N° 708

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) par le groupe de travail sur les Évolutions stratégiques des États-Unis : quelles conséquences pour la France et pour l' Europe ? (2),

Par MM. Jean-Louis CARRÈRE, Robert del PICCHIA, Mme Josette DURRIEU et M. Alain GOURNAC,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; MM. Pierre André, Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, M. Gaëtan Gorce, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava .

(2) Ce groupe du travail est composée de : M. Jean-Louis Carrère président ; M. Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, M. Alain Gournac.

AVANT-PROPOS

«Just because we have the best hammer does not mean that every problem is a nail»

«Détenir le meilleur marteau ne signifie pas que chaque problème est un clou »

Barack Obama, West Point 28 mai 2014

Les États-Unis sortent d'une décennie d'engagement militaire et de la crise économique avec une vision renouvelée de leur rôle sur le plan international. Vision renouvelée mais loin d'être partagée. Celle d'un Président en proie aux critiques d'un Congrès polarisé comme jamais. Une vision encore un peu floue, qui se dessine à travers des déclarations, des documents et des actes, mais qui parfois doit composer avec la réalité brutale de l'actualité internationale au prix de nombreuses contradictions et avec l'inertie propre à l'énorme appareil diplomatique et de défense américain dont les objectifs ne peuvent être changés instantanément.

Cette vision, nous la présentons telle que nous l'avons perçue à travers les entretiens que nous avons conduits à Washington et la lecture d'une abondante littérature publiée aux États-Unis 1 ( * ) et en France 2 ( * ) . Nous sommes conscients du biais et de la déformation qu'induit notre culture propre et notre inculture américaine, mais les relations internationales valent autant par le ressenti et l'interprétation des autres, partenaires ou adversaires, que par leur expression directe.

Marqués par un engagement militaire important - le plus important depuis le Vietnam - en Afghanistan et en Irak, par une crise économique sans précédent depuis la Grande Dépression des années 1930 et par une division politique profonde, les États-Unis doutent.

La chute du mur de Berlin les avait laissés seuls, sans adversaire à leur taille et surtout sans adversaire proposant une autre vision du monde. D'aucuns parlaient d'un monde unipolaire et d'un hégémon américain fondé sur les principes de l'économie libérale et les droits de l'homme, sur la puissance du dollar comme monnaie de référence et sur une force militaire qui gendarmerait le monde.

Le 11-septembre 2001, la réalité d'une menace asymétrique, non étatique, a été douloureusement perçue, suscitant une réaction vigoureuse, surdimensionnée peut-être, pour réaffirmer la force des États-Unis, mais cette réaction les a affaiblis sur le plan humain, sur le plan moral, sur le plan militaire et sur le plan économique. D'où cette volonté du Président Obama de reconstruire la Nation et dans un second temps de penser à l'expression de son rôle sur la scène internationale, à sa mission et aux modalités d'usage de sa force.

Dans un monde multipolaire qui se construit progressivement, les États-Unis redéfinissent leur place - une place compatible avec l'émergence d'autres puissances en devenir - et leur rôle : la « Nation indispensable » pour préserver la paix, prévenir les conflits et assurer la liberté de circulation, qui doit influer par sa diplomatie, nouer des alliances, prendre part à la construction d'un droit international, mais qui ne peut tout faire : aux États concernés par les conflits et les crises d'assurer premièrement et pleinement leurs responsabilités. Les États-Unis continueront à intervenir dans le monde, mais de façon plus réaliste, moins idéologique et à façonner le monde, mais par l'influence plus que par la force.

Enfin, le rééquilibrage des modes d'action se combine au rééquilibrage des priorités géographiques qui confirme, ce qui n'est que la conséquence de l'évolution de la concentration des richesses et des opportunités, une réorientation progressive vers l'Asie et le Pacifique, présentée de façon un peu maladroite comme un pivotement. Les États-Unis prêteront plus d'attention et alloueront davantage de moyens à cette zone, ce qui ne signifie pas qu'ils se désintéresseront des autres parties du monde, notamment de celles où ils sont engagés.

Certains critiqueront cette nouvelle attitude comme l'aveu d'une faiblesse qui enhardira les adversaires et dès lors inquiètera les partenaires et alliés. C'est sans doute tragiquement vrai sur le court terme. Il est moins sûr que cela le soit sur le long terme, car les États-Unis restent puissants et disposent d'autres moyens que la force brutale pour assouplir ce qui est raide et rendre droit ce qui est tordu. Mais il est vrai que la survenance de crises et la nécessité de les résoudre, souvent et de façon optique dans l'instant, obligent parfois à des retours en arrière et à des contradictions par rapport à la vision initiale, l'impasse irakienne en fournit un édifiant exemple.

Confrontés à ces changements, les partenaires et alliés des États-Unis doivent se poser trois questions auxquelles nous essaierons de répondre au terme de cette analyse. Ce changement porté par le Président Obama et son équipe est-il pérenne ? Quelles conséquences faut-il en tirer pour ajuster notre diplomatie et notre outil militaire ? Comment faire évoluer, dans ce contexte, nos alliances qu'il s'agisse de l'Union européenne ou de l'OTAN ?


* 1 Discours du Président Barack Obama à l'Académie militaire de West Point 28 mai 2014.

Version officielle en anglais : http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/05/28/remarks-president-west-point-academy-commencement-ceremony, en vidéo : http://www.whitehouse.gov/blog/2014/05/28/america-must-always-lead-president-obama-addresses-west-point-graduates, traduction en français : http://www.voltairenet.org/article184030.html

Quadrennial Defense Review 2014 : résumé exécutif en français http://www.defense.gov/home/features/2014/0314_sdr/qdr/docs/2014-QDR-EXSUM-in-French-final.pdf, Texte intégral en anglais : http://www.defense.gov/pubs/2014_Quadrennial_Defense_Review.pdf

Defense Strategic Guidance 2012 : Sustaining U.S. global leadership, priorities for 21 st century defense: http://www.defense.gov/news/defense_strategic_guidance.pdf

* 2 On se reportera également aux travaux en français de Laurence Nardon, directrice du programme « États-Unis » de l'IFRI : http://www.ifri.org/?page=detail_chercheur&id=63&section=contributions et de Maya Kandel, responsable du programme États-Unis à l'IRSEM (Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire et notamment à son blog Froggy Bottom : http://froggybottomblog.com/tag/maya-kandel/

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