C. UN MONDE SOUS PRESSION ?

On décrit parfois le monde de l'offshore comme sous pression. Les ONG qui suivent l'évasion des capitaux et l'évasion fiscale ne corroborent pas cette appréciation. Selon elle, le poids reatif des différents centres offshore ne fait que se déplacer.

De fait, la progression des centres offshore a été inégale dans les années 2000.

Les gains des Iles Caïmans ressortent comme beaucoup plus élevés que ceux de la Suisse entre 2002 et 2011 (plus 1 371 milliards de dollars contre « seulement » 397 milliards pour la Suisse).

De même la progression relative de Hong Kong qui a quadruplé ses positions en matière d'immatriculation de titres entre ces deux dates est bien plus spectaculaire que celle de ce dernier pays qui a fait moins que les tripler.

Une recomposition du offshore semble donc en cours qui pour épouser des évolutions macroéconomiques, paraît obéir à des dynamiques spécifiques .

1. L'exemple de la Suisse, un compte financier qui bouge ?

Le compte financier suisse du « reste du monde » qui retrace les « stocks de passifs et d'actifs » avec l'étranger, et leur évolution enregistre des variations importantes depuis 2007. Elles semblent procéder de phénomènes financiers autonomes, même si des informations complémentaires manquent pour tout à fait les comprendre.

Ce sont les passifs à court terme qui accusent un net repli. Il a été de l'ordre de 550 milliards de francs suisses entre 2007 et 2011 et traduit une diminution des dettes totales de la Suisse envers l'étranger. Ce recul provient essentiellement d'une très forte diminution des dépôts, variation que les autres postes du passif ne subissent pas. La baisse des dépôts atteint plus de 563 milliards au cours de cette période.

Il n'est pas possible d'expliquer finement ces mouvements non plus que de les attribuer à une désaffection des étrangers du fait des menaces entourant la préservation du secret bancaire suisse mais il est possible que ce facteur joue un rôle non négligeable.

Les actifs détenus à l'étranger par le pays ont de leur côté enregistré une réduction mais moins élevée (de 489 milliards de francs suisses).

La baisse des dépôts détenus à l'étranger a été plus franche que celle des dépôts détenus en Suisse par l'étranger (597 milliards contre 563 milliards). Mais, elle a été compensée par une augmentation des titres de créances sur l'étranger ainsi que par des participations détenues dans des entités étrangères.

Les mouvements financiers entre la Suisse et le reste du monde sont différenciés selon le pays qu'on envisage.

Les actifs financiers détenus à l'étranger (investissements de portefeuille) sont en repli depuis 2007, mais cette évolution concerne principalement ceux détenus en Europe (de 782,9 à 597,3 milliards de francs suisses en 2011,) en Amérique Centrale et du Sud. (de 98 à 54,5 milliards). Les actifs détenus en Amérique du Nord (de 170,7 à 183,5) et en Asie (de 36,5 à 38,8) progressent.

En Europe, le Luxembourg est de loin la première destination des investissements venant de Suisse (136,2 milliards de francs suisses en 2011 - 174 en 2007), situation qui a été expliquée par des différences fiscales (concernant les retenues à la source notamment) combinées avec des homologies réglementaires (sur le secret bancaire et l'offre de structures opaques, en particulier).

Le deuxième pays d'accueil est l'Allemagne (87 milliards - 133 milliards en 2007) suivi de la France (avec une stabilité remarquable de date à date autour de 85 milliards), des Pays-Bas et du Royaume-Uni (pour 68,4 et 63,9 milliards respectivement).

Les actifs aux Etats-Unis ont progressé de leur côté (de 152 à 157,7 milliards en 2007 et 2011 respectivement).

La Suisse déclare ses avoirs dans ce qu'elle appelle les « centres financiers offshore ». En Europe, il s'agit des Iles anglo-normandes et de Gibraltar. En Amérique, 10 territoires sont couverts par cette rubrique.

Depuis 2007, les actifs détenus dans ces entités diminuent (de 90 à 20 milliards pour les entités européennes ; de 94,2 à 46,8 milliards pour les zones sud-américaines).

Sans doute faut-il prendre avec précaution ces évolutions macrofinancières.

Des données manquent pour les apprécier. La part des actifs ne pouvant être répartis ressort comme élevée et stable autour de 105 milliards de francs suisses, soit à peu près 10 % du total des investissements du portefeuille.

Mais, des rémoignages empruntées à l'actualité rejoignent les leçons d'études plus systématiques (comme celles portant sur les effets des conventions relatives à l'échange d'informations) faisant valoir la mobilité d'un centre offshore à l'autre en fonction des risques perçus d'une normalisation de certaines zones .

Ces mouvements ne sont pas anodins. Il existe une course aux ressources financières dans le monde que le renforcement des normes prudentielles et leurs effets sur le recours aux dettes pour assurer l'équilibre économique pourraient accentuer.

On indiquera en évoquant le privilège du seigneuriage du dollar et les besoins particuliers en capital des Etats-Unis que ce dernier pays occupe une position singulière qui le dispose à poursuivre des objectifs particulièrement offensifs sous cet angle.

Or, le déplacement des centres offsore peut rimer avec une réorganisation de la puissance financière dans la mesure où les intermédiaires financiers et les Etats ne sont pas également positionnés dans les différents centres.

Cette observation ne va pas dans le sens d'un désarmement de la lutte contre les paradis fiscaux. Elle plaide plutôt pour une lutte symétrique et universelle, qui suppose que l'Europe ne soit pas suiviste dans les actions en cours contre certains flux financiers.

2. Les beaux jours de l'offshore ne sont pas finis...

Si l'on devait s'en remettre aux listes noires ou grises adoptées par les organisations gouvernementales, on tendrait à estimer que l'offshore n'est qu'un concept vide.

L'application de critères plus conformes à la raison oblige à des constats opposés. Ceux-ci conduisent d'ailleurs à juger que l'offshore n'est pas l'apanage des territoires exotiques. Il inclut des États que leur statut juridique exclut globalement du champ de l'offshore mais qui appartiennent incontestablement à l'ofshore par leurs pratiques.

Il faut aller au-delà : la finance contemporaine est profondément « extra territorialisée » y compris dans les pays où elle apparaît plus régulée qu'ailleurs. En somme, l'offshore est un peu partout.

Lors de son audition, M. Jean-Claude Trichet a ainsi déclaré :

Je n'ai pas mentionné l'offshore comme l'une des causes principales de la crise car je considère qu'il s'agit d'un élément parmi d'autres. J'aurais pu le mentionner. Au-delà de l'offshore, la négligence générale en matière de réglementation et de contrôle est importante. L'offshore m'apparaît comme l'un des points d'application particulièrement dangereux de cette négligence. Je distingue trois concepts autour de ce thème. Le premier est l'offshore en tant qu'entité se prêtant au blanchiment d'argent et au financement du terrorisme...Un second élément est intervenu plus tard : la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. Une partie du délit de fraude est traitée dans la lutte contre le blanchiment d'argent. L'évasion fiscale n'a quant à elle été que récemment reconnue par la communauté internationale comme un problème important. Le dernier point, absolument essentiel, est apparu avec la crise : l'universalisation des règles de prudence à toutes les entités mondiales, y compris aux places offshores.

On peut lire ces propos comme témoignant de l'existence d'un offshore insidieux lié aux défauts de la régulation et de la vigilance des superviseurs.

Les propos de l'ancien Président de la BCE rejoignent un constat qui mobilise l'agenda international autour de la nécessité d'entreprendre une re-régulation de la finance.

Cet objectif est souvent présenté comme devant être satisfait par l'adoption de nouvelles règles.

Les concertations auxquelles donnent lieu le problème du shadow banking (voir l'annexe n ° 1) témoignent de cette approche et confirment l'existence d'un offshore de l'intérieur.

Mais l'adoption de nouvelles règles n'auraient pas grande portée sans un changement de culture des superviseurs.

Sur ce point, tant les témoignages de M Jean-Claude Trichet que ceux de M Dominique Strauss-Kahn sont éloquents.

Répondant à une question de votre rapporteur sur le rôle du FMI à l'égard de la finance offshore celui-ci a relevé :

« contrairement à ce que beaucoup pensent, le Fonds n'est pas le gendarme de la finance internationale : il n'en a pas les moyens légaux, et, partant, il n'en a pas non plus les moyens intellectuels ».

Puis évoquant les prises de risques ayant donné lieu à la crise financière, il a déclaré :

Deuxième raison de cette prise de risque excessive : le gendarme n'est pas assez armé. Quand une Ferrari dépasse les limitations de vitesse, on ne lance pas les gendarmes à ses trousses en Clio. De même, les surveillants doivent avoir les mêmes compétences techniques que ceux qu'ils surveillent. Comment faire, quand de l'autre côté de la barrière, on gagne cent à deux cents fois plus que ce que la puissance publique est capable d'offrir ? Résultat, les gendarmes rament loin derrière...

Ces propos ne sont pas très éloignés de ceux de M Jean-Claude Trichet avouant son inquiétude face à certaines innovations financières  en lien avec les nouveaux procédés technologiques :

Les autorités prudentielles et les banques centrales doivent se poser cette question en permanence, particulièrement dans ce contexte de trading à haute fréquence où les fractions infinitésimales comptent pour gagner en efficacité. Nous explorons des territoires totalement nouveaux. La quasi-totalité des acteurs en vient à réfléchir à un déplacement de quelques centaines de mètres afin d'être plus proche de la machine centrale faisant fonctionner un marché pour gagner ainsi le temps que la lumière met à parcourir cette distance. Nous ne pensions pas avoir à expérimenter de tels phénomènes. Nous devons tenter de maîtriser au mieux les avancées technologiques, le problème étant que dès qu'une technologie nouvelle apparaît elle est adoptée sans évaluation préalable. Je ne peux répondre à votre question ; comme les langues d'Ésope, la technologie est capable du meilleur comme du pire .

En réponse à la question suivante de notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx, le témoignage de l'orateur a été particulièremet éclairant :

Marie-Hélène des ESGAULX

Monsieur le Gouverneur, j'ai bien entendu vos propos relatifs à la supervision prudentielle. Parallèlement à cela, je tiens à dire que nous sommes un certain nombre dans cette commission à être extrêmement surpris par le nombre de filiales dont disposent les banques. BNP Paribas par exemple, possède 300 filiales. Nous suspectons un manque évident de transparence. En effet, je crois comprendre que le contrôle porte sur les comptes consolidés. Les opérations ne sont donc pas vérifiées. Il nous a d'ailleurs été dit qu'il était territorialement impossible d'accéder aux opérations réalisées à l'étranger. Quel est votre avis sur cette situation ? Il s'agit selon moi d'une question fondamentale.

Jean-Claude TRICHET

Cette question est effectivement très importante. Je sais que votre commission se concentre sur l'offshore. Cependant, le problème se pose pour tous les pays. Certains Etats européens tels que le Luxembourg ou l'Autriche sont moins coopératifs que d'autres, particulièrement dans le domaine fiscal. Quelques toutes petites entités disposent d'une position particulière en raison de leur complaisance à l'endroit du financement criminel ou de la fraude fiscale. Mais, nous devons admettre que le problème est beaucoup plus général que l'offshore au sens stricto sensu...

En réponse aux problèmes de filiales que vous soulevez, il faut savoir que beaucoup de pays souhaitent être maîtres chez eux et ce, pas nécessairement dans le but de pratiquer des fraudes, une évasion fiscale ou des activités criminelles. Ces pays peuvent alors exiger des filiales afin que leur autorité prudentielle exerce le contrôle. Nous revenons à ce que je viens de dire : nous devons disposer, partout dans le monde, de standards communs contrôlés par une entité responsable au niveau de l'économie internationale.

On ne peut mieux cerner l'ampleur des risques à affronter et des soltions qu'il reste à apporter

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