B. LA QUESTION CRUCIALE DES ÉQUIPEMENTS N'A PAS ÉTÉ TRAITÉE

1. Pas d'augmentation des équipements à proportion des effectifs

128. La montée en puissance des forces spéciales françaises concerne quasi-exclusivement les effectifs. Les éléments chiffrés fournis à vos rapporteurs concernant les équipements ne font état que de l'affectation supplémentaire de deux hélicoptères Tigre, qui seront prélevés sur une autre unité, de quelques hélicoptères de manoeuvre supplémentaires là encore prélevés ailleurs et du transfert de l'unité chargée du maintien en conditions opérationnelles. L'entrée en lice des moyens de l'armée de l'air serait, si elle était confirmée, une excellente chose, mais ces moyens ne dépendront pas de l'autorité opérationnelle du COS.

129. Or, pour des raisons évidentes tenant à la structuration même de nos forces spéciales en « système » intégré, l'augmentation des effectifs, sans augmentation proportionnelle des équipements, limiterait considérablement la portée de la réforme. Sans avion et sans hélicoptère pour les transporter, sans drones pour les éclairer, sans satellites pour les renseigner, sans transmission pour communiquer, nos forces spéciales ne pourront accomplir les missions que l'on attend d'elles.

2. Peu a été fait pour pallier l'inadaptation de certains équipements

130. Indépendamment de l'augmentation quantitative, il faut veiller à la qualité des équipements des forces spéciales françaises et à leur adaptation aux missions demandées. Or, de ce point de vue, la qualité des moyens est apparue insuffisante à vos rapporteurs. Cette insuffisance est d'autant plus surprenante que les forces spéciales sont supposées bénéficier des meilleurs équipements. Relevons l'effort de l'armée de Terre qui a consacré huit millions d'euros jusqu'à 2019, au sein des équipements d'accompagnements et de cohérence (au sein du programme P178) pour renforcer les forces spéciales en matériels spécifiques.

131. L'état des véhicules terrestres est préoccupant : soit ils sont de conception ancienne, soit ils ont été commandés en trop petit nombre, soit ils ont fait l'objet d'une usure accélérée. Le trou capacitaire des VPS, qui seront remplacés par les VLFS, aura lieu en 2016 et celui des VLRA, remplacés par les PLFS, en 2017. Si l'acquisition est faite par appel d'offres, cela retardera de plusieurs années la procédure, car s'agissant de véhicules simples, sur étagère, certains constructeurs écartés feront des recours contentieux.

132. L'aéromobilité des hélicoptères en dotation est très affectée par les conditions d'emploi dans le Sahel . Tous les hélicoptères de manoeuvre en sont victimes et particulièrement le Caracal, qui n'offre dans cet environnement sévère que des performances modestes. Il ne peut emporter que dix commandos à deux cents kilomètres à une température de 30°C et voit ses performances très dégradées lorsque la température excède 40°C. (problématique similaire avec les Cougar rénovés). Certes, l'environnement sahélien est la cause et les hélicoptères sont les victimes. Il n'en reste pas moins que le coût de l'heure de vol est excessif et le « service après-vente » n'est pas à la hauteur de ce que l'Etat est en droit d'attendre. Concernant la maintenance, seulement deux hélicoptères de manoeuvre (Caracal et Cougar) sur cinq sont disponibles simultanément. Des problèmes majeurs de moteur sont constatés et des changements sont nécessaires entre 60 heures et 100 heures alors que la limite d'envoi en révision générale annoncée par le constructeur est de 3 000 heures. Depuis janvier 2013, 22 moteurs ont été changés. Enfin, le coût du maintien en condition opérationnelle est lui aussi prohibitif. Le coût de réparation d'un moteur est de l'ordre de 300 000 à 600 000 € HT. Cette situation est inacceptable. Des mesures correctrices des industriels concernés s'imposent.

133. Il est regrettable que les forces spéciales ne disposent pas d'hélicoptères lourds de transport du type de ceux dont bénéficient les forces américaines et les forces britanniques avec les hélicoptères CH-47 Chinook. D'autant que le fait de ne pas disposer de capacité de ravitaillement en vol pour les hélicoptères de manoeuvre prive les forces spéciales françaises d'une capacité d'élongation très utile 9 ( * ) . Des mutualisations avec d'autres forces spéciales devraient être considérées ou, à défaut, d'achat d'occasion ou de location, comme cela a été fait ponctuellement en Afghanistan. Rappelons que l'hélicoptère de transport lourd avait fait l'objet d'un « objectif d'état-major » au mois de juin 2006 et qu'un rapport de l'Inspection Générale des Armées Air fin 2006 avait recommandé l'acquisition d'une telle capacité. Plusieurs hypothèses avaient alors été évoquées : échange de potentiel au niveau européen par élargissement de l'accord ATARES qui ne concerne que les armées de l'air, achat sur étagères, lancement d'un programme industriel européen. Aucune de ces pistes n'a été poursuivie afin de ne pas remettre en question la commande des 68 NH-90 de l'armée de terre.

134. En contrepoint, il convient de souligner les très bonnes performances de l'hélicoptère Tigre qui depuis son déploiement sur le théâtre afghan s'est révélé une formidable machine de guerre.

135. Enfin, concernant les avions, des mesures doivent être prises dès maintenant afin d'anticiper le retrait du service des C160 Transall et pour préparer la modification de certains C130 afin de leur donner des capacités de ravitaillement en vol d'hélicoptères et d'adapter la capacité C3ISTAR (boule optronique jour/nuit avec désignateur laser et console d'exploitation des images pour réaliser les missions de surveillance, renseignement, ciblage et reconnaissance), afin que cette capacité puisse être utilisée pour des vols à plus haute altitude. D'une façon générale, il faut promouvoir une approche globale pour le soutien et les modifications des C130 qui ne manqueront pas d'intervenir dans la durée.

3. La question du soutien a mal été prise en compte

136. La question de l'insuffisance du soutien n'est pas spécifique aux forces spéciales et d'une manière générale il semble possible de dire que celles-ci sont beaucoup mieux traitées que les forces conventionnelles. Néanmoins, les forces spéciales sont également en déficit d'heures d'entrainement. Le COS est dans une très forte tension logistique. L'entraînement aux sauts en parachute, entraînement basique des forces spéciales s'il en est, nécessite parfois un « alignement de planètes », sans parler de la participation à des exercices alliés.

137. Aucun élément dans le plan envisagé ne semble prendre en compte suffisamment le soutien, à part il est vrai le transfert d'une unité de soutien d'hélicoptères au 4 ème RHFS.

4. Il est impératif de modifier les procédures d'acquisition
a) Un système complexe et inadapté

138. Dans son rapport de 2008 déjà mentionné, la Cour des comptes a signalé les faiblesses du système d'acquisition des équipements des forces spéciales qui est d'une grande complexité et ne donne pas satisfaction.

139. Le premier élément de ce système est la Commission Interarmées d'Etudes Pratiques Concernant les Opérations Spéciales (CIEPCOS) créée par une instruction du CEMA du 16 novembre 1992, c'est-à-dire en même temps que le COS lui-même. On a donc compris, dès l'origine, que les matériels, les techniques et les procédures spécifiques aux forces spéciales ne pouvaient s'accommoder ni des grands marchés, ni des procédures lourdes qui garantissent l'homogénéité et la sécurité des matériels et sont la marque des achats des armées. Présidées par le GCOS, la CIEPCOS se réunit une fois par an et examine les projets d'équipement. Elle ne fait pas d'acquisition mais achète du matériel pour expérimentation. Toutes les avancées technologiques qui sont la marque du COS passent par elle, mais elle ne peut que faire procéder à des études et ensuite proposer à l'état-major dont dépend l'unité demanderesse l'adoption des matériels choisis. Elle ne dispose que d'un budget modeste.

140. Le COS peut toutefois procéder à des achats d'urgence sur étagère pour une mission donnée et dispose d'une ligne budgétaire de l'ordre d'un million d'euros par an.

141. Les bureaux d'armée interviennent ensuite à deux niveaux :

- Les bureaux spécialisés des états-majors FS (BFST ; Alfusco ; BFSA) étudient les matériels proposés par la CIEPCOS ou directement pour leurs besoins propres. Des plans d'équipement sont ensuite établis en cohérence avec le contrat capacitaire fixé par l'échelon d'emploi (COS ou DRM) ;

- Les bureaux spécialisés de chaque état-major d'armée qui étudient, puis réalisent ces plans d'équipement.

142. On voit bien que le système décrit ci-dessus, qui avait été créé pour répondre aux besoins spécifiques des forces spéciales, a été simplement plaqué sur l'existant. Il ne peut pas fonctionner de façon harmonieuse et ce pour trois raisons.

143. D'un point de vue organique , le COS n'a pas les moyens de sa politique : état-major ultra-restreint, concentré sur l'opérationnel, il n'a pas les moyens de répondre à cette fonction d'équipement. Par ailleurs, les pouvoirs de la CIEPCOS ne sont que consultatifs et les fonds dont disposent le COS ne permettent que de répondre aux besoins les plus urgents. Il doit faire face aux états-majors d'armée qui sont les seuls décisionnaires et pour qui les besoins du COS sont trop limités pour intéresser qui que ce soit. Ils sont du reste vus comme une source de désorganisation. Le principal problème est celui des délais. Ceci vaut naturellement pour les achats, compte tenu du caractère échantillonnaire des commandes qui ne motive personne. Mais cela vaut plus encore pour l'homologation (ou « qualification ») nécessaire à la mise en service opérationnelle. Certes, cette procédure n'est pas toujours une obligation, mais elle s'avère lourde pour les matériels aéronautiques, les parachutes, l'armement et les matériels de plongée, qui sont justement les matériels intéressant au premier chef les forces spéciales.

144. D'un point de vue juridique , les besoins des forces spéciales sont bien connus : elles doivent avoir le matériel le plus performant et le mieux adapté à chaque situation, ce qui implique des changements et des adaptations constants. Cette obligation pourtant simple à comprendre se heurte en pratique à un nombre de contraintes invraisemblables. Si un matériel homologué se révèle inadapté ou si un retour d'expérience d'opération suggère qu'une modification, même légère le rendrait plus performant, ceci est impossible sans une nouvelle homologation, laquelle engendrera un délai qui peut atteindre plusieurs années. Si une homologation a été obtenue d'une armée pour un matériel (par exemple la marine), il faut recommencer toute la procédure pour une autre armée. Ceci est regrettable pour les matériels déjà en service dans d'autres armées de pays alliés, et donc largement testés. En outre, pour s'assurer qu'un matériel acheté en urgence opérationnelle puisse bénéficier d'un service après-vente, il faut négocier un contrat de maintenance, ce qui peut prendre plusieurs années. C'est ainsi qu'une modification minime du véhicule terrestre P4 a pris trois ans ; que la mise en place d'une mitrailleuse 12,7 sur l'hélicoptère Cougar a pris cinq ans et il est même arrivé, en matière d'optronique, que le matériel commandé ait été frappé d'obsolescence au moment de sa livraison !

145. Enfin, d'un point de vue pratique , la Cour des comptes soulignait que le principal problème concernait l'interprétation faite des textes eux-mêmes : le COS, n'étant pas investi d'un pouvoir adjudicateur, est obligé de trouver, pour chaque achat, une entité étatique habilitée, que ce soit celui d'un état-major ou d'une base qui accepte de s'en charger. C'est alors que les difficultés commencent, puisque la technique de l'appel d'offres est par nature inadaptée aux besoins des forces spéciales qui sont souvent spécifiques (un seul fournisseur sur le marché), limités, répétitifs et presque toujours urgents. Pourtant des procédures spécifiques existent (p. ex l'achat à fin d'expérience), mais aucun pouvoir adjudicateur n'a jamais accepté d'y recourir.

b) Les améliorations intervenues

146. Les relations de la DGA avec les forces spéciales s'inscrivent toujours dans le cadre des mécanismes conventionnels. Les équipements qui leur sont réservés sont inscrits dans la sous-action 09-75 « opérer en milieu hostile - autres opérations et conduite des opérations spéciales ». Mais la faible granularité des montants qui leur sont consacrés ne permet pas de les rendre visibles dans les documents budgétaires.

147. Un schéma directeur des forces spéciales a été établi entre EMA et DGA en 2011 . Il définit en particulier les grands domaines d'acquisition à envisager. Les FS s'appuient également sur l'expertise technique de la DGA soit dans le cadre de programmes, soit de manière ponctuelle sur les affaires conduites en propre par le COS (p. ex : acte technique sur la navigabilité, caractérisation de performances, etc.). Dans certains cas où l'achat ne demande pas d'expertise technique particulière (achat sur étagère notamment), la contractualisation peut être déléguée au COS.

148. En termes de programmes, la LPM comprend deux Programmes à Effet Majeur (PEM) dédiés aux forces spéciales :

- Le VFS (véhicules forces spéciales), sur la mobilité terrestre qui concerne des véhicules tout terrain, lourd, léger, ou très léger type quad peu protégés ; cette opération vient de passer au stade d'initialisation ; l'acquisition se base sur un achat sur étagère avec des compléments de développement pour l'intégration d'interfaces spécifiques France qui restent à définir.

- La Rénovation avionique du C130 : mise en conformité de l'avionique avec la règlementation aérienne OACI post 2020 et amélioration des capacités tactiques des avions du COS.

149. Les acquisitions suivantes sont également conduites essentiellement au profit des FS : ECUME, PSM3G, DDS, DPD ; divers équipements de plongée ; mortiers de 60 mm ; Systèmes C3ISTAR sur avion Transall C-160 ; rénovation avionique des Twin Otter DHC-6 opérés par le COS (Escadron Poitou).

150. En termes de préparation de l'avenir, un plan d'études amont COS dédié aux technologies de détection (notamment dans le domaine optronique) vient de se terminer. D'autres études amont sont conduites aux profits des armées en intégrant pleinement les besoins spécifiques des forces spéciales : désignateur terrestre, moyens d'observation.

151. Enfin, les forces spéciales sont intéressées à de nombreuses opérations qui ne les concernent pas exclusivement, mais dont elles bénéficieront telles que l'A400M, l'hélicoptère Caracal, la rénovation Cougar, le Tigre, l'hélicoptère léger, la LPA (livraison par air), les programmes de transport (VLTP, PPT, VBMR) de missiles (MMP), le DRAC2 (qui prendra la suite du minidrone Skylark), des programmes de communication (MELCHIOR, COMSAT NG) ou encore le système d'information opérationnel de SCORPION, ainsi que les programmes BARRACUDA et FREMM.

152. Pour répondre au besoin spécifique d'adaptation, certains mécanismes existants ont été mis en oeuvre par la DGA :

- les « Opérations d'Expérimentation Réactive » (OER). De ce point de vue, le COS est très actif avec cinq à sept projets par an, pour un montant total d'environ un million d'euros ;

- les « Urgences Opérations » (UO). En 2013 sept des quatorze procédures d'acquisition l'ont été au profit des forces spéciales, notamment des équipements pour les avions C 130 ; l'intégration d'armements pour des véhicules terrestres ; des minidrones. Depuis 2009, quinze millions d'euros ont été consacrés aux urgences opérations pour les forces spéciales.

153. La relation entre la DGA et le COS semble bonne et directe mais basée sur un réseau de quelques personnes seulement :

- au COS : un ingénieur DGA est en place au bureau équipement et prospective ; il devrait être rejoint par un deuxième ingénieur ; Il facilite la relation entre la DGA et le COS, et plus généralement les unités des Forces spéciales, dans les différentes opérations d'armement ;

- à la DGA : un architecte capacitaire est le point de contact privilégié et participe au comité exécutif du COS.

154. Le COS bénéficie également du dispositif RAPID de soutien de l'innovation duale des PME et ETI sur des thèmes pouvant présenter un besoin dual.

155. Enfin, il convient de signaler l'initiative prise par le COS lui-même de la création d'une sorte de Salon des forces spéciales : le SOFINS ( Special Operations Forces Innovation Seminar ) dont l'objectif est de rapprocher les forces spéciales des PME, plus réactives et souvent plus innovantes que les grands groupes. La première édition s'est tenue en avril 2013, sur le camp de Souge où est stationné le 13 ème RDP et a rencontré un succès tel que SOFINS sera reconduit sur une base bisannuelle. Il est le troisième salon de ce genre après SOFIC qui se tient chaque année aux Etats-Unis et SOFEX en Jordanie.

c) Des réformes souhaitables et nécessaires

156. En dépit de ces améliorations, et de la bonne relation entre le COS et la DGA, les procédures normales d'acquisition restent fondamentalement inadaptées aux besoins du COS. Pourtant des réformes sont nécessaires comme le signalait la Cour des comptes dans son rapport de 2008.

157. Le seul vrai moyen de permettre au COS de bénéficier des souplesses qui existent dans le code des marchés publics est, soit de lui conférer l'autorité de pouvoir adjudicateur, soit d'en désigner ou d'en créer un à son intention. La première solution est la plus logique. Il semblerait qu'elle ait été refusée par l'EMA et le COS lui-même en 2004, afin de conserver au COS son caractère uniquement opérationnel. Mais les temps ont changé et peut-être faut-il reconsidérer cette possibilité. Après tout, qu'est-ce qui d'un strict point de vue de l'efficacité des deniers publics justifie que l'on accorde à la DGSE ce que l'on refuse au COS ?

158. Pour raccourcir les procédures d'homologation, qui sont beaucoup trop longues, plusieurs réformes, qui auraient dû être faites depuis longtemps, s'imposent :

- L'extension automatique d'une homologation réalisée dans une armée aux autres armées ; de même, lorsque le matériel est connu et qu'il est déjà homologué dans les armées alliées ou par l'OTAN ;

- Le droit de modifier un matériel devrait être reconnu à la CIEPCOS, ce qui suppose de modifier ses missions ;

- Le traitement en priorité des demandes d'homologation du COS.

159. A défaut de faire du COS un pouvoir adjudicateur, la possibilité de créer, au sein du programme 146, sous forme d'AOA (Autre Opération d'Armement) un programme pour l'équipement des unités spéciales (PEUS) , mérite d'être considérée.


* 9 Les Caracal & équipages air ont la capacité ravitaillement en vol. Mais la France ne dispose pas d'avions ravitailleurs d'hélicoptères.

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