Audition à huis clos - Témoin n° 2 (mercredi 9 janvier 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de proches de victimes.

Nous travaillons maintenant à huis clos. Qu'il me soit permis d'insister une nouvelle fois sur le courage qu'il faut aux personnes auditionnées pour témoigner devant nous. Leur démarche courageuse relève du souhait d'informer le public par le biais du rapport que notre commission rédigera sur les dangers des dérives sectaires dans le domaine de la santé afin d'éviter, espérons-le, à d'autres victimes d'être piégées à leur tour.

C'est pourquoi nous citerons dans notre rapport de larges extraits des comptes rendus de ces auditions, tout en respectant la demande d'anonymat qui a été formulée par les témoins et acceptée par M. le rapporteur et par moi-même.

Je précise à l'attention de notre témoin que la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a été constituée à la demande du groupe RDSE, dont Jacques Mézard est le président. M. Mézard a donc tout naturellement été désigné comme rapporteur de cette commission d'enquête.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

La personne se lève et prête serment.

Je vous propose de débuter notre entretien par une courte présentation du cas dont vous venez témoigner, puis le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous soumettront leurs questions.

Vous avez la parole.

Témoin n° 2 . - Le cas dont je vais témoigner concerne essentiellement ma fille, aujourd'hui âgée de seize ans, qui est la victime principale des principes de soins que sa maman voudrait privilégier.

Sa maman est ainsi elle-même victime de certains pourvoyeurs de théories déviantes et, dans le même temps, elle répercute sur sa fille les dévoiements et les privations de soins médicaux qui découlent de ces théories. Ses influences, d'inspiration New Age , remontent à plus de vingt-cinq ans. Elles sont donc anciennes.

Plus récemment, et plus concrètement, il y a également la biologie totale et le « décodage biologique ». D'autres doctrines médicales sont aussi concernées, car il n'y a jamais d'arrêt dans ce type de « recherches ».

Au-delà de la dénonciation des acteurs des dérives sectaires, je souhaite souligner que la maman est bien le dernier maillon d'une chaîne de dérives, dont, je l'ai dit, elle est également une victime. Il me faut insister sur l'habileté dont ces acteurs, en quelque sorte organisés en réseau, font preuve pour dévier les situations banales de la vie courante et pour dresser une montagne de difficultés devant toute personne qui voudrait s'opposer à leurs déviances.

Pour m'y opposer, j'ai recherché le concours d'institutions comme l'Ordre des médecins et la justice, mais le processus est très difficile et très long.

J'ai donc mis plusieurs années, d'une part, à comprendre la détermination de la maman à s'opposer à la médecine scientifique, puis, d'autre part, à lutter contre les effets des déviances subis par ma fille, soit pratiquement les dix années suivantes. Ma fille en ressort aujourd'hui avec quelques séquelles physiques et psychologiques, qui ne sont pas dramatiques mais qui n'en sont pas moins réelles.

Seize ans, c'est assez long à raconter, d'autant qu'il y a une quantité impressionnante d'anecdotes et de faits. Je distingue deux périodes, le découpage entre ces périodes étant déterminé par l'intervention de la justice.

[...]

J'ai quand même mobilisé le conseil de l'Ordre des médecins au sujet de deux situations particulières : une consultation de biologie totale et la signature par un médecin homéopathe d'un faux certificat de vaccination. Le dossier a été traité par le conseil de l'Ordre des médecins de façon très intéressante, mais les faits ont été amnistiés !

[...]

Entre 2006 et 2012, de grandes difficultés pour gérer l'état de santé de ma fille apparaissent à nouveau. Du fait que j'ai pu progressivement imposer qu'elle voie des médecins « normaux » et compétents, on a en effet mis à jour un peu plus précisément ses pathologies, qui sont assez banales, mais dont il faut s'occuper sérieusement. Elle souffre d'asthme de façon chronique, ce qui nécessite des soins. Par ailleurs, en 2007-2009, une malformation pulmonaire a été découverte, ce qui entraîne une sensibilité particulière aux infections. Il faut donc faire preuve d'une extrême vigilance pour éviter les surinfections. Cela implique, notamment, de déclencher de façon très précoce l'antibiothérapie et de bénéficier des protections qu'en principe presque tout le monde a, je veux parler des vaccins, en particulier des vaccins spécifiques pour protéger le terrain pulmonaire : le BCG, même si on est revenu sur l'obligation relative à ce vaccin ; le vaccin contre la rougeole, qui est une maladie à conséquences pulmonaires et mêmes neurologiques graves ; le Pneumo 23®, qui protège contre certains microbes ; le vaccin contre la grippe saisonnière. Toutes les personnes qui sont un peu fragiles des poumons reçoivent ces traitements.

Or, si la maman de ma fille a accepté, petit à petit, que l'enfant soit suivie par un médecin traitant, puis par un pneumologue, même s'il elle ne s'associe plus aux visites chez ce dernier, et si elle a admis les traitements, ne mettant plus en avant la biologie totale ou autres thérapies déviantes, en revanche, elle s'est accrochée à l'interdiction de tous les vaccins.

A la naissance de l'enfant, j'avais compris que, étant relativement opposée aux vaccins, elle acceptait uniquement les vaccins obligatoires, qui ont été effectués : tétanos, poliomyélite, etc.

Le BCG, à l'époque, était obligatoire pour entrer à l'école maternelle, raison pour laquelle elle a fait faire un faux certificat médical. C'est aussi la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

Au-delà du côté spectaculaire et délirant de la consultation en biologie totale, déjà ancienne, comme je l'ai dit, il est intéressant de savoir qu'un médecin généraliste, adepte de ces théories, a pratiqué une consultation de « décodage biologique » sur l'enfant et expliqué, au bout du compte, ses pathologies par un prétendu stress anténatal venant de la perte d'un jumeau intra-utérin, raison pour laquelle l'enfant aurait développé une culpabilité se traduisant par certains symptômes de la vision - un léger strabisme ainsi qu'un problème mineur de la vue lui ayant valu la prescription de lunettes correctrices par un ophtalmologiste - et par des problèmes pulmonaires.

Selon ledit médecin, il suffisait d'expliquer ce stress anténatal à l'enfant pour la dispenser de tout soin. Elle est donc rentrée à la maison sans lunettes parce que sa maman lui avait dit qu'elle n'en avait plus besoin ! Pour ses poumons, tout allait également s'arranger : le sirop n'était plus nécessaire non plus...

[...]

C'est à la seconde période que je voudrais consacrer le plus de temps. [...]

Naturellement, quand je demande la poursuite de la résidence alternée en accusant la mère de soigner l'enfant de façon incorrecte, je me fais violemment - je dis bien violemment - rejeter, notamment au terme d'une enquête sociale dans laquelle on me qualifie de « psychorigide », propos qui sont repris dans l'ordonnance du juge, qui prévoit, certes, la poursuite de la résidence alternée - comme la maman ne souhaitait pas obtenir la résidence principale, je ne prenais pas trop de risques à ce niveau -, mais dans laquelle est ajoutée une sanction au père, à savoir l'obligation de suivre trois séances de « pédagogie parentale » !

[...]

La garde alternée dure ensuite sept ans. En 2009, quand le diagnostic est précisé par une IRM, le pneumologue prescrit des mesures précises pour contrôler les différentes pathologies. Ce sont des mesures simples, mais elles doivent être effectuées, ce qui demande du temps, mais aussi une formation de l'enfant lui-même. La stratégie de contrôle de l'état pulmonaire passe, par exemple, par la mesure, avec un petit appareil, du débit de pointe. Il y a aussi la prise de corticoïdes inhalés, le recours rapide à l'antibiothérapie et la mise à jour des trois ou quatre vaccins que j'ai cités.

Le problème est que la maman s'oppose, les semaines où l'enfant réside chez elle, à la prise de corticoïdes et que, jusqu'à présent, elle n'a jamais accepté les vaccins. Je le comprends progressivement et j'essaie de le prouver, mais il est très difficile de faire la preuve de ce qui se passe dans l'intimité d'un foyer et l'on ne peut pas non plus soumettre l'enfant à des questions ni le placer au centre du conflit. Donc, tout cela prend du temps.

Puisque c'est sur ce point que sa position est la plus dure, voilà concrètement comment la maman s'oppose aux vaccins.

Après la découverte des vrais problèmes de notre fille et la prescription des vaccins en urgence, comme j'avais sa garde pendant la première partie des vacances d'été de 2009, j'ai pris sur moi de commencer les vaccins avec le Pneumo 23. Je l'en informe donc. Elle ne donne pas de suite !

L'année 2009 est également une année mémorable en raison de l'apparition du virus de la grippe H1N1 pour lequel des recommandations spécifiques sont faites aux personnes présentant un risque élevé, dont ma fille. Je reçois donc un bon de vaccination de l'assurance maladie et je fais vacciner ma fille contre la grippe A. J'ai reçu une lettre de reproches en novembre 2009 avec une menace de faire appel au juge, car - je cite - « tu es tenu de respecter la loi ».

Je souligne que dans cette lettre, et c'est toute la finesse de l'obstruction, la mère n'exprime jamais son refus de la vaccination, sans doute de crainte qu'une telle attitude ne la desserve devant le juge. Elle me reproche seulement d'avoir fait vacciner l'enfant sans son accord explicite. Inutile d'argumenter, chacun sait que dans un contexte sectaire le débat n'est pas possible : soit on est avec, soit on est contre.

Quoi qu'il en soit, je suis contraint de suspendre les vaccinations puisque le médecin traitant connaît la position de la maman et m'indique oralement qu'il ne peut pas procéder aux vaccins tant que la mère n'a pas également donné son accord.

Si je fais faire les vaccinations par un autre médecin qui ne connaît pas le contexte, je me mets moi-même en défaut devant le juge, qui ne manquera pas un jour d'être saisi ; surtout, j'implique l'enfant dans un coup de force contre sa mère, ce qui serait désastreux pour ma fille. [...]

Je reviens à la question de la vaccination. C'est le vaccin contre la rougeole qui tenait le plus à coeur au pneumologue. A force de solliciter les médecins par écrit pour qu'ils me notifient également par écrit, ce qui m'a pris pratiquement un an, que la maman ne voulait pas faire vacciner l'enfant, j'ai obtenu gain de cause. J'ai eu une première lettre du pneumologue dans laquelle celui-ci insiste fortement sur la nécessité de vacciner l'enfant, en particulier contre la rougeole.

Sur ce, le médecin traitant, qui, lui aussi, attendait le consentement de la maman pour éventuellement vacciner l'enfant, finit par produire un document dans lequel il notifie que la maman est opposée à la vaccination. J'ai donc maintenant quelques éléments concrets.

Un autre juge décide que la résidence principale, maintenant demandée par les deux parents, va être attribuée au père et que les soins médicaux devront être conformes aux préconisations du CHU, qui avait réalisé une expertise à la demande du pneumologue.

[...]

En conclusion, je dirai qu'il y a peut-être une difficulté d'ordre juridique dans le fait que, si les parents séparés qui ont conservé, comme c'est le cas la plupart du temps, l'autorité parentale doivent exercer celle-ci de façon conjointe, il suffit que l'un des parents s'oppose pour que rien ne soit possible. Il est quand même incroyable que les préconisations, après expertise, du CHU pour soigner un enfant soient bloquées par un veto de la mère et qu'il faille aller devant le juge pour débloquer l'interdiction. C'est vraiment navrant !

Peut-être faudrait-il faire en sorte qu'il soit beaucoup plus facile pour un parent, à l'appui d'expertises éventuellement contradictoires mais sérieuses, de faire appliquer ce que la médecine scientifique préconise pour soigner un enfant.

Je vous remercie de votre attention.

M. Alain Milon , président . - La parole est maintenant à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Manifestement, monsieur, vous avez combattu de longues années directement, mais aussi judiciairement en engageant une procédure devant le juge aux affaires familiales.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pouvez-vous nous en dire davantage sur les influences à caractère sectaire que vous imputez à votre épouse ? Fait-elle partie d'un réseau ?

Mme Muguette Dini . - Pour compléter la question de M. le rapporteur, à quel moment avez-vous pensé que votre compagne était sous une emprise sectaire ? Vous en étiez-vous rendu compte avant la naissance de votre fille ?

Témoin n° 2 . - J'ai connu la mère de ma fille un peu avant 1989. Elle avait déjà une certaine attirance pour les questions ésotériques et avait fréquenté des personnes à la dérive - je le vois très clairement maintenant - qui faisaient des stages du genre « guérison miraculeuse ».

Je ne suis pas parti en courant. Cela restait, me semblait-il, du domaine des expériences que certains aiment bien tenter. Je suis même allé avec elle à une conférence new age , que donnait un individu bien connu qui écrit des livres.

Cela remonte à plus de vingt-cinq ans et est donc très ancien. On ne peut pas se permettre de faire des conjectures sur l'origine et les causes de son parcours. Il faut prendre plus de distance.

[...]

Il y a chez elle une composante très importante : elle cherche à se former dans l'espoir d'exercer une activité professionnelle qui ressemblerait à celle d'un thérapeute. Elle était, c'est vrai, assez attirée par la profession médicale, mais n'avait pas pu faire les études correspondantes.

Ce ne sont que des suppositions. Quoi qu'il en soit, elle a enchaîné les formations pendant vingt ans. Elle a commencé voilà vingt ans par la naturopathie, puis a obtenu une spécialisation en drainage lymphatique, en Autriche.

[...]

Après la naturopathie et le drainage lymphatique, elle s'est tournée vers la biologie totale.

[...]

Ensuite, cela a été la médecine chinoise, qui est maintenant enseignée à la faculté. Elle était déjà passée par des écoles, dont on pourrait longuement parler.

[...]

Il s'agit donc d'un processus extrêmement long dans lequel elle s'enferme de plus en plus, l'enfermement étant entretenu par les thérapeutes et les tenants de toutes ces déviances. Ces personnes - vous avez parlé de réseau - se connaissent toutes, et ont deux ennemis communs : la médecine et la société. Ils se serrent les coudes et se renvoient les patients. Ce sont donc des réseaux informels. Quand un thérapeute a en quelque sorte « fait le tour » de son patient, il lui suggère d'aller en voir un autre, qui lui fera franchir une étape supplémentaire. Et le patient y va !

Les sectes ont compris qu'il y avait là un marché, et elles se sont engouffrées dans ces thérapies. Soit elles en proposent elles-mêmes, soit elles les soutiennent. Dans tous les cas, elles ont les méthodes, les bases et l'habitude de la manipulation. C'est une industrie.

M. Yannick Vaugrenard . - Y a-t-il eu des conséquences financières lourdes de ces engagements et formations suivis par votre ex-compagne ?

Par ailleurs, vous nous disiez que votre fille était plutôt de santé fragile. Dès lors que les vaccins semblaient être indispensables, peut-on considérer qu'il s'agit de non-assistance à personne en danger s'ils ne sont pas effectués ?

Témoin n° 2 . - D'un point de vue financier, mon ex-compagne y a, bien sûr, laissé des plumes, mais il se trouve qu'elle avait, et qu'elle a peut-être encore, les moyens de payer ces formations et, d'une certaine façon, d'avoir un peu de retour sur investissement.

Si ma fille était décédée de la rougeole, que se serait-il en effet passé ?

[...]

Comme nous avions une autorité parentale conjointe, j'aurais été, aux yeux de la justice, coresponsable du fait qu'elle ne soit pas vaccinée. Pourquoi ne pas l'avoir fait vacciner de force contre la rougeole pour être sûr qu'elle n'en meure pas ? Les choses se seraient probablement passées comme ça !

Comment agir en amont ? J'ai la « chance » de m'être trouvé dans un cas de figure où les traitements étaient justifiés par de fortes causes pathologiques, mais que dire de tous ceux qui ne se font pas vacciner ? Pour la rougeole, du fait d'un taux insuffisant de vaccination en 2008 et en 2009, le nombre de cas a doublé. Certaines maladies resurgissent parce que le taux de vaccination est passé de 90 % à 80 %.

M. Alain Milon , président .- La coqueluche, la tuberculose...

Témoin n° 2 . - Voilà ! A la limite, ceux qui ne se font pas vacciner ne prennent pas de risques pour eux-mêmes puisqu'ils sont protégés par la vaccination des autres, mais, d'une certaine façon, ils sont irresponsables. Or, on ne peut pas les mettre devant leurs responsabilités.

[...]

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