EXAMEN EN COMMISSION

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Mme Annie David, présidente . - Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy nous présentent aujourd'hui les conclusions de la mission, qui leur a été confiée en début d'année par notre commission, sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteure . - A titre liminaire, je souhaiterais rappeler, madame la présidente, que je vous avais saisie en août 2012 de la nécessité d'intégrer au programme de travail de notre commission la question de la prostitution car le dernier rapport d'information du Sénat consacré à ce sujet remontait à 2000. Depuis cette date, le visage de la prostitution a évolué et il me semblait important d'en mesurer les effets sociaux.

J'ai été très heureux de travailler conjointement avec Chantal Jouanno même si je reconnais avoir été un peu inquiet au départ compte tenu de la brillante carrière de ma collègue ! Nos séances de travail se sont échelonnées sur neuf mois, pratiquement chaque mercredi après-midi. L'esprit dans lequel nous avons mené cette mission n'est pas sans me rappeler celui que j'ai connu, les années précédentes, avec Catherine Deroche sur le rapport relatif au financement de la branche accidents du travail-maladies professionnelles ou avec Gérard Dériot et Jean-Marie Vanlerenberghe sur celui consacré au mal-être au travail.

J'insiste sur le fait que nous avons décidé de centrer notre rapport sur les enjeux sanitaires et sociaux de la prostitution et n'avons volontairement pas abordé le volet pénal.

Depuis le début de l'année 2013, date de lancement de nos travaux, nous avons effectué un peu plus de quarante auditions et reçu presque autant de contributions écrites sur l'espace participatif de la mission. Nous nous sommes également rendus en Belgique et en Italie, deux pays dont la législation en la matière est relativement semblable à la nôtre mais qui l'appliquent sur certains points de façon différente. Ces auditions et déplacements ont été l'occasion de rencontrer des personnes prostituées, plusieurs des associations qui les accompagnent, quel que soit leur positionnement idéologique, ainsi que les acteurs institutionnels (services de police, administrations centrales) chargés de piloter l'action de l'Etat sur cette question. Chacun d'entre nous a également participé aux maraudes organisées par l'association parisienne « Les amis du bus des femmes » qui, grâce à ce type d'intervention, va à la rencontre des personnes prostituées pour diffuser des messages de prévention et leur apporter un soutien psychologique et social.

Malgré la richesse des échanges que nous avons pu avoir, nous sommes bien conscients de n'avoir entrevu qu'une petite partie de ce qu'est aujourd'hui la réalité de la prostitution, un phénomène pluriel, complexe et en mutation constante.

Le nombre de personnes qui se prostituent en France serait compris entre 20 000 et 40 000. Cette estimation est, par définition, fragile car fondée pour l'essentiel sur l'observation de la prostitution de rue. Ses formes plus discrètes, qu'elles s'exercent dans les bars à hôtesses, les salons de massage ou après une prise de contact sur internet, sont bien moins connues alors même qu'elles tendent à se développer. 10 % à 15 % des personnes qui se prostituent sont des hommes ou des personnes transgenres (essentiellement des hommes devenus femmes). La prostitution est donc féminine dans sa très grande majorité. Elle concerne des femmes et des hommes de tous les âges. Les personnes vieillissantes et les mineurs, dont on sous-estime le nombre, sont loin de représenter une part négligeable de l'ensemble des personnes prostituées.

Si 80 % d'entre elles étaient françaises au début des années 1990, le rapport s'est aujourd'hui inversé : 90 % des personnes qui se prostituent dans la rue sont désormais de nationalité étrangère. Il s'agit dans leur très grande majorité de femmes en situation irrégulière, soumises à des réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains, pour l'essentiel nigérians, chinois, d'Europe de l'est et d'Amérique latine. Les rythmes d'exercice effrénés, la violence exercée par les proxénètes et les réseaux, les difficultés à rembourser la dette qui a souvent été contractée pour arriver jusqu'en France, les menaces qui pèsent sur la famille restée dans le pays d'origine sont quelques-unes des caractéristiques communes à ces organisations. Lorsqu'elles viennent d'Europe de l'Est ou d'Afrique, ces femmes ont, dans la plupart des cas, déjà subi des violences et des sévices sexuels dans leur pays ainsi qu'au cours du trajet qui les mène en France. Les réseaux opèrent également sur internet : les jeunes femmes recrutées sont contraintes d'effectuer des tournées dans différentes villes de France voire d'Europe, retrouvant dans des hôtels les clients avec qui la nature des prestations et les prix ont été négociés au préalable par le réseau. Là encore, la violence est quotidienne.

Qui sont ces clients ? Il semble difficile d'avoir une réponse précise à la question. Selon l'édition 2008 de l'enquête sur la sexualité en France, 3,1 % des hommes déclarent avoir eu un rapport sexuel avec une personne prostituée au cours des cinq dernières années. Après cinquante ans, c'est plus d'un homme sur quatre qui dit avoir eu recours à des services sexuels tarifés au moins une fois dans sa vie. Ces chiffres varient peu dans le temps. Mais il est probable que les attentes et motivations des clients aient, elles, évolué. Or ces éléments sont peu connus et insuffisamment explorés par la recherche sociologique. Il serait pourtant essentiel de renforcer nos connaissances dans ce domaine, ne serait-ce que pour savoir dans quelle mesure la place croissante de la pornographie et de l'hypersexualisation dans notre société conduit à « banaliser » l'idée du recours à des prestations sexuelles tarifées.

La position officielle de la France en matière de prostitution ne souffre pas d'ambiguïtés, même si l'acception du terme abolitionnisme a évolué dans le temps. Au moment de la fermeture des maisons closes en 1946, puis de la ratification en 1960 de la Convention des Nations unies de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains, l'objectif était d'abolir toute forme de réglementation de la prostitution. Il s'agit aujourd'hui d'abolir la prostitution elle-même, ce dont témoigne la proposition de résolution adoptée par l'Assemblée nationale en décembre 2011 qui réaffirme « la position abolitionniste de la France, dont l'objectif est, à terme, une société sans prostitution ». La frontière entre abolitionnisme et prohibitionnisme est, il est vrai, ténue...

Pourtant, les divergences idéologiques demeurent, ce que traduit la division du tissu associatif. Entre les associations dites « communautaires » et celles considérées comme « abolitionnistes », dont l'engagement auprès des personnes prostituées s'appuie sur des conceptions philosophiques très différentes, le fossé semble difficile à franchir. Si le pragmatisme l'emporte souvent sur le terrain et leur permet de travailler ensemble, l'entente devient plus difficile dès lors qu'il s'agit de construire une vision partagée de la réalité de la prostitution et des préconisations de politiques publiques communes.

Tout l'enjeu de notre mission était justement de dépasser ces divergences afin de donner une vision objective de la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées et de proposer des recommandations qui puissent faire consensus. C'est volontairement que nous n'avons pas abordé les questions du racolage passif ou actif et de la pénalisation des clients. Nous sommes en effet convaincus que, sans présager des évolutions législatives qui pourraient intervenir, il est d'ores et déjà possible de tracer les pistes d'un accompagnement sanitaire et social plus adapté et individualisé des personnes qui se prostituent.

Mme Chantal Jouanno, rapporteure . - Dans la continuité de ce qu'a dit mon collègue, je précise que notre rapport, effectivement centré sur les aspects sanitaires et sociaux de la prostitution, contient un certain nombre de propositions qui peuvent être mises en oeuvre indépendamment d'une évolution de son cadre légal. Notre démarche est complémentaire de celle ayant présidé à l'élaboration de textes portant sur le volet pénal de la prostitution ; je pense en particulier à la proposition de loi récemment déposée à l'Assemblée nationale.

Venons-en à présent à la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées proprement dite. Nous aborderons tout d'abord le volet sanitaire. La prostitution comporte des risques sanitaires communs à toutes ses formes d'exercice. On en distingue deux catégories : ceux qui découlent directement de l'activité prostitutionnelle et ceux qui résultent des conditions de vie.

Les risques sanitaires inhérents à la pratique de la prostitution, bien que non exclusifs de celle-ci, sont bien connus ; il s'agit principalement du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et des autres infections sexuellement transmissibles (IST). Les données disponibles, bien que très restreintes, conduisent aux constats suivants :

- les populations prostituées transgenre et homosexuelle sont nettement plus exposées au risque de VIH que la population prostituée hétérosexuelle. La prévalence du VIH est, en outre, plus élevée chez les personnes prostituées usagères de drogues que chez celles n'en consommant pas ;

- le taux de prévalence des autres IST parmi les personnes prostituées est deux fois plus important que dans la population générale.

On voit également réapparaître des maladies sexuellement transmissibles, autrefois disparues, comme la syphilis.

Le risque de contamination au VIH et aux IST est, on le sait, directement corrélé au niveau de protection. Chez les personnes prostituées, notamment les « traditionnelles » qui ont une réelle connaissance des pratiques de prévention, le taux d'usage du préservatif est globalement élevé car celui-ci est avant tout considéré comme un outil de travail. On remarque toutefois que si son utilisation est quasi systématique chez la population féminine prostituée, il l'est beaucoup moins parmi la prostitution homosexuelle masculine et la prostitution transgenre. En outre, il semble que dans le cadre de la vie affective privée, l'usage du préservatif soit plus irrégulier, attitude qui reflèterait la volonté de séparer l'activité prostitutionnelle de la sphère personnelle.

Le niveau de protection dépend également du degré d'appropriation des messages et des pratiques de prévention. Ainsi, il apparaît clairement que les personnes prostituées étrangères, issues de pays où l'éducation sexuelle et la prévention des IST sont peu développées, sont beaucoup moins informées des méthodes de protection que les prostituées de nationalité française. Leur réticence à l'égard de ces pratiques, leur mauvaise maîtrise de la langue, leur méconnaissance des dispositifs institutionnels (CDAG-Ciddist) et l'emprise des réseaux compliquent également leur appropriation des messages de prévention. Qui plus est, lorsqu'il y a usage du préservatif, celui-ci n'est pas toujours efficace en raison de procédures d'emploi inadaptées, entretenues le plus souvent par de fausses croyances.

Par ailleurs, les quelques études disponibles comme les acteurs de terrain mettent en avant le rôle des clients dans les pratiques sexuelles à risque, donc dans la propagation du VIH et des IST. Depuis quelques années, les demandes de rapports sexuels non protégés de la part des clients sont en augmentation : le Conseil national du sida évalue, selon les sources, leur part entre 10 % et 50 % et l'association Grisélidis estime que ce type de comportement concernerait au moins un client sur cinq. C'est énorme !

Plusieurs facteurs pourraient expliquer la recrudescence de ce phénomène : la précarité financière d'une majorité de personnes prostituées, les habitudes prises avec les clients réguliers, le regain de concurrence consécutif à l'accroissement de l'offre prostitutionnelle dans un contexte général de crise, le relâchement global des méthodes de prévention, l'accroissement des pratiques à risque, aussi bien s'agissant de la prostitution de rue que de celle s'exerçant sur Internet.

Outre les IST, l'activité prostitutionnelle expose les femmes qui l'exercent à divers problèmes gynécologiques, lesquels représentent entre 20 % et 25 % des demandes adressées aux associations de terrain. On sait également que le développement du cancer du col de l'utérus est favorisé par des facteurs de risques souvent observés chez cette population (rapports sexuels à un âge précoce, multiplicité des partenaires, tabagisme, IST). Enfin, la vulnérabilité des personnes prostituées sur le plan gynéco-obstétrical se caractérise par une fréquence des interruptions volontaires de grossesse trois fois plus élevée que dans la population générale. Ce chiffre, officiel, est sans doute beaucoup plus important d'après les témoignages des associations que nous avons recueillis : une pratique fréquente des réseaux consiste à provoquer des avortements au moyen de coups de pied répétés dans le ventre des jeunes femmes.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - A côté de ces risques sanitaires spécifiques, on rencontre chez les personnes prostituées diverses pathologies qui ne sont pas nécessairement directement imputables à l'exercice de la prostitution, mais qui reflètent plus largement leurs conditions de vie et leur environnement. Ces troubles, pour la plupart chroniques, se retrouvent plus généralement chez les publics en situation de précarité, indépendamment de toute activité prostitutionnelle. Parmi les pathologies recensées, les problèmes respiratoires de type infections broncho-pulmonaires et asthme tiennent une place importante. Certains cas de tuberculose ont même été relevés, en particulier chez la population prostituée vieillissante. D'après les témoignages recueillis, les prostituées dites « traditionnelles » continuent parfois d'exercer jusqu'à l'âge de soixante-dix voire de quatre-vingts ans ! Les problèmes dermatologiques sont également très fréquents ; ils traduisent des conditions de vie précaires et stressantes, parfois un manque d'hygiène. Les troubles digestifs liés au stress sont aussi régulièrement mentionnés par les personnes prostituées, de même que les troubles musculo-squelettiques, qui sont souvent consécutifs aux violences subies et à une position statique répétée dans le cas de la prostitution de rue. Les déséquilibres alimentaires représentent un autre problème de santé récurrent, qui s'explique par des rythmes de vie décalés et des conditions d'existence souvent difficiles. Ces troubles alimentaires, parfois associés au manque d'hygiène et de suivi bucco-dentaire, sont également responsables de nombreux problèmes dentaires.

Ces pathologies coexistent avec divers problèmes psychiques, qui vont des troubles de somatisation, du sommeil et de l'anxiété, à des maladies psychiatriques plus graves. Les pensées suicidaires sont également beaucoup plus présentes chez les personnes prostituées, en particulier chez les transgenres, que dans la population générale. Bien qu'il soit très difficile d'évaluer le degré d'imputabilité de la prostitution sur la survenue de ces troubles - d'autres facteurs entrant en compte -, nombre de témoignages indiquent que l'exercice de cette activité ne laisse pas indemne sur le plan psychique.

De toutes ces données épidémiologiques, nous dressons le constat d'une très grande vulnérabilité sanitaire des personnes prostituées, étant précisé que le niveau d'exposition aux risques sanitaires et la fréquence des pathologies rencontrées varient fortement selon les situations individuelles et les modes d'exercice de la prostitution. Il apparaît en effet clairement que les victimes des réseaux de proxénétisme et de traite sont particulièrement fragiles sur le plan sanitaire.

Dans ce contexte, de quel suivi médical bénéficient les personnes prostituées ? Tout comme l'exposition aux risques sanitaires, le recours aux soins diffère selon les publics et les conditions d'activité. La prostitution de rue se traduit ainsi par des difficultés d'accès aux soins et de suivi médical plus marquées que la prostitution en salon de massage : les personnes travaillant dans la rue sont moins nombreuses à être inscrites auprès d'un médecin généraliste, moins souvent dépistées pour les IST et enregistrent plus de retards dans leurs contrôles du col de l'utérus.

Plus généralement, le recours aux soins s'avère d'autant plus problématique que la situation de la personne prostituée est précaire. Comme pour d'autres publics vulnérables, le cumul de difficultés économiques et sociales agit comme un frein à l'accès aux soins. Les personnes qui se prostituent ont tendance à attendre le dernier moment pour consulter, la santé n'étant pas la première de leurs priorités. Le manque de suivi médical est particulièrement patent sur le plan gynécologique : alors que le taux de suivi s'élève à 85 % dans la population féminine globale, il varie entre 54 % et 74 % parmi les femmes prostituées. Le recours au dépistage du VIH est, lui aussi, insuffisant, en particulier s'agissant des personnes prostituées étrangères et de celles exerçant « indoor ».

Mme Chantal Jouanno, rapporteure. - Nous poursuivons avec le volet social. Les personnes prostituées bénéficient théoriquement des mêmes droits sociaux que les autres citoyens. Il leur est possible de s'affilier à un régime de sécurité sociale et d'accéder ainsi à la couverture maladie et à l'assurance retraite. Toutefois, ces possibilités leur sont, dans la réalité, difficiles d'accès dans la mesure où la prostitution ne constitue pas une activité professionnelle juridiquement reconnue. C'est toute l'ambiguïté voire l'hypocrisie de la position abolitionniste de la France. La question de l'accès aux droits sociaux se pose en outre en des termes différents s'agissant des personnes prostituées de nationalité étrangère victimes des réseaux. Du fait de leur statut juridique précaire et surtout de l'emprise exercée par leurs proxénètes, ces personnes sont, pour la grande majorité d'entre elles, très éloignées des dispositifs de prise en charge.

En matière de couverture maladie, les personnes prostituées relèvent, selon leur situation juridique et sociale, soit des dispositifs de droit commun, soit des dispositifs complémentaires destinés aux personnes n'ayant pu faire valoir leurs droits par la première voie d'accès. Ainsi, pour les personnes françaises ou étrangères disposant d'un droit de séjour, catégorie dont relèvent principalement les personnes prostituées dites « traditionnelles », sont ouvertes l'affiliation au régime social des indépendants (RSI) ou l'inscription à la couverture maladie universelle (CMU) et complémentaire (CMU-c). Pour les personnes étrangères en situation irrégulière, catégorie à laquelle appartient la très grande majorité des personnes prostituées, sont possibles la demande d'aide médicale de l'Etat (AME) ou, à défaut, l'accès aux soins d'urgence.

Alors qu'elles sont pour la plupart éligibles à l'un ou l'autre de ces dispositifs, les personnes prostituées accèdent, dans les faits, très difficilement à une couverture maladie. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer ce constat. En premier lieu, le renoncement aux droits et aux soins chez les personnes en situation de précarité est principalement motivé par des raisons financières ou lié au fait qu'elles ont d'autres priorités, comme le logement ou l'alimentation. En deuxième lieu, la mauvaise maîtrise du français constitue un obstacle important à l'accès aux soins. Elle conduit à des incompréhensions sur les informations délivrées par les professionnels de santé, à des erreurs de diagnostic, sans compter qu'elle rend quasiment impossible les prises en charge psychologiques. C'est pourquoi nous recommandons de développer le recours à la médiation et à l'interprétariat dans les établissements de santé et les services sociaux, sur le modèle de ce que nous avons pu voir à l'hôpital Ambroise Paré où une professionnelle issue du milieu de la prostitution est chargée d'établir un lien de confiance avec les personnes prises en charge. En troisième lieu, la constitution des dossiers et la production des justificatifs nécessaires pour ouvrir les droits s'apparentent à un véritable parcours du combattant, en particulier pour les personnes en situation irrégulière. Non seulement les délais d'instruction des dossiers sont parfois très longs mais, en outre, des disparités importantes existent dans leur traitement selon les caisses primaires d'assurance maladie. Une harmonisation des règles de gestion administratives de l'AME est donc nécessaire, de même qu'une sensibilisation des personnels à la situation particulière des personnes prostituées victimes de la traite. Enfin, les personnes prostituées n'ont qu'une faible connaissance de leurs droits ainsi que du fonctionnement du système de soins. Une brochure intitulée « vos droits, votre santé » est en cours d'élaboration. Sa diffusion doit être la première étape d'une réelle stratégie d'information et d'orientation, dont les associations seraient le principal relai. Le rôle de ces dernières est en effet essentiel compte tenu de la méfiance que suscitent les institutions.

La question de l'accès à l'assurance retraite ne se pose que pour les personnes prostituées en situation régulière. Depuis 2004, les personnes prostituées peuvent cotiser auprès de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (Cipav), qui accueille l'ensemble des professions non classées, notamment les professions libérales non affiliées au RSI. Il est cependant impossible de connaître le nombre de personnes prostituées ayant recours à ce dispositif dans la mesure où elles ne se déclarent pas comme telles. Par ailleurs, la possibilité de cotiser auprès de la Cipav ne permet pas de remédier à la situation de celles qui sont d'ores et déjà en âge de prendre leur retraite. Or un nombre non négligeable de femmes - nous en avons rencontré au cours de nos maraudes - sont contraintes de poursuivre leur activité malgré leur âge avancé et la dégradation de leur état de santé. Seule une minorité dispose d'une pension de retraite.

Au-delà de ces difficultés, plusieurs facteurs liés à l'environnement dans lequel évoluent les personnes prostituées freinent l'accès aux droits sociaux et aux soins. Les violences, inhérentes à toutes les formes de prostitution, sont à la fois physiques et psychologiques. Elles émanent principalement des clients, mais aussi des proxénètes, des personnes prostituées entre elles, voire des passants et des riverains. Les conditions d'hébergement, souvent très précaires, accentuent le risque de propagation des infections, participent d'un rythme de vie décalé, favorisent une alimentation peu équilibrée et ne permettent pas l'établissement d'une adresse fixe pour la constitution des dossiers administratifs. La stigmatisation et l'isolement constituent des facteurs de vulnérabilité supplémentaires. Il est temps que la société inverse son regard sur ces personnes afin qu'elles soient considérées comme des victimes et non plus comme des présumées coupables. Enfin, le sentiment de méfiance à l'égard des « institutions », particulièrement manifeste chez les personnes en situation irrégulière, a été renforcé par la mise en oeuvre de la loi pour la sécurité intérieure de 2003. Cette méfiance peut aussi s'exprimer à l'égard d'acteurs censés leur venir en aide, attitude qui s'explique par la barrière linguistique, les différences culturelles et les histoires personnelles des personnes prostituées, en particulier lorsqu'elles ont été confrontées aux « parcours de dressage » que nous vous avons décrits précédemment.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - La focalisation du débat public sur le volet pénal de la prostitution aurait tendance à faire oublier que celui-ci est indissociable de son pendant social. Comment, en effet, aider les personnes qui le souhaitent à sortir de la prostitution sans leur proposer d'alternatives crédibles en termes de garantie de revenus, d'hébergement, de formation professionnelle et d'accompagnement psychologique ? Aussi, sans présager des futurs débats sur l'évolution du cadre légal de la prostitution, nous plaidons pour la mise en oeuvre d'un accompagnement social global des personnes désireuses de quitter la prostitution ainsi que des victimes de la traite.

Il faut tout d'abord agir dans le champ de la fiscalité. L'impôt sur le revenu étant payé avec une année de décalage, la fiscalisation des personnes prostituées constitue un obstacle important à la cessation de leur activité. Des remises gracieuses peuvent leur être accordées, mais les conditions pour y être éligible sont dissuasives et irréalistes. Il faut en effet que la personne prostituée prouve qu'elle n'a conservé aucun bien de son activité antérieure. C'est pourquoi nous proposons que seules deux conditions guident cette politique de remise fiscale : l'arrêt de la prostitution et l'engagement dans un parcours d'insertion professionnelle. Nous pointons, par ailleurs, l'attitude ambigüe de l'Etat s'agissant du régime fiscal applicable aux proxénètes : d'un côté, il s'est fixé comme objectif la lutte contre le proxénétisme, de l'autre, il a édicté des règles juridiques précises pour imposer les personnes se livrant à ce type d'activité ! La personne prostituée peut par exemple déduire des revenus qu'elle déclare les sommes reversées à son proxénète !

Quel que soit le mode d'exercice, tout arrêt de la prostitution entraîne mécaniquement une perte de revenus qui met les personnes concernées en situation de précarité et de vulnérabilité accrues. Se pose dès lors la question d'un soutien financier de transition permettant de faire face à la période d'inactivité avant l'insertion dans un parcours professionnel. Aujourd'hui, les personnes prostituées peuvent, selon leur nationalité et la régularité de leur séjour, avoir accès soit au revenu de solidarité active (RSA), soit à l'allocation temporaire d'attente (ATA). Or une catégorie demeure exclue de ces dispositifs : les personnes prostituées étrangères qui n'ont pas voulu ou pas pu porter plainte contre le réseau de traite ou leur proxénète. Une piste consisterait à leur ouvrir le droit à l'ATA à condition qu'elles soient engagées dans un parcours de sortie de la prostitution.

Les capacités d'accueil des personnes prostituées souhaitant abandonner cette activité ne sont ni suffisantes, ni toujours adaptées à la nature de la demande. Il nous paraît dès lors souhaitable de les faire bénéficier en priorité de l'accès au contingent d'un tiers des places d'hébergement d'urgence qui, conformément à l'engagement présidentiel, doivent être réservés aux femmes victimes de violence. En outre, les personnes prostituées souhaitant sortir de la prostitution ne sont pas considérées comme un public prioritaire pour l'accès au logement social, alors qu'elles entrent théoriquement dans le champ de l'article L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation. Une circulaire doit donc être adressée aux bailleurs sociaux afin de remédier à cette mauvaise interprétation des textes.

La sortie de la prostitution suppose de donner aux personnes concernées des perspectives crédibles en termes de formation professionnelle, au risque sinon de les voir « replonger ». Outre la question de la maîtrise de la langue, l'accès aux dispositifs de formation de droit commun se heurte, pour les victimes de la traite, à un obstacle : la détention d'un titre de séjour suffisamment long pour pouvoir suivre une formation professionnelle dans la durée. Nous estimons donc nécessaire de revoir les modalités de délivrance des titres de séjour pour ces personnes, qu'elles aient ou non porté plainte.

La violence subie est souvent telle que les répercussions sur la santé et le psychisme des personnes prostituées sont profondes et durables. Des troubles comme la honte de soi ou la peur des autres rendent difficiles tout parcours de « reconstruction ». Aussi, ces personnes, en particulier celles victimes d'exploitation, doivent pouvoir bénéficier d'un accompagnement psychologique ou psychiatrique sur le long terme.

Sur ce sujet de la sortie de la prostitution, l'Italie - où nous nous sommes rendus en juin dernier - a mis en place une politique globale qui s'inspire des mesures relatives à la lutte contre les réseaux mafieux et dont de nombreux aspects pourraient à nos yeux être transposés en France : la reconnaissance du statut de victime indépendamment du fait que la personne ait dénoncé ou non son trafiquant/proxénète et dès lors qu'elle est engagée dans un parcours d'insertion ; l'octroi d'un permis de séjour temporaire à titre humanitaire ; la protection immédiate dont bénéficie la victime grâce à son hébergement dans un « centre de fuite » ; la mise en place d'un accompagnement personnalisé en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle ; la saisie de l'argent des réseaux de traite au profit des victimes, soit directement sous la forme d'un dédommagement, soit indirectement via le financement de programmes d'insertion sociale et professionnelle ; la complémentarité d'action entre la politique d'aide aux victimes et la politique de lutte contre les réseaux.

Mme Chantal Jouanno, rapporteure. - Enfin, il nous a semblé que la question de la cohérence de l'action publique en direction des personnes prostituées nécessitait d'être approfondie. Force est en effet de constater l'oubli dans lequel celles-ci ont été reléguées depuis des décennies.

Celui-ci se traduit tout d'abord par l'absence quasi-totale de données publiques et partagées sur les conditions d'exercice, ainsi que sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées. La loi sur la sécurité intérieure de 2003 prévoyait qu'un rapport soit transmis chaque année au Parlement sur le sujet. Celui-ci n'a, en pratique, été publié qu'une fois et, faute de pouvoir s'appuyer sur une expertise suffisamment étayée, n'a pu proposer qu'une analyse de portée très limitée. Une seule enquête récente permet de disposer d'un aperçu relativement global de l'état de santé des personnes qui se prostituent. Or, dresser un constat partagé par l'ensemble des acteurs de la situation démographique, sanitaire et sociale des personnes prostituées constitue la première et indispensable étape à la mise en place de politiques intelligentes en la matière. Nous estimons donc nécessaire d'aller beaucoup plus loin sur ce point.

Notre deuxième sujet de préoccupation porte sur l'évolution des financements alloués par l'Etat aux associations qui agissent auprès des personnes prostituées. Si la baisse ininterrompue enregistrée entre 2006 et 2012 semble aujourd'hui enrayée, les associations continuent de regretter le manque de visibilité pluriannuelle dont elles disposent, alors même qu'elles sont confrontées à des charges croissantes. En 2014, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) devrait leur attribuer 2,4 millions d'euros. Si les comparaisons doivent être maniées avec prudence, il faut tout de même noter que l'Italie consacre chaque année 8 millions d'euros aux questions d'assistance et d'intégration sociale des personnes prostituées.

A la faiblesse des subventions, s'ajoute le manque de coordination des administrations centrales en charge des questions sanitaires et sociales. En effet, la DGCS et la direction générale de la santé (DGS) mènent des actions parallèles qui ont leurs logiques propres, les unes centrées sur la lutte contre les violences faites aux femmes, les autres sur la lutte contre les IST. Cette absence de coopération est mal comprise par les associations de terrain. Or, dans la période de contraintes budgétaires que nous connaissons, il serait logique de travailler à une meilleure complémentarité des mesures engagées dans les champs sanitaire et social, ainsi qu'à la définition d'une politique de subventionnement partagée.

Plus généralement, nous dégageons trois enjeux essentiels en matière de pilotage de l'action publique auprès des personnes prostituées. Le premier consiste à renforcer les moyens alloués à la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Mis en place en 2001, le dispositif national d'accueil et de protection des victimes de la traite des êtres humains dit « Ac.Sé » permet d'assurer l'éloignement géographique et l'hébergement des personnes qui en sont victimes. Quarante-sept structures d'hébergement y participent, réparties dans trente-sept départements. En 2012, soixante-six personnes ont été prises en charge dont près d'un quart étaient des femmes accompagnées de leur(s) enfant(s). Ce dispositif constitue l'une des rares actions de portée quasi-nationale dont l'efficacité est reconnue et saluée par le plus grand nombre. Il est dès lors d'autant plus regrettable qu'une baisse des financements qui lui seront alloués dans les deux prochaines années soit envisagée. A nos yeux, le dispositif Ac.Sé doit au contraire être conforté et étendu à l'ensemble du territoire. Une mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la Miprof, a été créée au début de l'année 2013. Il s'agit d'une évolution souhaitée et importante, susceptible de contribuer à améliorer ce pilotage qui fait tant défaut aujourd'hui. S'il est encore un peu tôt pour dresser un premier bilan, nous insistons pour que ses missions en matière de lutte contre la traite des êtres humains soient renforcées, notamment pour qu'elle soit en mesure de développer une véritable expertise sur le sujet. Par ailleurs, nous ne pouvons que regretter le fait que la DGS n'ait pas été intégrée à son comité d'orientation.

Le deuxième enjeu porte sur la coordination des acteurs associatifs et institutionnels dans les territoires. Ceux-ci sont en effet bien souvent désemparés pour arriver à structurer leurs actions et à concilier des objectifs parfois contradictoires. S'y ajoute différence de philosophie entre associations. Plusieurs circulaires ont été publiées depuis les années 1970 pour mettre en place des structures de pilotage dédiées au niveau des départements. Elles ont en pratique été peu appliquées et nous restons circonspects quant à la pertinence de dispositifs trop rigides. La région bordelaise semble au contraire être parvenue à trouver un mode de fonctionnement adapté sous la forme d'un réseau d'intervention sociale, structure relativement souple qui permet d'associer collectivités territoriales, services de l'Etat et associations de toutes tendances autour de principes d'actions communs et de valeurs partagées. Grâce à la dynamique créée par ce réseau, une convention cadre départementale pour la coordination des actions concernant les victimes de la traite des êtres humains a pu être signée en avril 2012. Nous souhaitons que ce type de partenariat très souple puisse être étendu et reproduit dans les territoires.

Le troisième et dernier enjeu tient au renforcement de la présence du système de santé auprès des personnes prostituées. Celles-ci doivent en effet pouvoir bénéficier d'un accompagnement adapté et personnalisé vers les dispositifs de prise en charge de droit commun. Le rôle des permanences d'accès aux soins de santé (PASS) nous parait à ce titre essentiel. Nous en avons eu la preuve en nous rendant à l'hôpital Ambroise Paré qui a mis en place depuis plusieurs années une structure dédiée à la prise en charge des personnes prostituées en s'appuyant sur une de ces permanences ainsi que sur un partenariat associatif et sur une médiatrice culturelle. Les agences régionales de santé (ARS) ont également un rôle à jouer. Quelques-unes prennent déjà en compte les questions relatives à la prostitution dans leurs documents de programmation. Cela devrait être plus systématique. Elles peuvent également contribuer à décloisonner les pratiques et encourager la mise en oeuvre de travaux communs sur les enjeux sanitaires et sociaux.

Les débats très formels auxquels nous sommes habitués sur le cadre légal de la prostitution masquent trop souvent la réalité humaine de celle-ci. Or ce monde est d'une violence inouïe. Nous insistons donc sur la nécessité, avant toute chose, d'inverser le regard que nous portons sur les personnes prostituées. La législation italienne est à ce titre intéressante dans la mesure où elle considère celles-ci en premier lieu comme des victimes potentielles. Nous partageons avec Jean-Pierre Godefroy la conviction qu'il faut tout faire pour agir au mieux pour les personnes prostituées.

Mme Annie David, présidente. - Je pense en effet qu'il est nécessaire d'inverser notre regard sur la prostitution. Il faut mettre en pratique la position abolitionniste de la France et prendre en considération ces personnes, qui sont des victimes pour la plupart d'entre elles. Je vous remercie pour ce travail qui n'a certainement pas été facile.

Mme Michelle Meunier. - Je vous félicite pour ce beau travail. J'avoue au départ avoir été dubitative quant aux résultats de cette mission, dans la mesure où son champ d'étude n'embrassait pas tous les aspects du sujet, notamment le volet pénal de la prostitution. Toutefois, ayant assisté à plusieurs de vos auditions, j'ai pris conscience de la pertinence de votre démarche.

Même si la question pénale n'est pas abordée, je me retrouve complètement dans vos conclusions. Je suis également dans le même état d'esprit que vous : la prostitution est une violence, et la personne qui l'exerce, une victime et non une coupable.

Je précise que la question de l'insertion sociale des personnes prostituées est l'un des axes de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par nos collègues députées Maud Olivier et Catherine Coutelle.

Mme Catherine Deroche. - J'adresse également mes félicitations aux rapporteurs. J'estime aussi que la prostitution est une violence ; il n'y a pas de prostitution heureuse.

S'agissant du volet sanitaire, vous n'avez pas parlé de la toxicomanie et de son lien éventuel avec la prostitution : avez-vous des éléments à nous transmettre là-dessus ? En ce qui concerne le volet social, comment les personnes prostituées se déclarent-elles à l'administration fiscale et comment, concrètement, sont calculés leurs impôts ?

Je me retrouve aussi complètement dans les propositions que vous formulez.

M. Gilbert Barbier. - Je vous remercie pour ce rapport intéressant et complet. Je m'étonne toutefois que vous différenciez la population prostituée transgenre des autres personnes prostituées. Cette population ne me semble pas devoir être stigmatisée de la sorte. Par ailleurs, disposez-vous d'informations sur l'attitude des forces de l'ordre à l'égard des personnes prostituées, notamment celles d'origine étrangère ? Nous entendons beaucoup de choses à ce propos. Enfin, dans quelle mesure la toxicomanie est-elle corrélée à la prostitution ? Existe-t-il un lien de cause à effet entre la toxicomanie et la prostitution ou vice-versa ?

Mme Laurence Cohen. - Je vous remercie pour la qualité de votre travail. Vous n'êtes tout d'abord pas tombés dans le piège d'assimiler la prostitution à un métier. Or, aujourd'hui, une certaine forme de propagande télévisuelle participe d'une revalorisation de l'activité prostitutionnelle, ce que je trouve très grave. Il est indispensable, au contraire, de faire évoluer les mentalités sur ce sujet.

Ensuite, vous soulignez à juste titre l'hypocrisie de l'Etat, à la fois défendant une position abolitionniste et organisant l'imposition des proxénètes. En tant que législateur, cela doit nous faire réfléchir !

Votre proposition relative à la saisie de l'argent des réseaux de traite m'évoque le dispositif qui existe dans le cadre de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt). En effet, le produit des biens confisqués aux trafiquants est utilisé pour abonder le budget de la Mildt. C'est donc une piste très intéressante que vous formulez.

Effectivement, comme l'ont dit mes collègues, la question des addictions se pose. Dans un certain nombre d'endroits où s'exerce la prostitution, la consommation de produits illicites est encouragée.

Vous évoquez aussi un problème important, l'hébergement d'urgence. A partir du moment où la personne prostituée est considérée comme une victime, il faut lui garantir une place d'hébergement. Cependant, le nombre de places destinées aux femmes victimes de violence est aujourd'hui insuffisant faute de moyens !

Enfin, s'agissant des ARS, votre proposition est intéressante, mais me laisse néanmoins dubitative lorsqu'on sait que la logique qui préside à leur action est celle des restrictions budgétaires et des fermetures d'établissements. Sans financements dédiés, elle ne pourra pas aboutir.

Mme Gisèle Printz. - Je regrette que vous parliez peu des clients et des proxénètes. Par ailleurs, comment les forces de l'ordre se comportent-elles vis-à-vis des personnes prostituées ? Sont-elles à l'origine de violences ?

M. Jacky Le Menn. - Je vous remercie pour la qualité de votre rapport, au sujet duquel j'ai envie de vous demander : quelle suite y sera donnée ? Vos propositions pourront-elles trouver une issue dans le cadre de la future discussion sur la proposition de loi déposée par nos collègues députés ? La plupart sont interministérielles, certaines sont législatives, d'autres réglementaires. Que faire pour les décliner concrètement ?

Mme Annie David, présidente. - Autrement dit, que va devenir ce rapport ? C'est l'inquiétude légitime de tout rapporteur !

M. René Teulade. - Ce rapport est d'une grande qualité. J'aimerais savoir comment il est possible de disposer de statistiques plus précises sur la population prostituée. Qui pourrait faire ce travail ?

Mme Catherine Deroche . - Je souhaiterais préciser que les violences s'exercent, certes, principalement à l'encontre des personnes prostituées, mais aussi à l'encontre des personnes qui essaient de leur venir en aide ou de lutter contre les réseaux. Je connais un cas concret.

Mme Muguette Dini . - En participant à plusieurs des auditions organisées par les rapporteurs, j'ai pu mesurer toute la complexité du sujet ! Je crains que certaines de leurs propositions soient difficilement applicables, notamment parce que nous manquons d'informations fiables sur le nombre de personnes prostituées et qu'il est difficile d'entrer en contact avec certaines d'entre elles, les étudiants et les mineurs en particulier.

Mme Chantal Jouanno, rapporteure . - Plusieurs d'entre vous ont posé la question de savoir comment il était possible de déterminer le profil des personnes prostituées et de leurs clients. Dans les faits, il existe très peu de données, en particulier sur les clients. Il est donc nécessaire de commander des études et de s'appuyer sur les remontées d'informations que peuvent faire les associations.

Les personnes transgenre méritent une attention particulière car elles sont placées dans des situations de grande vulnérabilité, notamment pour accéder à l'emploi, qui peuvent les conduire à recourir à la prostitution.

Le rapport fournit des données plus précises sur la question des addictions. De façon générale, la consommation d'alcool et de tabac des personnes prostituées est supérieure à la moyenne. Selon l'étude que nous citons, 17 % des personnes interrogées déclaraient avoir consommé du cannabis au cours des douze derniers mois et 11 % de la cocaïne. Est-ce la toxicomanie qui conduit à la prostitution ou l'inverse ? Le sujet fait débat. Nous estimons en tous les cas qu'il n'est pas possible de sortir de la prostitution sans accompagnement psychologique.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - Concernant le régime fiscal, l'imposition est établie sur la totalité des revenus perçus. Il ne peut s'agir que d'une estimation. La personne prostituée doit les déclarer au titre des bénéfices non commerciaux. Les sommes rétrocédées au proxénète sont admises en déduction. Elles doivent malgré tout être déclarées sous peine d'une amende égale à la moitié de leur montant. Lorsque le lien de dépendance vis-à-vis du proxénète est établi, les revenus doivent être imposés dans la catégorie des traitements et salaires.

Pour définir un profil des clients, je serais tenté de dire qu'il s'agit de « monsieur tout le monde ». Les incitations à recourir à la prostitution peuvent venir d'un peu partout, notamment du milieu familial ou professionnel. De véritables excursions sont parfois organisées dans des lieux proches de la frontière comme en Belgique ou à la Jonquera en Espagne.

Concernant les forces de l'ordre...

Mme Gisèle Printz . - Est-ce qu'une personne prostituée a réellement les moyens d'aller porter plainte auprès des forces de l'ordre ?

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur . - La loi pour la sécurité intérieure de 2003 a certainement favorisé des comportements inadaptés de la part de la police pour procéder à l'établissement des situations de racolage passif. Elle a donc rendu encore plus difficile la situation des personnes prostituées. Mais la procédure de racolage passif constitue dans le même temps un outil pour identifier et démanteler les réseaux. En tous les cas, il faut s'interroger sur certaines pratiques des forces de l'ordre. J'ai en tête le témoignage d'une prostituée du bois de Vincennes qui a reçu à son domicile une série de procès-verbaux pour stationnement interdit. La concierge, qui lui déposait le courrier, a compris la situation et cette personne s'est sentie stigmatisée.

Concernant les suites à donner au rapport, je pense qu'il faut agir par la voie législative. Nous pourrions d'ailleurs prendre contact avec les auteurs de la proposition de loi qui vient d'être déposée à l'Assemblée nationale.

Pour ce qui est de l'affiliation à la sécurité sociale, les personnes prostituées peuvent se déclarer auprès du régime social des indépendants. Il semble qu'un certain nombre ait adopté le statut d'auto-entrepreneur.

Les violences sont diverses et viennent fréquemment de personnes qui ont délibérément dans l'idée de faire souffrir ces femmes et de partir sans payer. Je serais d'ailleurs favorable à ce que le refus de payer puisse être assimilé à un viol.

Nous avons eu beaucoup de difficultés à nous procurer des informations sur la prostitution étudiante. Elle est avant tout liée aux situations de précarité que connaissent certains jeunes et prend parfois la forme d'un échange contre service, par exemple pour l'accès à un logement.

La violence est permanente dans les réseaux d'Europe de l'Est et du Nigeria. Dans ce pays, la famille peut être à l'origine de la « vente » de la jeune fille au réseau. Le recours à des rites vaudous et les pressions exercées sur la famille des jeunes filles découragent toute forme de dénonciation.

J'ai rencontré des personnes transgenres au cours d'une de mes maraudes. Celles-ci se plaignent d'être stigmatisées. Elles sont en particulier confrontées à de profondes difficultés pour procéder au changement de leurs papiers d'identité.

Mme Annie David, présidente . - Merci pour tous ces éléments. J'espère que nous pourrons rapidement donner des suites concrètes à ce rapport.

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