B. LA NÉCESSITÉ DE PROMOUVOIR UNE « PUBLICITÉ RAISONNÉE » DANS LES MÉDIAS DE SERVICE PUBLIC

1. Une place de la publicité dans l'audiovisuel public qui demeure contestée

La publicité au sein du service public continue à constituer une pomme de discorde entre, d'une part, les tenants de son maintien qui considèrent qu'elle permet d'apporter des ressources alternatives à une hausse de la CAP et, d'autre part, les tenants d'un service public qui serait dépourvu de publicité sur le modèle de la BBC britannique et de la RTVE espagnole, afin de renforcer son identité et de le libérer des contraintes d'audience .

La loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision a supprimé la publicité de 20 heures à 6 heures 147 ( * ) en prévoyant, par ailleurs, que cette suppression en soirée devait être complétée par une suppression totale à compter du 30 novembre 2011 , date de l'arrêt de la télévision analogique. Mais faute de pouvoir financer la compensation de cette fin de la publicité, le gouvernement de l'époque a reporté cette échéance à 2014, avant que cette perspective ne soit abandonnée dans le cadre de la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Le régime actuel de la publicité qui s'applique à France Télévisions ne correspond donc à aucune véritable logique puisqu'il traduit la perpétuation d'une situation transitoire . La publicité a ainsi été maintenue en journée où l'on trouve, en particulier, l'essentiel des programmes destinés à la jeunesse qu'il conviendrait plutôt de protéger face aux effets indésirables de certains messages publicitaires, alors qu'elle a été supprimée en soirée, là où elle est la plus lucrative.

Vos rapporteurs sont convaincus que cette situation n'est pas satisfaisante et qu'elle appelle une évolution . Ils considèrent que l'objectif de suppression totale de la publicité dans les médias de service public conserve toute sa pertinence, mais qu'il est sans doute difficile à atteindre compte tenu de la situation des finances publiques. Ce constat invite à s'interroger sur la situation actuelle au regard, d'une part de l'évolution du marché de la publicité et, d'autre part, de la compatibilité de la publicité avec les valeurs portées par le service public.

Comme indiqué précédemment, l'évolution du marché de la publicité ces dernières années se caractérise par une concentration des investissements des annonceurs sur les programmes de soirée , les investissements en journée qui représentaient 49 % du marché en 2011 n'en représentant plus que 45 % en 2014. Une deuxième tendance concerne la concentration des investissements médias sur un nombre restreint de régies 148 ( * ) qui tend à favoriser les premières d'entre elles (TF1, M6 et Canal+). Par ailleurs, ces régies ont tendance à baisser leurs prix en journée pour préserver leur chiffre d'affaires en soirée. L'ensemble de ces évolutions rend de plus en plus délicate la situation de la régie de France Télévisions qui ne peut proposer des espaces en soirée et qui subit, en conséquence, une érosion de son chiffre d'affaires et ne cesse de reculer sur le marché 149 ( * ) . Le chiffre d'affaires net de la régie de France Télévisions a ainsi baissé de 120 millions d'euros entre 2010 et 2014.

Avant même d'examiner sa pertinence du point de vue de la politique culturelle, vos rapporteurs estiment que la proposition de rétablir de la publicité de 20 heures à 21 heures sur France Télévisions évoquée comme une possibilité par Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, le 8 septembre 2015, mais écartée depuis, ne peut être considérée comme pleinement satisfaisante pour résoudre les problèmes financiers de France Télévisions.

Les recettes publicitaires de la télévision ont en effet connu ces dernières années une orientation très forte à la baisse et rien n'indique qu'elle ne va pas se poursuivre dans les années à venir du fait en particulier du développement de la publicité sur Internet. Une redistribution est par ailleurs à l'oeuvre entre les acteurs et devrait continuer à bénéficier aux nouvelles chaînes de la TNT et, plus généralement, aux grandes régies qui se constituent du fait du mouvement en cours de consolidation du secteur des médias.

La publicité ne peut donc être considérée comme une ressource pérenne et dynamique pour le service public . En l'espèce, un rétablissement de la publicité entre 20 heures et 21 heures constituerait également un mauvais compromis puisqu'on ne voit pas pour quels motifs il ne serait pas possible, dès lors, de rétablir la publicité en deuxième partie de soirée après 21 heures. Soit on considère que la publicité est une bonne chose pour le service public de l'audiovisuel et il convient de la rétablir sans exception, soit on considère qu'elle nuit à l'affirmation d'une identité spécifique et à la poursuite d'objectifs d'intérêt général 150 ( * ) et il convient alors de réfléchir au meilleur moyen d'en limiter l'importance et les aspects les plus dommageables sur les comportements individuels. Comme l'a indiqué la présidente Catherine Morin-Desailly le 9 septembre 2015, « la publicité n'est pas une variable d'ajustement du budget de France Télévisions » 151 ( * ) et son maintien éventuel ou l'évolution de son régime doit s'inscrire dans une réflexion globale .

2. La proposition de promouvoir une « publicité raisonnée » conforme aux valeurs du service public

La publicité est aujourd'hui limitée en quantité sur France Télévisions, mais pas en qualité . Faute de pouvoir envisager sa disparition dans un avenir proche, pour des raisons qui tiennent en particulier à la situation des finances publiques, vos rapporteurs souhaitent proposer l'ouverture d'un débat sur la possibilité de mieux l'encadrer qualitativement , selon une philosophie un peu comparable à ce qui existe déjà sous une forme réduite à Radio France, via la liste des annonceurs autorisés intégrée au cahier des charges. Nul ne peut contester, en effet, que la publicité fait partie de la vie sociale et qu'elle traduit, à sa façon, l'esprit d'une époque et qu'elle permet également de participer à l'information du consommateur. Toutefois, chacun peut aussi constater que la publicité joue également un rôle très contestable lorsqu'elle incite à l'hyperconsommation , lorsqu'elle promeut des produits dont une consommation excessive peut avoir des effets négatifs sur la santé et lorsqu'elle vante les mérites de produits ou de comportements qui ont des effets néfastes sur l'environnement . Il existe aujourd'hui une véritable contradiction entre certains messages publicitaires diffusés sur les antennes de France Télévisions et les valeurs qui doivent être portées par le service public et, plus généralement par les autorités publiques, qui devient difficilement compréhensible.

L'un des principaux débats de société porte en effet sur l'évolution de notre modèle économique et social afin de le rendre plus « raisonnée », « durable » et « responsable ». Cet objectif est aujourd'hui largement partagé par l'ensemble des forces politiques de notre pays. Il nécessite un changement de mode de vie et de comportement de l'ensemble des Français qui exige une remise en cause des choix de consommation en matière d'alimentation, de transport, d'équipement... La situation est particulièrement problématique en matière de santé publique puisque 80 % des messages publicitaires à destination des enfants concernent des produits gras ou sucrés. Le temps est donc venu, pour nous tous, de mettre en cohérence nos discours et nos actes 152 ( * ) et cela peut commencer par la publicité sur le service public qui peut être un puissant catalyseur de cette transition à conduire.

Plutôt que de se limiter à restreindre les plages horaires de publicité, il pourrait être proposé de mieux définir les catégories de produits ou de services susceptibles de pouvoir faire l'objet de publicité dans les médias de service public selon leur impact sur l'environnement, l'économie et la santé .

Même si ce nouveau régime de publicité ne modifierait pas radicalement la liste des annonceurs 153 ( * ) , il ne fait pas de doute qu'il devrait avoir un effet sur le chiffre d'affaires de France Télévisions 154 ( * ) . C'est pourquoi vos rapporteurs estiment que cette évolution pourrait entraîner une baisse de recettes publicitaires d'au moins 30 %, ce qui aurait pour conséquence de ramener le montant de cette ressource à environ 230 millions d'euros . La centaine de millions d'euros de pertes de recettes publicitaires pourrait être compensée par la réforme de la CAP qui est par ailleurs proposée par vos rapporteurs afin de garantir les moyens de l'audiovisuel public (cf. supra) .

L'urgence des enjeux environnementaux et sanitaires justifie pleinement que des limites soient posées à la publicité sur le service public afin d'inciter les consommateurs à modifier leurs comportements. Cette nouvelle approche pourrait justifier une remise à plat du régime de la publicité dans l'ensemble des médias de service public afin de favoriser une harmonisation qui serait cohérente avec l'objectif de rassemblement des sociétés de l'audiovisuel public dans un groupe unique à l'horizon 2020.

Dans cette perspective, il pourrait être proposé de supprimer l'interdiction de la publicité en soirée sur les antennes de France Télévisions qui serait remplacée, par exemple, par une nouvelle répartition journalière . Cela permettrait notamment à France Télévisions d'ouvrir des écrans publicitaires lors de la retransmission d'évènements sportifs, particulièrement prisés par les annonceurs. Par ce biais, comme l'a relevé notre collègue David Assouline 155 ( * ) , le groupe public serait en mesure de rester dans la course pour acheter les droits de diffusion des grandes compétitions, le sport participant aux valeurs du service public 156 ( * ) .

Cette plus grande souplesse pourrait s'accompagner d'une interdiction totale de la publicité dans le cadre des plages horaires de programmes réservés à la jeunesse comme le propose, par ailleurs, l'un de vos rapporteurs dans le cadre d'une proposition de loi 157 ( * ) qui devrait être prochainement présentée devant le Sénat. Une telle interdiction est largement partagée par l'opinion publique. Dès lors, si cette proposition de loi était adoptée avant la mise en place de la contribution universelle proposée par vos rapporteurs, il conviendrait d'évaluer le manque à gagner pour France Télévisions 158 ( * ) et de déterminer comment financer cette moindre recette (efforts de productivité du groupe public ou autre ressource).

Proposition n° 4 : limiter le champ des produits et services pouvant faire l'objet de messages publicitaires sur le service public selon des critères définissant une « publicité raisonnée ».

Proposition n° 4.1 : réduire la place globale de la publicité sur les chaînes de France Télévisions tout en rétablissant la possibilité de diffuser de la publicité en soirée pour mieux répartir une « publicité raisonnée ».

Proposition n° 4.2 : interdire la publicité dans les plages horaires consacrées aux programmes destinés à la jeunesse.

Ce nouveau régime relatif à la publicité dans l'audiovisuel public pourrait être étendu à Radio France qui bénéficie déjà d'un régime particulier déterminé par l'article 33 de son cahier des charges publié en annexe du décret du 13 novembre 1987 ( cf. supra ). Il convient d'ajouter, par ailleurs, qu'outre une interdiction de la publicité de marque, le groupe public de radio est également astreint à une limitation de 30 minutes quotidiennes de publicité au maximum calculée en moyenne annuelle .

Vos rapporteurs estiment que leur proposition en faveur d'une « publicité raisonnée » permettrait tout à la fois de diversifier la publicité sur Radio France sans la banaliser , le chiffre d'affaires de la publicité de Radio France qui s'élève à environ 42 millions d'euros n'ayant pas, quant à lui, vocation à changer.

Comme c'est déjà le cas pour les messages publicitaires diffusés sur Radio France, c'est le CSA qui pourrait être chargé de veiller au respect des critères de cette « publicité raisonnée » dans les médias de service public . Toutefois, la définition des produits et services qui seraient susceptibles de pouvoir continuer à faire l'objet de messages publicitaires devrait être confiée à une instance indépendante.

La nécessité de mieux encadrer la publicité numérique
dans les médias de service public en ligne

L'exigence de promotion d'une « publicité raisonnée » dans l'audiovisuel public ne concerne pas que la télévision et la radio, elle doit s'étendre à tous les supports comme le replay et les podcasts .

À cet égard, il est essentiel également de ne pas banaliser la publicité sur les sites Internet de France Télévisions . Alors que la nouvelle direction du groupe public s'interroge par exemple sur l'introduction de messages publicitaires sur le site francetv-info, vos rapporteurs rappellent que ce site est en concurrence directe avec les sites de presse écrite en ligne . Tout développement de la publicité sur le site public risquerait donc d'impacter les 300 millions d'euros de recettes publicitaires en ligne que reçoivent les sites de presse qui leur sont indispensables pour assurer leur transition numérique. Toute introduction de publicité sur le site francetv-info ne saurait donc qu'être limitée quantitativement et qualitativement .

Dans la même logique, Radio France envisagerait de développer la publicité sur ses sites Internet, qui représente aujourd'hui un chiffre d'affaires d'environ 700 000 euros, pour le porter à plusieurs millions d'euros. Cette perspective ne saurait être envisagée sans un débat préalable sur ses conséquences sur l'identité de ce média de service public . La publicité est déjà très présente sur les sites de Radio France sous tous les formats possibles (bannières, fonds de page, vidéos, modules animés), ce qui réduit fortement la spécificité de ces sites par rapport aux autres sites des médias privés. La crainte existe par ailleurs que certains investissements soient aujourd'hui motivés par leur potentiel en termes de recettes publicitaires à l'image de la priorité à la radio filmée qui permettrait de diffuser de lucratives publicités vidéo.

On ne peut que s'interroger sur le déséquilibre qui existe entre la modestie des recettes générées par la publicité en ligne et l'importance de l'impact sur l'identité des sites concerné s. Il arrive en effet que les publicités insérées dans les vidéos ou dans des fenêtres soient particulièrement inopportunes compte tenu des sujets traités, et que les publicités déguisées qui apparaissent en bas de pages soient particulièrement racoleuses. Là aussi, une harmonisation apparaît souhaitable avec les pratiques retenues sur les autres supports des médias de service public et la proposition de « publicité raisonnée » pourrait constituer une piste utile afin de préserver la spécificité du service public .


* 147 L'article 28 de cette loi prévoit que « Les programmes diffusés entre vingt heures et six heures des services nationaux de télévision mentionnés au I de l'article 44, à l'exception de leurs programmes régionaux et locaux, ne comportent pas de messages publicitaires autres que ceux pour des biens ou services présentés sous leur appellation générique ».

* 148 En 2014, 46 % des annonceurs communiquaient sur une seule régie contre 34 % en 2011.

* 149 Le rapprochement entre Numéro 23 et le groupe NextRadioTV devrait faire passer ce dernier devant la régie de France Télévisions, rétrogradant cette dernière en 5 e position.

* 150 L'exposition maximale des enfants à la publicité intervient entre 19h et 21h. Un rétablissement de la publicité entre 20h et 21h ne pourrait donc qu'avoir des conséquences défavorables en termes de comportements alimentaires à risques.

* 151 Voir son communiqué de presse du 9 septembre 2015 : http://www.senat.fr/presse/cp20150909a.html.

* 152 La conférence internationale organisée par l'ONU sur le changement climatique, la COP 21, qui aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015, devrait insister sur la nécessité de faire évoluer nos modes de vie et nos modèles économiques - http://www.cop21.gouv.fr/fr

* 153 Outre le fait que la plupart des annonceurs actuels de France Télévisions pourraient décider de mieux cibler leurs annonces pour pouvoir continuer à diffuser des messages, il convient d'observer que les annonceurs font d'eux-mêmes évoluer leurs messages compte tenu des nouvelles attentes de la société.

* 154 À noter toutefois que cette nouvelle réglementation pourrait également avoir pour conséquence de faire baisser le tarif des messages publicitaires sur le service public et de les rendre plus accessibles à des petites et moyennes entreprises (PME) ou des filières agricoles qui n'y ont pas aujourd'hui accès.

* 155 Voir son intervention, lors de l'audition de la commission de la culture sur l'avenir de France Télévisions, le 15 avril 2015, http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20150413/cult.html.

* 156 Voir par exemple, la décision de France Télévisions de renoncer à acquérir les droits de diffusion de l'Euro 2016.

* 157 Voir la proposition de loi n° 656 du 24 juillet 2015 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique présentée par André Gattolin et les membres du groupe écologiste.

* 158 Le chiffre d'affaires de la publicité sur programmes jeunesse de France Télévisions s'établirait entre 15 et 20 millions d'euros selon le périmètre de référence (hors numérique).

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