Cour des comptes sur l'aide au développement 1 ( * ) cite de nombreux témoignages allant dans ce sens. L'ambassade au Sénégal estime ainsi que « le dispositif d'assistance technique géré par le Département est très apprécié tant par les administrations sénégalaises que par les partenaires techniques et financiers, en particulier multilatéraux ».

Leur présence se révèle même de nature à renforcer les actions multilatérales, comme au Togo, où, selon l'ambassade, « de nombreux projets européens seraient incapables d'atteindre les objectifs fixés s'ils n'étaient pas appuyés, voire directement mis en oeuvre par l'assistance technique française ».

De même, l'Inspection générale des affaires étrangères pouvait-elle constater, en mai 2009, dans un des pays pauvres prioritaires du Sahel : « la baisse continue des crédits de coopération conjuguée à la fermeture des postes d'assistance technique qui sont comptabilisés dans les équivalents temps plein (ETP) sous plafond dont il convient de réduire le nombre, alors même que leur présence dans ce pays est une action de coopération en soi, finira par rendre notre pays inaudible dans ce pays » 2 ( * ) .

Avec moins de 400 assistants techniques en Afrique subsaharienne, la France y dispose aujourd'hui de moins d'assistants que l'Allemagne où l'opérateur technique GIZ déploie 1 350 experts expatriés et 11 240 experts nationaux.

C'est pourquoi votre commission considère, depuis plusieurs années, que la France a été trop loin et a sacrifié un instrument de coopération précieux dont l'influence et l'intérêt économique sont pourtant reconnus 3 ( * ) .

Cette transformation des modalités de la coopération en matière d'expertise est cependant un mouvement général au sein des pays de l'OCDE auquel la France s'est adaptée en créant, à l'image de FEI, des opérateurs de promotion de son expertise publique à l'internationale.

2. La coopération en matière d'expertise technique passe aujourd'hui par la promotion des opérateurs français publics et privés sur les marchés internationaux financés par l'aide multilatérale à laquelle la France contribue largement

Car si la mise à disposition d'assistants techniques permanents est devenue plus rare, le marché de l'expertise de courte durée, lui, connaît un développement important.

La présence croissante des bailleurs de fonds multilatéraux sur les « marchés » de l'expertise entraîne une demande fondée sur des appels d'offres internationaux, notamment de la Banque mondiale et des fonds communautaires.

Dans ce contexte, la politique des pouvoirs publics consiste à promouvoir l'expertise française sur les marchés et enceintes internationales, à recueillir et partager l'information, à renforcer la qualité et les performances de ces opérateurs, à améliorer leur coordination pour assurer la visibilité et la pertinence des réponses françaises aux appels d'offres et à dynamiser la gestion des ressources humaines des ministères et des opérateurs français afin d'assurer l'attractivité des missions à l'international pour accroître le vivier des experts disponibles.

Ces opérateurs sont nombreux. Chaque ministère ou presque a, en effet, mis en place un opérateur « métier », pour promouvoir à l'international ses expertises propres, auquel s'ajoute, selon les secteurs, des opérateurs privés.

La défense de cette expertise française à l'international fait l'objet d'un cadre stratégique sur la promotion de l'expertise française à l'international, publié en avril 2011 par le ministère des affaires étrangères.

Dans ce document le ministère des affaires étrangères se définit comme l'« entité légitime de coordination du dialogue interministériel de l'expertise internationale française » chargé de valoriser, au service des intérêts de la France, le vivier de savoir-faire français (mobilisation des agents publics et privés, avec une certaine attention à « la difficile mobilisation de l'expertise publique »).

Ce document souligne que « la tradition française de l'assistance technique résidentielle (...) a permis à notre pays de développer une expertise dont la qualité est internationalement reconnue, notamment dans les domaines des politiques de renforcement institutionnel et de gouvernance et concernés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement ».

Cette stratégie doit être mise en oeuvre au premier chef par l'opérateur France Expertise Internationale du ministère et s'articuler autant que faire se peut avec la stratégie de chacun des opérateurs publics qui relèvent d'autres ministères, dont certains, ADETEF pour le ministère des finances et CIVIPOL pour le ministère de l'intérieur, ont des moyens et une légitimité qui leur permettent de mener un développement très autonome.

Votre commission estime que cette stratégie gagnerait à être portée au niveau interministériel par le CICID afin de fédérer l'ensemble des opérateurs autour d'objectifs communs. Une stratégie interministérielle pouvant ensuite être déclinée dans le contrat d'objectifs de chacun des opérateurs.

Cette politique de promotion de l'expertise publique s'appuie sur le réseau diplomatique qui doit soutenir et accompagner l'ensemble des acteurs français à l'international.

Avec 160 ambassades bilatérales, 88 consulats généraux et 8 consulats, 17 représentations permanentes auprès d'organisations internationales, 132 établissements culturels et un partenariat fort avec le réseau des 1 016 Alliances françaises, la France dispose d'un outil qui doit jouer un rôle de premier plan dans l'analyse et la transmission de la demande d'expertise comme dans le soutien politique aux actions des opérateurs français publics et privés et des missions des experts dans l'ensemble des aires géographiques où les marchés de l'expertise sont en expansion.

Il s'agit notamment :

- des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, etc.) et du golfe arabo-persique qui sont des financeurs croissants d'expertise dans plusieurs domaines clés : santé et protection sociale, aménagement urbain, environnement et énergie, modernisation de l'État, gouvernance territoriale, application de la règle de droit, enseignement supérieur et recherche, culture ;

- du bassin méditerranéen et les pays de l'Europe centrale et orientale qui bénéficient de financements spécifiques de la Commission européenne dans le cadre de l'Instrument de préadhésion (IPA) et de la politique de voisinage (IEVP) ;

- de l'Afrique subsaharienne et la Francophonie : le Gouvernement français a fortement réaffirmé et concrétisé la solidarité de la France envers ces pays qui constituent une priorité pour le MAE, les ministères techniques et les organismes publics ;

- des pays en crise et en sortie de crise où l'urgence de la reconstruction est un enjeu pour tous, les bailleurs de fonds multilatéraux (Banque mondiale, Commission européenne, Nations unies, etc.) et les grandes fondations philanthropiques sont les principaux financeurs de prestations d'expertise.

La France bénéficie sur ces marchés de nombreux atouts : une expertise reconnue dans de nombreux secteurs comme l'agriculture, la santé, le développement durable ou la sécurité, mais aussi la présence dans de nombreux pays d'un large déploiement d'experts (assistants techniques) ainsi que de nombreux chercheurs placés auprès d'institutions locales ou des organismes de recherche français (Institut de recherche pour le développement (IRD), Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), Centre national de la recherche scientifique (CNRS), établissements de l'Institut Pasteur...) qui représentent des ressources précieuses pour la connaissance du milieu local et les besoins particuliers de nos partenaires.

L'ensemble de ces moyens doit permettre d'aider les opérateurs français à remporter des marchés et, d'une certaine façon, de bénéficier de l'investissement important que la France consent dans les opérateurs multilatéraux.

L'évolution des modalités de l'expertise technique est concomitante d'un investissement croissant de la coopération française dans l'aide multilatérale.

La part de l'aide au développement française, qui transite par les instances multilatérales et européennes, est en effet passée de moins de 26 % en 2006 à plus de 40 % en 2010 et plus de 50 % si on ne compte que l'aide programmable 4 ( * ) .

Dans le projet de loi de finances pour 2013, les contributions multilatérales s'élèvent ainsi à 4,7 milliards.

Principales contributions nettes de la France
aux organisations multilatérales, comptabilisées en APD

en millions d'euros

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

(LFI)

PLF

Union européenne

FED

698

777

837

909

686

576

694

Budget communautaire

877

975

1 245

1 100

1 056

978

968

Total

1 575

1 753

2 083

2 009

1 742

1 554

1 662

Banque mondiale (BM)

395

379

454

658

493

462

468

Banque Africaine de Développement (BAfD)

126

137

129

132

141

141

141

Banque Asiatique de Développement (BAsD)

30

30

24

24

36

24

23

Banque interaméricaine de développement

8

7

7

Fonds Monétaire International (FMI)

-23

28

587

247

-5

196

198

Organisations des Nations unies (ONU)

172

190

188

192

153

163

169

Fond Mondial pour la Lutte contre le Sida, la Tuberculose, et le Paludisme (FMLSTP)

286

300

300

300

360

360

360

Facilité Internationale pour le Financement de la vaccination (IFFIm)

20

41

43

45

48

51

54

Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM)

34

34

35

34

64

64

34

Sources :

Versements déclarés au titre de l'APD brute au CAD de l'OCDE pour les années 2006-2011 (versements nets pour le FMI).

Montants inscrits en loi de finances pour 2012 et en prévision de PLF 2013.

La promotion des opérateurs français sur les marchés internationaux constitue une manière de chercher un retour sur investissement de la part des organisations multilatérales financées par la France.


* 1 La politique française d'aide au développement, rapport de la Cour des comptes rendu public mardi 26 juin 2012 :

http://www.ccomptes.fr/content/download/44455/770878/version/1/file/rapport_public_politique_francaise_aide_publique_au_developpement.pdf

* 2 La politique française d'aide au développement, rapport de la Cour des comptes rendu public mardi 26 juin 2012 (précité)

* 3 Voir l'avis n° 108 (2011-2012) - tome 4 (Aide publique au développement) sur le projet de loi de finances de MM. Jean-Claude PEYRONNET et Christian CAMBON, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

* 4 Flux d'aide sur laquelle les 3 ministères co-secrétaires du CICID disposent d'une capacité d'orientation significative à court ou moyen termes

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