B. UNE GOUVERNANCE RÉGIONALE SOUPLE

1. Le Conseil arctique

La coopération entre pays riverains fut initiée par Mikhaïl Gorbatchev, alors Secrétaire général du Parti communiste de l'URSS, dans son discours de Mourmansk du 1 er octobre 1987. Un processus de négociation, engagé à l'initiative de la Finlande en 1989, a abouti à la création du Conseil arctique en 1996, par la déclaration d'Ottawa.

a) Un forum de bon voisinage

Le Conseil arctique n'est pas une organisation internationale mais un forum, qui se concentre sur deux priorités - la protection de l'environnement et celle des peuples autochtones, qui sont admis comme « participants permanents » au sein du Conseil. Il ne traite pas des questions militaires.

Les huit pays membres 165 ( * ) du Conseil arctique sont principalement réunis par la volonté de ne pas laisser à d'autres le soin de régler les affaires arctiques, et, par conséquent, par le refus de négocier à l'échelle internationale un statut particulier pour cette région, au motif qu'elle ne constitue pas un continent, comme l'Antarctique, mais est formée d'un océan auquel s'applique le droit international de la mer.

Les pays riverains de l'Arctique ont des positions très « souverainistes », souhaitant conserver l'exclusivité de la gouvernance de cette région, quitte à trouver un modus vivendi en cas de différend, comme c'est le cas par exemple entre le Canada et les États-Unis, au sujet du passage du Nord-Ouest.

À l'intérieur même du Conseil arctique, la tentation s'est manifestée de gérer les problèmes à cinq plutôt qu'à huit : c'est le sens de la déclaration d'Ilulissat du 28 mai 2008, par laquelle les cinq pays riverains du Haut-Arctique 166 ( * ) s'en remettent au droit international de la mer pour le règlement de leurs différends, et ce alors même que les États-Unis n'ont pas ratifié la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, signifiant ainsi qu'ils en acceptaient implicitement l'application. Consacrant le principe d'une gouvernance régionale de la zone par les pays riverains, cette déclaration a définitivement écarté la perspective d'un traité international sur l'Arctique.

Le Conseil arctique, qui fêtera son vingtième anniversaire en 2016, sous la présidence américaine, a permis des avancées :

- Il a fortement appuyé les négociations auprès de l'Organisation maritime internationale (OMI), en vue de la définition d'un Code polaire pour la navigation.

- Il a permis la signature de deux accords : le premier, signé à Nuuk (Groenland), le 12 mai 2011, porte sur la coopération en matière de recherche et de sauvetage aéronautiques et maritimes dans l'Arctique. Il attribue à chaque État signataire une zone dans laquelle il assumera la responsabilité d'organiser les opérations de recherche et de sauvetage en cas d'accident, quelle que soit la nationalité du navire ou des personnes accidentées. Ce traité constitue le premier instrument juridique contraignant signé dans le cadre du Conseil arctique. Il a donné lieu à deux exercices impliquant les huit signataires, au Canada en 2011 et à l'est du Groenland en 2012.

Recherche et sauvetage dans l'Arctique :
les zones définies par l'accord de 2011

Source : http://www.arcticportal.org/

- Le second accord, signé à Kiruna (Suède) le 15 mai 2013, porte sur la préparation et la lutte en matière de pollution marine par les hydrocarbures dans l'Arctique. Il vise à renforcer la coopération, la coordination et l'assistance mutuelle dans le domaine de la prévention et du traitement des marées noires, dans le but de protéger le milieu marin contre ce type de pollution.

Lors de sa dernière réunion ministérielle en 2015 à Iqaluit (Canada), le Conseil arctique a publié une déclaration insistant sur les points suivants :

- Le soutien aux communautés arctiques et notamment, la création d'un Conseil économique arctique (dont le secrétariat a ouvert à Tromso, en Norvège, le 8 septembre 2015) ;

- La protection de l'environnement : application d'un plan de réduction des émissions de « carbone noir » et de méthane, efforts de lutte contre les polluants organiques persistants (DDT, PCB) et contre le mercure, protection de la biodiversité, notamment par la mise en place d'un réseau d'aires marines protégées ;

- Le renforcement du Conseil arctique et notamment de son secrétariat permanent, dont la création a été décidée lors du sommet de Nuuk (2011), qui est situé à Tromso (Norvège), et qui doit être rejoint par le secrétariat des Membres permanents (peuples autochtones).

Le Conseil arctique est une instance de discussion plutôt que de décision. Il initie une coopération entre États riverains, sans produire d'instruments juridiques contraignants, hormis les deux traités précédemment évoqués, dont l'un, celui sur la lutte contre la pollution marine, reste d'ordre très général.

La mise en oeuvre de ces textes dépendra du bon vouloir de chaque pays, qui reste libre d'y consacrer les moyens budgétaires qu'il entend. Ces accords n'apportent en effet aucune garantie quant aux moyens qui seront déployés afin de répondre aux défis identifiés.

Tant dans le domaine de la recherche et du sauvetage en mer, que pour la prévention des marées noires, les réponses ébauchées seront insuffisantes si l'augmentation du trafic maritime - pêche, cargos, croisières - se confirme, et si les cours des matières premières évoluent dans un sens propice à l'exploration et à l'exploitation des ressources du Grand Nord.

b) Un forum international élargi

Le Conseil arctique est élargi à douze pays non arctiques, admis comme observateurs.

Sept de ces pays sont européens (France, Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Espagne, Royaume-Uni, Italie) ; les cinq autres, admis comme observateurs en 2013, sont asiatiques (Chine, Japon, Inde, Corée et Singapour).

Si des pays de l'Union européenne ont été admis à titre individuel comme observateurs au Conseil arctique, l'Union européenne n'a pour sa part pas obtenu formellement ce statut, malgré la présence en son sein de pays arctiques et malgré sa contribution au financement de la recherche polaire et au développement de cette région. Cette situation résulte du différend sur le commerce des produits dérivés du phoque entre l'Union européenne et le Canada.

L'admission de l'Union européenne comme observateur au Conseil de l'Arctique : les raisons d'un report

« Lors de la réunion ministérielle du conseil arctique de Kiruna en mai 2013, le Conseil arctique s'est prononcé favorablement sur l'octroi du statut d'observateur à la Commission européenne mais son accession formelle à ce statut, qui pourrait prendre effet d'ici quelques mois, a été subordonnée à la résolution du différend sur le commerce des produits dérivés du phoque, qui l'oppose au Canada. Le ministre des Affaires étrangères canadien a accepté le compromis proposé par le président du Conseil européen visant à exclure les produits de phoque issus de la chasse par les populations Inuits de l'embargo à l'importation en provenance du Canada. En conséquence, la France souhaite l'aboutissement rapide des négociations initiées entre la Commission européenne et les autorités canadiennes pour déterminer les modalités pratiques d'une exemption de ces produits de l'embargo européen. Dans l'attente, la Commission européenne conserve la possibilité d'assister aux réunions du conseil arctique en tant qu'invité spécial. La France estime que l'Union européenne, dont trois États membres sont des États arctiques, doit se voir reconnaître un rôle à la hauteur de son investissement scientifique, technique et financier dans la région dans le respect des compétences des États membres, notamment au conseil arctique. L'Union européenne finance en effet le développement économique, social et environnemental des régions polaires et les peuples autochtones via le FEDER (1,14 milliard d'euros pour 2007-2013), et fournit une assistance financière via le programme cadre de l'UE pour la recherche (20 millions d'euros pour 2007-2013) , les programmes de coopération de la dimension septentrionale financés par l'instrument de voisinage et de partenariat (27 millions depuis 2006) et la coopération avec le Groenland (25 millions) ainsi que plus généralement au moyen des fonds alloués à la lutte contre le réchauffement climatique dans le cadre de la stratégie Europe 2020. Depuis sa nomination en mars 2009, l'ambassadeur chargé des négociations internationales relatives aux pôles arctiques et antarctiques s'est attaché à promouvoir la candidature de la Commission européenne auprès des États membres du conseil arctique, y compris la Russie et le Canada. Le ministère des Affaires étrangères a par ailleurs fortement encouragé le service européen d'action extérieure et la Haute représentante à multiplier les efforts diplomatiques visant à obtenir le soutien des États arctiques à la candidature de la Commission européenne ».

Source : Réponse à la question écrite n° 31134 de Mme Axelle Lemaire, députée, publiée au publiée au JO du 6 août 2013.

L'élargissement du cercle des observateurs au Conseil arctique témoigne de l'intérêt d'un nombre croissant de pays pour cette région.

La portée de ce statut d'observateur est toutefois limitée. Le rôle des observateurs demeure marginal puisqu'ils ne possèdent pas de droit de vote ni de droit de parole.

Ils peuvent néanmoins émettre des analyses et recommandations, faire connaître leurs positions sur des enjeux économiques et juridiques, et, surtout, suivre au plus près les évolutions de cette région ainsi que les travaux et orientations des principaux acteurs de l'Arctique.

2. Des enjeux appelant une implication de l'ensemble de la communauté internationale

Le réchauffement de l'Arctique est un enjeu global, appelant des réponses du même ordre, afin d'y préserver la sécurité humaine et environnementale.

a) La sécurité humaine et environnementale

La région arctique demeure difficile d'accès, rendant très problématique l'organisation d'opérations de sauvetage. Dans le cas de l'autorisation accordée à Shell en mai 2015, les zones d'exploitation se trouvent à 1 600 km des garde-côtes les plus proches. L'exploitation de ces zones aurait nécessité un renforcement et un redéploiement des effectifs de garde-côtes. Des actions de sauvetage rapides et de grande ampleur sont difficilement envisageables, étant donné l'isolement de ces régions.

Le développement important du tourisme et notamment des croisières, à l'Est mais aussi, depuis plus récemment à l'Ouest, pose les mêmes difficultés.

Les États membres du Conseil de l'Arctique sont signé en 2011 un accord sur la recherche et le sauvetage ( Arctic search and rescue agreement ), qui délimite des zones de responsabilité pour chaque pays et prévoit une mutualisation des ressources et des compétences. Cet accord demeure insuffisant, car il ne garantit pas le développement de capacités suffisantes pour faire face au développement prévisible du trafic maritime.

S'agissant de la sécurité environnementale, il convient de rappeler que les précédents travaux d'exploration menés par Shell avaient été interrompus en 2012, à la suite de difficultés techniques puisqu'une plateforme s'était échouée, soulignant les dangers de ce type d'activité dans une région hostile et isolée. L'entreprise Total, dont un représentant a été auditionné par vos rapporteurs, est réticente à développer des activités offshore dans des conditions de froid extrême, s'agissant notamment de l'exploration pétrolière, l'exploitation gazière présentant des dangers moindres.

Le 28 septembre 2015, Shell a annoncé son retrait de la zone arctique (mer des Tchouktches), pour des raisons techniques et économiques. L'exploitation du champ Goliat en mer de Barents (Norvège) par ENI a subi pour sa part des retards importants et une augmentation de son coût de plus de 50 % par rapport à l'estimation initiale. Ce coût d'extraction est aujourd'hui évalué à 110 dollars le baril.

Le permis accordé à Shell illustre néanmoins l'intérêt du gouvernement américain pour l'exploitation des ressources arctiques, dont témoigne aussi le rapport commandé par l'administration américaine au National Petroleum Council sur la meilleure manière de poursuivre le développement de l'exploitation dans l'océan Arctique 167 ( * ) . L'administration américaine entend par ailleurs développer les aires marines protégées, et renforcer la protection d'une partie de l'Alaska ( Arctic National Wildlife Refuge ) en y interdisant toute exploitation pétrolière. La mise en oeuvre de mesures de protection est considérée comme un préalable au développement des potentialités économiques de l'Arctique à moyen ou long terme. Ce sont les deux facettes d'une même évolution, en attendant que les conditions de rentabilité économique d'une telle exploitation soient réunies.

b) Un exemple de réponse : le code polaire de l'OMI

Prenant le relais des règlementations nationales ou régionales des pays riverains et faisant suite à plusieurs recommandations sous forme de circulaires ou résolutions adoptées par l'Organisation maritime internationale (OMI 168 ( * ) ) depuis 2002, le « recueil de règles obligatoires pour les navires exploités dans les eaux polaires » - ou code polaire - a vocation à répondre à l'accroissement du trafic maritime à proximité des pôles.

Cet instrument juridique contraignant encadre l'exploitation des navires dans les eaux polaires et couvre tous les aspects de cette activité. Il traite, d'une part, de la sécurité des navires et, d'autre part, de la prévention des pollutions. Il est constitué de dispositions obligatoires et de recommandations additionnelles.

Ces prescriptions viennent s'ajouter ou compléter les dispositions déjà applicables au titre de deux conventions, régulièrement mises à jour par amendements :

- La convention SOLAS (convention internationale pour la sauvegarde de la vie en mer) adoptée en 1974 et entrée en vigueur en 1980 169 ( * ) ;

- La convention MARPOL (convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires), adoptée en 1973 et entrée en vigueur en 1983.

Le code polaire couvre tous les domaines de l'exploitation des navires, qu'il s'agisse de structure, de propulsion, de stabilité, d'engins de sauvetage, de radiocommunication, de procédures de navigation, d'exploitation, de qualification des équipages ainsi que de différentes formes d'atteintes à l'environnement : pollution par les hydrocarbures, les produits chimiques, les eaux usées et les ordures.

L'entrée en vigueur du code polaire est fixée au 1 er janvier 2017. Il ne s'appliquera qu'aux navires certifiés au titre des conventions SOLAS et MARPOL. Son application à d'autres navires et notamment les navires de pêche et ceux effectuant une navigation domestique, est l'objet d'une deuxième phase de travaux qui doit démarrer en 2016.

La mise en place d'une réglementation dans le cadre de l'OMI est efficace, car elle permet de toucher une large partie de la communauté internationale, au-delà des seuls voisins de l'Arctique. Ce type d'approche, multilatérale et sectorielle, doit être encouragé, à défaut d'une approche globale qui risquerait de susciter des réticences de la part des États arctiques.


* 165 Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède.

* 166 Les huit précités à l'exclusion de la Finlande, de l'Islande et de la Suède.

* 167 Arctic Potential: Realizing the Promise of U.S. Arctic Oil and Gas Resources, National Petroleum Council (mars 2015).

* 168 L'Organisation maritime internationale (OMI) est l'institution spécialisée des Nations unies chargée d'assurer la sécurité et la sûreté des transports maritimes et de prévenir la pollution des mers par les navires. Elle compte 171 États membres et 3 États associés.

* 169 La première version Convention SOLAS a été adoptée en 1914, en réponse à la catastrophe du Titanic, la seconde en 1929, la troisième en 1948 et la quatrième en 1960. La Convention SOLAS de 1974, qui est entré en vigueur en 1980, a été mise à jour et modifiée à de nombreuses reprises.

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