B. UNE RESPONSABILISATION COLLECTIVE DES COMPOSANTES RENDUE DIFFICILE PAR UNE CENTRALISATION DES DÉCISIONS PARFOIS PERÇUE COMME EXCESSIVE

1. Une opposition croissante entre le centre et la périphérie

Dans le cadre d'une enquête approfondie sur l'impact des réformes récentes sur le fonctionnement de la gouvernance des universités françaises, quatre sociologues 38 ( * ) ont conclu à une centralisation du pouvoir décisionnel au niveau du conseil d'administration, de son président et des équipes dirigeantes qui l'entourent, à savoir les secrétaires généraux ou directeurs généraux des services et les responsables des services centraux. La capacité d'écoute des équipes dirigeantes, responsables de la préparation et de la négociation du contrat d'établissement, aussi bien avec les autorités de tutelle qu'avec les composantes de l'université, a été jugée insuffisante par un nombre important des répondants 39 ( * ) (39 %).

Dans certaines universités, des instances ad hoc (telles que des comités stratégiques fortement ouverts à des personnalités qualifiées extérieures sélectionnées par le chef d'établissement) ont, du reste, été mises en place par les présidents et les équipes dirigeantes afin de préparer en amont les décisions appelées à être validées par le conseil d'administration. Les membres des conseils scientifiques et des CEVU l'ont interprété comme une manière de contourner leur fonction d'avis et de mésestimer leurs délibérations tout autant qu'une consécration du conseil d'administration en tant que chambre d'enregistrement des décisions du président. Il existe pourtant un fort désir au sein de la communauté universitaire, en particulier chez les enseignants-chercheurs, de voir les directeurs de composante plus étroitement associés à la définition de la politique de l'établissement et d'être solidaires des décisions prises par l'équipe dirigeante.

La culture du débat et de la recherche du consensus demeure pourtant un trait caractéristique du fonctionnement des instances délibératives de l'université. Le président de l'université, qui préside chacun des trois conseils, a généralement à coeur de donner à chaque membre l'occasion de s'exprimer et de faire émerger, suffisamment en amont, des positions consensuelles sur les orientations stratégiques de l'établissement.

Dans un premier bilan de la réforme de l'autonomie des universités dressé en 2010, le professeur Charles Fortier soulignait un des principaux paradoxes de la mise en oeuvre de la loi LRU 40 ( * ) . Les grèves massives des enseignants-chercheurs du printemps 2009, en réponse au projet de décret réformant leur statut, ont opposé, de façon surprenante, le renforcement de l'autonomie des établissements à la préservation des libertés académiques. Le maintien d'un lien fort entre l'État dans la validation et le financement des projets académiques a été réclamé par les enseignants-chercheurs comme un gage de qualité de leurs recherches et de leurs enseignements. Dans un contexte de remise en cause de l'autorité et de la légitimité des organes centraux dirigeants de l'université par les responsables de composante, les deux parties (centre et périphérie) ont eu à plusieurs reprises, en cas de conflit persistant, le réflexe d'en appeler à l'arbitrage de l'État (en particulier la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle - DGESIP -).

2. Une demande de cadrage national : pour un État garant de l'intérêt général et du libre et égal accès au service public de l'enseignement supérieur

La territorialisation des initiatives des universités autonomes, qui cherchent à faire correspondre leur carte de formations avec les besoins socioprofessionnels de leur environnement immédiat, a conduit la communauté universitaire, aussi bien les personnels dirigeants que les enseignants, à rappeler à l'État sa responsabilité dans la garantie de la cohérence de la carte des formations universitaires à l'échelle nationale . Les mouvements de fusions ou de regroupements universitaires, qui ont accompagné la mise en oeuvre de l'autonomie et qui ont entraîné la suppression de formations jusqu'alors dispensées sur certains territoires, ont démontré le besoin d'une coordination nationale de l'enseignement supérieur au service de l'égal accès de tous les bacheliers aux études supérieures . Comme le souligne le professeur Charles Fortier dans le document précité, le libre et égal accès des étudiants à une offre de formations profondément bouleversée à l'échelle du pays dépend de l'effectivité d'une politique nationale volontariste en faveur de la mobilité et du logement étudiants conduite par un État « qui n'est certes plus tuteur, mais qui reste garant de l'intérêt général et de l'égalité des usagers sur le territoire national » .

La décentralisation de la gestion universitaire n'a pas seulement concerné la définition de l'offre de formations. Elle a également porté sur l'élément fondamental qu'est le recrutement des enseignants-chercheurs. Des craintes croissantes se sont fait sentir concernant des risques de partialité dans la gestion par les établissements des carrières et les politiques d'intéressement et d'avancement.

Les organisations étudiantes ont, pour la plupart, souligné l'importance du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) dans la mise en place d'un cadre national fixant des exigences minimales en matière de définition de la politique de formation par les universités. Dans le même ordre d'idées, le Conseil national des universités (CNU), malgré les critiques sur son manque de transparence et sur l'éventuelle « inféodation » de ses membres aux organisations syndicales, constitue toujours le seul cadre national d'évaluation individuelle des enseignants-chercheurs.


* 38 CHATELAIN-PONROY, Stéphanie, MIGNOT-GÉRARD, Stéphanie, MUSSELIN, Christine et SPONEM, Samuel, La gouvernance des universités françaises - Pouvoir, évaluation et identité , juillet 2012.

* 39 Ibidem .

* 40 FORTIER, Charles (professeur de droit public, directeur du centre de recherches juridiques de l'université de Franche-Comté), « La réforme de l'université à l'épreuve de la non-réforme », in Actualité juridique - Droit administratif (AJDA), 2010, p. 299.

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