CONCLUSION

A l'issue de ce déplacement, la délégation formule trois principales observations et suggestions.

L'Italie du Nord a conservé un socle industriel puissant : l'économie française doit reconstruire le sien après une phase de tertiarisation excessive.

Comme le rappelle le rapport de M. Louis Gallois 2 ( * ) , Commissaire général à l'investissement, le décrochage de l'industrie française, qui s'est amorcé dans les années 1970 s'est accéléré au cours de la dernière décennie, par rapport à l'Allemagne, mais aussi par rapport à la Suède ou l'Italie. La part de l'industrie (hors construction) dans la valeur ajoutée totale, en France, est passée de 18 %, en 2000, à un peu plus de 12,5 %, en 2011, nous situant désormais à la 15 ème place parmi les 17 pays de la zone euro, bien loin de l'Italie (18,6 %), de la Suède (21,2 %) ou de l'Allemagne (26,2 %). La France a ainsi perdu plus de 2 millions d'emplois industriels en 30 ans.

Contribuant à ce déclin, un certain nombre de choix politiques et économiques ont délaissé la cause industrielle au profit d'autres stratégies. En effet, les dernières décennies ont consacré l'avènement d'une société post-industrielle et l'idéologie dominante a incité par la même occasion à mobiliser des priorités budgétaires pour le secteur des services, jugé moins coûteux en investissement et riche en perspectives d'emplois. Au final, ce sous-investissement dans l'industrie s'illustre par une comparaison chiffrée : 34 500 robots industriels, avec une moyenne d'âge élevée, sont en service en France, contre 62 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Cependant, depuis 2008, la crise immobilière, bancaire et financière a mis à mal les fondements de cette stratégie économique en suscitant un intérêt nouveau pour l'industrie, comme socle d'une nouvelle politique économique.

La France semble donc avoir misé de façon un peu excessive sur la tertiarisation de son économie . On constate aujourd'hui, en Italie, que la région Lombarde, qui reste structurellement la région la plus solide d'Italie au plan économique, est aussi la plus industrielle .

Enrichir les représentations économiques parfois trop focalisées sur le modèle allemand.

Encourager le développement des entreprises de taille intermédiaire (ETI) constitue un des axes majeurs de la structuration de notre tissu industriel. Les raisons pour lesquelles les PME françaises grandissent trop rarement pour devenir de véritables ETI sont multiples et le rapport Gallois précité préconise un faisceau d'initiatives publiques favorables à la croissance des petites entreprises en soulignant notamment l'importance des interventions en fonds propres de la Banque publique d'investissement.

On fait souvent observer que les grosses PME exportatrices qui font le succès industriel de l'Allemagne s'y développent au sein d'une communauté d'intérêts entre les entreprises les plus importantes d'un secteur et son écosystème de sous-traitants.

En Italie, la mission a constaté que les « grappes » de micro-entreprises parviennent également à réaliser des performances remarquables à l'exportation. Bien que l'analyse juridique ou organisationnelle des districts puisse présenter un certain intérêt, la mission a constaté sur le terrain que leur socle est avant tout constitué par la force des liens de solidarité familiale et personnelle . L'exemple italien vient donc confirmer l'importance fondamentale de la solidarité du tissu industriel .

En même temps, les limites des districts sont soulignées par les italiens eux-mêmes. En premier lieu, les réseaux de micro-entreprises sont trop dépendants des commandes des grands groupes étrangers. C'est pourquoi les économistes de la Banque centrale italienne estiment qu'il est essentiel, pour préserver l'avenir industriel de leur pays, de développer des grandes entreprises capables de jouer un rôle de « locomotive ». De plus, la logique de transmission familiale des petites entreprises est en train de se fragiliser : en effet, un certain nombre de jeunes aspirent à des modes de vie différents de ceux de leurs parents et ne souhaitent pas reprendre l'activité familiale.

Ces observations amènent à constater la singularité et les spécificités nationales - voire locales - des structures industrielles performantes. Cependant, en Allemagne et en Italie, le facteur commun de cette réussite industrielle réside dans une solidarité qui s'exprime à travers le consensus social allemand ou la force des liens familiaux et personnels italiens. Le modèle français, traditionnellement trop conflictuel au plan social et économique parait cependant susceptible de s'orienter vers une nouvelle voie, encouragée par plusieurs mesures législatives adoptées ou en cours de débat au Parlement, dans laquelle le ressort qui anime l'économie sociale et solidaire pourrait jouer un rôle déterminant.

La compétitivité de la France passe aussi par la créativité et le design

Le rapport Gallois, dont l'objectivité et la pertinence ont contribué à rassembler notre pays autour de l'objectif de réindustrialisation et d'amélioration de la compétitivité comporte des développements qui ciblent, à juste titre, l'impératif de montée en gamme des produits français. Pour y parvenir, ce rapport souligne opportunément la nécessité de favoriser l'innovation et de la recherche-développement, sans pour autant citer une seule fois le mot « design ».

Au cours de son déplacement en Italie, la mission a été frappée de constater à quel point la montée en gamme des produits italiens est liée à une culture de la « beauté du geste industriel » qui imprègne les entrepreneurs quel que soit la taille ou la nature de leur activité. Le design semble ainsi partie intégrante de la « fibre » italienne et de la stratégie offensive des entreprises.

Enseignée dans les grandes universités américaines, comme Stanford, le MIT ou Harvard, l'approche globale du Design qui, aux Etats-Unis s'exprime, par exemple, dans les produits emblématiques de téléphonie mobile, peine à s'imposer en France, alors qu'elle apparait très proche de nos préoccupations d'innovation industrielle, sociale et environnementale. La prédisposition italienne pour fabriquer des objets haut de gamme et innovants est, comme cela a été rappelé à la mission, transmise de génération en génération en Italie et, par ailleurs, on constate, dans ce pays tout comme aux Etats-Unis, une tendance au décloisonnement des matières enseignées, en particulier à l'Université, où les étudiants choisissent couramment de combiner des unités de valeur dans le domaine technique - scientifique ou commercial - et artistique.

Il semble donc plus que jamais nécessaire de mieux articuler, en France, l'industrie et le goût pour l'esthétique, alors même que notre système éducatif a tendance à les séparer, contribuant à la reproduction et à la persistance de cloisonnements hérités du passé.


* 2 Pacte pour la compétitivité de l'industrie française - Rapport au Premier ministre - 5 novembre 2012

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