II. LES PRIORITÉS DES NÉGOCIATIONS D'ADHÉSION

La priorité pour le gouvernement serbe semble désormais de s'atteler aux réformes structurelles, juridiques et économiques, même si la question du Kosovo n'est, pour l'heure, pas totalement réglée. Le remaniement du gouvernement intervenu début septembre 2013 s'inscrit dans cette logique.

Ce changement d'équipe a été présenté par le Premier ministre et le Vice Premier ministre comme le signe d'une nouvelle façon de faire de la politique. Les ministres (Économie et finances, Culture, Développement régional, Agriculture, Affaires européennes, Éducation et Transports notamment) qui ont quitté le gouvernement ont été remerciés au terme d'une évaluation de leur travail. L'ambition affichée était également de mettre en avant des experts dans leur domaine, plus jeunes, avec pour objectif de s'atteler désormais à l'ajustement structurel induit par des négociations d'adhésion.

Cet engagement européen ainsi réaffirmé s'est paradoxalement traduit par le départ de la coalition gouvernementale du parti pro-européen Régions unies de Serbie (URS), qui détenait le poste de l'Économie et des finances - Mlaðan Dinkiæ, également vice Premier ministre, occupait déjà ces fonctions avant l'alternance de 2012 - et des affaires européennes (Suzana Grubjeiæ). Au plan politique, le nouveau cabinet reflète en tout état de cause la montée en puissance du SNS au sein de la coalition. En cas d'élections anticipées, celui-ci resterait le premier parti du pays avec plus de 40 % des intentions de vote, loin devant le Parti démocratique - DS (12 %) - et le SPS (10,6 %).

Répartition des forces politiques au Parlement de Serbie (250 sièges)

Parti ou Coalition

Score le 6 mai 2012

Nombre de sièges au Parlement

Parti progressiste serbe - SNS

24,40 %

73

Parti démocratique - DS

22,70 %

67

SPS (socialistes) - PUPS (retraités) - JS

14,50 %

44

Parti démocratique de Serbie - DSS

7,00 %

21

Parti libéral démocrate -LDP

6,53 %

19

Parti des régions - URS

5,50 %

16

Alliance des Hongrois
de Voïvodine

NS

5

Partis des minorités

NS

4

Indépendants

NS

1

Ce rapport de force politique semble appeler à perdurer en 2014, année au cours de laquelle pourraient avoir lieu des élections générales anticipées. Le Parti démocratique (DS) de l'ancien président de la République Boris Tadic semble notamment fragilisé par les enquêtes le visant. La destitution, pour mauvaise gestion, de son poste de maire de Belgrade du président du DS, Dragan Ðilas, le 24 septembre 2013 a accentué la crise profonde que traverse la principale force de l'opposition. Les élections municipales de Vrbas le 13 octobre dernier confirment cette impression avec la défaite de l'équipe sortante issue du DS. La coalition gouvernementale ne semble pas, pour l'heure, fragilisée par les positions historiques qu'elle a adoptées sur la question du Kosovo ou par les sacrifices qu'impliquent les réformes structurelles annoncées . Les prochains mois devraient permettre de vérifier si, comme le prévoient certains observateurs, l'instauration du clivage droite-gauche jusque-là occulté par la question du Kosovo devient une réalité et affecte pour partie la dynamique qui semble porter le SNS.

Il semble, en tout état de cause, exister un véritable appui de l'opinion publique sur la politique menée. Si selon les enquêtes d'opinion, 52 % de la population soutient la perspective d'adhésion à l'Union européenne, 68 % souhaite avant tout l'adoption de réformes structurelles.

C'est dans ce contexte que le gouvernement serbe a installé un organisme ministériel de coordination, des groupes d'experts et 35 sous-groupes sectoriels avec des représentants des ministères. Ces structures travailleront au côté d'une équipe de négociation resserrée.

Dans le même temps, la Serbie devra présenter une position générale de négociation, destinée à présenter les principaux domaines dans lesquels des adaptations ou des périodes transitoires seront requises. L'environnement - le coût de l'alignement sur les normes communautaires est estimé à 13 milliards d'euros - et l'agriculture seraient notamment concernés. Les autorités ont déjà anticipé ce travail en adoptant, en février 2013, le programme national de reprise de l'acquis. Il apparaît cependant que certains des axes définis à cette occasion l'ont été avec une certaine précipitation, dans un contexte marqué par la faiblesse d'un appareil administratif soumis à de nombreuses restrictions budgétaires. Le rapport de progrès de la Commission européenne, présenté le 16 octobre, insiste, en outre, sur la nécessité de décloisonner le travail ministériel pour la préparation puis la mise en oeuvre des réformes structurelles. Bruxelles regrette que celles-ci, une fois adoptées, ne soient pas toujours effectives.

Au-delà de son administration, le gouvernement entend s'appuyer sur le Parlement serbe. Il convient à ce titre de saluer le travail de veille déjà effectué par sa commission pour l'intégration européenne. Le rapport de progrès 2013 de la Commission européenne souligne ainsi la qualité de son examen des rapports présentés par le gouvernement serbe visant la reprise de l'acquis communautaire. Une commission parlementaire dédiée à la mise en oeuvre de l'Accord de stabilisation et d'association vient également d'être constituée.

La Commission regrette cependant que la préparation des projets de lois par le gouvernement ne soit pas encore totalement transparente et que la consultation des acteurs concernés par ces textes ne soit pas efficiente. Les avis des autorités administratives indépendantes ne semblent pas suffisamment pris en compte, à la fois par le gouvernement mais aussi par le Parlement. Il convient, à cet égard, de saluer l'initiative de l'ambassade de France à Belgrade de favoriser la réunion des organisations non gouvernementales locales dédiées à la promotion des droits de l'Homme au sein de l'association PrEUgovor , appelée à devenir un interlocuteur clé pour les autorités serbes. Les ONG pourraient de la sorte être mieux associées aux négociations avec l'Union européenne, à l'image de ce qui avait pu être fait en Slovaquie dans le cadre de la préparation de l'adhésion de ce pays.

Côté Commission européenne, l'examen analytique de l'acquis (« criblage ») qui vient d'être entamé sur les questions relevant des chapitres 23 et 24 devrait se poursuivre sur les autres chapitres jusqu'en 2015.

A. LES CHAPITRES 23 ET 24

En attendant l'ouverture effective des négociations, mandat a été donné à la Commission pour qu'elle commence le « criblage » en ce qui concerne les chapitres 23 « Pouvoirs judiciaires et droits fondamentaux » et 24 « Justice, liberté et sécurité ». Si l'adoption de stratégies et de plans d'action en matière de réforme judiciaire et de lutte contre la corruption en juin 2013 est incontestablement un bon signal envoyé à l'Union, il convient désormais que les autorités serbes aillent plus avant en la matière.

1. La réforme judiciaire

Comme l'a souligné le rapport de progrès de la Commission européenne, la stratégie de réforme judiciaire 2014-2018 adoptée par le gouvernement doit désormais être effectivement mise en oeuvre. La réforme doit permettre de garantir la sécurité juridique des citoyens serbes, par l'intermédiaire notamment d'une réduction des délais judiciaires, mais aussi des investisseurs étrangers.

La première des priorités en la matière a constitué pour l'actuel gouvernement en la réintégration des magistrats limogés par son prédécesseur en 2009. L'adoption d'une nouvelle Constitution en 2006 s'est traduite au plan judiciaire par le retour au principe de l'élection des juges par le Parlement, supprimé en 1990 au profit de celui de l'inamovibilité. Ce bouleversement statutaire s'est accompagné d'une procédure de vérification des juges en place, aucun remplacement n'étant intervenu après la chute de Slobodan Miloeviæ en 2000. Menée par le Haut Conseil de la Justice pour les magistrats du siège et le Conseil des procureurs de l'État, cette véritable procédure de lustration a débouché sur la révocation (non-élection) en décembre 2009 de 837 juges et 220 magistrats du parquet, soit un tiers de l'appareil judiciaire serbe. L'absence de transparence de cette procédure
- aucune audition des magistrats mis en cause, aucune notification des faits susceptibles d'être incriminés, pas de motivation des décisions - a été dénoncée par l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, alors même que la réforme été présentée par le gouvernement comme un élément de rapprochement avec l'acquis communautaire. Les autorités serbes ont alors mis en oeuvre une procédure de révision qui a abouti en mai 2012 à la réintégration de 141 juges et 55 procureurs. Le dispositif n'a pas néanmoins présenté toutes les garanties demandées. Saisie par les juges révoqués, la Cour constitutionnelle serbe a finalement annulé en juillet et octobre 2012 les décisions de 2009 et permis la réintégration des juges « non-élus ».

Les autorités souhaitent désormais garantir l'indépendance de la justice en suivant deux axes :

- Renforcer le rôle du Haut Conseil de la Justice et le Conseil des procureurs de l'État dans la nomination des magistrats ;

- Consolider celui de l'Académie judiciaire dans le recrutement et la formation des juges.

Depuis 2009, seuls les diplômés de l'Académie judiciaire peuvent accéder à la magistrature. Toutefois, la procédure de nomination reste encore dépendante du pouvoir politique puisque la Constitution prévoit que chaque magistrat et chaque président de tribunal est élu à la majorité simple des membres du Parlement serbe sur proposition des Hauts Conseils. Ceux-ci sont composés de membres élus par le Parlement, du président de la commission des lois du Parlement, d'un professeur de faculté et du ministre de la justice. Les retards pris, faute de vote au Parlement, dans la nomination des présidents de la Cour de cassation, des cours d'appel, administratives, commerciales et pénales ainsi que des cours d'appel des villes de Belgrade, Ni et Kragujevac viennent souligner les conséquences négatives de ce mode de nomination.

L'Académie judiciaire reste une avancée incontestable en vue de dépolitiser la justice serbe. Il convient désormais d'enrichir les formations qu'elle dispense. Des échanges avec d'autres pays européens ou des stages au sein des juridictions européennes, à l'instar de la Cour européenne des droits de l'Homme et, bien évidemment, de la Cour européenne de justice permettraient aux futurs juges de mieux appréhender le système conventionnel et le droit communautaire dans lequel la justice serbe est appelée à s'intégrer progressivement. La réforme judiciaire en cours d'adoption doit d'ailleurs aboutir à une harmonisation du Code pénal et du Code civil avec l'acquis communautaire.

Certains observateurs relèvent néanmoins que l'Académie ne propose pas encore toutes les garanties d'indépendance, un tiers des membres de son conseil d'administration étant nommés par le ministère de la justice. Ce conseil a eu un rôle déterminant dans la composition de la première promotion des élèves (18 élèves), prêtant notamment le flanc aux accusations de népotisme.

Il convient également de s'interroger sur le statut des juges dit « de petite correctionnelle ». Visant les délits mineurs, ils peuvent prononcer des peines d'emprisonnement allant jusqu'à 90 jours. Reste que ces juges
- 606 au total, un million de décisions par an - ne sont pas intégrés au sein de l'ordre juridictionnel général.

La Commission européenne souligne enfin la nécessité de renforcer le Code de déontologie des juges et procureurs, adopté en octobre 2013. La procédure permettant de lever l'immunité des juges et des procureurs reste pour l'heure largement inutilisée - deux cas en 2013 - alors même que de nombreuses suspicions de corruption pèsent sur certains d'entre eux.

La justice pâtit plus largement de l'inefficacité relative de la lutte contre la criminalité organisée. Si la coopération interservices, régionale ou internationale tend à porter ses fruits, les peines tardent à être prononcées. L'absence de système intégré d'échanges de données entre la police, les procureurs et les tribunaux pèse également sur la tenue des enquêtes. Il convient par ailleurs de regretter l'absence de moyens humains et techniques en matière de protection des témoins. Le cas est particulièrement patent en matière de lutte contre le trafic des êtres humains, le centre pour la protection des victimes n'étant pas encore fonctionnel. La Serbie est dans ce domaine à la fois un pays d'origine, de transit et de destination.

Ce trafic vise à la fois les femmes et les hommes, vendus notamment sur certains chantiers internationaux, à l'image de ceux lancés pour les Jeux olympiques de Sotchi (Russie) prévus pour l'hiver 2014. Si des campagnes de sensibilisation et des cycles de formation ont été menés, la Commission regrette l'absence de stratégie d'ensemble. La question des délais judiciaires prend ici tout son sens, la durée de la procédure - 22 mois en moyenne - conduisant les trafiquants à ne purger que de petites peines après leur procès, la durée maximale d'emprisonnement pour de telles peines ne pouvant dépasser 3 ans et demi, prison préventive comprise. Le découragement peut alors gagner les victimes. La responsabilité de celles-ci impliquée de force dans certains actes délictueux reste également engagée aux yeux de la justice serbe et peut les conduire à une peine de réclusion, ce qui dissuade là encore le dépôt de plainte.

2. Dépolitiser la lutte contre la corruption

Aux yeux de la Commission européenne, la lutte contre la corruption doit également être intensifiée, sans interférence politique. Sans mésestimer l'apport du plan d'action 2013-2018 par le gouvernement en la matière, elle souhaite que la lutte contre la corruption dépasse le stade de l'effet d'annonce et débouche sur des condamnations effectives.

La stratégie quinquennale du gouvernement adoptée en juillet dernier répond à trois objectifs :

- Renforcer l'indépendance des institutions ;

- Mettre en place des procédures d'audit et de contrôle interne et externe ;

- Protéger les témoins ;

- Mettre en oeuvre des plans adaptés dans les secteurs sensibles : marchés publics, aménagement urbain et territorial, justice, police, éducation et santé.

L'augmentation du nombre d'enquêtes - 140 ouvertes à haut niveau en 2012 contre 115 l'année précédente, 2 690 à un niveau moindre contre 2 270 en 2011 - traduit cependant le volontarisme du gouvernement qui affiche un objectif de « tolérance zéro » en la matière. Le Vice Premier ministre, Aleksandar Vuèiæ, semble, à cet égard, s'être personnellement investi dans ce combat. Reste que cette démarche ne peut occulter la crainte d'une justice sélective et partiale - 57 membres de l'opposition sont ainsi poursuivis dans des affaires de corruption depuis le changement du gouvernement - qui s'appuie sur des campagnes de presse bien orchestrées. L'absence de respect du secret de l'instruction est particulièrement patente 1 ( * ) . Les poursuites visant des personnalités proches de l'actuelle majorité semblent, quant à elles, plus rares. Certains observateurs relèvent ainsi la faible indépendance des organes de lutte anti-corruption. Si une Agence contre la corruption a été mise en place et un procureur dédié nommé, l'essentiel du combat paraît mené par un bureau de renseignement dépendant du ministère de la Défense et dirigé personnellement par le Vice Premier ministre.

Deux angles mériteraient d'être approfondis aux yeux de la Commission européenne : les enquêtes sur le financement des campagnes politiques et la mise en oeuvre du nouveau délit d'« abus de fonction ». Il apparaît indispensable que les services de police comme l'Académie judiciaire soient mieux formés à la lutte contre la délinquance financière. Le manque de moyens et d'expertise est, en outre, souligné.

Par ailleurs, si les mécanismes préventifs ont été instaurés, à l'image des déclarations des biens et revenus des personnalités publiques -283 déclarations en 2012 dont 182 hors délais, 7 plaintes pour fausse déclaration - la Commission relève la faiblesse des dispositifs visant la détection des conflits d'intérêts ou de malversations au sein des entreprises publiques, mais aussi des banques, des compagnies d'assurances ou des sociétés immobilières. Des observations semblables sont portées sur la situation au sein des administrations locales.

3. L'indispensable réforme du secteur public

La Commission pointe également l'absence de réforme de l'administration publique, soulignant qu'aucune stratégie globale n'avait réellement été mise en oeuvre. Le système de recrutement et l'absence de grille des salaires transparente sont notamment mis en exergue. La fonction publique serbe semble notamment caractérisée par le manque de prise en considération du principe méritocratique dans les nominations aux postes de cadres, les procédures manquant de transparence. Ces remarques s'appliquent également pour les recrutements opérés au sein des autorités administratives indépendantes.

Bruxelles relève en outre de profondes divergences entre la fonction publique d'État et les agents des administrations locales. Ceux-ci relèvent du droit privé et leurs capacités et qualifications apparaissent disparates voire insuffisantes.

Le gouvernement semble pour l'heure privilégier deux axes de travail tenant plus au poids du secteur public dans l'économie locale :

- La réduction de ses effectifs, plus de 700 000 agents étant pour l'heure rémunérés par l'État ;

- Une dépolitisation de l'ensemble du secteur.

La loi sur les entreprises publiques s'inscrit dans ce contexte. Elle prévoit ainsi le remplacement des conseils d'administration, trop étoffés et nommés par le pouvoir politique, par des conseils de pilotage, composés d'au maximum sept membres, choisis selon des critères de qualification précis. Le gouvernement a, en outre, annoncé le 9 octobre 2013 la privatisation prochaine de 179 entreprises publiques sur les 572 actuellement détenues par l'État (86 489 emplois). Le maintien à l'équilibre financier de celles-ci représente chaque année 10 % du budget, soit 750 millions d'euros. Le niveau des aides publiques est, d'ailleurs, pour l'heure deux fois supérieur à la moyenne européenne (2 milliards d'euros sur les cinq dernières années). Une agence de privatisation et des amendements à la loi sur les privatisations devraient améliorer la transparence des opérations. La Commission a d'ailleurs obtenu un mandat pour commencer le « criblage » concernant le chapitre 32 des négociations « Contrôle financier ».

Une stratégie nationale de réforme devrait, dans le même temps, être adoptée d'ici à la fin de l'année 2013.

4. Mieux garantir les droits de l'Homme et la protection des minorités

La lutte contre les discriminations, notamment celles qui concernent les Roms et les LGBTI, fait également partie des priorités de travail aux yeux de la Commission européenne. La gay pride a ainsi dû être annulée en 2013, pour la troisième année d'affilée, face aux menaces pesant sur son déroulement. Sur les 144 recommandations adressées à la Serbie par le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, la moitié vise les droits des LGBTI.

En ce qui concerne les Roms, le plan d'action 2012-2014 prévoit l'application des recommandations du séminaire Union européenne - Serbie organisé sur cette question en juin 2011. Les premiers résultats concernant la scolarisation (170 enseignants en langue romani ont été nommés), la santé (75 postes de « médiateurs »), l'employabilité (particulièrement dans la région de Voïvodine) ou leur enregistrement à l'état civil (moins de 1 000 Roms sans papier sur une population estimée à 140 000 personnes) sont ainsi jugés encourageants par la Commission européenne. Restent néanmoins des efforts à faire de la part de Belgrade en vue de lutter effectivement contre les discriminations et garantir aux Roms un égal accès à la protection sociale, à la santé, à l'emploi et à un logement décent. La Commission estime qu'un investissement financier du gouvernement en la matière est indispensable.

Les difficultés de la communauté Rom ne doivent pas occulter les progrès accomplis depuis des années en vue d'intégrer les autres minorités ethniques - 15 % de la population serbe -, même si la situation varie d'une région à l'autre de la Serbie. Les autorités ont ainsi mis en place des Conseils nationaux, représentant chacun des minorités reconnues sur le territoire serbe. 19 minorités et la communauté juive de Belgrade disposent ainsi d'organes représentatifs. Financés sur le budget de l'État, ils disposent de compétences en matière d'éducation et de culture.

La province de Voïvodine, au Nord du pays, qui regroupe 26 minorités - principalement des Hongrois, des Croates et des Slovaques - apparaît comme le territoire le plus avancé, aidé en cela par son statut de province autonome et sa bonne santé économique. Seules 65 plaintes pour discrimination ont été déposées auprès de l' Ombudsman provincial en 2012. Un accord signé en mars 2013 a débouché sur la mise en place d'un dispositif destiné à prévenir tout débordement, la région étant, depuis l'accession en 2010 à l'autonomie, le théâtre de manifestations de mouvements radicaux contestant la légitimité de la coalition à la tête de la province.

La Voïvodine

Le nom de Voïvodine provient de Voïvode qui est le grade le plus important dans l'armée serbe. Avec l'occupation de la Serbie par les turcs ottomans le Voïvode devient aussi gouverneur puis duc au sein de l'Empire d'Autriche-Hongrie. La Voïvodine occupe une partie de la vaste plaine de Pannonie, qui se prolonge en Croatie, en Hongrie et en Roumanie. En Serbie, elle occupe le Nord du pays.

Constituée de vastes étendues plates occupées par de petites cités issues de l'ancien empire austro-hongrois, la Voïvodine rassemble 2 millions d'habitants (65 % de serbes), 26 groupes ethniques différents y cohabitent, l'administration provinciale utilisant six langues (serbe, hongrois, croate, ruthène, roumain et slovaque).

Possession de l'Empire Romain, envahie au V ème siècle par les Lombards puis les Avars, la Voïvodine est colonisée par les Hongrois au IX ème siècle. Des serbes s'y installent à partir de 1690, fuyant les Ottomans. Annexée par l'Autriche, elle est ouverte aux populations d'Europe centrale. Elle n'est rattachée à la Serbie qu'en 1918. Tito lui accorde un statut d'autonomie en 1946, réévalué en 1974 avant d'être aboli en mars 1989. L'autonomie est finalement restaurée en 1996 avec la création d'un Parlement local, composé de 120 membres. 60 sont élus au suffrage universel direct par liste et 60 sont élus individuellement au sein des municipalités de Voïvodine. La capitale administrative de la province est Novi Sad. La loi dite Omnibus, adoptée en février 2002, a permis de déléguer des compétences définies à la province autonome. En décembre 2009, la Serbie accorde in fine une large autonomie à la Voïvodine, effective en 2010. La Voïvodine est de facto la seule province autonome de Serbie, depuis l'accession à l'indépendance du Kosovo en février 2008

Chaque communauté qui se voit attribuer un domaine réservé qui est celui de la culture, de l'éducation et de la langue. Ainsi, un Conseil national de chacune des composantes ethniques de la province peut être créé. Ces comités devront être associés au processus de prise de décision du gouvernement de la province au sein de ce domaine protégé. Le Conseil des communautés nationales représente pour moitié la nationalité majoritaire et pour autre moitié toutes les minorités restantes. Cette assemblée a vocation à se prononcer sur toutes les questions relevant du domaine réservé.

Les données démographiques étaient les suivantes en 2002 :

Serbes 1 321 807 (65,05 %)

Hongrois 290 207 (14,28 %)

Slovaques 56 637 (2,79 %)

Croates 56 546 (2,78 %)

Yougoslaves 49 881 (2,45 %)

Monténégrins 35 513 (1,75 %)

Roumains 30 419 (1,50 %)

Roms 29 057 (1,43 %)

Bunjevcis 19 766 (0,97 %)

Ruthènes 15 626 (0,77 %)

Macédoniens 11 785 (0,58 %)

Ukrainiens 4 635 (0,23 %)

Affiliations régionales 10 154 (0,50 %)

Non déclarés 55 016 (2,71 %)

Les municipalités situées dans la vallée du Preevo, au Sud du pays, à forte dominante albanaise sont, quant à elles, depuis juin 2013, le cadre de négociations entre représentants de la communauté albanaise et gouvernement. Celles-ci ont permis la mise en place d'un programme prévoyant l'intégration des Albanais au sein de l'administration publique, l'amélioration de la scolarisation de leurs enfants et une meilleure intégration économique, ce qui reste cependant difficile sur un territoire considéré comme le plus pauvre du pays, le taux de chômage avoisinant les 60 % de la population active. Cette dynamique positive succède à une crispation entre la communauté albanaise et Belgrade en janvier 2013 au sujet d'une stèle rappelant les combats menés par l'armée de libération de la région (UCPMB) en 19992000.

Le Sandjak, à dominante bosniaque, au Sud du pays, connaît également une situation difficile. La région manque par ailleurs d'infrastructures et souffre de l'absence d'investissements. Certaines parties de cette région, marquée par un niveau de chômage élevé (autour de 50 % de la population active), restent sous-développées aux yeux de la Commission européenne qui appelle l'État serbe à intervenir. La communauté bosniaque est sur place sous-représentée au sein des administrations locales, police et justice comprises. Pour l'heure, les seuls progrès enregistrés tiennent à l'enseignement de la langue introduit depuis le début de l'année scolaire 2013/2014.

5. Vers une révision de la politique de libéralisation des visas ?

Si des progrès notables ont été enregistrés sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne, les autorités serbes s'inquiètent d'un retour en arrière en ce qui concerne le régime de libéralisation des visas.

Les visas de tourisme ne sont plus nécessaires depuis décembre 2009. Cependant, les ministres de l'Intérieur de six États membres de l'Union européenne - Allemagne, Autriche, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas - ont récemment exprimé leur inquiétude à la Commission européenne, face au nombre croissant de demandes d'asile de personnes en provenance des Balkans occidentaux. Une telle augmentation participerait de l'engorgement des dispositifs d'accueil, déjà sous tension. Ces pays ont profité du Conseil « Justice et Affaires intérieures » des 25 et 26 octobre 2012 pour demander la mise en place d'une clause de sauvegarde. Celle-ci permettrait de réintroduire les visas, dès lors que des problèmes ou des manquements graves auraient pu être observés. Un projet de règlement est en cours d'élaboration.

Le nombre de demandeurs d'asile en provenance de Serbie au sein des États de l'Union européenne a connu une forte augmentation entre 2011 et 2012, passant de 13 980 à 19 065. L'Allemagne est l'État membre le plus concerné avec un doublement du nombre de demandes, de 6 990 à 12 810. L'augmentation des allocations décidée par la Cour constitutionnelle allemande en 2012 n'est pas étrangère à ce phénomène. La France a, de son côté, enregistré une augmentation significative de ces demandes en 2010, un an après la libéralisation, passant de de 450 à 1 819. Ce chiffre a été ramené à 831 en 2012. Au final, 6 282 personnes ont été reconduites à la frontière serbe en 2012 en provenance d'un État membre, contre 5 150 au cours de l'année précédente. Seules 310 demandes d'asile ont trouvé une issue positive en 2012.

95 % des demandes adressées aux États membres sont issues de la communauté Rom. Les flux sont souvent organisés à l'échelle familiale, une partie de la famille se rendant au sein de l'Union européenne pour déposer une demande d'asile et bénéficier ainsi des allocations versées et qu'elle redistribue au pays, pendant que l'autre partie de la famille reste en Serbie. Un relais est effectué quand la première demande est déboutée. Le reste de la cellule familiale se déplace alors dans un État membre.

Les autorités serbes ont tenté de répondre à cette dérive en adoptant, dès 2011, une loi reprenant les dispositions prévues à l'article 14 de la Convention de Schengen : obligation des voyageurs d'être munis d'un passeport biométrique, d'un billet aller-retour, d'une assurance rapatriement et de justificatifs de ressources financières. Les points de passages vers l'Union européenne étant essentiellement routiers, un renforcement de la coopération avec la Hongrie (Subotica au Nord du pays) et la Croatie (Batrovici à l'Ouest) a été mis en oeuvre. Il se traduit notamment par la création de postes frontaliers communs. Une attention particulière a été portée sur les bus par lesquels transitent 80 % des voyageurs vers l'Union européenne. La loi serbe autorise également la poursuite des agences de voyage et compagnies impliquées, volontairement ou par insuffisance de contrôle, dans le transport d'immigrés illégaux. Pays d'origine, la Serbie est aussi un pays de transit, 13 900 migrants illégaux étant détectés aux frontières du pays (+ 34 % par rapport à 2012).


* 1 C'est notamment dans ce cadre qu'il convient d'analyser les réserves de la Commission européennes concernant la liberté des médias en Serbie. Celle-ci fait actuellement l'objet de trois lois en cours de discussion. La Commission européenne souhaite que les financements publics soient plus transparents et que la propriété des médias soit clarifiée. Elle pointe à ce titre les campagnes de diffamation visant des membres de l'opposition menées par certains tabloïds.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page