C. LA NÉCESSITÉ DE RENOUVELER LE MESSAGE DES POUVOIRS PUBLICS

Au terme de leurs auditions, vos rapporteurs ne sauraient traiter la lutte contre les discriminations sans évoquer la valeur des symboles et l'importance du message porté par les pouvoirs publics.

Il ressort en effet de leurs travaux qu'en dépit de nombreuses politiques mises en oeuvre pour lutter contre les discriminations, le sentiment qui prédomine est celui d'un désintérêt des pouvoirs publics pour cette question, dont l'incompréhension générale face à la fusion de la Halde dans le Défenseur des droits est la meilleure illustration. Selon plusieurs personnes entendues, cette contradiction proviendrait d'un discours devenu confus à force de proclamer une chose et son contraire : l'égalité de tous sans distinction et la promotion de la diversité.

La répression des comportements discriminatoires n'est pas l'unique solution. Mme Gwenaële Calvès le résumait bien en concluant que « la porte d'entrée ne peut être uniquement le magistrat car l'action contre les discriminations n'est pas seulement répressive » et, pourrait-on ajouter, pas uniquement juridique.

Croyant en « la vertu du discours », M. Thierry Tuot soulignait ainsi que « le problème général de la lutte contre les discriminations est social et non juridique », insistant sur le fait que « les outils juridiques sont périphériques car l'essentiel relève du politique ». Or, comme il le constatait, le discours politique en matière de lutte contre les discriminations a laissé percer un sentiment de fatalité en se réfugiant dans une fuite vers l'administratif. L'annonce de mesures fortes sans résultats concrets commence à exaspérer. Il rejoint en cela M. Roger Fauroux, qui, en introduction du rapport qu'il remit au ministre de l'emploi en 2005, écrivait : « L'intégration des minorités visibles, c'est surtout jusqu'ici un arsenal législatif et réglementaire impressionnant, une série de rapports excellents, enfin un empilement d'institutions auquel les gouvernements successifs ont apporté chacun une strate, le tout, au bout du compte, pour un résultat d'une affligeante médiocrité » 63 ( * ) .

La parole portée par les pouvoirs publics, depuis le chef de l'État jusqu'aux élus locaux, est importante en ce qu'elle pose des valeurs qui sont censées fonder le vivre-ensemble. Ce message ne peut être uniquement reporté sur le secteur associatif, quand bien même il exercerait cette tâche avec soin, car les pouvoirs publics ne peuvent s'exonérer de leur responsabilité.

En outre, il appartient aux institutions, selon l'expression de M. Christophe Bertossi, directeur du Centre Migrations et Citoyennetés à l'Institut français des relations internationales (IFRI), de « trouver un nouveau discours de légitimation politique » pour justifier la lutte contre les discriminations. À cet égard, il invitait, lors de son audition, à « sortir du réflexe consistant à penser que le modèle républicain est un obstacle ou un handicap ». En effet, le modèle républicain a fortement évolué : après avoir intégré la lutte contre les discriminations dans les années 1990, il est désormais perçu comme un frein à cette lutte. Auteur de plusieurs études sur les discriminations dans les institutions publiques (armées, hôpitaux, etc.), il mettait en exergue que « la discrimination n'est pas un sujet en orbite de la vie sociale ». Les institutions chargées de façonner la citoyenneté ne doivent plus produire des discriminations en leur sein : assurer l'égalité et lutter contre les discriminations est une mission de ces institutions.

Les commissions départementales pour la promotion de l'égalité des chances et de la citoyenneté, installées en 2006, n'ont pas permis, sur l'ensemble du territoire, de répondre aux objectifs qui avaient présidé à leur création. Selon les priorités fixées localement par les représentants de l'État, leur réunion peut être plus ou moins épisodique. Certaines n'existent plus que virtuellement. Vos rapporteurs estiment important de relancer cette instance de dialogue entre institutions publiques et entre ces institutions et la société civile.

Enfin, vos rapporteurs regrettent un développement de l'euphémisation des termes employés en matière de lutte contre les discriminations à travers la mise en avant du terme de « diversité ». À cet égard, ils relèvent le paradoxe qu'il y a à vanter la diversité et donc l'exaltation des différences et un discours contre la discrimination, appel à l'indifférence aux différences.

De même, sont-ils réservés face à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale afin de supprimer le mot « race » de la législation. Cacher les mots n'a, pour eux, jamais occulté les réalités ; supprimer le mot « race » ne fera pas disparaître de manière performative le « racisme ».

Le message porté par les pouvoirs publics doit donc être un discours d'affirmation, sans détour et sans ambiguïté.


* 63 La lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l'emploi, rapport remis par M. Roger Fauroux au ministre de l'emploi, 2005.

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