LES OPÉRATIONS DE TRANSPORT AU SEIN D'UN AUTRE ÉTAT MEMBRE : LES CONSÉQUENCES SOCIALES DU CABOTAGE
Un encadrement définitif ?

Le règlement n°881/92 du 26 mars 1992 concernant l'accès au marché des transports de marchandises a conduit à libéraliser complètement le secteur. Le texte élimine en effet à compter du 1 er janvier 1993, toutes les restrictions quantitatives limitant cette activité et supprime la nécessité d'accords bilatéraux entre États traversés. La norme restait cependant relativement peu précise quant à l'utilisation des véhicules lors des trajets de retour entre deux pays et sur la capacité pour les transporteurs d'effectuer des opérations de fret au sein des pays traversés. Le règlement n°3118/93 du 25 octobre 1993 fixant les conditions de l'admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre permet en effet aux entreprises titulaires d'une licence communautaire délivrée par un État membre d'assurer des services de transport de marchandises par route dans d'autres États membres à condition que ces services soient effectués à titre temporaire, sans qu'un délai ne soit esquissé. Il s'agissait d'éviter un retour « à vide » des camions, coûteux pour les entreprises. La communication interprétative de la Commission européenne du 26 janvier 2005 sur le caractère temporaire du cabotage routier dans le transport de marchandises qui devait permettre aux États de mieux juger le caractère temporaire ne s'est pas avérée efficiente en se référant à l'appréciation par la Cour de justice de l'Union européenne des notions de durée, de fréquence, de périodicité et de continuité.

Le règlement n°1072/2009 comble cette imprécision en encadrant la pratique du cabotage, désormais limitée à trois opérations dans les sept jours suivant la livraison intégrale des marchandises ayant motivé le transport international. Une opération de cabotage est autorisée dans chaque État membre parcouru sur le trajet du retour, dès lors que le véhicule passe la frontière à vide. Cette opération doit être effectuée dans un délai de trois jours suivant l'entrée d'un véhicule sur le territoire dudit État et au maximum sept jours après la livraison des marchandises ayant fait l'objet du trajet aller. Rien n'interdit pour autant à un transporteur d'effectuer un transfert de marchandises entre deux États dont il n'est pas ressortissant sur le trajet du retour. Une telle opération lui permet alors de retrouver un droit complet de cabotage au sein de l'État où il décharge (trois opérations sur sept jours).

Des bourses de fret - Téléroute , BP2web , Wtranset ou Timocom - accessibles en ligne permettent aux transporteurs de réorienter leurs véhicules sur le trajet du retour et optimiser ainsi leur utilisation.

Règlementation européenne en matière de cabotage : cas d'un transfert de marchandise à destination de la France

Règlementation européenne en matière de cabotage : cas d'un transfert de marchandise transitant par la France

Source : Ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Si le considérant 17 du règlement n°1072/2009 indique que les dispositions de la directive n°96/71 sur le détachement de travailleurs s'appliquent aux sociétés de transport effectuant un transport de cabotage, cette référence n'est pas reprise à l'article 9 du règlement. Aux termes de celui-ci, chaque transport de cabotage est soumis à la législation nationale de l'État membre d'accueil en ce qui concerne le contrat de transport, le poids et la dimension des véhicules, les prescriptions spécifiques à certaines catégories de marchandises, le contrôle des temps de conduite ou de repos des conducteurs et la taxe sur la valeur ajoutée. Rien n'est indiqué concernant les normes sociales prévues dans le noyau dur de la directive sur le détachement et notamment la question de la rémunération. Il en va de même pour le temps de travail. En l'absence de précision et compte tenu de l'absence de valeur normative du considérant, la rémunération applicable peut donc être celle du pays d'envoi durant toute la phase de cabotage. Le décret n°2010-389 du 19 avril 2010 relatif au cabotage dans les transports routiers et fluviaux et destiné à transposer le règlement européen de 2009 prévoit d'ailleurs expressément que les entreprises établies hors de France réalisant une opération de cabotage ne sont pas soumises à l'obligation de déclaration de détachement et donc à l'application du noyau dur prévu par la directive n°96/71 durant les sept premiers jours de leur présence sur le territoire. La loi n° 2005-882 du 2 août 2005 prévoyait jusqu'alors l'application de la directive aux opérations de cabotage, faute de précision sur leur caractère « temporaire ». Cette modification de la norme française se justifie par le fait que la durée de ces opérations est désormais limitée à une courte période, ce qui les rend difficiles à contrôler et leur confère une faible ampleur économique. Ce dernier critère fait d'ailleurs écho à l'article 3, paragraphe 5, de la directive n°96/71 aux termes duquel les États membres peuvent déroger aux principes de la directive en raison de la faible ampleur des travaux à effectuer.

Pourtant, l'application des règles européennes en matière de cabotage en zone frontalière peut entraîner un recours récurrent aux opérations de cabotage et à la mise en place d'une concurrence de fait avec les entreprises locales, chaque opération transfrontalière ouvrant droit à cabotage. Ainsi une entreprise belge ou espagnole située près de la frontière peut optimiser ces dispositions et concurrencer régulièrement un transporteur français sur son marché. Le tableau ci-dessous illustre assez bien cette logique transfrontalière.

Répartition par pays des opérations de cabotage en France

Pays

Part

Espagne

27 %

Luxembourg

16 %

Belgique

13 %

Pologne

11 %

Source : Parlement européen, Direction générale des politiques internes

Dans ces conditions, il n'est pas anodin que le règlement n°1072/2009 reprenne la clause de sauvegarde contenue dans le règlement de 1993. Celle-ci prévoit qu'en cas de perturbation grave du marché des transports nationaux à l'intérieur d'une zone géographique déterminée, due à l'activité de cabotage ou aggravée par celle-ci, tout État membre peut saisir la Commission en vue de l'adoption de mesures de sauvegarde en lui communiquant les renseignements nécessaires et les mesures qu'il envisage de prendre à l'égard des transporteurs résidents.

La réglementation du cabotage n'a pas pour autant interdit toute réflexion au sein des instances européennes sur la question d'une libéralisation complète. Le rapport du groupe d'experts, remis le 21 juin 2012 au commissaire européen chargé des transports, propose d'apporter des modifications substantielles modifications au régime actuel :

- les opérations de cabotage prolongeant un transport international, - cabotage lié - ne seraient autorisées que pendant quatre jours, mais pour un nombre illimité de contrats ;

- il serait en outre possible de réaliser des opérations de cabotage non précédées d'un transport international - cabotage non lié - dans la limite de cinquante jours chaque année pour chaque véhicule satisfaisant à la norme environnementale Euro 5, pendant trente jours annuels s'agissant des autres véhicules. Cette libéralisation part du principe que les contrôles s'avèrent difficiles à mettre en oeuvre dans le régime actuel.

Pour éviter le dumping social, les experts suggèrent que le cabotage non lié soit expressément soumis à la directive n°96/71 relative au détachement des travailleurs.

Parmi les États membres, la Roumanie, la Lituanie et le Portugal paraissent relativement isolés dans leur demande d'une libéralisation accrue. Habituellement favorables aux orientations libérales, les pays du groupe de Visegrad (République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovaquie) se montrent assez réservés sur cette question. La France s'est, de son côté, montrée hostile en novembre 2012 à tout nouveau dispositif sans rapprochement des normes sociales. La fédération internationale des transporteurs (IRU) et la fédération européenne des travailleurs du transport (ETR) ont, quant à elles, publié un communiqué commun en décembre 2012 rappelant que les changements dans les règles de cabotage devaient être liés à une harmonisation des conditions d'exercice, en particulier dans les domaines social et fiscal. Selon les deux organisations, sans ces conditions préalables, les modifications apportées aux règles sur le cabotage pourraient avoir un impact négatif sur la concurrence loyale au sein du secteur. Le commissaire européen, Siim Kallas, favorable à une libéralisation complète du marché des transports routiers, a finalement renoncé le 14 mai 2013 à présenter une proposition législative en ce sens avant la fin de son mandat . Il a cependant commandé un nouveau rapport sur le sujet. Présenté le 10 avril 2014, il fait un point statistique sur le cabotage au sein de l'Union européenne. Toute réforme sera néanmoins laissée à l'appréciation de la nouvelle Commission européenne, appelée à prendre ses fonctions après les élections européennes de mai 2014.

Le cabotage, révélateur d'une nouvelle carte du transport routier

Le commissaire européen en charge des transports justifie régulièrement sa volonté de libéraliser totalement le cabotage en mettant en avant son faible impact. Selon ses estimations, les opérations de cabotage ne représentent que 2 % des transports intérieurs de marchandises à l'échelle de l'Union européenne. Cette estimation recouvre cependant des réalités différentes de part et d'autre du continent. En France, les opérations de cabotages représenteraient ainsi 10 % des transports intérieurs de marchandises. Selon la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), la France est le deuxième pays le plus caboté de l'Union européenne, derrière la Belgique. Ce taux de pénétration des transporteurs étrangers n'est pas compensé par une présence forte des entreprises françaises sur les marchés de ses partenaires européens. En 2010, la France était vingt fois plus cabotée qu'elle ne cabotait elle-même. À titre de comparaison, le ratio caboté/caboteur de l'Allemagne s'établissait la même année à 3,3. L'Italie rencontre également des difficultés semblables.

Principaux pays caboteurs au sein de l'Union européenne

Pays

Part de marché (en %)

Pologne

18 %

Pays-Bas

12 %

Allemagne

10 %

Luxembourg

9 %

Espagne

9 %

Source : Parlement européen, Direction générale des politiques internes

Ce recours accru au cabotage en France s'explique par deux raisons. La première tient à la géographie et notamment aux infrastructures portuaires dont le pays est doté qui leur permettent de drainer nombre de transports internationaux de marchandises, multipliant ainsi les possibilités de recours à ces sociétés une fois la marchandise délivrée. La seconde tient à la compétitivité du pavillon français. La France souffre en effet en la matière d'un véritable déficit, qui explique les difficultés de ses entreprises à la fois à caboter en dehors de ses frontières mais surtout à conserver ses parts de marchés sur les trajets internationaux. Ce qui induit mécaniquement un recours aux services de transporteurs étrangers et donc à une augmentation du cabotage de ceux-ci sur le territoire national.

La libéralisation du secteur a coïncidé avec une dégradation régulière de la position des entreprises françaises sur le transport routier de marchandises à l'international. La part de marché européen du pavillon français évaluée à 50 % en 1999 a ainsi ramenée à 10 %, dix ans plus tard, 21 000 emplois étant supprimés dans l'intervalle. L'élargissement de 2004 et l'ouverture concomitante des marchés à des entreprises dont les coûts de personnels sont moins élevés ont contribué à accélérer cette dégradation. La délocalisation d'une partie de la production industrielle à l'Est du continent a dans le même temps conduit les chargeurs à privilégier les transports locaux. La part du marché du transport routier des pays d'Europe centrale et orientale, est établie à 40 % au sein de l'Union européenne, la Pologne possédant le premier pavillon routier en Europe. La fin du secteur français du transport routier de marchandises à l'international est, dans ces conditions, actée par nombre d'opérateurs.

Une étude du Comité national routier, actualisée en juin 2013, justifie une telle interprétation en pointant les écarts entre les salaires versés et les contributions sociales prélevées de part et d'autre de l'Union européenne. Les conclusions mettent bien évidemment en avant l'attractivité des États membres de l'Union européenne entrés en 2004. Elles n'occultent pas non plus le déficit de compétitivité de la France par rapport à l'Allemagne ou à l'Espagne. En ce qui concerne la première, la différence tient à la fois à l'écart des taux de cotisations sociales et à l'absence d'uniformisation salariale de part et d'autre de son territoire : les chauffeurs issus des länder d'Allemagne de l'Est sont moins rémunérés que leurs compatriotes de l'Ouest, dont la rémunération est plus proche de leurs homologues français. L'Espagne a, de son côté, institué une véritable filiale low cost , recrutant des conducteurs à l'Est de l'Union européenne et en Amérique du Sud.

Rémunération et cotisations employeurs des personnels de conduites européens

Rémunération annuelle nette (salaire et frais de déplacement)

Cotisations sociales employeurs (taux et coût annuels)

Allemagne (Länder de l'Ouest)

28 434 €

26 %

41 948 €

Allemagne (Länder de l'Est)

20 933 €

26 %

30 510 €

Espagne

26 914 €

33,3 %

38 227 €

Espagne (filière low cost )

18 812 €

33,3 %

26 272 €

France

31 019 €

31,1 % 1 ( * )

46 032 €

Pologne

16 668 €

18,5 %

19 686 €

Slovaquie

18 252 €

35,2 %

23 494 €

Source : Comité national routier


* 1 Déduction faite de réductions de charges propres au secteur.

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