C. FAIRE DE L'ÉCOLE UN VÉRITABLE CREUSET DE L'ÉGALITÉ ENTRE FILLES ET GARÇONS

Comme le faisait observer Lise Tamm, procureure au parquet international de Stockholm : « Si les enfants apprennent dès l'école maternelle que les filles et les garçons ont la même valeur, il est beaucoup plus improbable que vingt ans plus tard un garçon aille acheter une fille dans la rue ou la choisir dans une vitrine, comme s'il s'agissait d'un animal ou d'un objet [...]. Si chaque homme finit par comprendre que [...] la sexualité doit reposer sur deux désirs réciproques, on aura beaucoup progressé » 123 ( * ) .

1. Une amélioration nécessaire mais insuffisante à long terme : mieux orienter l'éducation à la sexualité et l'information sur l'égalité en milieu scolaire
a) Un constat : une éducation à la sexualité incomplète

L'article L. 312-16 du code de l'éducation prévoit qu'une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène » .

Ces séances peuvent associer des personnels contribuant à la mission de santé scolaire, ou ayant satisfait à une formation qualifiante en conseil conjugal ou toute autre personne qualifiée dans un établissement d'information, de consultation ou de conseil familial, un centre de planification ou d'éducation familiale, un service social ou un autre organisme agréé ainsi que d'autres intervenants extérieurs.

Anita Tostivint, du Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), association habilitée à intervenir en milieu scolaire, a pour sa part souligné la complexité des modalités de mise en oeuvre des trois heures d'éducation à la sexualité prescrites par la loi. Elle a fait état des difficultés, pour les intervenants (conseillers conjugaux et familiaux du milieu associatif) « à faire reconnaître leur métier et à se faire rémunérer lorsqu'ils interviennent en milieu scolaire ». Elle s'est également interrogée sur les conséquences de la dissolution du Conseil supérieur de l'information sexuelle sur le contrôle susceptible d'être exercé sur les modules d'éducation à la sexualité 124 ( * ) .

Le sociologue Michel Bozon relevait également l'insuffisance de l'éducation à la sexualité en France pour que les expérimentations de la jeunesse soient « respectueuses de l'égalité des genres » et pour que les jeunes filles puissent exprimer leurs désirs sans avoir à subir d'insultes stéréotypées 125 ( * ) .

Ce point de vue est partagé par les responsables du Planning familial 126 ( * ) , qui ont regretté :

- que les trois séances annuelles prescrites par la loi se limitent le plus souvent à une séance au cours de la scolarité, généralement en classe de quatrième ou de troisième ;

- qu'elles portent essentiellement sur la santé (prévention du Sida et contraception), alors que l'éducation à la sexualité devrait selon elles aborder une approche globale de la sexualité, dans un esprit de respect du libre consentement de partenaires égaux ;

- que leur soient affectés des moyens insuffisants (qui représenteraient selon elles 2,7 millions d'euros pour la métropole et l'outre-mer).

S'agissant des moyens affectés à l'éducation à la sexualité, les responsables du Planning familial reçues par la rapporteure le 25 mars 2014 ont rappelé l'intérêt des financements attribués par les collectivités territoriales. Elles ont cité en exemple les initiatives mises en oeuvre dans la région Nord-Pas-de-Calais pour organiser des sessions d'éducation à la sexualité à raison de trois séances de deux heures destinées aux élèves de la même classe, ce qui garantit la continuité entre ces actions de sensibilisation au cours de la scolarité. Elles ont également évoqué les financements reçus des agences régionales de santé dans certaines régions.

Nul ne songerait à nier qu'il soit indispensable de sensibiliser les jeunes au danger des infections sexuellement transmissibles et de la contamination par le VIH, de même qu'à celui des grossesses non désirées.

Outre que les séances ne sont pas toujours effectuées, cette approche essentiellement hygiéniste des questions sexuelles semble toutefois aujourd'hui insuffisante, notamment car elle pourrait laisser de côté la question des violences , elle-même étroitement liée à l'égalité entre hommes et femmes.

L'éducation à la sexualité ne devrait donc pas se limiter à cette approche de prévention et à sa dimension biologique, mais systématiquement intégrer la problématique de la sexualité égalitaire et du désir partagé .

Ainsi que le faisaient observer les responsables du Planning familial reçues par la rapporteure le 25 mars 2014 127 ( * ) , parler aux jeunes filles de la contraception ne suffit pas si elles ne sont pas également sensibilisées à leur nécessaire autonomie.

Cette approche plus large caractérise les orientations de l'éducation à la sexualité mise en place en Finlande, selon le sociologue Michel Bozon qui relève dans ce pays le « consensus social autour de l'idée que la sexualité [est un] élément de bien-être » . Dans ce pays, l' « éducation à la sexualité est précoce et progressive, avec un objectif d'égalité entre les sexes ». Michel Bozon confirme en revanche que l'égalité des sexes « n'est pas un « enjeu central » de l'éducation à la sexualité dispensée en France » 128 ( * ) .

Le Guide d'intervention pour les collèges et lycées en matière d'éducation à la sexualité, qui fait partie des supports pédagogiques publiés par le ministère de l'Éducation nationale 129 ( * ) , relève pourtant de cette logique globale qui semble de loin préférable à une éducation à la sexualité orientée essentiellement vers la santé. Ce guide inscrit l'éducation à la sexualité dans l'objectif de « l'éducation du citoyen ». Il vise à donner aux intervenants un « cadre de référence commun » et les moyens de répondre aux questions des jeunes par exemple sur l'image de soi, le rapport à l'autre et les modèles violents véhiculés par les medias en matière de sexualité.

Ce guide relève que toutes les disciplines peuvent être concernées du fait des multiples dimensions de la construction de leur sexualité par les jeunes (littérature, éducation civique, langues étrangères...), tout en reconnaissant un rôle central à l'enseignement des sciences de la vie et de la terre (SVT) dans ce domaine et en notant l'importance de la contribution des médecins, infirmières et assistantes sociales des établissements.

Le guide comporte (outre les supports attendus dans le domaine de la contraception et de la prévention des infections sexuellement transmissibles) des développements sur des thèmes qui rejoignent les préoccupations de la délégation :

- violence et exploitation sexuelle ;

- importance du respect de la décision de son partenaire ;

- repérage des stéréotypes sexuels et développement d'un regard critique sur les injonctions qui en résultent ;

- lien entre argent et sexualité : exploitation sexuelle (avec des références au tourisme sexuel, au harcèlement, à la « nudité commerciale »), qualifiée très justement de « forme moderne de l'esclavagisme qui est incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine » ), prostitution (définie très opportunément comme un « bastion de la discrimination et de l'exploitation sexuelles » ) et pornographie.

Des supports pédagogiques existent donc bien pour que l'éducation à la sexualité ne soit pas limitée à la lutte, d'ailleurs indispensable, contre les grossesses adolescentes et les IST.

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale modifie le code de l'éducation pour compléter cette éducation à la sexualité par une information et une éducation à « l'estime de soi et de l'autre et au respect du corps », et pour la qualifier d'« égalitaire » (article 15 bis ).

La délégation estime que cette modification présente l'intérêt de donner un support légal à une approche de l'éducation à la sexualité qui intègre le respect de l'autre et qui semble susceptible d'apporter des réponses aux jeunes face à la banalisation de la prostitution et de la pornographie.

Faute d'une telle dimension, il faut craindre que le modèle de référence en matière de sexualité, pour de nombreux jeunes, reste Internet où les images pornographiques véhiculent un modèle de sexualité fondé sur le désir masculin et la soumission féminine.

b) L'éducation à l'égalité dans le cadre scolaire : modifier le regard des garçons sur les filles

Les actions de sensibilisation conduites dans l'enseignement secondaire par le Mouvement du nid auprès de 17 000 jeunes (chiffre de 2012) sont très éclairantes de l'ampleur de la prévention à mettre en oeuvre pour parvenir à une sexualité égalitaire dont la prostitution serait proscrite.

Ces initiatives ne visent pas spécifiquement la prévention de la prostitution, mais inscrivent cette démarche - adoptée il y a vingt ans - dans une logique beaucoup plus large , visant à la fois l'estime de soi, le respect de soi et de l'autre ainsi que la liberté, la pression exercée par le groupe et la remise en question des stéréotypes sexistes.

Ce thème rejoint d'ailleurs celui des stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires, qui fait l'objet depuis le début de l'année 2014 d'un travail de la délégation en vue de la publication d'un rapport d'information 130 ( * ) .

Selon Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du nid, la sensibilisation des jeunes à l'égalité doit « mêler éducation civique, éducation à l'égalité, au respect et à la sexualité car l'enjeu est le même, à savoir comment se construit un individu libre, émancipé et respectueux » 131 ( * ) .

L'article L. 312-17-1 du code de l'éducation prévoit qu'une « information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple » est « dispensée à tous les stades de la scolarité » . À cette fin, les établissements peuvent associer des associations de défense des droits des femmes et des personnels concourant à la prévention et à la répression de ces violences. Or, contrairement à ce qui est prévu par l'article L. 312-16 du code de l'éducation pour l'éducation à la sexualité, il n'est pas fait mention dans la loi d'un nombre de séances à réaliser chaque année.

Les responsables du Planning familial reçues par la rapporteure le 25 mars 2014 132 ( * ) ont ainsi fait état d'ateliers organisés par les bénévoles du Planning familial pour des collégiens, montrant l'intérêt de ces moments d'échanges privilégiés entre jeunes : les jeunes filles peuvent ainsi, au cours de ces séquences, exposer aux garçons ce qui leur déplaît parfois dans leur conduite et attirer leur attention sur des comportements qu'ils ne percevaient pas comme critiquables.

Les responsables du Planning familial ont également fait observer que ces séquences avaient pu permettre d'attirer l'attention de certains garçons sur des violences dont ils n'avaient pas conscience, comme le viol conjugal. Elles ont par ailleurs souligné l'intérêt de travaux conduits dans ces ateliers pour aider les jeunes à décrypter les stéréotypes masculins et féminins dans la littérature jeunesse, qui montre souvent les garçons sous un jour aventureux et cantonne les filles dans le rôle passif de l'attente du « prince charmant ».

Dans le cadre d'un atelier d'information consacrée à l'égalité auquel elle a assisté lors d'un déplacement au collège Jean Vilar de Villetaneuse, le 26 mars 2014 , la rapporteure a été témoin d'échanges entre élèves (six filles, cinq garçons) et bénévoles de l'association La parole errante sur :

- la définition du sexisme, que les garçons présents ont relié aux discriminations professionnelles à l'encontre des femmes, aux violences faites aux femmes et au faible prestige du football féminin ;

- le partage des tâches domestiques entre hommes et femmes, garçons et filles ;

- la place et le rôle des personnages féminins dans les dessins animés (les filles ne sont pas des « héros ») et dans la télé réalité (les garçons ont de l'argent et des voitures, les filles sont réduites à les séduire) ; des jeunes filles ont exprimé leur rejet de la galanterie, qu'elles associent au maintien des femmes dans une situation d'infériorité ;

- les différences entre jouets de garçons et jouets de filles ;

- les métiers traditionnellement masculins et féminins et le prestige inférieur qui caractérise généralement les métiers considérés comme féminins ;

- les différences d'orientation professionnelle entre filles et garçons.

Inversement, les élèves ont été conduits à prendre conscience de certains inconvénients liés au fait d'être un homme : métiers (comme sage-femme) difficiles d'accès en raison de préjugés, nécessité de maîtriser leurs émotions et responsabilité de faire vivre la famille.

Au lycée professionnel Gaspard Monge de Savigny-sur-Orge, le 21 mars 2014 , les échanges entre les élèves et les bénévoles du Mouvement du nid ont porté, eux aussi, sur les stéréotypes professionnels (métiers de sage-femme et d'assistant social peu masculins). Ils ont également abordé la définition du sexisme ainsi que le thème des injures faites aux filles, du comportement vestimentaire des filles et de la pornographie, que les jeunes filles ont déclaré ne pas apprécier.

Des deux déplacements précédemment évoqués, on peut retenir :

- une grande admiration pour l'implication et la motivation des bénévoles des associations qui interviennent dans le cadre scolaire ;

- le regret que ces séances ne soient pas dispensées systématiquement dans tous les établissements ;

- la conviction qu'il est nécessaire d'intervenir le plus tôt possible pour déjouer les stéréotypes sexistes et promouvoir l'égalité entre filles et garçons.

Il semble en effet qu'au lycée, les représentations stéréotypées soient déjà ancrées dans les esprits : il paraît dès lors difficile de les remettre en cause.

2. Un système perfectible

La proposition de loi (articles 15 et 15 bis A) adoptée par l'Assemblée nationale étend l'information consacrée à l'égalité aux deux principes suivants, en lien avec la lutte contre le système prostitutionnel :

- la « lutte contre la marchandisation du corps » ;

- les « réalités de la prostitution ».

La délégation soutient ces modifications, de même que celles qui ont été apportées à l'article L. 312-16 du code de l'éducation concernant l'éducation à la sexualité, tout en considérant que ces modules d'éducation à l'égalité ne sauraient remplacer l'enseignement, dès le plus jeune âge , de l'égalité entre filles et garçons et entre hommes et femmes.

a) Une différence difficile à saisir entre éducation à la sexualité et éducation à l'égalité

Les modules d'éducation à la sexualité et d'information consacrée à l'égalité prévus par les articles L. 312-16 et L. 312-17-1 du code de l'éducation ont été mis en place dans des contextes différents :

- l'article L. 312-16 (éducation à la sexualité) a été créé dans le cadre de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception ;

- l'article L. 312-17-1 (information consacrée à l'égalité) a pour origine la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces violences sur les enfants.

Ces origines législatives distinctes semblent impartir à ces deux formations des logiques très différentes.

Pourtant, ces deux séries de modules de sensibilisation appartiennent à la même section du code de l'éducation (intitulé « L'éducation à la santé et à la sexualité ») .

Compte tenu de l'esprit du Guide d'intervention pour les collèges et les lycées en éducation à la sexualité d'août 2008 (voir supra ) , la rapporteure s'est interrogée sur la pertinence d'un rapprochement de ces sessions d'éducation à la sexualité et d'information sur l'égalité, car de facto , ce guide intègre à l'éducation à la sexualité des préoccupations relevant de la formation à l'égalité entre hommes et femmes.

Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire, rencontrée par la rapporteure le 21 mai 2014, s'est déclarée peu favorable à cette idée, estimant que ces séances d'éducation à la sexualité et d'information consacrée à l'égalité permettaient d'accéder à la thématique de la sexualité par des logiques différentes et complémentaires. Elle a jugé plus souhaitable de travailler à la synergie des deux réseaux (sexualité et égalité) .

b) Une lacune : des modules irrégulièrement organisés, faisant l'objet d'un contrôle et d'un suivi aléatoires

L'organisation de ces sessions relève de l'initiative des responsables d'établissement . Ce point a été souligné par Anita Tostivint (Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles), qui a rappelé la relative autonomie de chaque établissement s'agissant de l'organisation de ces modules. Celle-ci dépend donc de la sensibilisation des chefs d'établissement aux problématiques de l'égalité entre filles et garçons et de leurs choix concernant les priorités à prendre en compte dans leur projet.

De ce fait, en dépit de l'intérêt certain des ateliers, que la rapporteure a pu apprécier au cours de deux déplacements (à Villetaneuse et à Savigny sur Orge 133 ( * ) ), essentiellement en raison de la très forte implication des personnels et des bénévoles qui y participent, on peut déplorer que tous les élèves, loin s'en faut, n'en bénéficient pas, ou qu'ils y participent de manière très épisodique.

Or le déplacement au collège Jean Vilar de Villetaneuse, le 26 mars 2014, a confirmé l'intérêt non seulement de ces actions de sensibilisation, mais aussi de leur régularité . Les élèves avaient en effet déjà auparavant participé à un atelier de sensibilisation par le théâtre qui avait manifestement porté ses fruits, tant semblait acquise leur compréhension des enjeux de l'inégalité entre hommes et femmes, s'agissant notamment des violences et des discriminations dans la vie professionnelle.

Confier le contrôle de ces modules de formation consacrée à l'égalité et d'éducation à la sexualité aux inspecteurs de l'enseignement semble une piste à examiner, de même que la constitution du comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) 134 ( * ) prévu par une circulaire de 2003 sous la responsabilité du chef d'établissement.

Les interlocutrices rencontrées au collège Jean Vilar de Villetaneuse ont estimé que la constitution de ce comité ne figurait pas dans tous les projets d'établissement. Or ce comité permettrait de coordonner les initiatives mises en place en matière d'éducation à la sexualité et de prévention des risques.

La délégation recommande donc :

- l'adoption, par le Sénat, des modifications apportées par l'Assemblée nationale aux articles L. 312-16 et 312-17-1 du code de l'éducation (articles 15, 15 bis A et 15 bis de la proposition de loi),

- que les chefs d'établissement organisent obligatoirement ces ateliers d'éducation à la sexualité et d'information sur l'égalité et que les moyens leur soient attribués pour cela,

- et la mise en place d'un suivi de ces séances.

3. Deux orientations à mettre en oeuvre : l'intégration de l'égalité entre filles et garçons aux programmes d'enseignement et la généralisation des ABCD de l'égalité
a) La nécessaire intégration de ces modules d'information sur l'égalité aux programmes d'enseignement

Chacun est conscient de la multiplication des thèmes à aborder dans le cadre de l'enseignement primaire et secondaire : on le sait bien , il n'y aura jamais assez de temps scolaire pour traiter tous les sujets importants à la formation des futurs citoyens.

La suggestion, formulée devant la commission spéciale de l'Assemblée nationale par la présidente de l'Amicale du nid, qui appelait à une intégration, dans l'enseignement et donc dans l'ensemble des programmes, dans toutes les disciplines, de la problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes , semble donc une piste à examiner.

Ernestine Ronai a exprimé une suggestion comparable lors des échanges de vues auxquels la rapporteure a participé lors de son déplacement au collège Jean Vilar de Villetaneuse, le 26 mars 2014.

Une telle évolution semble souhaitable pour assurer une sensibilisation homogène sur l'ensemble du territoire, pour tous les élèves , aux questions d'égalité entre filles et garçons et entre hommes et femmes.

Ces thématiques doivent donc, selon la délégation, intégrer les programmes d'enseignement en cours d'élaboration et, en conséquence, les manuels scolaires.

Comme l'a rappelé Virginie Houadec, conseillère pédagogique auprès de l'Inspection de l'Éducation nationale Toulouse-rive gauche à la délégation le 15 mai 2014, lors de la table ronde sur la formation des enseignants à la problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes 135 ( * ) , la problématique de l'égalité doit « être injectée dans toutes les disciplines », littéraires comme scientifiques, sans omettre l'éducation physique et sportive qui doit être un « point de vigilance » ; l'égalité doit « irradier tous les paliers » de l'éducation (CE1, CM2 et troisième).

Lors de cette table ronde, Gisèle Jean, professeure de sciences économiques et sociales, a fait observer une diminution du nombre d'heures consacrées à l'enseignement des stéréotypes masculins et féminins au lycée, dans le cadre de cette discipline (cet enseignement serait passé de 3 heures en classe de seconde à un enseignement non obligatoire). Ce constat indique que des marges de progression existent dans ce domaine par rapport à la situation actuelle.

S'agissant de l'éducation à la sexualité et de la sensibilisation au respect que se doivent mutuellement des partenaires égaux, on peut penser que les SVT et l'éducation civique puissent en en constituer les supports privilégiés.

Sur ce dernier point, une circulaire du 21 mai 2009 136 ( * ) rappelle l'importance de l'éducation civique dispensée aux élèves . Cette matière permet en effet d'aborder les questions relatives à l'esclavage et à la traite des êtres humains, qui en constitue une facette actuelle : elle peut donc aussi être le vecteur d'un enseignement sur les risques liés à la prostitution parmi les violences sexuelles proscrites par la loi française. Les SVT sont à l'évidence une autre discipline à privilégier pour constituer le cadre de cet enseignement.

La délégation souhaite donc que l'éducation à l'égalité s'insère dans les programmes d'enseignement de l'école, du collège et du lycée, et dans toutes les disciplines.

b) Veiller à la généralisation des ABCD de l'égalité

Sensibiliser les enfants à l'égalité entre filles et garçons devrait être entrepris dès le plus jeune âge , car les représentations s'ancrent dès l'enfance : l'assignation des rôles et la fabrication des préjugés doivent être combattus pendant la petite enfance. Il est essentiel que, dès le plus jeune âge, les filles et les garçons apprennent à se respecter mutuellement. Un effort est nécessaire car l'égalité est une valeur fondamentale qui conditionne la possibilité de vivre ensemble.

Rappelons que ce projet, exposé par Najat Vallaud-Belkacem à la délégation lors de son audition du 31 octobre 2013, ne vise pas à ajouter de nouveaux modules de cours aux programmes scolaires.

L'objectif des ABCD de l'égalité est de permettre aux professeurs, au sein des programmes officiels existants (sciences, éducation physique et sportive, maîtrise de la langue, histoire, langues vivantes, etc...), de faire prendre conscience aux enfants des limites qu'ils se fixent eux-mêmes, de lutter contre les phénomènes d'autocensure encore très courants du fait des stéréotypes masculins et féminins, et de leur donner confiance en eux pour leur permettre de grandir dans le respect de l'autre.

Nicole Abar, chargée du suivi des ABCD, l'a rappelé lors de la table ronde du 15 mai 2014, précédemment évoquée, sur la formation des enseignants à la problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes : la priorité de l'école de la République doit être de « travailler sur le vivre ensemble, sur l'estime de soi de chaque individu » et sur les valeurs fondamentales comme la tolérance.

Elle a estimé indispensable et urgent de mettre en place ces formations pour les enseignants et d'y travailler dès la maternelle, citant entre autres défaillances très concrètes significatives à corriger :

- la relégation des filles à la périphérie des cours de récréation, investies principalement par les garçons, aux dépens de la motricité des filles ;

- le fait que les filles, dans le cadre d'exercices de dessin collectifs (réalisation de fresques, par exemple) ne poussent pas les autres, attendent leur tour et réalisent des dessins très petits par rapport à ceux des garçons.

Dans cet esprit, l'exemple évoqué par les responsables du Planning familial rencontrées par la rapporteure, des « cercles de parole » inspirés d'une méthode d'aide à la communication mise au point au Québec et testés dans certaines maternelles en France semble de nature à aider les enfants à développer la communication au sein de la classe dans un esprit favorable à la culture de l'égalité 137 ( * ) .

Parmi les notions que les enseignants sont invités à travailler figure, si l'on se réfère au contenu d'une session de formation organisée le 4 février 2014 en Seine-Saint-Denis et commentée par Le Point 138 ( * ) , le fait qu'ils ne « font pas classe aux garçons comme aux filles, souvent au détriment de ces dernières, plus discrètes : « Je me suis rendue compte que je donnais toujours la parole aux garçons parce qu'ils la réclament plus fort », témoigne [une enseignante]. »

Les ABCD de l'égalité visent ainsi, comme l'a souligné Nicole Abar devant la délégation, une « approche pragmatique de l'égalité entre filles et garçons ». Les conséquences en chaîne des ABCD peuvent être considérables en améliorant les rapports entre garçons et filles au collège voire, à terme, en encourageant la diminution des violences conjugales. En d'autres termes, pour Nicole Abar, il s'agit de « travailler avec les élèves à créer le monde de demain ».

L'effort mis en oeuvre dans le cadre des ABCD doit cibler de manière privilégiée les élèves de la maternelle et du primaire : comme l'ont relevé divers interlocuteurs de la délégation, au lycée, il est déjà trop tard. Selon Nicole Abar, aborder les inégalités entre garçons et filles sous l'angle de l'orientation est le signe que l'on prend conscience du problème trop tardivement.

L'idée est d'aider à porter un regard critique sur les stéréotypes qui induisent des comportements négatifs et qui sont porteurs d'inégalités entre filles et garçons, et donc, si l'on se projette dans l'avenir, entre hommes et femmes. La réalité des ABCD est, par conséquent, étrangère à la présentation caricaturale que certains de leurs détracteurs en ont faite, au nom d'une notion de « genre » mal comprise, dans le cadre d'une regrettable polémique.

Les ABCD de l'égalité visent donc à permettre à chacun, fille ou garçon, d'exercer les activités qu'il ou elle souhaite sans qu'on lui oppose le fait d'être une fille ou un garçon. Il ne s'agit pas d'obliger, contre leur gré, les garçons à faire de la danse et les filles à jouer au football, mais d'élargir les possibilités d'épanouissement de chacun...

Les premiers retours de terrain semblent très positifs. Ils révèlent un véritable impact de ces formations sur la manière dont les enseignants envisagent leur travail et se projettent dans leurs missions.

Au moment où le présent rapport s'élabore, les ABCD de l'égalité se situent encore au stade de l'expérimentation dans une dizaine d'académies 139 ( * ) ; ils devaient faire l'objet d'une évaluation à la fin du semestre. De celle-ci dépend la décision de généraliser le programme de formation à la rentrée 2014.

c) Faire de la formation des enseignants aux problématiques de l'égalité entre garçons et filles, entre hommes et femmes une priorité

Il ressort de la table ronde du 15 mai 2014 précitée sur la formation des enseignants à la problématique de l'égalité entre femmes et hommes 140 ( * ) que cette formation est à l'heure actuelle insuffisante .

Certes, parmi les compétences exigées de tous les enseignants figurent la lutte contre les discriminations et la mobilisation contre les stéréotypes, pour l'égalité entre hommes et femmes.

La formation aux problématiques de l'égalité entre hommes et femmes relève tant de la formation initiale que de la formation continue. Elle est d'ailleurs inscrite dans la loi sur la refondation de l'école qui a inséré dans le code de l'éducation l'article L. 721-2.

S'agissant de la formation initiale , il semble que la formation à l'égalité soit abordée de manière différente selon les ESPE (écoles supérieures du professorat et de l'éducation) et que le ministère de l'Éducation nationale ne dispose pas d'un véritable tableau de bord des enseignements à l'égalité dans les ESPE. Il semble urgent de déterminer clairement pour toutes les écoles le nombre d'heures dédié à cet enseignement et le contenu de celui-ci.

Ce constat de disparité vaut aussi pour les plans de formation élaborés par les académies, qui peuvent différer d'une académie à l'autre. Cette situation paraît préoccupante. De manière générale, l'une des conclusions de cette table ronde est que l'enseignement des valeurs ne semble pas prioritaire actuellement dans le cadre de la formation initiale.

Par ailleurs, il a été observé que les jurys de concours ne prennent pas systématiquement en compte la dimension de l'égalité entre hommes et femmes, ce qui est regrettable.

S'agissant de la formation continue , les informations transmises par le ministère de l'Éducation nationale (Direction générale de l'enseignement scolaire, DGESCO) font état de la réorganisation actuelle de la « formation des formateurs » et de l'effort dont fait l'objet la constitution et la professionnalisation du vivier de formateurs.

À cet égard, les participantes à la table ronde du 15 mai 2014 ont présenté un état des lieux mitigé de la situation actuelle. Nicole Abar, chargée du suivi des ABCD de l'égalité, a relevé que 95 % des enseignants affirmaient n'avoir jamais été formés à l'égalité, 5 % ayant bénéficié d'une formation dans un cadre associatif. Elle a donc considéré comme une priorité la formation des enseignants, des formateurs et des cadres de l'Éducation nationale , notant l'importance de l'analyse de la pratique et de l'accompagnement de chaque enseignant , à partir de ses relations avec les élèves (Comment note-t-on ? A qui donne-t-on la parole ?).

La délégation demande :

- la généralisation des ABCD de l'égalité à tous les enseignants du primaire (maternelle et élémentaire) et du secondaire, pour que l'école reste - ou devienne - le lieu de la transmission des valeurs d'égalité et de respect entre les filles et les garçons ;

- que la formation initiale et continue des enseignants comporte obligatoirement cette dimension, ce qui suppose que les conséquences des ABCD de l'égalité soient tirées dans les plans académiques de formation, dans l'organisation des ESPE et dans les concours de recrutement et que l'accompagnement de chaque enseignant fasse l'objet d'un effort particulier.

La délégation aux droits des femmes considère :

- que la prostitution est avant tout une violence qui s'exerce contre les femmes et dont les enfants sont également des victimes ;

- qu'aucune pulsion sexuelle n'autorise à acheter des services sexuels ;

- que la prostitution ne saurait être assimilée à une activité professionnelle ;

- qu'il est inacceptable de justifier la prostitution par la liberté sexuelle et que celle-ci ne saurait en aucun cas passer par la marchandisation d'un corps ;

- que la liberté sexuelle suppose le désir partagé de partenaires consentants et égaux ;

- et que c'est en réalité la question, beaucoup plus large, de l'égalité entre hommes et femmes que pose le débat sur la prostitution.

La prostitution est en effet la manifestation la plus inacceptable de l'inégalité entre hommes et femmes, car elle repose sur l'idée que les hommes auraient le droit de disposer du corps des femmes pour satisfaire des pulsions sexuelles considérées à la fois comme licites et irrépressibles.

L'objet de la loi en discussion est simple. Il s'agit de dire quelle société nous souhaitons : une société où l'on peut acheter des services sexuels pour assouvir de prétendus « besoins sexuels », ou une société d'égalité entre hommes et femmes dans laquelle se rencontrent des désirs partagés et libres, dénués de violence ?

La prostitution, génératrice de violences, ne peut qu'y faire obstacle. Notre pays doit donc consacrer un effort particulier à la prévention de la prostitution à travers l'éducation à l'égalité dans le cadre scolaire, dès le plus jeune âge.


* 123 Idem, p. 255.

* 124 Voir le compte rendu du 27 février 2014. Selon les informations transmises sur ce point par le Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, le CSIS a été dissous par le décret n° 2014-132 du 17 février 2014, ses missions étant reprises par la commission Santé du Haut conseil à l'égalité.

* 125 Voir le compte rendu du 27 février 2014.

* 126 Voir en annexe le compte rendu de cet entretien avec la rapporteure, le 25 mars 2014.

* 127 Voir le compte rendu en annexe.

* 128 L'éducation à la sexualité, entre psychologie des différences, santé sexuelle et protection de la jeunesse. L'égalité introuvable ? Commentaire. Sciences sociales et santé, 2013/4 vol. 31, pp. 97-105.

* 129 Eduscol.education.fr/educsex, août 2008.

* 130 Roland Courteau a été désigné à l'unanimité rapporteur sur le thème de travail annuel consacré aux stéréotypes féminins et masculins dans les manuels scolaires, le jeudi 6 février 2014.

* 131 Voir le compte rendu du 6 novembre 2013, p. 266.

* 132 Voir le compte rendu en annexe.

* 133 Voir en annexe les comptes rendus de ces déplacements.

* 134 Ce comité réunit les personnels de l'établissement (enseignants, personnels de santé, personnels sociaux, le référent police, des représentants des parents d'élèves et des élèves ainsi que les représentants de la commune et de la collectivité de rattachement).

* 135 Réunion organisée dans le cadre de la préparation du rapport d'information présenté par M. Courteau au nom de la délégation sur les stéréotypes masculin et féminin dans les manuels scolaires.

* 136 Circulaire n° 2009-068 du 20-5-2009 MEN - DGESCO.

* 137 Voir le compte rendu en annexe.

* 138 Le Point, 13 février 2014 : Les ABCD de l'égalité, c'est elle !

* 139 Bordeaux, Clermont-Ferrand, Créteil, la Corse, la Guadeloupe, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz, Rouen et Toulouse.

* 140 Organisée dans le cadre de la préparation du rapport d'information sur les stéréotypes dans les manuels scolaires.

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