ANNEXE 4 - LE SHADOW BANKING

Le système bancaire parallèle est mal nommé puisque précisément, au regard de son statut juridique, il regroupe des acteurs qui, n'étant pas des banques, s'ils ne bénéficient pas des facilités offertes par l'organisation des systèmes monétaires internes, en particulier de l'accès au refinancement de la Banque centrale, sont également exemptés des disciplines qui s'appliquent aux banques.

Le CSF estime que le SBP représente à peu pris la moitié du secteur bancaire régulé soit 51 trillions de dollars en 2011 (17,5 aux USA ; 16,8 en zone euro ; 6,8 au Royaume-Uni).

Le shadow banking rassemble des acteurs diversifiés comme les sociétés financières, les véhicules de titrisation, les fonds monétaires, les courtiers en valeur mobilière, les fonds d'investissement recourant au levier (les hedge funds ) et certainement bien d'autres acteurs, qui pourraient y être rattachés si l'on disposait d'une notion précise du phénomène. Mais, force est de constater que celle-ci fait encore trop largement défaut, ce qui témoigne en soi d'un problème beaucoup plus global posé par la finance moderne dérégulée : l'absence de transparence et de connaissance des mécanismes, des circuits qui sont les siens.

Votre rapporteur considère par exemple que dans une économie de plus en plus marquée par les flux financiers internes aux groupes, il serait certainement justifié de ranger parmi les acteurs du shadow banking les structures mises en place au sein des entreprises pour s'échanger des dettes et des créances.

Au demeurant, l'essentiel est bien que si a priori les entités du système bancaire parallèle n'ont pas accès aux soutiens publics, notamment à celui des Banques centrales, du moins en période hors crise, elles peuvent en bénéficier indirectement dès lors qu'elles partagent des enjeux financiers avec les structures pleinement admises à ce type de soutien. En réalité, à la faveur des modifications des modèles suivis par les entreprises financières, des relations plus ou moins directes d'interdépendances financières se sont intensifiées et resserrées entre celles-ci et les entités du shadow banking. Ainsi, les hedge funds des banques, les engagements hors bilan portant par exemple sur des lignes contingentes de prêts, montrent que la frontière entre système bancaire parallèle et système bancaire traditionnel est poreuse.

La caractéristique essentielle du shadow banking réside en effet dans l'encadrement très allégé auquel il est soumis et, par ailleurs, qu'il présente une architecture qui accentue toutes les failles sur lesquelles s'est effondré le système financier à partir de 2007. Parmi celles-ci le fractionnement très prononcé entre les opérateurs de la chaîne financière et la polarisation autour d'activités de gestion de la liquidité ressortent particulièrement. Le shadow banking a été d'ailleurs très impliqué dans la gestion des produits structurés autour des processus de titrisation.

1. Les Etats-Unis

Une note du ministère de l'économie et des finances (Trésor Eco n° 113 de mai 2013) présente certaines évolutions du système bancaire parallèle aux États-Unis.

La valeur des actifs du shadow banking y a explosé depuis le début des années 2000 passant de 6 à près de 22 trillions de dollars (145 % du PIB des États-Unis) en 2008. Depuis, la somme des actifs au bilan des acteurs du shadow banking s'est replié d'un quart (autour de 16 trillions de dollars).

À leur sommet, les encours gérés représentaient environ 41 % du financement accordé aux acteurs de l'économie réelle mais depuis cette part du financement a décru de l'ordre de 10 points.

La confrontation de ces données conduit à observer qu'une part très significative de l'activité du shadow banking ne peut être attribuée au financement de l'économie réelle, part de l'ordre du quart de ses positions.

Ces données sont en réalité difficiles à interpréter. Le fractionnement des chaines de la finance de l'ombre implique très probablement de nombreux doubles comptes, les actifs des uns étant les passifs des autres qui à leur tour sont le socle d'actifs et ainsi de suite. Par ailleurs, il est aventureux de rattacher tel actif à une opération de financement de l'économie réelle et d'en exclure au contraire d'autres, du moins dans un certain nombre de situations correspondant à des engagements non conventionnels des structures financières. Dans la finance contemporaine des produits dérivés, le rattachement des titres à des sous-jacents ne peut plus faire présumer l'utilité des expositions des détenteurs d'actifs financiers pour l'économie réelle.

Dans ce contexte, il est heureux que le shadow banking fait l'objet au moins indirectement de plusieurs travaux visant à en assurer une forme de régulation.

La loi Dodd Frank adoptée aux États-Unis en juillet 2010 impose une rétention minimale de 5% des actifs générés par l'établissement puis titrisés par lui, de nouvelles obligations de transparence à l'égard des investisseurs et l'assujettissement à la garantie des dépôts d'une partie du bilan autrefois exemptée (la cotisation n'était assise que sur les dépôts, elle le sera désormais sur l'actif le capital étant déduit). De même le hors-bilan est inclus dans le calcul des exigences de couverture par les fonds propres.

Les travaux du CSF ont identifié cinq champs d'actions prioritaires. Outre la résolution des problèmes d'identification des contours et des volumes financiers mobilisés par le shadow banking , qui montre la difficulté de suivre les circuits financiers dans le monde contemporain, cinq groupes de travail devraient traiter respectivement la question de la régulation des interactions entre le shadow banking et le système bancaire traditionnel par le Comité de Bâle, la réforme du cadre réglementaire des fonds monétaires confiée à l'OICV, la régulation des autres entités par le CSF, celle de la titrisation et l'encadrement des activités de prêts de titres et de prises en pension (marchés repo) qui engagent des problèmes de stabilité financière (la réutilisation ad libitum du collatéral se traduisant par des effets de levier sur d'illusoires garanties considérables qui, selon le FMI représentent pour sept grandes banques américaines dites broker dealers - ce sont les banques d'investissement à des engagements équivalents à 2 trillions de dollars se trouvant ainsi sans garantie effective) mais aussi de conformité notamment au regard de l'évasion fiscale.

La question des relations financières d'interdépendance entre shadow banking et établissements traditionnels est déjà défrichée dans ses grandes lignes. Elle inclut le problème de la consolidation prudentielle, des limites sur la taille et la nature des expositions des banques avec les entités du système parallèle, les exigences de fonds propres particulières et le traitement du risque de réputation.

Sur ce point, l'agenda couvre globalement l'ensemble de la palette des risques prudentiels et de conformité associés à la finance dérégulée.

Celle-ci a multiplié les risques, à l'abri d'engagements gérés de façon à les dissimuler et à les transmettre à des entités tierces dans une défausse de responsabilité systématique, tout en contournant les risques de se voir imputer une responsabilité du fait de la conformité. Il faut s'attendre à ce que moyennant les adaptations spécifiques aux questions posées, les autres dossiers suscités par le système bancaire parallèle s'inspirent de principes analogues.

Toute la question est celle de la profondeur de la régulation de cette finance de l'ombre . À cet égard, les évolutions en cours aux Etats-Unis sont significatives de certaines contraintes structurelles.

Elle dépend notamment de l'atténuation de la dépendance envers un modèle financier dual dans ses objectifs.

La baisse de la dépendance de l'économie américaine au financement apporté par les intermédiaires de ce système parallèle a supposé le recours à des formes non conventionnelles de financement dont témoigne la croissance très forte de l'exposition de la Banque centrale à l'économie réelle, qui a plus que triplé depuis 2008 (passant de 800 millions de dollars à 2,37 trillions pour des prêts à court-moyen terme ou s'agissant de l'immobilier à plus long terme). Par ailleurs, le reste du monde a accru son financement, à hauteur de 14 % de l'endettement du secteur réel. Mais, de son côté le secteur bancaire occupe une part constante du financement des entreprises non financières, des ménages et des administrations, autour de 22 % du total.

Par ailleurs, les ressorts de la demande adressée au shadow banking demeurent. L'appétit pour le rendement joue dans un contexte où celui-ci est déprimé par la politique suivie par la Fed notamment, mais aussi par l'abondance des liquidités des pays excédentaires qui doivent bien se placer dans les zones à besoins de financement. De même une certaine pénurie de titres courts recherchés pour leur liquidité par les trésoriers invite ceux-ci à chercher des placements alternatifs, même si cette recherche est, à ce jour, encore infléchie par le souvenir des risques de liquidité survenus massivement pendant la crise.

Sans doute l'augmentation de la garantie des dépôts bancaires a telle renforcé le secteur bancaire traditionnel aux États-Unis. Mais, ce renforcement n'est que provisoire, tandis que seul l'encadrement des interdépendances financières entre les banques et les entités du secteur non régulé pourra faire en sorte que le renforcement de crédibilité des banques résultant de cette mesure aura son plein prolongement sur les actifs correspondants.

2. L'Europe

De son côté la Commission européenne (CE) entend améliorer la transparence de secteur bancaire parallèle (SBP), l'encadrement des fonds monétaires, renforcer les règles applicables aux OPCVM, réformer le droit des valeurs mobilières et les risques associés aux cessions temporaires de titres et encadrer l'interaction entre les entités du SBP et les banques.

Pour la CE, le SBP regroupe des entités qui collecte des ressources présentant des caractéristiques similaires à celles des dépôts, réalisent des opérations de transformation d'échéance ou de liquidité, permettent des transferts de risques de crédit, ont recours au levier d'endettement directement ou indirectement.

La CE se donne pour objectif de réduire les opportunités d'arbitrage réglementaire que présentent ses entités et qui sont susceptibles de mettre à bas les efforts entrepris pour réguler davantage les banques.

Le renforcement des exigences imposées aux banques dans leur relation avec le SBP est fondé sur deux exigences essentielles : celles relatives aux transactions entre banques et contreparties financières, les règles comptables de consolidation.

Sur le premier point, le renforcement des équilibres entre organismes à l'origine de la titrisation et investisseurs finaux (CRD 2 obligation de rétention de 5 % des actifs titrisés et CRD 3 sur les exigences de fonds propres pour les risques de titrisation et les exigences prudentielles applicables aux soutiens apportés aux véhicules de titrisation) est l'outil principal.

Sur le second point, le durcissement des règles de consolidation comptable (normes IFRS 10,11 et 12 qui entreront en vigueur en 2014) est primordial. Par ailleurs, le Comité de Bâle a amorcé une revue des pratiques de consolidation à vocation prudentielle (conclusions fin 2014).

IFRS 7 a modifié les conditions d'enregistrement en hors bilan dans le cas de transfert d'actifs financiers (entrée en vigueur le 1 er juillet 2011)

Le renforcement des exigences appliquées aux assurances dans leur relation avec le SBP doit être également relevé :

Solvabilité 2 abordera ce sujet dans le cadre de son approche par le risque. Certaines activités risquées comme l'assurance de prêts immobiliers les accords d'échange de liquidité avec des banques (liquidité swap) ou l'octroi de prêts directs peuvent poser des problèmes. Des dispositions sur la gestion des risques et les exigences de fonds propres seront prises de ce point de vue. La création de véhicules de titrisation doit recevoir l'agrément des autorités de surveillance.

Un cadre harmonisé pour les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs est prévu.

Depuis le 22 juillet 2013 la directive AIFM s'applique à tous les gestionnaires de fonds.

Les agréments sont subordonnés à des conditions de fonds propres, de gestion des risques, de désignation d'un dépositaire unique et de transparence à l'égard des investisseurs et des superviseurs. L'AEMF (ESMA) pourra recommander aux autorités nationales d'imposer des limites à l'utilisation du levier.

Les mesures entreprises pour renforcer l'intégrité des marchés sont également essentielles :

L'encadrement des instruments de transfert de risques.

Le règlement EMIR sur les produits dérivés négociés de gré à gré rend obligatoires la compensation par une contrepartie centrale de tout contrat dérivé standardisé ainsi que des appels de marges pour les contrats non standardisés. Les transactions seront ainsi conservées sur des registres de données accessibles à l'ensemble des autorités de surveillance.

Le règlement sur la vente à découvert améliore la transparence sur les positions sur les contrats d'échange sur risque de crédit et interdit les contrats non couverts d'échange sur les risques souverains.

Le renforcement du cadre de la titrisation a progressé.

Le cadre européen est constitué de CRD 2, de Solvabilité 2 et la directive AIFM. Il est conforme aux recommandations de l'OICV. La transparence doit également progresser ce qui suppose de nouvelles initiatives. Le renforcement de la surveillance des collatéral et du processus de la labellisation permettra de renforcer la confiance des investisseurs.

L'encadrement des agences de notation est renforcé.

Trois règlements ont été adoptés. Il s'agit de réduire le recours aux notations externes, d'améliorer la qualité des notations et de renforcer la responsabilité des agences de notation de crédit. Le troisième règlement CRA3 entré en vigueur en juin 2013 contribuera à limier les conflits d'intérêts en responsabilisant les agences.

Dans l'ensemble ces initiatives sont plus ou moins avancées. Il est tout à fait clair aux yeux de votre rapporteur qu'elles doivent permettre de progresser vers davantage de transparence de la vie financière. C'est un objectif fondamental, à côté d'autres plus prudentiels. La normalisation de la finance, qui ne doit pas oublier d'aborder les problèmes d'allocation du capital, doit avancer sur deux pieds : la stabilité financière, la conformité.

Les transpositions à venir du droit européen devront comporter des garanties que la seconde sera bien au centre de la re-régulation que la quasi-totalité des personnes auditionnées par la commission ont appelé de leurs voeux.

La maîtrise du shadow banking est un point fort des progrès qui doivent permettre une meilleure maîtrise de la finance.

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