2. Prendre pleinement en compte la promotion des intérêts économiques dans notre politique de coopération

Un examen attentif des politiques de coopération de nos partenaires occidentaux montre que de nombreux pays affichent explicitement ou implicitement un objectif de promotion de leur économie nationale dans les objectifs de leur coopération.

C'est le cas au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis.

A chaque fois avec des modalités différentes, dans la majorité des cas, les outils de promotion du commerce extérieur et d'aide au développement sont distincts, mais parfois gérés par le même organisme.

Le soutien des efforts de développement des entreprises japonaises constitue un des deux axes stratégiques de l'agence de coopération japonaise. Aux États-Unis, USTDA ne finance que des projets de coopération technique pour lesquels il existe une offre américaine ; l'agence MCC, dont l'aide est officiellement déliée, a exclu en 2010 de ses appels d'offres les entreprises publiques, ce qui exclut de facto une grande partie des entreprises chinoises.

En Allemagne, la coordination des intervenants de l'APD bilatérale allemande se réalise au travers de cadres stratégiques, par pays définis par le ministère de la coopération, qui intègrent les questions de la défense des intérêts allemands. Ces cadre établissent un état des lieux de la situation du pays au regard du développement, fixent les secteurs d'interventions au regard des besoins du pays et des positions sectorielles de l'industrie allemande et définissent dans les grandes lignes les instruments à privilégier.

Dans la majorité des cas, la coopération technique liée apparaît comme le levier pour diffuser des normes techniques nationales et favoriser par la suite l'attribution des marchés aux entreprises du pays bailleur.

L'Allemagne et le Japon consacrent près du tiers de leur effort d'APD à une offre d'assistance technique largement liée qui permet d'assurer la diffusion de leurs standards nationaux et de favoriser la mise en place de projets sur des secteurs où il existe une offre des entreprises allemandes et japonaises.

De même la coopération technique américaine vise explicitement à mettre en place des marchés hautement susceptibles d'être remportés par une entreprise américaine.

Par comparaison, les intérêts économiques français ne sont pas suffisamment pris en compte dans le cadre de l'aide bilatérale.

A l'AFD, le mandat de promotion des intérêts économiques comme objectif secondaire après le développement n'est pas explicite et ne fait pas consensus. De ce fait, le cadrage stratégique des outils de financement de projets et de la coopération technique française n'intègre pas cette dimension. Dans les documents de stratégie-pays des différents acteurs, la réflexion ne s'avère ni systématique ni précise sur un positionnement sectoriel optimal en amont, faute de connaissance suffisante des segments où l'offre française est déjà compétitive et surtout susceptible de l'être

Pour la même raison, la coordination entre les acteurs publics et privés de l'aide-projet française, tant au niveau national que dans les pays bénéficiaires, est insuffisante.

A Paris, la coordination sur ces questions entre le ministère des affaires étrangères, celui des finances, bpifrance, UBIFRANCE, la COFACE, les représentants des entreprises, et les représentant des bureaux d'étude est quasiment inexistante, sauf à travers des réseaux informels ou sur des sujets ponctuels et parfois conflictuels comme le champ de compétences des opérateurs d'expertise technique.

Sur le terrain, la coordination entre les bureaux de l'AFD, les services économiques, l'agence Ubifrance, les entreprises et les bureaux d'études dépendent fortement des relations et des parcours personnels. Nous avons constaté en Afrique du Sud, une forte cohésion avec l'établissement en commun entre l'AFD et les services économiques d'un catalogue de l'aide française présente en Afrique du Sud.

Ce n'est pas le cas partout, la répartition des compétences sur les secteurs où la France est compétitive et l'identification des entreprises étant variable selon les pays

Enfin, par comparaison, force est de constater la faiblesse de l'expertise technique accordée par la France en accompagnement du financement de ses projets, notamment en comparaison des principaux bailleurs bilatéraux.

Aujourd'hui, les moyens budgétaires pour financer des études et des expertises en Afrique à l'initiative de l'AFD sont pris sur les mêmes crédits que les subventions projets dont les montants ont diminué de 30 % depuis 2006.

Or l'expérience de nos partenaires montre que c'est en amont des projets, dans le dialogue sur des normes techniques, sur des politiques publiques, qu'un politique d'influence peut avoir une incidence de long terme sur les relations économiques avec des entreprises françaises.

Le développement de cadres normatifs et de régulation similaires aux nôtres au sein des administrations africaines ne peut que favoriser les échanges économiques des entreprises françaises.

Mettre en place les normes ferroviaires en s'appuyant sur des normes françaises ou allemandes maximise les chances des entreprises françaises ou allemandes, participer à la refonte du droit civil malgache, selon que cette refonte s'inspire du système juridique français ou de la « Common Law » britannique, favorise les cabinets d'avocats anglo-saxons ou francophones.

Les cadres politiques, normatifs, économiques et administratifs futurs de nos partenaires africains dépendent, dans une large mesure, de l'expertise apportée pour les concevoir. Les prestations d'expertise et de conseil auprès des gouvernements étrangers et des organisations internationales constituent ainsi un vecteur essentiel pour la diffusion des normes et standards français, tant sociaux que juridiques, sanitaires ou environnementaux. L'expertise internationale française permet aussi le rayonnement de notre modèle d'organisation de la société et de nos valeurs.

L'expertise participe notamment de la promotion d'une vision sociale de la mondialisation et de valeurs portées par notre diplomatie multilatérale (« socle de protection sociale », égalité dans l'accès à la santé, un droit du travail protecteur...).

L'expertise française dans ces domaines constitue potentiellement un puissant relais d'influence pour la France à l'heure où la santé, l'emploi et les inégalités sociales deviennent des facteurs de déséquilibres géopolitiques importants (chômage des jeunes, inégalités hommes femmes, sida et autres maladies infectieuses, concurrence favorisant le moins-disant social).

L'ensemble de ce diagnostic conduit à proposer que l 'AFD se voie confier officiellement en plus de son mandat au service d'un développement durable et au sein de son mandat de politique d'influence, un mandat de dialogue avec les entreprises privés et les bureaux d'études et de promotion de l'économie française autour de l'expertise.

Pour ce faire, le groupe de travail propose que cet objectif soit inscrit dans le contrat d'objectif de l'agence, qui devra travailler en étroite collaboration avec les services compétents du ministère des finances et du ministère des affaires étrangères, en France comme dans le réseau. Cet objectif imposera un mécanisme permanent de dialogue et de concertation avec le secteur privé français.

Il ne s'agit donc ni de relier le financement des projets, ni d'influencer le résultat des appels d'offre qui ne sont pas d'ailleurs du ressort de l'AFD, mais bien de développer un dialogue sectoriel de façon à mieux se faire rencontrer les préoccupations de développement et celles de commerce extérieur en amont de la définition de stratégies sectorielles et géographiques.

Cette concertation aura pour objectif : une identification, avec l'aide des services de l'Etat, des filières fortes par pays, susceptibles de voir de l'expertise ou des entreprises françaises se positionner et répondre de manière compétitive à la demande.

Cette proposition s'articule avec le souhait explicité ci-après de doter l'AFD de moyens renforcés pour financer de l'expertise technique.

La gestion d'un fonds dédié à l'expertise, permettrait à l'AFD de mieux prendre en compte encore les secteurs force de l'économie française d'agir en amont des projets pour promouvoir des politiques publiques et des normes en cohérences avec ses points forts.

Par ailleurs, PROPARCO, filiale de l'AFD pour le secteur privé constitue un instrument particulièrement intéressant en matière de promotion du secteur privé et de l'investissement en Afrique. Elle est aujourd'hui encore limitée dans son développement par la définition d'un plafond d'emploi au sein du groupe AFD et une surface financière insuffisante. Il conviendrait d'étudier la manière dont elle pourrait développer son activité avec une plus grande autonomie organique par rapport à l'AFD et renforcer ses objectifs de co-investissement avec des entreprises françaises.

14) Inscrire dans le COM de l'AFD un mandat de dialogue avec les entreprises privées et les bureaux d'études et de promotion de l'économie française autour de l'expertise.

15) Favoriser le développement de PROPARCO en renforçant ses fonds propres et garantissant une plus grande autonomie organique, et en lui fixant des objectifs de co-investissement avec des entreprises françaises.

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