C. UN RISQUE AGGRAVÉ PAR LA LITTORALISATION DES HABITATS ET DES ACTIVITÉS

1. La tendance actuelle de concentration des activités et des populations sur les littoraux s'accentue depuis un demi-siècle et accroît la vulnérabilité des sociétés humaines

Impacts des dérèglements climatique et météorologique et accroissement de la population et des activités dans les zones littorales se cumulent sur l'échelle des risques.

a) Un phénomène massif

La pression urbaine et touristique est toujours plus forte sur les côtes, les plus menacées par les changements climatiques et les risques de submersion.

Plus de 20 % de la population mondiale vit actuellement à moins de 30 km des côtes , plus de 50 % dans les zones côtières à moins de 100 km du rivage et 60 % dans la grande zone côtière . 3,8 milliards de personnes résident à moins de 150 km du rivage d'après l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Les projections démographiques 40 ( * ) prévoient que plus de 75 % de la population mondiale y vivra d'ici 2035.

L'urbanisation du littoral expose une part importante de la population au risque d'inondation. Selon l'OMM 41 ( * ) , entre 1970 et 2010, l'effectif moyen de la population exposée aux inondations chaque année a augmenté de 114 % à l'échelle du globe, alors que la population mondiale augmentait de 87 %, passant de 3,7 milliards à 6,9 milliards. Le nombre de personnes exposées aux fortes tempêtes a presque triplé dans les régions sujettes aux cyclones, soit une hausse de 192 %.

Les communes littorales et leurs arrière-pays connaissent un taux d'urbanisation beaucoup plus élevé que la moyenne. En Amérique du Nord, 55 % des habitants des États-Unis et 25 % de ceux du Canada vivent dans des zones côtières. Aux États-Unis, la population côtière croit quatre fois plus rapidement que celle de l'intérieur.

En Asie, plus de 40 % de la population (environ 2 milliards de personnes) vit à moins de 60 km des côtes.

Partout dans le monde, ce sont souvent des villes côtières qui détiennent les records de croissance urbaine. Les villes de Bombay, Canton, Shanghai, Miami, Hô-Chi-Minh-Ville, Calcutta, Alexandrie, La Nouvelle-Orléans, ainsi que les mégapoles de New-York et d'Osaka-Kobé sont les plus vulnérables du point de vue du nombre d'habitants exposés.

La population littorale en France

En France, les 885 communes du littoral représentent 4 % du territoire et 6,1 millions d'habitants (en 2006), soit un peu plus de 10 % de la population et une densité de 281 hab/km². Après une progression de 2 5% entre 1968 et 2006, cette population s'est stabilisée mais la population des communes péri-urbaines de l'arrière-pays continuent de progresser. Ces communes accueillent également une population saisonnière nombreuse avec une capacité d'accueil touristique de 7 millions de lits.

En 2015, environ un habitant sur quatre et un emploi sur trois seraient directement concernés par le risque d'inondation, en raison de l'augmentation de l'urbanisation, en particulier dans les vallées alluviales ou les marais arrières-littoraux. Malgré les plans de prévention, de nouvelles constructions continuent à être édifiées dans des zones potentiellement inondables, et selon certains experts « 15 % de la population française (neuf millions de personnes) » vit « dans des secteurs qui, à plus ou moins long terme, seront touchés par une inondation d'intensité remarquable 42 ( * ) ».

b) Un phénomène destructif

Les possibilités de développement étant réduites, de nombreuses constructions ont été réalisées après assèchement de zones humides et de marais littoraux.

Cette urbanisation a donc un impact sur l'environnement. On estime ainsi que 5 à 10 km de littoral sont touchés par le développement tous les jours. Des zones de nourriceries 43 ( * ) , vasières côtières ou mangroves sont polluées, détériorées ou détruites, ce qui rend ces régions plus vulnérables encore aux aléas climatiques car elles constituent des amortisseurs aux phénomènes de vagues et de houle.

2. La fréquence croissante des aléas et la littoralisation des populations et des activités augmentent de façon considérable les dégâts causés par les inondations

L'accroissement de la fréquence et de l'intensité des phénomènes extrêmes n'est pas l'unique facteur de l'augmentation des pertes observées. D'autres facteurs entrent en jeu, comme l'exposition des populations et des biens mais aussi les meilleures informations sur l'importance des dommages liés au développement des systèmes de recension et d'assurance.

Pour certains experts 44 ( * ) , pour une hausse de 40 cm à l'horizon 2080 et même en présence de mesures de protection des côtes importantes, le nombre de personnes touchées annuellement par une inondation serait de 93 millions (13 millions sans hausse du niveau des mers). Pour ce scénario, le plus lourd tribut serait supporté par les zones littorales de l'océan Indien (Pakistan, Inde, Bangladesh, Birmanie) (55 % des victimes) d'Indonésie et des Philippines (23 %), de l'Afrique et de l'est du bassin méditerranéen (15 %).

Selon les données fournies par le Centre de recherche sur l'épidémiologie des désastres (CRED), entre 2001 et 2010, plus de 370 000 personnes ont trouvé la mort en raison de conditions météorologiques et climatiques extrêmes telles que vagues de froid ou de chaleur, sécheresses, tempêtes et inondations, soit une hausse de 20 % par rapport à la décennie 1991-2000. Si les vagues de chaleurs qui ont frappé l'Europe en 2003 et la Fédération de Russie en 2010 participent à l'augmentation exponentielle du nombre de victimes 45 ( * ) , tempêtes et inondations restent un facteur de risques important.

L'accroissement des populations sinistrées

D'après les données dont dispose l'OMM, les inondations représentent le phénomène extrême le plus fréquemment observé tout au long de la décennie. L'Europe orientale a été particulièrement touchée en 2001 et 2005, l'Inde en 2005, l'Afrique en 2008, l'Asie (en particulier le Pakistan où 20 millions de personnes ont été sinistrées et 2 000 ont trouvé la mort) en 2010 et l'Australie également en 2010.

À l'échelle du globe, un total de 511 tempêtes a été observé pendant la décennie 2001-2010. Elles ont fait près de 170 000 victimes et plus de 250 millions de sinistrés, et provoqué des dommages estimés à 380 milliards de dollars.

On remarque toutefois qu'elles ont fait moins de victimes pendant la décennie 2001-2010 qu'au cours de la précédente. La baisse de 16 % du nombre de victimes des tempêtes et de 43 % pour les inondations est due en grande partie à l'amélioration des systèmes d'alerte précoce et des mesures de prévention. Le nombre de victimes a donc diminué alors même que les populations sont toujours plus exposées aux phénomènes extrêmes en raison de la croissance démographique et du fait que les zones vulnérables sont de plus en plus peuplées.

Mais alors que le risque de décès et de blessure associé aux tempêtes et aux inondations a diminué, la vulnérabilité des biens a augmenté , car l'expansion des ressources socio-économiques et des infrastructures s'est accompagnée d'une hausse du nombre de biens exposés et d'une augmentation de leur valeur.

a) L'étude de l'OCDE sur les dommages résultant des inondations

S'agissant des risques-coûts pour le patrimoine, une étude publiée en août 2013 par l'OCDE 46 ( * ) , dirigée par M. Stéphane Hallegatte, entendu par le groupe de travail, et portant sur les 136 plus grandes villes côtières a montré qu'en 2005, les dommages imputables aux inondations étaient estimés à 6 milliards de dollars par an.

Recensement des vulnérabilités

L'étude effectue un classement en termes absolus (valeur du patrimoine exposé à un risque centennal en tenant compte du degré de protection) et en termes relatifs (ratio valeur du patrimoine exposé/produit intérieur brut de la ville) d'où il ressort que parmi les 10 premières villes exposées à raison de la valeur de leur patrimoine (y compris les ouvrages de protection) figurent 5 villes des États-Unis (Miami 2°, New-York-Newark 3°, La Nouvelle-Orléans 3°, Tampa-St Petersburg 7° et Boston 8°), 2 villes chinoises (Canton 1° et Shenzhen 9°), 2 villes japonaises Nagoya 6° et Osaka-Kobé 10°) et une indienne (Bombay 5°). En revanche, en termes relatifs, les cités des pays en développement s'avèrent plus vulnérables puisqu'on compte 3 villes chinoises (Canton 1°, Zhanjiang 6° et Shenzhen 10°), 4 villes d'Asie du sud (Ho Chi Minh Ville 4°, Bombay 7°, Khulna-Bangladesh 8°, Palembang-Indonésie 9°), une ville d'Amérique du Sud (Guayaquil-Équateur 3°) et une ville d'Afrique (Abidjan 5°), pour une seule aux États-Unis (La Nouvelle Orléans 2°).

L'étude montre également l'importance des infrastructures de protection pour réduire l'exposition au risque, comparant Amsterdam très exposée mais très protégée à Ho Chi Minh Ville moins soumise au risque mais peu protégée.

Elle expose enfin la concentration des enjeux en termes financiers sur quelques grandes villes (3 américaines concentrent 31 % des risques en valeur absolue), ce qui montre que des investissements ciblés peuvent avoir un impact fort en termes de réduction des coûts.

L'étude comprend également des scénarios prospectifs combinant évolution socio-économique et changement environnemental, affaissement et montée du niveau de la mer. A l'horizon 2050, du seul fait de l'évolution socio-économique, des dommages seraient de 52 milliards de dollars par an. En intégrant les facteurs environnementaux, ils passeraient à 63 milliards et si aucune adaptation n'est réalisée, avec une augmentation des dommages, le montant global atteindrait 1 000 milliards de dollars.

Villes émergentes en première ligne

Si les villes déjà citées restent parmi les plus vulnérables en termes absolus et relatifs, une présence plus importante des villes des pays émergents ou en développement est observée.

En termes absolus, à côté de 3 villes américaines (Miami 6°, New York Newark 8° et La Nouvelle Orléans 10°), on relève la présence de 3 villes chinoises (Canton 1°, Shenzhen 5°, et Tianjin 7°), 2 villes indiennes (Bombay 2° et Calcutta 3°) et enfin Ho Chi Minh Ville (9°) et Guayaquil (4°). En termes financiers, les enjeux sont concentrés sur Canton et Bombay.

En terme relatifs, on retrouve une répartition géographique équivalente : 4 villes chinoises (Canton 1°, Zhanjiang 6°, Shenzhen 8° Tianjin 10°), 2 villes américaines (La Nouvelle-Orléans 2° et Miami 9°) ; Guayaquil (3°) Abidjan (4°), Ho Chi Minh Ville (5°) et Bombay (7°) complète ce tableau.

La prise en compte des facteurs environnementaux fait entrer dans le classement de nombreuses villes construites sur des deltas (Canton, Calcutta, Guayaquil, Tianjin, Ho chi Minh Ville, La Nouvelle Orléans, Djakarta, Zhanjiang, Bangkok, Xiamen, Nagoya....

Les villes pour lesquelles la croissance de la valeur du ratio patrimoine exposé à un risque centennal en tenant compte du degré de protection/PIB progresse le plus, sont concentrées dans le Bassin de la Méditerranée (Alexandrie, Naples, Beyrouth, Izmir, Marseille, Athènes, Bengazi, Tel Aviv et Alger), le Golfe du Mexique (Barranquilla, Saint-Domingue, Houston, La Havane, Port au Prince) et l'Asie du Sud (Djakarta, Fuzhou, Ningbo et Shanghai.). Elles sont considérées comme les villes où le risque d'inondation devrait s'accroître le plus. Parmi ces villes dominent des villes très peuplées, en croissance rapide, pauvres, « exposées aux tempêtes tropicales et sujettes à un affaissement ».

L'étude donne l'exemple d'Alexandrie pour laquelle le maintien du risque relatif requiert une protection supérieure à l'élévation du niveau de la mer. Une protection supérieure de 10 % divise la probabilité d'inondation par 2,7. Mais si une inondation survient, en raison des seules évolutions environnementales, les pertes seraient multipliées par 3.

Ne pas prendre de mesure de protection n'est pas une solution viable pour ces villes. Il est difficile d'estimer le coût de la protection nécessaire car elle dépend du contexte de chaque cité et des modes de protections adaptés. L'étude estime néanmoins à 350 millions de dollars par an et par cité en moyenne les dépenses à engager, soit au total pour les 136 villes étudiées un montant annuel de 50 milliards de dollars par an.

D'une manière générale, l'étude considère comme possible la réduction de l'aléa mais lorsqu'il surviendra, les pertes seront plus élevées. Cela marque les limites des capacités des infrastructures de protection et montre le besoin de se préparer au niveau local, national et régional à subir ces désastres en renforçant les programmes de résilience aux catastrophes, y compris les systèmes d'alertes et d'évacuation, des schémas d'assurance plus souple et plus adaptés et d'autres formes de réponse pour reconstruire rapidement les communautés affectées par les catastrophes.

b) L'étude de la société de réassurance Munich Re

Cette analyse est corroborée par l'étude menée par Munich Re sur la base de la classification des États opérée par la Banque mondiale par niveau de revenu et les statistiques portant sur 19 500 évènements ayant entraîné des dommages de 1980 à 2012 contenues dans sa base de données.

Pertes par groupe de revenus liées aux catastrophes naturelles

Ces statistiques montrent :

- que dans les récentes décennies, le nombre d'occurrences attribuées aux catastrophes en raison d'évènements climatiques ou météorologiques a été significativement plus important dans les régions à faibles revenus que dans les régions développées à hauts revenus ;

- que les pertes générées en valeur sont plus importantes dans les économies à hauts revenus, mais que ces pertes ont un impact beaucoup plus grave sur les Etats les plus pauvres, parce qu'elles représentent une proportion plus importante de leur PIB.

Qu'il se manifeste par des évènements météorologiques graves ou des évolutions imperceptibles et graduelles, le changement climatique conduit à une détérioration des conditions de vie et rend hautement probable la croissance de la pression migratoire dans les prochaines décennie s, en conclue Nikolaus von Bomhard, président du directoire de Munich Re, l'un des principaux réassureurs mondiaux, dans une conférence donnée lors de la 15 e conférence sur le sécurité de Munich en 2014. Cela est surtout vrai des pays émergeants ou en développement car en raison de leur situation économique déjà fragile, ils ne seront pas capables de s'adapter de façon adéquate au déficit de l'approvisionnement en produits alimentaires ou à des problèmes comme celui de la montée du niveau de la mer.

3. Les populations les plus pauvres sont les plus grandes victimes des catastrophes naturelles

Comme l'ont établi Philippe Ambrosi et Stéphane Hallegatte 47 ( * ) , les submersions et les phénomènes météorologiques extrêmes frappent les différentes régions du monde de façon très inégalitaire : « les pays pauvres sont situés dans des zones plus vulnérables (régions cyclonique ou de mousson) et leurs infrastructures protègent mal la population. Il est frappant de voir que les pays les plus riches supportent 40 % des pertes économiques et 2 % des décès alors que les pays les plus pauvres supportent 12 % des pertes économiques mais 80 % des décès 48 ( * ) . Bien que faibles en valeur, il faut bien voir que les dommages infligés aux pays en développement n'en représentent pas moins une fraction souvent substantielle de leur PIB avec des conséquences lourdes pour leurs économies et leurs habitants ».

Les conséquences sur la répartition des revenus et sur l'économie en général d'un accroissement en fréquence et en intensité des catastrophes naturelles sont différentes selon le niveau de développement.

« Dans les pays riches, les pertes (dégâts sur les bâtiments et les infrastructures) sont principalement subies par les ménages les plus aisés (souvent propriétaires du bâti) , les assurances et l'État auxquels s'ajoutent toutefois certaines catégories sociales vulnérables (paysans et pêcheurs) La reconstruction peut offrir de nombreux emplois non-qualifiés à des travailleurs particulièrement frappés par le chômage, jouant un rôle de relance keynésienne.

« Dans les pays en voie de développement, par contre, l'effet est inversé : comme les pertes sont essentiellement humaines, ce sont les catégories de population les moins éduquées et informées, qui n'habitent pas des logements en dur et qui travaillent en extérieur qui sont les plus durement touchées. » Au niveau économique, l'agriculture et la pêche qui font vivre des populations pauvres sont souvent les plus vulnérables et les pertes subies ne peuvent être réparées que très progressivement, ce qui peut entraîner un renforcement de la pauvreté, des déplacements de population et des situations conflictuelles graves.

4. Une insuffisante culture du risque et une confiance totale à la technologie conduisent à sous-estimer les risques

Nos ancêtres évitaient de construire dans les zones à risque. Aujourd'hui, cette prudence a disparu. Malgré la surabondance d'informations, elle n'a pas été remplacée sauf exception par une « culture du risque » comme l'ont montré de récents rapports du Sénat 49 ( * ) . L'installation en plus grand nombre de population dans les zones littorales dans des endroits insuffisamment protégés par un cordon de dune ou une digue ou en bordure de falaises fragiles a accru considérablement leur exposition aux risques.

Les ports dont les quais n'ont pas été construits assez haut peuvent d'ores et déjà dans certaines communes être sujets à débordement par grand coefficient de marées avec des risques pour les installations (commerces, industries) construites directement ou en arrière des quais, sans précaution spéciale pour leurs réseaux électriques, ni protection contre l'arrivée des eaux.

Ces risques sont aggravés lorsqu'il s'agit d'installations industrielles à risque pouvant entraîner outre un arrêt de la production, des dégâts aux installations et une pollution de l'environnement. Le cas de la centrale de Fukushima à la suite du tsunami peut être cité en exemple. Les normes de sécurité des centrales nucléaires, qui ont besoin d'être situées en façade maritime ou en bord de rivière pour le refroidissement des installations, ont été établies pour parer ce risque, mais en fonction des prévisions de montée du niveau de la mer et en prenant en compte les cumuls de risques météorologiques ou géologiques. Il conviendra sans doute de revoir la sécurité et le niveau de protection de ces installations pour s'assurer de leur résistance aux scénarios les plus pessimistes et en tout cas de s'assurer que les normes de constructions actuelles s'appuient sur ceux-ci.

« L'Évaluation nationale du climat 50 ( * ) » publiée aux États-Unis montre par exemple qu'en Louisiane, l'industrie pétrolière est mise en péril par le recul des côtes et la vulnérabilité de la route n° 1 et qu'en Californie de nombreuses centrales thermiques sont exposées à la montée des eaux.

Les submersions marines font apparaître également un autre problème très critique en zone littorale : celui de la gestion des eaux usées et de la saturation des réseaux. L'insuffisance de protection des puits de refoulement conduit à une évacuation vers le milieu marin avec des risques sanitaires évidents.

L'homme a connu des inondations tout au long de son histoire. Il saura s'en protéger, s'il le souhaite et s'il le peut, en résistant par des protections suffisamment puissantes (ex : Pays-Bas), en adaptant son architecture (maisons sur pilotis ou maison flottantes) et son économie ou en se réinstallant dans des zones hautes. Mais l'adaptation sera beaucoup plus difficile à réaliser pour protéger l'ensemble des ports, des villes et des zones densément peuplées proches du niveau de la mer, avec une montée des eaux pouvant atteindre le mètre ou plus d'ici cent à cent cinquante ans. Les économistes considèrent que la moitié de la population mondiale sera concernée à l'échelle globale. Les travaux seront longs. Leur achèvement éventuel prendra des générations. L'existence d'une économie florissante et une politique généreuse et ferme seront les conditions indispensables pour trouver le financement.

Sans investissement de grande ampleur, les habitats des zones basses, en particulier dans les pays en développement, disparaîtront ou migreront. Des millions de personnes seront ainsi condamnées d'ici quelques dizaines d'années, parce qu'elles n'auront pas la possibilité de se protéger. Les facteurs de crise sociale et de guerre ne pourront que se développer. A titre d'exemple, le recouvrement par les eaux de mer des zones deltaïques risque de provoquer des migrations à l'intérieur des pays ou dans des pays voisins. L'altitude moyenne du Bangladesh est de 10 mètres. En cas d'augmentation, même minime du niveau de la mer, une bonne partie des habitants du sud du pays devrait migrer vers le nord, y compris jusqu'en Inde. De même, en Égypte, une augmentation de 50 centimètres du niveau de la mer Méditerranée provoquerait le départ de 4 millions de personnes fuyant le delta du Nil.

Le Bangladesh, le delta du Nil et les autres zones basses des pays pauvres ne seront pas les seuls à être exposés. Il y a aussi des pauvres dans les pays riches, qui n'ont pas les moyens de se réinstaller ailleurs. Le désastre de La Nouvelle-Orléans après le passage de l'ouragan Katrina l'a clairement montré. Les pays riches peuvent aussi être directement touchés par les catastrophes naturelles.

Les dégâts s'accentueront dans le futur, si nous sommes dans l'incapacité de changer notre façon d'appréhender ces problèmes. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que si la montée des eaux ne concernera directement que les régions littorales, les autres régions seront touchées indirectement par les déséquilibres, économiques, politiques et sociaux qui en dériveront.

Or nos sociétés n'arriveront à se mobiliser que par une profonde révolution des mentalités. Cette révolution doit être préparée et commencée à l'échelle des individus.

Comme l'indiquent les experts de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie 51 ( * ) , « pour évaluer des coûts de dommages potentiels futurs, il est nécessaire de réaliser non plus une carte pour un scénario donné, mais une réelle carte d'aléa , croisant fréquence et intensité des submersions marines épisodiques, ainsi que les mouvements du trait de côte induits par la submersion permanente, l'érosion et l'accrétion. Il est également nécessaire de disposer de bases de données permettant d'évaluer les coûts des dommages directs constatés sur des événements passés. En pratique, les dommages potentiels induits par des événements de submersion aggravés par l'élévation du niveau marin sont difficiles à évaluer : par exemple, les travaux de Hallegatte et al. (2011) ont montré à travers l'exemple du cyclone Katrina (2005) que les dommages indirects ne pouvaient être déduits simplement d'une évaluation des dommages directs. En tout état de cause, des niveaux d'incertitude importants sont associés aux évaluations existantes des coûts potentiels des dommages induits par les submersions marines dans le contexte du changement climatique ». Et de déplorer que « de telles évaluations restent aujourd'hui des exercices de recherche. »


* 40 Simon K. Haslett, Coastal Systems , Routledge,ý 2009

* 41 OMM « Le climat dans le monde 2001-2010 : Une décennie d'extrêmes climatiques » 2013

* 42 Douvinet, J., Defossez, S., Anselle, A., & Denolle, A. S. (2011). Les maires face aux plans de prévention du risque inondation (PPRI) . L'espace géographique, 40(1), 31-4

* 43 Zone où se regroupent les alevins et les jeunes spécimens d'une espèce mobile au début de leur vie pour s'y nourrir et s'y développer.

* 44 Nicholls et autres «Increasing flood risk and wetland losses due to global sea-level rise» Global Environmental Change, 9 - 1999

* 45 Le nombre de victimes imputables aux vagues de chaleur à l'échelle du globe (de moins de 6 000 pour la période 1991-2000 à 136 000 pour la période 2001-2010) : + 2000 %

* 46 Stéphanhe Hallegate, Colin Green, Robert j. Nichols et Jan Corfee-Morlot« Future floodllosses in major coastal cities » - Nature Climate Change 18 août 2013

* 47 Philippe Ambrosi et Stéphane Hallegatte « Changement climatique et enjeux de sécurité » CIRED Working Paper n°2006-3 - 2005

* 48 Selon une étude de Munich Re publiée en 2004.

* 49 Xynthia, 5 ans après : pour une véritable culture du risque dans les territoires - Rapport d'information n° 536 (2014-2015) de MM. François Calvet et Christian Manable, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, le 18 juin 2015

http://www.senat.fr/rap/r14-536/r14-536.html

Se donner les moyens de ses ambitions : les leçons des inondations du Var et du sud-est de la France - Rapport d'information n° 775 (2011-2012) de M. Pierre-Yves Collombat, fait au nom de la Mission commune d'information Inondations dans le Var, 24 septembre 2012

http://www.senat.fr/rap/r11-775/r11-775.html

Xynthia : une culture du risque pour éviter de nouveaux drames - Rapport d'information n° 647 (2009-2010) de M. Alain Anziani, fait au nom de la mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia, déposé le 7 juillet 2010 http://www.senat.fr/rap/r09-647-1/r09-647-1.html

* 50 Ce rapport de 1 300 pages, publié en mai 2014, a mobilisé 300 scientifiques et experts durant 4 ans et dresse la liste des manifestations déjà visibles du réchauffement climatique.

* 51

Rapport « Le climat de la France au XXIe siècle » produit dans le cadre de la mission confiée au climatologue Jean Jouzel, en juillet 2010, par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. - Volume 5 mars 2015 p.40

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