B. QUEL TAUX DE CONTRIBUTION ?

1. Un écart important entre taux théorique et taux effectif d'imposition qui appelle des éclaircissements

Le taux implicite d'imposition des banques est l'objet d'une discussion qui, pour résulter de la subtilité des règles d'imposition des entreprises financières, traduit un défaut de transparence qu'il faut corriger.

Les impositions sur lesquelles les banques communiquent n'ont qu'un rapport lointain avec leurs contributions effectives.

L'écart entre recettes bruttes et recettes nettes d'imposition des sociétés est considérable pour le secteur financier qui est le secteur où l'écart entre ces deux grandeurs est le plus élevé puisque in fine le secteur n'acquitte que 49 % des cotisations brutes depuis 2009.

Ce taux s'établit à 37 % pour les banques et à 38 % pour les assurances.

Cet écart provient sans doute beaucoup des effets de la législation fiscale .

Soit par « l'intégration fiscale intertemporelle » qu'offre le régime des reports de déficits, soit par des dispositions particulières impliquant des restitutions d'impôts, celle-ci donne aux entreprises du secteur l'occasion de moduler leurs décaissements fiscaux en considération de différentes situations de nature économique ou fiscale.

Les chefs de modulation les plus conséquents concernent les reports de déficit en avant et en arrière (dans ce dernier cas, modifié en 2011 dans un sens restrictif), le régime de l'intégration fiscale, les créances sur l'administration fiscale au titre de différents crédit d'impôt mais aussi les crédits d'impôts étrangers.

Ceux-ci exercent des effets sur la répartition des contributions entre les pays où les banques sont imposées.

Mais d'autres facteurs doivent être considérés.

Ainsi en va-t-il de l'internationalisation des banques qui exerce des effets complexes sur leur imposition, les uns, de composition, en lien avec des écats de taux d'imposition entre Etats, les autres, plus opaques.

La répartition internationale des impôts payés par les entreprises financières n'est pas connue, ce qui a justifié l'intervention du Parlement déjà mentionnée.

Votre rapporteur a interrogé les plus grandes banques sur certains aspects de la répartition de leurs résultats, en particulier sur les résultats réalisés dans les pays mentionnés sur une liste représentative de juridicitions offshore.

Il s'est vu répondre que les banques ne publiaient pas de résultats de cette sorte, ce dont tout un chacun peut s'apercevoir.

Les banques interrogées suggèrent n'être pas en mesure de fournir ces données avant le déroulé du calendrier prévu par le loi bancaire.

Cette affirmation n'est pas exacte.

Dans le cadre de sa mission de rapporteur de la commission d'enquête sur l'évasion fiscale des données de cette nature lui avaient été fournies. Il est d'ailleurs impensable que des entreprises de cette puissance ne suivent pas des indicateurs aussi triviaux.

Par ailleurs, même si elle appelle l'attention sur la qualité des informations transmises, l'ACPR dispose de statistiques sur le PNB bancaire et sur les résultats des implantations étrangères qui sont suivies par elle.

Enfin, l'affirmation des banques suppose qu'elles seraient déliées de toutes obligations comptables ou fiscales dans les pays sous revue, ce qui, en dépit de leurs singularités, n'est pas sysématiquement exact (non plus d'ailleurs que crédible).

Votre rapporteur déplore vivement ce qui constitue une forme de recul de la transparence particulièrement paradoxal alors que le Parlement vient de manifester sa claire volonté de voir celle-ci progresser.

Dans ce contexte, l'hypothèse d'un taux implicite d'imposition structurellement plus faible associé aux caractéristiques d'une activité financière de plus en plus internationalisée doit être considérée comme jouant un rôle important dans le décrochage entre les profits et les contributions des banques.

Selon les données de l'OCDE, le taux implicite d'imposition des banques se serait élevé en moyenne à 20 % dans les années 1999-2009. Les niveaux varient cependant beaucoup entre pays.

Taux implicite d'imposition dans le secteur bancaire dans quelques pays de l'OCDE

De certaines données microéconomiques, il ressort également une variabilité certaine des taux d'imposition .

Taux implicite d'imposition moyen (2005-2010) d'un échantillon
de vingt banques internationales

Les banques françaises semblent moins imposées que certaines de leurs homologues recensées dans l'échantillon, mais en moyenne elles ne ressortent pas comme présentant une singularité les situant en deçà du taux implicite d'imposition tel qu'il ressort des calculs effectués.

A l'inverse, malgré les observations qui font ressortir l'existence d'un taux relatif élevé d'imposition en France, elles paraissent échapper aux effets qu'on prête parfois au niveau élevé du taux d'imposition des bénéfices en France.

Au demeurant, d'autres images apparaissent dans des études alternatives sur l'imposition effective des banques.

Réalisé sur la base de données statistiques différentes, le rapport particulier n° 3 publié sous le timbre du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) dans le cadre de son rapport sur la fiscalité du secteur financier (juillet 2012) mais dont le CPO précise ne pas endosser la responsabilité, relève que :

- le taux d'imposition implicite des banques françaises est largement inférieur au taux nominal (13 % entre 2002 et 2009) ;

- il a baissé puisqu'il était de 35 % entre 1988 et 1994 (26 % entre 1995 et 2001) ;

- les grandes banques internationales sont moins imposées que la moyenne des établissements de crédit (15 % contre 25 % en moyenne dans les années 2000) ;

- pour la France, leur taux d'imposition a été de 8 % entre 2002 et 2009 (contre 13 % en moyenne pour les banques françaises) ;

- les disparités des taux d'imposition implicites dans le temps et entre les pays ne sont pas corrélées avec les régimes fiscaux nationaux, ce qui est un indice des bénéfices que retirent les banques de leur internationalisation sur le plan fiscal.

Le rapport suggère que l'internationalisation des banques, et plus particulièrement leurs implantations offshores , sont de puissants facteurs d'optimisation fiscale.

Les auteurs du rapport conviennent que les valeurs mentionnées sont fragiles mais que deux résultats sont incontestablement robustes : le déclin du taux implicite des banques ; l'écart entre ce taux et le taux théorique.

2. L'internationalisation des banques françaises

Les implantations à l'étranger des banques françaises se sont accélérées depuis le début des années 2000 : le nombre d'implantations à l'étranger a été multiplié par deux entre 1998 et 2008 : 1039 implantations 3 ( * ) dans 88 pays (principalement sous la forme de filiales), phénomène très concentré puisque les trois premiers établissements français regroupent 83 % des implantations.

Implantation des établissements de crédits français à l'étranger

Les centres offshore sont très présents dans ces implantations.

3. Les groupes bancaires se sont complexifiés et leur organisation attribue un rôle important aux implantations dans les centres offshores qui devraient être mieux dénombrées

La complexification des structures des groupes financiers avec une multiplication des points de contact, l'empilement de structures, des difficultés à identifier les engagements réciproques et les fonctions assurées par chaque entité, est une préoccupation des régulateurs. Elle appelle un effort d'analyse considérable.

Le développement des entités financières dans les centres offshore ne le facilite pas.

a) Une forte présence offshore

Dans l'Espace économique européen (EEE), les implantations les plus nombreuses se situent au Royaume-Uni (106), en Italie (60), en Allemagne (59), en Espagne (47), en Belgique (42) et au Luxembourg (42). Toutes ne peuvent être considérées comme relevant de l'offshore.

En dehors de l'EEE, les banques françaises sont surtout présentes aux Etats-Unis (133 implantations) avec une forte représentation des localisations dans des Etats peu régulés comme le Dealware, à Hong-Kong (30), dans les Îles anglo-normandes (Jersey-Guernesey : 29), en Australie (19), en Suisse (19) et au Brésil (18).

Quatre grands centres occupent une place toute particulière : la Suisse, le Luxembourg, l'Irlande et les Iles Caïmans.

Pour les banques françaises de la liste, le nombre des entités s'élève à (liste A) 118 pour PNB Paribas, 37 pour le Crédit Agricole, 31 pour la Société Générale.

La répartition géographique des filiales des trois principales banques françaises est la suivante selon le rapport déjà mentionné :

Les filiales de BNP Paribas, Crédit Agricole et la Société Générale dans les centres financiers offshore (CFO)

Par ordre de classement, le Luxembourg arrive en tête (72 filiales de premier rang) puis l'Irlande (26), Hong-Kong (22), la Suisse (12 filiales de premier rang mais 55 filiales jusqu'au dixième rang). Dans les Iles Caïmans, on recense 18 filiales de premier rang (dont 12 pour BNP Paribas). Cette banque a 10 filiales à Chypre et 5 à Malte 4 ( * ) .

Votre commission d'enquête a interrogé certains des plus grands établissements financiers sur ce point. Les réponses transmises n'apportent pas la conviction que les conclusions de l'étude citée doivent être rejetées en bloc, même si des nuances s'imposent sans doute.

b) Un dénombrement mal assuré

L'appréciation de la consistance du déploiement des banques françaises dans les centres offshore rencontre des obstacles liés à l'absence d'une référence incontestable sur les méthodes qui pourraient la guider, problème déjà évoqué.

Cette situation résulte en premier lieu de la multiplicité des listes de pays qui, à un titre ou à un autre, sont identifiés comme faisant partie de l' offshore .

Les recensements statistiques diffèreront selon qu'on se rapporte à un critère de conformité, de stabilité financière ou à un critère fiscal.

Pour certains de ces critères, il se rencontre en réalité plusieurs listes, selon qu'on se réfère à celles établies par les organismes gouvernementaux ou à celles des acteurs financiers eux-mêmes.

Dans les réponses aux questionnaires adressés par votre rapporteur, les banques tendent à minimiser leurs implantations offshore, en se référant à la liste des ETNC, et en faisant valoir qu'en toute hypothèse, l'intérêt de localiser des entités sur place est fiscalement nul du fait du durcissement de la législation fiscale.

De fait, l'inscription sur la liste française des paradis fiscaux (Etats et territoires non coopératifs) recèle des enjeux fiscaux importants tant pour les entreprises que pour les particuliers.

S'agissant des entreprises, elle entraîne la non-application du régime mère-filles aux dividendes. Il en va de même pour le régime spécifique de taxation des plus-values de cession.

Au demeurant, pour recenser les implantations offshore , l'administration fiscale raisonne à partir de l'applicabilité des régimes fiscaux spécifiques aux territoires et juridictions non coopératifs, ce qui, compte tenu de la politique suivie par la France, multiplie les angles morts.

En effet, le nombre des filiales d'entreprises financières du secteur financier concernées par le durcissement de la législation sous revue est négligeable. La base PEGASE gérée par la DGFIP recense 5 filiales en tout et pour tout (3 filiales au Brunei ; 2 aux Îles Marshall).

Ce recensement, qui peut paraître à peu près exact au vu des informations recueillies par la commission d'enquête, est très loin de rendre compte de la réalité de la présence des entreprises financières offshore .

Cette situation tient à l'étroitesse évidemment excessive de la liste arrêtée par la France, qui présume de la conformité fiscale d'un pays en se référant essentiellement à l'existence d'un instrument conventionnel entre la France et ce pays, sans nulle considération, autre que très contingente, de l'application effective des accords, ni même de leur applicabilité.

La considération de la liste du G20, qui n'a aucun prolongement juridique en matière fiscale, élargit déjà le périmètre du déploiement des entreprises financières dans les centres offshore.

À son terme, ce sont déjà 427 implantations qu'il faudrait identifier, dont 374 en Suisse. Au demeurant, la liste du G20 étant elle-même assez « conservatrice », le panorama des banques français offshore doit être enrichi de très nombreuses entités.

Il faut surmonter les lacunes des recensements réalisés par les autorités administraives.

La direction générale du Trésor, en réponse au questionnaire de votre commission, admet ne pas avoir d'informations particulières sur le déploiement des banques françaises offshore. Elle renvoie aux autorités monétaires.

Quant à elles, un expert auditionné par votre commission d'enquête a pu estimer : alors que la Commission bancaire recensait jusqu'en 2008 les informations précises sur l'implantation et l'exposition des banques françaises dans les paradis fiscaux, l'ACP n'assure plus ce service .

Cette appréciation est sans doute exacte si l'on considère les publications de cet organisme, elle ne l'est pas tout à fait si l'on envisage les informations qu'il recueille (voir infra ).

L'écart entre le recensement des filiales étrangères des trois grandes banques françaises proposé par les auteurs du rapport et celui réalisé par l'ACP en 2007 témoigne de cette difficulté : selon l'ACP, en 2007, l'ensemble des banques françaises disposaient de 785 filiales quand, pour les auteurs du rapport, ce nombre s'élève, pour les seuls trois premiers groupes, à 1 086 filiales (5 238 jusqu'au dixième rang).

Même si des conventions peuvent jouer pour expliquer cette différence, on relève que l'autorité de supervision tend à sous-estimer le déploiement international des groupes bancaires français (tout en lui prêtant une réalité déjà notable) .

4. Les activités offshore des banques françaises sont mal connues des superviseurs

On a indiqué que les régimes spéciaux durcissant la législation fiscale pour les activités réalisées das les paradis fiscaux se trouvaient désamorcés par l'étroitesse de la liste arrêtée à cet égard.

Mais, il faut aussi tenir compte de l'état des connaissances accessibles à l'administration fiscale sur ce point du fait des limites de son information.

Cette sous-information peut poser des problèmes pratiques à l'administration fiscale.

Ainsi, même si la liste des ETNC était plus fournie, les régimes durcissant l'imposition des activités réalisées dans les paradis fiscaux par les banques pourraient se trouver désamorcés ce dont témoigne le responsable de la DVNI :

Je ne connais pas les résultats des entités financières situées dans les paradis fiscaux. Il est difficile de mettre en oeuvre à leur égard l'article 209 B et d'imposer le rapatriement des bénéfices des filiales à plus de 50%. Il faut prouver l'absence d'activité économique locale, or les banques notamment prétendent généralement avoir besoin de cette filiale pour toucher « la clientèle locale », que la jurisprudence du Conseil d'État entend dans un sens très large : pour les îles Caraïbes, elle comprend la clientèle américaine.

De son côté, interrogée sur l'analyse qu'elle peut faire du recours des entreprises financières aux territoires offshore , l'autorité monétaire a transmis une réponse succincte faisant valoir les insuffisances du cadre statistique pour « apprécier et évaluer l'activité des filiales et succursales étrangères de banques et autres acteurs financiers français ».

Elle insiste tout particulièrement sur les lacunes de son information quant aux opérations interbancaires et quant au rendement des actifs.

La Banque de France ne dit pas autre chose.

Réponse de la Banque de France :

« Les flux d'investissements directs à l'étranger des banques et autres acteurs financiers, comme ceux de l'ensemble des sociétés et entités résidentes, font l'objet d'un suivi régulier et d'un recensement statistique, en principe exhaustif dès lors que le montant des opérations dépasse une certaine valeur.

Mais les méthodes utilisées - qui sont conformes aux prescriptions internationales établies par le FMI en matière de statistiques de balance des paiements - et la nature des informations obtenues ne permettent pas d'avoir une traçabilité fine des relations financières avec un ensemble de pays déterminé a priori . En effet, après qu'une opération d'investissement direct a eu lieu vers un pays donné (« le premier pays de contrepartie »), l'information sur l'affectation et la destination finales des fonds n'est pas disponible.

Conforme à la méthodologie internationale de balance des paiements du FMI, le dispositif statistique actuel ne permet pas de savoir, en particulier, si les fonds sont employés dans le pays de contrepartie immédiate ou transférés dans un ou plusieurs pays tiers. »

En bref, l'autorité monétaire n'a pas de connaissance fine de la nature ni de l'affecaion ultime des opérations réalisées à partir des entités financières dépendantes des établissements français.

Dans ces conditions, il faut recommander que l'appel du G 20 à un recensement plus détaillé au niveau mondial des transactions bancaires (la « Data Gaps Initiative » - l'appel à combler le trou noir des données en traduction libre) soit rapidement satisfait.

De même, il faut encourager les grandes banques françaises à répondre à la sollicitation du Gouverneur de la Banque de France à y contribuer au plus tôt.

Il conviendrait d'ailleurs que cette contribution soit élargie à la totalité des banques mais aussi à d'autres acteurs financiers (les entités non régulées, les assurances...) ou du secteur non financier (les centres de financement ou de trading ...).

Enfin, et surtout, il faut inviter les autorités monétaires à dévélopper leur expertise des activités conduites à l'étranger, en particulier quand les pays d'accueil ne présentent pas de garanties de supervision fincière ou de la conformité.

L'activité des groupes bancaires à l'étranger n'en est pas moins suivie. Elle est mesurée par l'ACPR à partir des déclarations des banques via l'état de collecte « engagements internationaux » qui donne des informations de natre essentiellement prudentielle.

Cet état recense sur base consolidée l'exposition d'un groupe aux risques encourus du fait de son activité bancaire internationale (indépendamment du lieu de localisation des actifs correspondants). Les données collectées, selon la méthodologie préconisée par la BRI, visent notamment à permettre la mesure du volume des créances sur des emprunteurs ou des garants résidant dans les différents pays, et donc d'estimer l'impact sur la situation financière du groupe d'une diminution de la valeur de ces actifs en cas de crise de la signature de ce pays. Il est possible que les données collectées répondent aux missions prudentielles de l'ACP, elles n'informent pas réellement sur les fonctions que les banques attribuent à leurs entités implantées offshore , non plus que sur les résultats de ces entités.

Les prêts consolidés 5 ( * ) des banques françaises dans les centres offshores s'élevaient fin 2011 à 250 milliards de dollars (10 % des créances des banques françaises à l'étranger) mais ont atteint 500 milliards de dollars avant la crise.

Créances des banques françaises sur les centres financiers offshore

A partir de ces données, la commission d'enquête a souhaité connaître les engagements dans les territoires mentionnés sur la liste des pays déjà évoquée.

Pour les raisons indiquées, les informations transmises ne donnent pas une image complète des engagements des banques.

Source : réponse questionnaire ACP

Le total des engagements atteint 614,6 milliards d'euros pour les dix premiers groupes français (8,1 % de leur bilan).

Hors les pays européens de la liste, ils s'élèvent à 209,2 milliards soit 2,8 % de leur bilan.

Les contreparties concernées excluent les entités consolidées du groupe puisque les données reposent sur une approche consolidée des engagements du groupe.

Elles n'informent pas davantage sur les collatéraux effectifs puisqu'elles n'envisagent que les débiteurs à raison de leur résidence dans les États considérés.

La prédominance des créances et garanties sur des entreprises doit être relevée.

Cependant, la nature des activités des entreprises concernées n'est pas précisée.

Le poids des opérations proprement financières est élevé du fait des engagements sur la clientèle de détail (mais la « clientèle privée » n'est pas distinguée) et les institutions financières (hors périmètre de consolidation au sens de l'ACPR).

Les informations recueillies par la commission d'enquête sur l'évasion fiscale internationale conduisent à estimer que ces engagements sont très concentrés sur deux établissements.

Les créances détenues sur le secteur public atteignent 117 milliards d'euros.

S'agissant des résultats, les informations publiées manquent tout à fait.

Le poids relatif des résultats dégagés par les banques dans ces pays ainsi que le niveau de l'imposition comptabilisée localement n'ont pas été fournis à la commission d'enquête.

Cependant, celle-ci a obtenu de l'ACPR une image de l'importance prise par ces pays dans la constitution du produit net bancaire de certains grands établissements .

Le produit net bancaire (PNB) des cinq premiers groupes réalisé dans les pays figurent sur la liste communiquée par votre commission atteint 9,4 % du PNB de ces groupes.

Le « chiffre d'affaires » réalisé dans les pays concernés est très variable selon les établissements avec, pour l'un 19,4 % du total, le deuxième groupe 8,7 % et les deux suivants autour de 5 %.

5. Une dimension internationale qui peut contribuer au décrochage entre le taux de contribution fiscale et les profits du secteur financier de bien des manières

La part internationale de l'activité bancaire s'est renforcée. Ce processus crée en soi un effet de composition favorable à une réduction du taux d'imposition des profits bancaires en raison des écarts de fiscalité entre pays.

En outre, ceux-ci peuvent être mobilisés par des procédés variés, dont certains relèvent d'une optimisation fiscale manifestement abusive.

Des données concernant l'année 2011 et une banque française particulière, il ressortait que l'internationalisation de ses activités était allée de pair avec une expansion de ses profits dans les pays d'implantation engendrant une décrue structurelle de son taux d'imposition.

Au vu des taux d'imposition pratiqués dans ces pays, elle avait aussi rimé avec une décrue de son taux implicite d'imposition. Par exemple, les 1 280 millions d'euros de résultats réalisés en Belgique étaient imposés au taux effectif de 14,1 %. De même, les 708 millions de profits au Luxembourg faisaient l'objet d'un taux effectif d'imposition de 16,3 %. Le taux d'imposition supporté dans les territoires à statut particulier de la Couronne britannique atteignait 1,4 % se rapportant à des bénéfices de 140 millions d'euros. Pour la Suisse et Singapour, les données extériorisaient des bénéfices de 376 et 253 millions d'euros imposés pour 17,6 % et 16,1 % respectivement.

La territorialisation de l'impôt sur les sociétés implique que ces bénéfices ne soient imposés en France que sous certaines réserves. L'imposition qui peut s'appliquer y est en toute hypothèse minorée des crédits d'impôts étrangers.

La dimension internationale de l'activité des grandes banques, la fluidité des créances et des dettes sur lesquelles elles opèrent et les marges de manoeuvre dont elles disposent pour localiser leurs activités posent des problèmes aigüs aux fiscs nationaux.

Le CPO mentionne quelques exemples des difficultés rencontrées dans ce contexte.

Territorialité de l'impôt et internationalisation bancaire, un exemple favorable à l'optimisation

Crédits d'impôt étrangers

Le mécanisme des prêts-emprunts de titres, s'il n'est pas spécifique au secteur financier, est très utilisé par le secteur bancaire dans le cadre de son activité quotidienne. Il permettrait également, selon la DVNI, une optimisation fiscale pour des montants conséquents des crédits d'impôts étrangers qui s'attachent au dividende ou à l'intérêt versé pendant la période du prêt.

Les conventions internationales conclues entre la France et des pays tiers prévoient généralement que l'impôt payé à l'étranger sur les revenus de source étrangère (fréquemment une retenue à la source) puisse faire l'objet d'une imputation, totale ou partielle, sur l'impôt français. La société française qui perçoit de tels revenus bénéficie en pratique d'un crédit d'impôt. Lorsque le titre étranger à l'origine du produit est emprunté par une banque française et que le dividende ou le coupon est versé durant la période d'emprunt, cette disposition s'applique également.

La combinaison permet d'emprunter le titre à une contrepartie étrangère (filiales ou partenaires étrangers en déficit) peu avant le détachement du coupon ou le paiement du dividende, de toucher le produit puis de rendre le titre. Le crédit d'impôt reste acquis à la société française même si le coupon est rétrocédé ensuite à la contrepartie.

Cette optimisation, fréquemment utilisée par les banques, détourne le mécanisme du crédit d'impôt imputable en France qui a pour objet d'éliminer la double imposition (qui n'est pas constatée dans ce cas).

Les suites des contrôles ayant cherché à remettre en cause cette pratique font l'objet de contentieux en cours devant les juridictions administratives. Il convient toutefois de préciser que la législation fiscale a été adaptée en vue de mettre fin à ces comportements d'optimisation : désormais, l'article 220 du CGI, tel que modifié par l'article 14 de la loi de finances pour 2011, prévoit que le montant d'impôt sur lequel le crédit d'impôt est imputable est minoré de l'ensemble des charges dues par le contribuable au titre de l'opération d' « aller-retour », en particulier la moins-value occasionnée lors du retour des titres à leur détenteur initial et les sommes versées à celui-ci en dédommagement des dividendes non perçus par lui.

Régime mère-fille et territorialité

Les revenus des filiales françaises ou étrangères ouvrent droit sous conditions à une exonération d'impôt sur les sociétés chez la mère. En conséquence, le produit des actions est retranché du bénéfice imposable de la société mère (moins une quote-part de frais et charges fixée forfaitairement à 5 %).

Le régime, optionnel, prévoit deux conditions principales : la société mère doit détenir au moins 5 % du capital et les titres doivent être conservés pendant deux ans.

Le régime mère-fille permet donc de « remonter » un dividende au sein d'une structure de groupe vers la holding en quasi-franchise d'impôt (la quote-part de 5 % étant imposée), le résultat n'est ainsi taxé qu'une seule fois (au niveau de la société dans laquelle il a été réalisé) quelle que soit l'architecture du groupe.

Il s'agit, là encore, d'un dispositif de droit commun qui n'est pas spécifique aux groupes financiers. Néanmoins, l'immatérialité des opérations financières permet de les localiser facilement dans des filiales étrangères, ce qui facilite la mise en place d'une optimisation fiscale fréquemment relevée en contrôle pour les groupes bancaires et d'assurance.

Les grosses opérations de financement peuvent ainsi être logées dans des filiales ad hoc, situées dans d'autres pays développés et qui supportent une faible fiscalité sur place (Luxembourg, Delaware par exemple). Le produit de l'opération est alors intégré au bénéfice du groupe en franchise d'impôt français. Parfois, le montage utilise également un titre hybride (quasi-capital) propre à la législation anglo-saxonne : la filiale rémunère la majeure partie de ses fonds propres via ce type de titre, ce qui permet une déduction de la rémunération du bénéfice imposable dans le pays d'origine et une qualification de dividende en France. La DVNI déqualifie alors le dividende en revenu de créance.

Source : CPO - Les PO sur le secteur financier - Rapport n° 2

Certaines des pratiques évoquées par le CPO relèvent d'une optimisation fiscale agressive.

Elles ont pu être exposées à la commission d'enquête par des témoins avec d'autres techniques qui invitent à s'interroger sur la significativité de la répartition des bénéfices entre les différentes entités des banques.

L'arbitrage des retenues à la source serait monnaie courante dans les desks de trading. Il s'accompagnerait d'une répartition de son produit entre les contreparties de l'échange. Ces pratiques sont sans doute en cause dans le faible rendement des retenues à la source ; elles plaident en outre contre le choix de cette solution comme une alternative à l'échange d'informations.

Un certain nombre des techniques mentionnées comme utilisées pour le blanchiment ( cf. supra ) sont également disponibles.

Les possibilités de transférer des bénéfices et des pertes au gré des situations fiscales paraissent très larges. Des témoins ont indiqué qu'elles étaient mobilisées à travers des « opérations-miroirs » favorisant la localisation de revenus dans des structures en pertes ou plus simplement moins imposées.

Le recours à des coquilles vides a pu être cité. De fait, les effectifs employés sur place sont souvent non renseignés dans les documents transmis par les autorités monétaires. Par exemple, ces données ne permettent pas de chiffrer le nombre des employés aux Iles Caïmans des quinze implantations d'une grande banque.

On a mentionné plus haut les questions que pouvaient poser certains choix de consolidation des entités, exclues du fait de leur « non-matérialité ».

Une telle situation est propice à toutes les fraudes.

Votre rapporteur a été sensible à des témoignages faisant valoir l'existence de systèmes de rémunérations occultes à partir d'entités localisées dans des pays offshore et ne faisant l'objet d'aucune information financière. Les cas mentionnés se réfèrent assez systématiquement à des entités sans activité appréciable, de celles que les groupes bancaires ne consolident pas.

Il conviendrait que des vigilances particulières s'exercent sur ces situations. Mais, on explique dans la suite du présent rapport pourquoi cet objectif est difficile à tenir par des régulateurs qui n'ont pas un accès libre aux entités offshore .

Il existe une solution en ce cas, celle de prescrire la fermeture de ces entités, mais elle n'est pas employée.

Plus globalement, le poids des engagements et des résultats des banques à l'étranger gagnerait à être mieux suivi.

* *

*

Dans ce contexte, il faut conclure sur les performances du contrôle fiscal sur les etreprises financières.

Au vu du degré de contingence de la détermination du bénéfice fiscal, les résultats du contrôle fiscal sur les entreprises financières peuvent être jugés diversement.

Selon le CPO, les rappels d'impôts atteignent un montant de l'ordre de 500 millions d'euros par an pour les banques et de 300 millions d'euros pour les assurances.


* 3 Le nombre est égal à la somme des pays d'implantation étrangère des banques.

* 4 La modicité de certains dénombrements peut étonner. Il est possible qu'elle résulte de la non-prise en compte de structures opaques.

* 5 Il serait intéressant de se demander comment cette consolidation a pu être effectuée et si elle a un sens.

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