III. LA DIFFUSION NUMÉRIQUE DES INFORMATIONS PUBLIQUES : UNE OPPORTUNITÉ, UNE EXIGENCE

Depuis plus de vingt ans maintenant, la France s'est engagée en faveur de l'administration électronique, cherchant à tirer parti des formidables opportunités offertes par la révolution numérique.

Ce mouvement a concerné, au premier chef, le chantier de la transparence administrative : internet est devenu un des supports essentiels de la diffusion de l'information publique (A). Plus récemment, une seconde étape a été engagée : celle de l'ouverture des données publiques (B). Dans un cas comme dans l'autre, le constat que votre mission commune d'information tire de ses travaux est le même : en dépit des progrès enregistrés, l'effort doit être poursuivi.

A. LES PORTAILS PUBLICS D'INFORMATION : DES SUPPORTS DE PUBLICATION QUI POURRAIENT ÊTRE MIEUX EXPLOITÉS

Pionnière, avec le minitel, dans l'utilisation des services télématiques 187 ( * ) , la France a su prendre suffisamment tôt le tournant du numérique : l'un des premiers sites internet officiel d'un ministère date ainsi de 1995 188 ( * ) . Le mouvement n'a depuis cessé de s'amplifier, rendant plus accessible au citoyen, une information toujours plus étendue (1). Cependant, en dépit des progrès enregistrés, des lacunes persistent, la qualité, l'exhaustivité ou la facilité d'accès aux informations pertinentes n'étant pas toujours assurées (2).

Les premières étapes de déploiement du web public 189 ( * )

Alors que les premières pages web apparaissent à la toute fin des années 1980, l'administration française ne s'engage dans cette voie qu'au milieu des années 1990.

La circulaire du 15 mai 1996 relative à la communication, à l'information et à la documentation des services de l'État sur les nouveaux réseaux de communication est à cet égard décisive. Elle fixe la stratégie gouvernementale en la matière, et prescrit notamment la création d'un site web par ministère avant la fin de l'année 1997, ainsi que le recours à la racine " gouv.fr" pour toutes les administrations d'État, afin d'unifier le web public.

Le site admifrance, annuaire des sites web de l'administration, est mis en ligne en 1996, puis remplacé en 1999 par un portail plus général, service-public.fr . 190 ( * )

Dans le même temps, le décret du 21 mai 1996, poursuivant l'approche retenue pour le minitel, confie la responsabilité exclusive de la diffusion des informations juridiques à un concessionnaire. La réutilisation de ces informations s'effectue dès lors dans le cadre de licences payantes.

C'est à la suite du discours du Premier ministre Lionel Jospin, à Hourtin, le 25 août 1997, au cours duquel il déclare que « les données publiques essentielles doivent désormais pouvoir être accessibles à tous gratuitement sur internet, [en particulier], puisque "nul n'est censé ignorer la loi"(...) le contenu du journal officiel de la République française », que le site l egifrance est créé.

En 2002, le système de la concession est supprimé par le décret n° 2002-1064 du 7 août 2002.

Les années 2000 voient ensuite la généralisation du mouvement engagé, avec une adaptation des normes juridiques applicables et le développement de véritables services publics numériques, grâce à la mise en place de téléprocédures.

1. Une amélioration de l'information des citoyens

Deux missions ont été assignés à la constellation des sites internet gérés par des administrations - ce que l'on désigne communément par l'expression de " web " public : la première se rattache directement à la transparence administrative, puisqu'il s'agit de fournir aux citoyens l'information dont ils ont besoin ; la seconde relève plus d'une logique directement administrative, puisqu'il s'agit d'utiliser le site internet pour fournir, sous une forme dématérialisée, le service que l'usager pourrait solliciter au guichet d'une administration - cette seconde mission ne relève toutefois pas du champ d'étude de votre mission commune d'information.

Les acquis de cet engagement en faveur du numérique sont nombreux : les sites recouvrent la quasi-totalité de la sphère administrative et une rationalisation est engagée pour organiser cette profusion. De nombreux documents sont publiés, les politiques publiques sont mieux expliquées, et les citoyens sont guidés dans leur recherche d'information.

a) Des sites dédiés à l'information des citoyens

Lors de leur audition par la mission, les responsables d'administrations comme, par exemple, ceux de la direction de l'information légale et administrative (Dila), de la direction générale des collectivités territoriales (DGCL), du secrétariat général du ministère de l'environnement ou encore de l'Insee, ont tous souligné l'engagement de leurs services pour offrir aux citoyens ou aux collectivités locales, à travers leurs sites internet, toutes les informations qui pouvaient leur être utiles 191 ( * ) .

L'examen de la liste des principaux sites d'information de l'État, publiée par le Coepia, montre la palette des sujets traités 192 ( * ) .

Les sites internet gérés par la Dila offrent ainsi aux citoyens à la fois un accès à la loi et au droit applicable ( legifrance.gouv.fr , journal-officiel.gouv.fr ), aux informations relatives aux démarches administratives qu'ils peuvent effectuer, ainsi qu'aux coordonnées des services administratifs auxquels ils peuvent s'adresser ( service-public.fr ), aux annonces légales ( boamp.fr pour les marchés publics, bodacc.fr pour les annonces civiles et commerciales, info-financiere.fr pour les informations financières réglementées), aux principaux rapports administratifs ( ladocumentationfrançaise.fr ), ou à des informations générales ou des fiches explicatives sur les grandes politiques publiques ( vie-publique.fr ).

D'autres sites publics fournissent des informations sur le trafic en Île-de-France ( sytadin.fr ) ou la circulation routière dans toute la France ( bison.fute.gouv.fr ), la fiscalité ( impots.gouv.fr ), le service civique ( service-civique.gouv.fr ), le budget de l'État ( performance-publique.gouv.fr ), l'environnement ( toutsurlenvironnement.fr ), les collectivités territoriales ( collectivites-locales.gouv.fr )...

S'y ajoutent les sites institutionnels de l'État, qui correspondent au périmètre des secteurs d'intervention des principaux ministères : l'éducation nationale, le travail, l'agriculture, l'économie, la justice, etc. Ces sites rassemblent à la fois une présentation de la politique menée, des données produites ou détenues par l'administration (par exemple les résultats des élections établis par le ministère de l'intérieur) et des informations plus générales sur le domaine dont ces ministères ont la responsabilité.

Au total, le nombre de sites de l'État recensés par le service d'information du Gouvernement s'élève à 768. Ce chiffre est toutefois trompeur, puisqu'il recouvre les sites correspondant à l'implantation territoriale d'un ministère (ainsi celui du ministère de l'intérieur se divise en autant de sites que de préfectures). En réalité, les sites institutionnels seraient au nombre de 122 et les sites d'information ou de service , de 60 .

À eux seuls, les cinq premiers sites de l'État ( service-public.fr , legifrance.gouv.fr , impots.gouv.fr, education.gouv.fr, sytadin.fr ) drainent environ les deux tiers des consultations des cinquante premiers de ces sites, soit presque 500 millions de visites par an, 2,5 milliards de pages consultées , et 26 millions de visiteurs uniques par mois (sur, respectivement, 765 millions de visites, 3,5 milliards de pages vues et 42 millions de visiteurs uniques par mois) 193 ( * ) .

La part des sites gérés par la Dila dans l'ensemble du web public est d'ailleurs considérable, puisqu'ils représentent « plus de 1,3 milliard de pages vues dans l'année, 325 millions de visites dans l'année et 17,6 millions de visiteurs uniques par mois, ce qui fait de cette direction le principal vecteur de l'information et de services de l'État par l'internet » 194 ( * ) . À titre de comparaison, le Coepia indique que les dix principaux sites privés d'information générale sur l'ensemble du web français ont attiré, pour le seul mois de novembre 2013, 35,4 millions de visiteurs uniques.

Faute de disposer d'un suivi centralisé des sites des collectivités territoriales, il n'est pas possible d'en dresser un bilan aussi précis. Toutefois, toutes les grandes collectivités offrent à leurs administrés un site souvent riche d'informations sur les politiques qu'elles mènent et les services qu'elles fournissent aux usagers.

b) La publication d'un grand nombre de documents

La diversité des sites internet du web public se double d'une profusion de documents publiés.

Le rapport d'activité de la Dila indique ainsi qu'en 2013, les sites qu'elle gère offraient un accès en ligne à 31 977 textes législatifs ou réglementaires, 9 489 rapports publics, et 2,60 millions d'annonces légales. Sur le seul site service-public.fr étaient par ailleurs publiés en 2011, 200 dossiers, 3 000 fiches pratiques, 1 000 articles d'actualités, ainsi que les adresses de 70 000 organismes.

Lors de son audition, M. Jean-Paul Albertini, commissaire général au développement durable, a évoqué la forte progression de l'enrichissement du portail toutsurlenvironnement.fr , issu du Grenelle de l'environnement et créé en 2009, passé « de 20 000 ressources à 85 000 aujourd'hui » et « mis à jour très régulièrement, par moissonnage automatique mais aussi, c'est indispensable, par une intervention humaine, trimestrielle » 195 ( * ) .

De son côté, le directeur du service interministériel des archives de France, M. Hervé Lemoine a souligné le volontarisme des services d'archives en faveur d'une large publication des fonds qu'ils conservent : « depuis quinze ans, nous avons, les collectivités territoriales et l'État, mené une politique délibérément volontariste de numérisation et de mise en ligne des archives publiques. Photos, cartes postales, se prêtent particulièrement bien à la numérisation, qui est un vecteur de démocratisation de la connaissance.

« Cette politique a porté ses fruits : 300 millions de documents sont d'ores et déjà disponibles sur les sites internet des archives nationales et départementales, plus de 2 milliards de pages sont lues annuellement, ce qui fait des archives les données culturelles les plus consultées en France » 196 ( * ) .

Ces exemples témoignent de l'engagement réel des services de l'État dans la diffusion en ligne des informations et documents qu'ils détiennent.

c) Un souci d'explication des politiques publiques

Un examen plus attentif des informations disponibles sur le web public signale combien l'administration ne se contente pas de publier les textes qu'elle produit ni d'éclairer les administrés sur leurs droits et les démarches qu'ils peuvent effectuer : elle s'attache aussi à fournir au citoyen les moyens de mesurer son action, de l'analyser et de la comprendre.

La pédagogie de certains sites comme vie-publique.fr ou service-public.fr est à cet égard exemplaire.

Mais, ce souci d'explication transparaît avant tout dans la nature de nombre des documents publiés. Les bilans d'activité des autorités administratives sont publics. Les indicateurs de performance associés à chaque mission ministérielle, dans le cadre de la lolf sont eux aussi disponibles sur le site performance-publique.gouv.fr . La très grande majorité des rapports rédigés par les administrations, leurs inspections, la Cour des comptes, le Parlement, sur le fonctionnement de l'État ou la mise en oeuvre d'une politique publique, sont eux aussi publiés. Le citoyen peut ainsi évaluer l'action des pouvoirs publics à partir des mêmes outils que ceux-ci utilisent pour mesurer et analyser cette action. Comme on le verra plus loin, le développement de l' open data donne à cette évaluation une efficacité bien supérieure.

d) La facilitation des recherches et la rationalisation du web public

La profusion de sites publics et de documents publiés sur ces sites risquerait de nuire à l'objectif de transparence administrative, si elle égarait le citoyen, noyé dans un flot d'informations inorganisées. M. Michel Pinault, président du conseil d'orientation de l'édition publique et de l'information administrative (Coepia), a d'ailleurs estimé, lors de son audition, que « le risque principal reste, aujourd'hui comme hier, celui de l'éparpillement, de la dispersion » 197 ( * ) .

L'administration en a tôt pris la mesure et y a apporté trois réponses.

Les deux premières sont techniques : l'administration s'efforce tout d'abord de structurer chaque site en catégorisant l'information , en définissant des profils d'utilisateurs pour y associer les documents correspondants les plus demandés. Elle cherche par ailleurs à doter chaque site d'un index et de moteurs de recherche facilitant la tâche des internautes pour trouver l'information dont ils ont besoin. La très grande majorité des sites en est pourvue.

La troisième réponse apportée au défi de l'éparpillement de l'information publique en ligne, est de structurer son offre autour de quelques portails de référence, à partir desquels, l'internaute peut atteindre le site correspondant à sa recherche : il en va ainsi du site du Gouvernement, ( gouvernement.fr ), qui renvoie aux sites des autres ministères 198 ( * ) , ou du site service-public.fr , qui permet d'accéder, à travers son annuaire de l'administration, aux sites des différents services administratifs.

Telle est aussi l'ambition portée par le site toutsurlenvironnement.fr , conformément à l'engagement pris dans le cadre du Grenelle de l'environnement de « créer un portail aidant l'internaute à accéder aux informations environnementales détenues par les autorités publiques ou à participer, le cas échéant, à l'élaboration de décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » 199 ( * ) . Le ministère de l'environnement a conçu à cet égard son portail, comme l'a rappelé lors de son audition son secrétaire général, M. Régis Talon, « sur un mode collaboratif ; il référence les données propres au ministère, aux collectivités territoriales et aux opérateurs » .

Ce mouvement de rationalisation de l'offre se poursuit actuellement, conformément aux orientations énoncées dans le rapport du groupe de travail présidé par M. Franck Riester 200 ( * ) : regroupement des sites publics (ce dont la fusion entre les sites de la DGCL et de Bercy relatifs aux collectivités territoriales, vient de donner un exemple), unification du modèle de site déployé par les administrations déconcentrées de l'État, ou encore développement du "co-marquage", par lequel le site internet d'une collectivité locale peut rediffuser le guide des droits et démarches du portail service-public.fr , en adoptant sa propre charte éditoriale et en le complétant par des informations locales.

2. Des insuffisances persistantes

Les auditions conduites par votre mission commune d'information montrent qu'en dépit des progrès réalisés, l'information administrative mise en ligne présente encore de réelles insuffisances : il n'est pas toujours aisé pour le citoyen de trouver ce qu'il cherche, en raison d'une offre parfois mal identifiée, ou seulement partielle, ou encore d'une qualité insuffisante.

a) Une offre mal identifiée, des documents difficiles à trouver

La mission commune d'information constate tout d'abord qu'à ce jour, l'écueil de la dispersion n'est pas encore écarté : les remèdes envisagés n'ont pas produit tous leurs effets.

Ainsi, d'un site à l'autre, la qualité des moteurs de recherche ou celle des indexations varie sensiblement.

M. Michel Pinault, président du Coepia, a cité en exemple le bulletin officiel des finances publiques-impôts, qui remplace l'ancien système de publication des instructions fiscales de la direction générale des impôts (DGI). Il y a en revanche opposé la base de données des traités internationaux du ministère des affaires étrangères, « conçue comme une base d'archives et non comme une base active dotée d'un moteur de recherche, ce qui la rend difficile à utiliser. En l'état, il est délicat de comprendre si un traité mis en ligne a été abrogé ou s'est substitué à un traité plus ancien également consultable. Il est important de remédier à ces difficultés, compte tenu de la place du droit international dans la hiérarchie des normes » 201 ( * ) .

Si le site legifrance.gouv.fr combine des recherches par nature et référence du document, date de publication, mots-clés, ou texte intégral, celui du ministère de la santé, sante.gouv.fr, ne permet qu'une recherche standard sur l'ensemble des documents du site, sans qu'il soit possible de la limiter, par exemple, aux seuls bulletins officiels du ministère.

De la même manière, toutes les administrations ne satisfont pas à l'exigence de publication d'un répertoire des données publiques, facile d'accès : à titre d'exemple, aucun des sites internet dédiés aux jeunes ( jeunes.gouv.fr , service-civique.gouv.fr , etudiants.gouv.fr ) ne fait mention d'un tel répertoire.

Enfin, les 768 sites de l'État recensés par le service d'information du gouvernement témoignent de ce que la rationalisation engagée pour les rassembler doit encore se poursuivre.

Lors de son audition, le président du Coepia, M. Michel Pinault a regretté, à cet égard, qu'il n'y ait pas « d'homogénéité de présentation des sites de l'État . Il existe bien une charte graphique mais elle est utilisée de manière différente par chaque ministère : l'une fait apparaître la Marianne et le drapeau tricolore sur son site, l'autre non. L'utilisateur ne sait pas immédiatement qu'il se trouve sur un site de l'État avec la garantie de contenu que cela implique. C'est dommage ! Un effort a été réalisé sur les sites de l'État dans les départements et les régions, il doit être mené à présent au niveau central, avec mise à l'image, charte des couleurs... Il y a là un enjeu d'identification et de sécurité, qui a été bien compris au Canada ou au Royaume-Uni ». Il a estimé que ces exemples devaient nous inspirer.

b) Une information lacunaire

L'information disponible n'est elle-même pas toujours complète : certains documents ne sont pas publiés, alors qu'ils présentent pourtant un intérêt manifeste. D'autres demeurent inaccessibles, en dépit de leur publication, soit parce qu'ils sont trop dispersés pour pouvoir être consultés efficacement, soit parce que le mode de publication retenu contraint la consultation et empêche d'en retirer toutes les informations qu'ils recèlent.

• Des documents absents en dépit de leur intérêt

Lors de son audition, M. Rémi Noyon journaliste au site d'information Rue 89 , a regretté que le ministère de l'intérieur ne mette pas en ligne une carte interactive retraçant le découpage des circonscriptions : « pour faire des cartes lors des élections », a-t-il indiqué, « nous avons besoin d'un fonds de carte qui ne soit pas une image mais un support interactif » 202 ( * ) .

On peut également regretter l'indisponibilité de la carte scolaire complète, qui n'est accessible que par un formulaire faisant correspondre l'adresse d'un domicile à un établissement 203 ( * ) .

D'une manière générale, on constate qu'aucune obligation n'est faite aux administrations de publier un document qui leur serait pourtant fréquemment demandé .

Parfois la lacune résulte moins d'une absence de directive, que d'une mauvaise application par les services destinataires de l'ordre de diffusion. Lors de la table ronde consacrée à la protection de l'environnement, Me Alexandre Faro a rappelé qu'à la suite de l'émoi suscité par la catastrophe AZF en 2001, une circulaire du 18 octobre 2007 a demandé aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), de rendre publiques sans demande préalable des informations relatives à leur mission d'inspection des installations classées. « Cette très bonne initiative allait dans l'intérêt des associations de riverains et de la protection de l'environnement », a-t-il estimé, « le hic est qu'une circulaire n'a pas vocation règlementaire et qu'elle est appliquée de manière variable par les Dreal, certaines informations étant publiées en ligne, d'autres non, sans cohérence d'ensemble » 204 ( * ) .

• Des documents dispersés ou isolés

Parfois l'information recherchée n'est pas contenue dans un seul document, mais résulte de la compilation de plusieurs sources. Or, la dispersion des documents publiés peut être telle que tout rassemblement de ces informations éparses est pratiquement impossible, ce qui ne permet pas d'accéder, in fine , à l'information globale qu'on recherchait. Paradoxalement, alors que ce l'on cherche est publié dans son intégralité, on ne peut jamais l'atteindre dans son intégralité.

M. Pierre Falga, journaliste à l'Express , a souligné devant la mission la difficulté à laquelle il était confronté pour recueillir les informations relatives aux indemnités des élus : « les informations existent, disséminées dans les archives des assemblées délibérantes, mais l'absence de traitement de l'information empêche toute analyse. J'ai ainsi enquêté sur les indemnités des élus locaux : pour savoir leur montant, il faut se reporter au procès-verbal de la première réunion de l'assemblée délibérante, l'information ne figure nulle part ailleurs ! Cela empêche toute enquête nationale ». Il a estimé à cet égard que, « paradoxalement, internet n'arrange pas toujours les choses : dès lors qu'une information figure sur un site, même à une place improbable, l'institution estime avoir rempli son devoir d'information. Les intercommunalités - il y en a 2 560 - devraient avoir obligation d'indiquer clairement les noms de leurs élus, la composition de leur bureau, ainsi que les rémunérations de chacun, au lieu qu'on nous renvoie à la première réunion de l'assemblée délibérante... » 205 ( * ) .

• Des documents seulement partiellement accessibles en raison du mode de publication utilisé

Il arrive aussi que l'administration choisisse volontairement une modalité de diffusion qui contraint l'usage ou la lecture que l'on pourra faire de la donnée.

Ainsi, comme l'a rappelé lors de son audition M. Mathieu Escot, chargé de mission santé à UFC-Que Choisir , si l'assurance maladie publie bien les coordonnées des praticiens médicaux, ainsi que les tarifs déclarés, il est seulement possible d'interroger la base médecin par médecin, sans pouvoir, par exemple, l'interroger par niveau de tarif 206 ( * ) .

De la même manière, s'il est possible de connaître, à partir de l'adresse de son domicile, l'établissement scolaire de rattachement, aucune information complète n'est diffusée sur les limites géographiques du ressort de chaque établissement : comme on l'a vu précédemment, la carte scolaire n'est pas publiée en tant que telle.

c) Une information d'inégale qualité

En dépit de la profusion, la qualité des informations disponibles n'est pas toujours de mise : passée la première publication, certains documents ne sont pas mis à jour, d'autres, au contraire, évoluent de telle manière qu'il devient impossible de les comparer dans la durée, d'autres encore ne contiennent pas les informations pertinentes susceptibles de répondre vraiment à la préoccupation des usagers.

• Des mises à jour tardives

Dans nombre de domaines, une publication ou une mise à jour régulière des informations détenues par l'administration est une condition essentielle de leur pertinence.

M. Jean-Paul Albertini, commissaire général au développement durable, a défendu notamment cette approche à propos du portail toutsurlenvironnement.fr : celui-ci « est mis à jour très régulièrement, par moissonnage automatique mais aussi, c'est indispensable, par une intervention humaine, trimestrielle. C'est particulièrement important : la décision du Gouvernement, en septembre 2012, lors de la Conférence environnementale, de publier les données sur la santé environnementale et les risques émergents, non sur un site spécifique, mais sur le portail toutsurlenvironnement.fr , nous impose d'assurer une bonne mise à jour de ces informations essentielles ».

Dans le même ordre d'idées, la mise à jour des textes législatifs et réglementaires publiés est au coeur des préoccupations de la Dila.

Malheureusement, toutes les administrations ne portent pas la même attention à cette exigence. Votre rapporteure a ainsi pu constater, sur le site internet du ministère de la santé ( sante.gouv.fr ), que certaines informations étaient périmées ou dataient de plusieurs années alors que des modifications substantielles étaient intervenues entre temps. Le répertoire des informations publiques disponibles sur le site internet est ainsi daté du 15 décembre 2008 - ce qui est très symbolique de l'attention portée à cet outil -, alors que ce site a été considérablement enrichi depuis lors.

Une telle situation, qui n'est pas propre à ce ministère, illustre une difficulté majeure de l'exercice de transparence administrative : celle-ci répond à un investissement très fort, mais trop souvent ponctuel . Or, il faut éviter que les administrations abandonnent leur démarche de publication, avec ce que cela comporte comme exigence de mise à jour, une fois publié le premier jeu de documents.

• Des informations dont la pertinence est affectée par les modifications successives de leur format de publication

Certaines informations - principalement les indicateurs ou les statistiques - perdent en pertinence à mesure des modifications dont elles font l'objet, lorsque l'usage qui en est fait consiste justement à les comparer dans le temps.

Les journalistes entendus par votre mission commune d'information ont particulièrement insisté sur ce point : des changements trop fréquents de formats ou de références, ou des références incomplètes interdisent toute comparaison. Mme Martine Orange, journaliste du site d'information Mediapart a ainsi estimé que « la fiabilité des chiffres publiés baisse de manière spectaculaire. Les méthodologies changent, les séries statistiques sont rompues, de telle sorte qu'il devient difficile d'obtenir des séries cohérentes, comparables sur longue période. Même pour des données classiques, concernant le chômage, l'emploi, l'activité économique, les chiffres ont perdu en fiabilité. Des séries brutes sont présentées, d'où il faut extraire les chiffres pertinents.

« Sur le médicament, domaine où Mediapart a beaucoup enquêté, avec le scandale du Mediator, l'agence de santé publie des chiffres depuis 2010. Nous n'avons rien avant cette date, ce qui empêche par exemple de reconstituer l'évolution des prix des médicaments » 207 ( * ) .

• Des informations qui ne répondent pas à la demande qu'elles sont censées satisfaire

La qualité d'une information s'apprécie aussi à sa pertinence pour répondre à la demande que sa diffusion est censée satisfaire.

Cette qualité va de soi lorsque la demande se borne à la possibilité de consulter en ligne un document, comme un texte de loi, une délibération de conseil municipal ou un rapport administratif.

En revanche, lorsqu'il s'agit de prendre la mesure d'un phénomène ou d'une activité administrative, d'en évaluer l'impact ou l'intérêt, la qualité de l'information dépendra de la pertinence des indicateurs ou des statistiques retenus .

Or, les premiers destinataires de cette information, en particulier dans le cadre des procédures de consultation préalable, n'ont pas toujours le sentiment qu'elle porte sur les éléments les plus utiles. Ainsi, lors de son audition, M. Marc Cendrier, membre de l'association Robin des toits , a contesté la pertinence des informations délivrées en matière d'antennes relais pour la téléphonie mobile. Il les a jugées notamment incomplètes sur les fréquences d'émission, incompréhensibles pour la puissance des émetteurs ou tout simplement inexistantes pour la zone couverte par chaque antenne 208 ( * ) .

La transparence administrative affronte ici une de ces limites. Elle ne peut reposer uniquement sur l'engagement de l'administration, et doit aussi entendre ce que demandent les usagers .


* 187 Ainsi, le Journal officiel , le répertoire de l'administration et le guide des droits et démarches de l'usager ont successivement fait l'objet d'une publication sur le minitel, respectivement en 1985, 1989 et 1989.

* 188 Il s'agit du site du ministère des affaires étrangères, France Diplomatie .

* 189 Voir notamment « 20 ans de web public » , La lettre du Coepia , n° 20, avril 2014.

* 190 Voir le rapport d'information du Sénat n°394 (2003-2004) de notre collègue François Marc, fait au nom de la commission des finances La documentation française : la réforme nécessaire pour un éditeur public de référence.

* 191 Les comptes rendus de ces auditions, qui se sont déroulées les 20 et 27 février 2014, sont reproduits dans le tome II.

* 192 Cf. « 20 ans de web public », La lettre du Coepia , n° 20, avril 2014.

* 193 Ces chiffres ne distinguent pas selon l'objet de la consultation (recherche d'information ou téléprocédure). Ainsi, par exemple, l'audience du site impots.gouv.fr s'explique notamment par les déclarations de revenus en ligne.

* 194 Cf. « 20 ans de web public », La lettre du Coepia , n° 20, avril 2014. L'ensemble des chiffres présentés sont issus de ce document.

* 195 Le compte rendu de l'audition du 27 mars est reproduit dans le tome II.

* 196 Le compte rendu de l'audition du 20 mars est reproduit dans le tome II.

* 197 Le compte rendu de l'audition du 20 février est reproduit dans le tome II.

* 198 Votre rapporteur observe toutefois que le caractère de portail de ce site semble contredit par le peu d'informations ou de liens actuellement disponibles dans certaines rubriques.

* 199 Art. 52 de la loi du 3 août 2009, dite « Grenelle I », précitée.

* 200 Amélioration de la relation numérique à l'usager , rapport issu des travaux du groupe « experts numériques » réuni autour du député Franck Riester, remis à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État le 26 septembre 2011.

* 201 Le compte rendu de son audition du 20 février 2014 est reproduit dans le tome II.

* 202 Le compte rendu de l'audition du 29 janvier 2014 est reproduit dans le tome II.

* 203 Remarque formulée par M. François Bancilhon, président directeur général de Data publica, lors de son audition du 13 février 2014, dont le compte rendu est reproduit dans le tome II.

* 204 Le compte rendu de la table ronde du 23 janvier 2014 est reproduit dans le tome II.

* 205 Le compte rendu de l'audition du 29 janvier 2014 est reproduit dans le tome II.

* 206 Le compte rendu de l'audition du 16 janvier 2014 est reproduit dans le tome II.

* 207 Le compte rendu de l'audition du 29 janvier 2014 est reproduit dans le tome II.

* 208 Le compte rendu de la table ronde du 23 janvier 2014 est reproduit dans le tome II.

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