2. L'éviction des « créatrices » relève d'abord d'une bataille idéologique

Au-delà du constat chiffré, l'éviction des « créatrices » de la sphère publique relève d'abord d'une bataille idéologique.

Pour Geneviève Fraisse, la « production », acte politique par essence, a un rapport direct avec la jouissance, terrain sur lequel les hommes ont du mal à laisser venir les femmes.

En effet, que ce soit sous le vocable d'excellence artistique, de singularité, de don ou de génie, on en revient toujours à la question des représentations associées à la figure de l'artiste. Dans la mythologie, le génie - dont Aline César 29 ( * ) rappelait qu'il était représenté, pour Goethe, par un cygne noir pour symboliser l'apparition de l'inspiration, ou par la figure de l'écrivain romantique - est toujours exclusivement masculin.

Ainsi, le talent conférant l'autorité, l'auteur est nécessairement un homme et ceci depuis l'origine.

A cet égard, les enjeux sémantiques sont loin d'être anodins. Aline César nous apprenait qu'au III ème siècle de notre ère, un grammairien latin déniait aux femmes le bénéfice de l'usage du féminin pour le mot « auteur », la féminisation des tâches n'étant tolérée que pour les tâches subalternes de copie des oeuvres. Or, pourtant, on retrouve bien le mot « autrice » dans les registres de la Comédie française...

Pour Aurore Evain 30 ( * ) , la mise à jour de l'histoire de ce féminin permet de démonter un certain nombre d'arguments avancés par les opposants à la féminisation, et pointe les multiples contradictions et omissions de l'Académie française, depuis sa création jusqu'à aujourd'hui. « Non seulement « autrice » n'est pas un néologisme, mais il puise même sa légitimité terminologique dans une histoire aussi longue que passionnante ».

Elle montre ainsi que ce qui a été avancé dans les « Histoires de la langue » , son emploi péjoratif est extrêmement limité et le fait le plus souvent des opposants à la féminisation. Il est encore moins l'engouement d'une élite qui voudrait imposer son usage de la langue : l'histoire prouve au contraire qu'il fait retour dans le débat public à chaque période de démocratisation et d'avancée dans l'égalité des sexes.

Enfin et surtout, ce féminin, loin d'avoir une connotation essentialiste qui enfermerait les femmes dans une littérature dite féminine, porte la marque d'une intervention politique de celles-ci dans la langue et a désigné bon nombre de pionnières qui se sont risquées dans des métiers de l'écrit jusqu'alors fermés aux femmes, comme le théâtre, la rhétorique, le journalisme, la lexicographie, etc.


* 29 Aline César : auteure, metteuse en scène, membre du Collectif H/F d'Ile-de-France, intervenant lors de la table ronde publique du 25 avril 2013 réunissant des directrices d'événements et d'établissements artistiques nationaux.

* 30 Aurore Evain : autrice, dramaturge, metteuse en scène, actrice, éditrice, chercheuse indépendante à l'Université Paris III - Sorbonne Nouvelle, Institut d'études théâtrales (Théâtre des 16 ème , 17 ème , 18 ème siècles).

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