OUVERTURE

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je vous souhaite, à tous, au nom de Jean-Pierre Bel et de tous nos collègues de la commission des lois - car ce colloque procède de l'initiative de cette commission - la bienvenue au Sénat.

Nous avons vécu un certain nombre d'événements marquants au cours des derniers mois. D'abord, la loi de programmation militaire. Son article 13, devenu article 20, a été voté par de larges majorités au Sénat puis à l'Assemblée nationale. Notre objectif était de mettre en oeuvre des avancées en termes de contrôle et de liberté par rapport à la loi de 1991. Pendant un mois après le vote de la loi, rien ne s'est produit. Et puis l'Association des services Internet communautaires (ASIC), qui rassemble les majors du net comme Google, Yahoo ou Facebook, publie un communiqué prétendant que cette loi menaçait les libertés. Or le débat avait eu lieu dans les deux chambres sans soulever aucune critique de cette nature - vous direz que je récris l'histoire... Ce communiqué a été suivi par un autre, et encore un autre... La télévision et la radio ont organisé des débats ; la Ligue des droits de l'homme, dont je suis membre depuis quarante ans, s'est alarmée à son tour.

Or dans cette loi, nous n'avons fait qu'accroître les protections. Je précise que l'article 20 traite du contenant et non du contenu. En outre, les critiques confondent les écoutes administratives et judiciaires.

Il faut que les services de renseignement soient efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Nous y sommes attentifs. Mais nous sommes aussi les gardiens des libertés et de la vie privée. Il y a là deux exigences auxquelles nous tenons. Et nous tenons autant à l'une et à l'autre.

On nous reproche d'étendre le champ des interceptions administratives à l'action économique. Ceux qui s'en émeuvent devraient se replonger dans la loi de 1991 qui le prévoyait déjà. Les fadettes ne demeurent accessibles qu'après autorisation écrite du Premier ministre. Et la géolocalisation est conditionnée - innovation ! - à une demande écrite et motivée faite au Premier ministre. Nous sortons ainsi de la loi de 2006, qui était une loi de circonstance, pour stabiliser le dispositif. Rien donc dans ce que nous avons voté ne porte atteinte aux libertés, tout au contraire.

Cette loi a été suivie par celle relative à la géolocalisation, rendue nécessaire par deux décisions de la Cour de cassation. À nouveau nous avons travaillé et avons eu le sentiment de renforcer la protection des libertés. Nous avons décidé que la géolocalisation ne serait possible que pour les infractions punies de cinq ans d'emprisonnement parce que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) la limite aux infractions « d'une particulière gravité ». Nous avons rendu, en outre, le contrôle du juge obligatoire sous quinze jours - tout cela procède de l'arrêt Uzun de la CEDH. Nous avons autorisé l'Officier de police judiciaire (OPJ) à procéder à un géolocalisation en cas de risque de disparition des preuves. Nous avons renforcé considérablement les garanties en ce qui concerne les intrusions dans le domicile privé en exigeant l'accord du procureur et du juge des libertés et de la détention pour que la géolocalisation puisse y être possible. Enfin, nous avons trouvé une formulation raisonnable sur le « double dossier ».

La loi sur la géolocalisation renforce donc les contrôles et les pouvoirs du juge, et protège mieux les libertés. Nous avons, en outre, voté la semaine dernière un nouveau projet de loi qui conforte les droits de la défense.

La délégation parlementaire au renseignement, qui travaille beaucoup, s'est penchée sur l'affaire Snowden et ses conséquences. Le président de la République, que nous sommes allés voir, s'est engagé à ce que la coopération entre les services français et américains ne porte que sur ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et la violence organisée ainsi que la défense des intégrités territoriales. Nous avons remis au président de la République un rapport. Son contenu n'est pas intégralement public, secret défense oblige, mais l'un de ses paragraphes mérite l'attention. Je le lis : « Notre pays ne dispose pas à ce jour d'un véritable régime juridique complet définissant avec précision les missions et les activités des services de renseignements ainsi que les moyens dont ils disposent, et prévoyant les modalités de leur encadrement et de leur contrôle ». Cela veut dire que notre activité de renseignement nous avons salué les agents des services qui se dévouent sans relâche et avec courage, dans des conditions souvent périlleuses n'est pas suffisamment encadrée. Soyons clairs : le dispositif législatif actuel est insuffisant. Nous avons besoin d'une nouvelle loi.

Notre logique diffère de celles des services américains : nous refusons la captation massive et indifférenciée de données et nous considérons que la recherche du renseignement doit être ciblée.

J'ajoute que les interceptions administratives sont contrôlées par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), dont les moyens sont notoirement insuffisants. De son côté, le rapport Urvoas-Verchère préconise la création d'une inspection. Il faut, indiscutablement, faire plus et mieux.

Je le répète : Le législateur doit avoir deux soucis majeurs : lutter contre la menace terroriste, la violence organisée, les atteintes à l'intégrité territoriale, les autres atteintes à la Nation, et protéger les libertés, le respect dû à la vie privée et les données personnelles. Ce sont deux impératifs majeurs.

Vous avez suivi l'actualité, vous savez les travaux de la CNIL, le débat relatif au droit à l'oubli - de récentes décisions de justice ont fait avancer les choses - qu'il faut concilier avec la conservation nécessaire de traces historiques, etc.

En un mot, sur toutes ces questions, les débats sont multiples. Et il faut absolument faire évoluer notre législation et nos textes réglementaires afin de prendre en compte les évolutions considérables que nous connaissons dans tous ces domaines en gardant toujours les mêmes objectifs : lutter contre le terrorisme ET protéger les libertés.

Cette journée d'étude a pour objet d'aborder ces problèmes avec tous les acteurs et partenaires concernés, dans leur grande diversité, de vous écouter et de réfléchir ensemble aux nouvelles législations nécessaires.

Je vous remercie sincèrement d'avoir bien voulu accepter d'y participer.

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