B. UNE MOBILISATION DES ACTEURS PUBLICS

1. La mission Pires-Beaune
a) La priorité donnée au bloc communal

Le Premier Ministre a confié, au début de l'année 2015, une mission parlementaire relative à la réforme des concours financiers de l'État aux collectivités à Mme Christine Pires-Beaune, députée, et à notre regretté collègue Jean Germain, sénateur. Dans la lettre de mission datée du 16 janvier 2015, le Premier ministre rappelle que ces concours représentent 53,2 milliards d'euros et que la dernière réforme d'ampleur date de 2004-2005. Cependant, « des évolutions passées ou en cours, telles que la suppression de la taxe professionnelle intervenue dans la loi de finances pour 2010, la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques sur la période de 2015 à 2017, ou encore la réforme territoriale rendent nécessaire de repenser les concours financiers de l'État aux collectivités pour les faire évoluer, tout particulièrement la DGF. Une réforme (...) sera ainsi proposée par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2016 . »

Plusieurs réunions avec le comité des finan ces locales (CFL) ont été programmées, au cours desquelles Mme Pires-Beaune a présenté l'évolution de ses travaux. Comme elle l'a rappelé lors de la présentation de ses rapports d'étape, la priorité est donnée à la DGF du bloc communal (communes et EPCI) « qui représente près de 60% de l'enveloppe totale de la DGF », avec une perspective de « traduction dans le projet de loi de finances pour 2016 ».

Comme l'indique la présentation de Mme Pires-Beaune devant le CFL réuni le 5 mai 2015, « la mission n'a pas jugé opportun d'ouvrir la discussion à ce stade sur la DGF des départements et des régions ». Pour ce qui concerne le cas des départements, il est précisé que l'évolution de la DGF devrait intervenir « au plus tard dans le projet de loi de finances pour 2017 » .

Lors de la séance de questions cribles évoquée plus haut, la situation difficile des départements a pourtant été rappelée. Notre collègue M. Vincent Eblé a rappelé à cette occasion que les écarts entre départements existent également, et que les bases de calcul datent de 1999, empêchant de prendre en compte la dynamique économique et démographique, ce qui est préjudiciable. « Nous demandons une réforme de la dotation générale de fonctionnement départementale au même rythme que pour les autres échelons ». Le secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale a pourtant confirmé qu'il fallait selon lui commencer par le bloc communal.

Quant à la dotation des régions, Mme Pires-Beaune indique qu' « il conviendra d'évaluer l'opportunité d'une réforme de la DGF des régions une fois connu l'impact des périmètres de la nouvelle carte régionale ».

b) Des pistes mais pas de propositions définitives

Lors de la réunion du CFL le 31 mars 2015, quatre grands principes devant guider la réforme ont été définis :

- « une DGF plus juste » . Les écarts injustifiés doivent être réduits afin que « la DGF soit le reflet des charges et des ressources réelles des territoires et non plus une « rente » justifiée par l'histoire » . La réforme doit veiller à un développement équilibré des territoires en tenant compte des charges de centralité comme des charges de ruralité ;

- « une DGF plus simple et lisible » . Il s'agit de faciliter la lecture et la gestion des dotations, en utilisant des « critères de ressources et de charges robustes et pertinents à long terme ». En outre, l'objectif est également de garantir la transparence des données ( open data ) ;

- « une DGF à l'image des réalités de la gestion sociale » . Ce principe vise à respecter l'identité communale tout en intégrant mieux la dynamique intercommunale ;

- « une réforme soutenable » . Il s'agit d'évaluer correctement l'impact des scenarii de réforme et d'en lisser les effets dans la durée « en veillant à ce que chaque collectivité conserve une dotation de transition suffisante », ayant vocation à s'éteindre au bout de plusieurs exercices.

En outre, quatre pistes de réforme ont été écartées, comme le précise la présentation du 5 mai 2015 devant le CFL :

- une réforme mise en oeuvre de façon différenciée, selon la strate démographique de la commune ou la catégorie juridique de l'EPCI ;

- une DGF exclusivement péréquatrice : une « telle réforme reviendrait sur les finalités historiques de la DGF, qui n'a pas uniquement vocation à réduire les écarts de richesse » ;

- une DGF conditionnée à la mise en oeuvre de politiques publiques de l'État ;

- une DGF conditionnée à des critères de bonne gestion.

Ces deux dernières pistes sont pourtant suivies dans certains pays européens tels que l'Autriche ou l'Italie, où le pacte de stabilité est depuis longtemps décliné dans les collectivités territoriales.

À l'issue de quatre mois de travaux, la mission a identifié cinq leviers de réforme de la DGF du bloc communal, qui doivent désormais être évalués avec des simulations financières rigoureuses. Les leviers sont les suivants :

1) Rénover la dotation forfaitaire des communes et créer une « dotation universelle de fonctionnement » garantie à chacune d'entre elles. L'idée est de financer un socle de services publics de proximité dans toutes les communes. Cette « dotation socle » correspondrait à un montant unique par habitant, quelle que soit la taille démographique de la commune. Trois autres enveloppes seraient créées : une dotation dite « charges de centralité », versée au-delà d'un certain seuil démographique, une dotation « charges de ruralité » pour mieux prendre en compte les charges spécifiques du monde rural et une « dotation de transition » qui aurait vocation à s'éteindre ;

2) Renforcer le ciblage de la péréquation « verticale » et mieux l'articuler avec la péréquation « horizontale » , en procédant à des ajustements des dotations existantes (la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale-DSU et la dotation de solidarité rurale-DSR- seraient rénovées et intégreraient la dotation nationale de péréquation -DNP) ;

3) Créer une DGF des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) , distincte de celle des communes et à l'architecture rénovée proche de la DGF des communes. La solidarité se ferait entre les EPCI et non plus entre communes et EPCI ;

4) Créer une « DGF locale » intégrant une part « territorialisée 5 ( * ) » qui préserve l'autonomie des communes et intègre le fait intercommunal. Elle doit permettre d'appréhender les richesses et les charges de manière consolidée à l'échelle des ensembles intercommunaux ;

5) Réexaminer les critères d'éligibilité et de répartition de la DGF et leur cohérence 6 ( * ) . Il s'agit de simplifier les différents critères de ressources et de charges utilisés pour l'évaluation des dotations (trente critères sont utilisés pour la DGF du bloc communal 7 ( * ) ).

La mission conduite par Mme Christine Pires-Beaune s'interroge sur la possibilité de mener simultanément la réforme de la DGF, la montée en charge de la péréquation « horizontale », la baisse des dotations, la révision des valeurs locatives et la réforme territoriale. Aussi propose-t-elle une pause dans la progression de la péréquation financière et une clause de revoyure à l'occasion de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels et d'habitation.

2. Les associations d'élus locaux
a) Table ronde des associations : les alertes se multiplient quant à la soutenabilité financière des collectivités

Les associations d'élus locaux se sont mobilisées depuis le début de l'année 2015, réagissant à la baisse des dotations mais aussi aux alertes lancées par vos rapporteurs, dont les travaux sont souvent repris.

Plusieurs d'entre elles se sont exprimées à l'occasion d'une table ronde organisée par vos rapporteurs le 17 juin 2015 - à l'exception de l'Association des maires de France qui n'a pas pu envoyer de représentant.

Les échanges ont permis de confirmer les difficultés rencontrées par les élus locaux, en mettant en évidence des situations surprenantes et inquiétantes. La première perspective inquiétante réside dans le sentiment partagé que les cas de collectivités faisant défaut ou sous surveillance d'une chambre régionale des comptes devraient se multiplier .

Pour l'Assemblée des départements de France (ADF), la situation financière est telle que la mise sous tutelle est devenue une « menace sérieuse » . La chute de l'investissement, l'évolution de la capacité de désendettement et l'effet de ciseaux qu'entraîne la hausse des dépenses sociales sont des éléments particulièrement inquiétants.

L'exemple du département du Nord laisse perplexe. À son arrivée à la tête du département, le nouveau président a demandé un audit pour obtenir un bilan rigoureux de la situation. Il a découvert à cette occasion que le budget pour 2015, examiné en décembre 2014, ne prévoyait le financement du revenu de solidarité active (RSA) qu'à hauteur d'onze mois. Cette option aurait été choisie avec le consentement du représentant de l'État, afin de « boucler le budget ». Il a été indiqué à vos rapporteurs qu'en cas d'impossibilité de payer, une convention avec la caisse nationale d'allocations familiales prévoyait le paiement des allocations par cette dernière, évidemment en contrepartie de paiement d'intérêts. Ce choix débouche donc sur un nouvel endettement qui vient alourdir le coût global pour le département, déjà incapable d'intégrer le douzième mois dans un budget équilibré.

Le poids des dépenses sociales a été souligné avec inquiétude par les représentants de l'ADF. Les départements craignent de ne plus pouvoir faire face aux dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité. Dans un communiqué en date du premier octobre 2014, le président de l'ADF indique que « depuis 2002, les départements ont permis à l'État de réaliser 48 milliards d'euros d'économies suite au transfert du versement de l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA), de la prestation de compensation du handicap (PCH) et du revenu de solidarité active (RSA). Depuis douze ans, ils assurent ainsi pour le compte de l'État la solidarité nationale en finançant ces trois allocations individuelles de solidarité sans compensation intégrale de ce dernier tout en continuant de développer toutes les politiques publiques de proximité répondant aux besoins des citoyens (routes, collèges, transport scolaire, etc.). En 2014, cette absence de compensation devrait atteindre 8 milliards d'euros . »

Comme le rappelle le rapport de l'Observatoire des finances locales publié en juillet 2014, « deux tiers des dépenses de fonctionnement sont consacrés aux dépenses d'intervention essentiellement liées aux compétences transférées aux départements. Elles s'élèvent à 38,3 milliards d'euros en 2013, en augmentation de 3,1 %. Les dépenses d'aide sociale en sont la principale constante. (...) La crise économique, commencée en 2008 par la crise financière, et l'augmentation du chômage qui s'en est suivie ont continué à peser fortement sur les charges liées au RSA. L'allocation personnalisée d'autonomie couvre un nombre de bénéficiaires de plus en plus important. Le vieillissement de la population accroît mécaniquement ces dépenses (...) . »

Le graphique ci-après illustre l'évolution de l'APA et la relative stabilité du concours de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Vos rapporteurs notent par ailleurs que la baisse annoncée de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, ayant remplacé la taxe professionnelle) pour les départements constitue également un signal très négatif et s'interrogent sur la soutenabilité du système ainsi envisagé . Rappelons que lors de son discours de clôture du congrès des Régions de France le 26 juin 2015, la ministre de la fonction publique et de la décentralisation a annoncé qu'à partir de 2017, 50 % de la part de la CVAE seraient destinés au financement des régions, pour compenser au moins partiellement le coût de leurs nouvelles responsabilités. Selon la ministre, cela représenterait 3,9 milliards d'euros supplémentaires pour les régions qui perçoivent actuellement 23 % de la CVAE tandis que les départements en perçoivent environ 50 % et les communes 26 %.

La Cour des comptes, dans son rapport public thématique d'octobre 2014, consacré aux finances publiques locales, rappelle que la baisse des investissements des départements a été amorcée dès 2010. Elle ajoute que « la baisse de la CVAE , dont les départements perçoivent 48,5 % du produit national, accentuera la contrainte résultant de l'effet de ciseaux entre la croissance des dépenses notamment sociales et la faible évolution des ressources ».

Vos rapporteurs s'inquiètent des décisions de l'État compte tenu de la situation financière des départements. Déjà identifiés par le cabinet Michel Klopfer comme les collectivités les plus fragiles (avec les villes de plus de 10 000 habitants), les départements vont certainement être davantage étranglés financièrement compte tenu des dernières annonces du Gouvernement .

L'assemblée des communautés de France (AdCF), tout en insistant sur la nécessité de promouvoir la responsabilisation des élus locaux, a précisé que la question était aujourd'hui celle du rythme et de la soutenabilité de la baisse des dotations de l'État . L'association a également souligné la difficulté de dialogue entre communes alors que des situations hétérogènes sont observées sur les territoires, certaines collectivités ayant bénéficié d'une hausse de leurs dotations. La clé de répartition au sein d'un territoire est donc essentielle, ce qui justifierait une DGF locale pour laquelle les charges et richesses seraient analysées à l'échelle des territoires, avant un versement par l'État aux communes.

Des collectivités comme Toulouse Métropole ont dû se résoudre à augmenter les impôts afin de maintenir l'investissement, ce que de nombreuses collectivités soit ne peuvent se permettre soit ont écarté dans le cadre des engagements de campagne électorale, comme à Paris où l'adjoint à la Maire en charge des finances a rappelé que cette option n'était pas envisageable (cf. annexe 2).

Pour l'association des régions de France (ARF), la DGF est « doublement injuste » , compte tenu des efforts respectifs demandés aux collectivités territoriales et à l'État, mais aussi car l'appréciation des recettes réelles ne tient pas compte de la capacité fiscale des collectivités territoriales. L'ARF juge la répartition de la DGF également « aveugle » car ne tenant pas compte de la nature de la dépense publique, alors que le soutien au développement économique assuré par les régions devrait être davantage encouragé. La distinction entre dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement ne semble pas pertinente et l'analyse devrait plutôt identifier les dépenses d'intervention.

Cette position est à rapprocher du commentaire de l'adjoint à la maire de Paris en charge des finances, lors de son audition 8 ( * ) par la Délégation : « nous attendons un certain nombre de mesures de la part de l'État, notamment en matière de normes comptables. Je pense aux amortissements des subventions d'équipement qui pèsent sur les dépenses de fonctionnement alors que ces contributions servent à financer de l'investissement - ordures ménagères ou transports avec le syndicat des transports d'Île-de-France (STIF). Cette règle mériterait à mon sens d'être corrigée, ce qui permettrait de disposer d'autres leviers . »

Si l'ARF reconnaît que la situation des régions est « moins dramatique » que celle des départements ou des communes, elle note tout de même que l'épargne brute des régions est en forte diminution, passant de 21 % en 2014 à 14 % estimés en 2017, tandis la capacité de désendettement va passer de moins de cinq ans à dix ans dans la même période et que la dette va augmenter de 8 %.

Enfin les élus locaux ont globalement noté une méconnaissance des enjeux de finances publiques locales, et une mauvaise appréciation de la crise par les collectivités territoriales. Ils estiment que la répercussion de la baisse des dotations de l'État est aujourd'hui sous-évaluée.

b) L'enquête relative au bloc communal

Une enquête a été menée par l'association des maires de France (AMF), l'association des maires des grandes villes de France (AMGVF), l'association des communautés urbaines de France (ACUF), l'association des petites villes de France (APVF), l'assemblée des communautés de France (AdCF) et l'association Villes de France.

Portant sur le bloc communal, cette étude s'est appuyée sur un panel représentatif de 459 communes et EPCI. L'analyse des résultats indique que le niveau d'investissement est en forte baisse de 21 % à 25 % sur le mandat . Par ailleurs, l'analyse prospective de l'AMF , à partir des données de la direction générale des finances publiques (DGFIP) et de la loi de programmation triennale pour les finances publiques, chiffre la baisse de l'investissement à 25 % entre 2014 et 2017 .

L'enquête évoque également une stabilité relative de la fiscalité locale en 2015. Difficile à évaluer pour les EPCI, les dépenses de personnel augmenteraient de 2 % pour les communes interrogées, notamment pour la mise en place de la réforme des rythmes scolaires.

Dans une note relative à la loi de finances pour 2015, le président de l'Association des Maires de France juge sévèrement les mesures de contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques : « Je ne cesserai d'alerter le Gouvernement sur le caractère insoutenable et inédit de ces mesures, aussi bien par leur ampleur que par le calendrier ».


* 5 Comme l'indique la mission, un dispositif de DGF territoriale optionnel existe mais aucune EPCI ne s'en est saisi (loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales). En outre, des évolutions sur les règles de vote ont été introduites dans la loi MAPTAM de 2014 pour les métropoles et communautés urbaines (passage de l'unanimité à la majorité renforcée).

* 6 La mission évoque la conservation du critère de la population, le recours à un critère de revenu médian, l'amélioration du coefficient d'intégration fiscale (CIF) ou l'introduction d'un coefficient d'intégration et de mutualisation (CIM), etc.

* 7 Il existe par ailleurs quinze critères pour la DGF des départements et neuf pour celle des régions.

* 8 Cf. annexe 2.

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