IX. JAPON

Q1/- Les monnaies virtuelles ont-elles fait l'objet de débats, de travaux (rapports, auditions publiques, etc.), de prises de position publiques ou politiques ? Avez-vous identifié des réflexions en cours sur le sujet ? Des think-tanks sont-ils actifs sur le sujet ?

Le sujet de la monnaie virtuelle ne suscite que peu d'engouement au Japon, en dehors de l'affaire « Mt. Gox » de février dernier (voir également la note du SER de Tokyo « La faillite de Mt. Gox : quelle régulation et supervision japonaises pour le Bitcoin » de mars 2014) :

L'importance des monnaies virtuelles est en réalité limitée dans le pays (seulement 15 magasins acceptaient les paiements en bitcoins fin 2013 sur tout le territoire). Il est clairement apparu que Mt. Gox n'avait que peu de clients japonais (au mieux quelques milliers) et que son lien avec le Japon était surtout sa localisation géographique à Tokyo.

De fait, l'écho médiatique de la faillite de la plateforme Mt. Gox a surtout été provoqué par les suites judiciaires engagées en Amérique du nord et, au Japon, par les attaques d'un parlementaire de l'opposition, Tsutomu Okubo. Ancien vice-ministre des finances et très impliqué sur ce sujet, celui-ci a interrogé à plusieurs reprises le gouvernement, l'obligeant ainsi à prendre publiquement position. En réponse, le gouvernement a officiellement déclaré le 7 mars qu'il considère que le bitcoin n'est pas une monnaie, mais que les transactions en bitcoin peuvent être taxées dans le cadre réglementaire actuel (taxe sur la consommation et impôt sur le revenu et sur les sociétés). Le débat public n'a pas davantage été soutenu, les autorités restant factuelles et prudentes, signalant simplement qu'elles « se penchaient » sur la question.

Aucun think tank n'est actuellement actif sur la monnaie virtuelle : sa faible importance économique et sociale dans le pays ne justifie pas l'intérêt des centres de recherche. Koji Sakuma, chief economist du centre de recherche de la Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ (la plus importante banque du pays), auteur d'un récent rapport sur le bitcoin , nous confie que la parution de son rapport peu de temps avant l'affaire Mt. Gox n'est qu'un concours de circonstance et qu'il n'envisage pas de poursuivre davantage ses travaux sur le sujet (« this was my first and probably last report on bitcoins »).

Q2/- Les autorités publiques se sont-elles montrées plutôt favorables ou circonspectes sur les monnaies virtuelles, notamment le bitcoin ?

Avant même le coup de projecteur très défavorable provoqué par la faillite de Mt. Gox , les autorités se sont toujours montrées réservées à l'égard du bitcoin . Selon M. Sakuma, cette méfiance s'explique d'abord par le rôle potentiel des monnaies virtuelles dans le blanchiment et le financement occulte 54 ( * ) . M. Sakuma explique que l'inconvénient principal du bitcoin comme moyen de paiement est, d'une part sa forte volatilité contre cours légal (cotation sur les plateformes d'échange type Mt. Gox ), et d'autre part sa faible liquidité compte tenu de la fréquence des transactions (à peine 50 par minute, contre plus de 1000 pour le système Visa).

En définitive, les autorités ont donc une approche plutôt conservatrice. Elles n'envisagent pas la monnaie virtuelle comme un catalyseur possible du développement des marchés et de l'économie japonaise en général, et se satisfont du faible engouement de la population en la matière.

Q3/- Certains acteurs des monnaies virtuelles mènent-ils un travail de lobbying auprès des institutions publiques (administrations, Parlement, régulateurs) ? Si oui, quels sont les arguments mis en avant ? Quelles sont leurs demandes ?

Il n'y a aucun travail de lobbying.

Q4/- Les monnaies virtuelles font-elles l'objet d'une définition légale ? Des évolutions légales ou règlementaires sont-elles envisagées ? Si oui, préciser les principales dispositions.

La position des autorités est très claire : ce n'est pas de la monnaie et elles n'ont aucune définition légale.

Aucune évolution légale ou règlementaire n'est envisagée à ce stade, ni vers davantage de restriction, ni vers davantage de souplesse. Les autorités veulent surtout garder leurs distances en espérant que le sujet restera marginal (selon M. Sakuma et des contacts à la BOJ).

Q5/- Les régulateurs sont-ils intervenus pour encadrer l'utilisation des monnaies virtuelles ? Les plateformes dédiées à l'utilisation de ces monnaies sont-elles soumises à des obligations spécifiques ?

La loi bancaire japonaise interdit aux établissements de prendre en dépôts ou effectuer des transactions par l'intermédiaire de bitcoins .

Les autorités seraient officiellement en train d'approfondir le sujet (« fact finding »), mais des contacts au sein de l'administration nous confirment leur réticence de principe à réguler (et donc reconnaître) la monnaie virtuelle. Le sous-gouverneur de la Banque du Japon, Hiroshi Nakaso, nous confie qu'il estime que la monnaie virtuelle serait impossible à superviser si elle venait à être régulée. Dès lors il préfère chercher à rendre le système de paiement classique plus « compétitif » [en réduisant les coûts de transactions notamment] afin de prévenir le développement des monnaies virtuelles, plutôt que de chercher à les réguler.

Q6/- Les administrations fiscales ont-elles pris position sur la nature des monnaies virtuelles et, partant, sur les conséquences fiscales qui y sont attachées ?

Oui. Compte tenu des textes actuels, l'administration fiscale estime que les transactions en bitcoins sont taxables en théorie (taxe à la consommation et impôt sur le revenu et sur les sociétés).

Leur approche est néanmoins passive dans la mesure où cette imposition reste sur des bases déclaratives (déclaration des transactions en bitcoins par les contribuables) : la National Tax Agency n'a ainsi pas montré d'appétence particulière pour la recherche active de ces transactions (dans la pratique difficiles à tracer) en vue de leur taxation. Les efforts à fournir ne seraient pas en adéquation avec le faible volume de ces transactions.

Q7/- Les autorités publiques ont-elles entrepris des actions d'information ou de prévention vis-à-vis des épargnants ou des consommateurs ?

Aucune campagne proactive n'a été entreprise.

Q8/- Constate-t-on une progression des investissements (publics ou privés) en matière de monnaies virtuelles ?

Aucune progression significative n'a été observée : la demande reste faible.

Commentaires éventuels :

La « menace » du bitcoin évoquée par le sous-gouverneur Nakaso reste largement virtuelle : la forte intégration financière du pays (plus de 96 % de la population de plus de 15 ans dispose d'un compte bancaire 55 ( * ) ) et l'efficacité de son système de paiement (en particulier sur les transactions transfrontalières) réduisent grandement l'attractivité de la monnaie virtuelle. Même si le nombre de commerces à accepter les bitcoins venaient à se multiplier, il est probable que le nombre de transactions effectives en bitcoins resterait très limité. C'est une différence notable avec la Chine. On notera d'ailleurs qu'un quart de la quinzaine d'établissements commerciaux à accepter des bitcoins au Japon sont en fait des écoles de langue chinoises d'après M. Sakuma.


* 54 Le sous-gouverneur de la Banque du Japon, Hiroshi Nakaso, estime pour sa part que le bitcoin est avant tout une menace pour le système de paiement classique.

* 55 Source : Banque Mondiale, 2011 : http://datatopics.worldbank.org/financialinclusion/ .

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