E. GARANTIR L'INTÉGRATION NUMÉRIQUE DE TOUS LES TERRITOIRES À COURT TERME

L'accès de l'ensemble de la population à un haut débit de qualité, et le raccordement prioritaire des sites stratégiques au niveau local sont des conditions essentielles du développement des territoires . Ces deux volets sont identifiés comme des objectifs de court terme dans la stratégie numérique du Gouvernement rendue publique en janvier 2013. Fin 2015, leur mise en oeuvre apparaît encore limitée et nécessite une priorisation accrue, compte tenu de leur importance sociale et économique pour les territoires. Il s'agit de résorber la fracture numérique, et de participer plus largement à la lutte contre les inégalités territoriales.

1. L'accès de tous au haut débit, un objectif de solidarité numérique

La feuille de route du Gouvernement sur le numérique présentée en 2013 définissait un objectif de court terme « d'inclusion numérique ». En effet, malgré les efforts des collectivités territoriales, certains territoires ne seront pas couverts à moyen terme par un accès au très haut débit. Dans l'attente de cette perspective, les habitants concernés doivent a minima disposer rapidement d'un haut débit de qualité. Le cahier des charges des demandes de subvention au FSN rappelle ainsi : « Tout en s'inscrivant dans l'objectif final « très haut débit et fibre optique », le projet devra contribuer à permettre un accès à un haut débit de qualité (3-4 Mbit/s) sur l'ensemble du territoire d'ici fin 2017 en veillant à apporter des solutions rapides aux usagers qui ne bénéficient pas d'un haut débit de qualité ».

Dans la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2012, votre co-rapporteur avait proposé de définir au bénéfice de l'ensemble des abonnés à un réseau fixe de communications électroniques un droit d'accès à un débit minimal de 2 Mbit/s fin 2013, et de 8 Mbit/s fin 2015 52 ( * ) . L'adoption définitive de cette proposition de loi aurait permis de soutenir la résorption rapide de la fracture numérique en matière de haut débit fixe, et de suivre l'évolution des usages.

Si le dégroupage de la boucle cuivre continue à progresser (91,6 % des lignes mi-2015) permettant ainsi de stimuler la concurrence sur les offres haut débit en réduisant les « zones grises » ADSL , une part importante de la population reste privée d'accès correct au haut débit . L'ARCEP estime que la totalité des 17 021 noeuds de raccordement d'abonnés (NRA) situés en métropole sont équipés en DSL, permettant ainsi à 99,5 % des lignes en cuivre d'être éligibles au haut débit. Cette évaluation repose sur l'affaiblissement théorique des lignes compte tenu de leur longueur et sur la prise en compte des lignes inéligibles au haut débit du fait des équipements de multiplexage. Il faut toutefois noter que l'ARCEP retient une définition particulièrement large du haut débit : « offre fixe permettant d'atteindre un débit crête descendant minimal supérieur à celui des technologies bas débit [128 Kbit/s] et inférieur au débit crête descendant minimal des offres très haut débit [30 Mbit/s]» 53 ( * ) . L'évolution des technologies et des usages a rendu désuète cette définition du haut débit, depuis déjà plusieurs années. Il serait souhaitable que l'offre haut débit soit définie a minima, comme une offre fixe permettant d'atteindre un débit crête descendant supérieur à 3 Mbit/s.

En 2012, huit abonnés sur dix à l'ADSL disposaient d'un débit supérieur à 2 Mbit/s. En 2015, le pourcentage de la population n'ayant pas accès à un haut débit de qualité (3 Mbit/s) dépasse encore 10 %. En matière de classement international, la France occupe une position très intermédiaire en matière de connexion haut débit. L'état des lieux de l'internet 2014 élaboré par la plateforme Akamai place notre pays au 44 e rang mondial, avec 68 % des connexions supérieures à 4 Mbit/s. En l'absence de progrès, l'évolution du débit nécessaire pour une utilisation correcte d'internet ( I.A ) conduit à une dégradation très mal vécue par les utilisateurs. Le changement dans la conception des pages internet, aboutit parfois à ne plus pouvoir utiliser convenablement des sites autrefois accessibles. À titre de comparaison, les offres triple play nécessitent un débit compris entre 5 et 10 Mbit/s.

PROPORTION DE PRISES ÉLIGIBLES AUX DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE DÉBIT D'ACCÈS À INTERNET FIXE (EN MB/S) PAR RÉSEAUX TERRESTRES

Source : Commissariat général à l'égalité des territoires, 2015

Deux situations type conduisent à une absence de haut débit correcte : la persistance de « zones blanches » ADSL, et la longueur des lignes cuivre en présence d'ADSL. Les zones blanches ADSL résultent essentiellement du maintien d'un multiplexage 54 ( * ) . L'opérateur historique a proposé une solution dite « NRA-zone d'ombre » (NRA-ZO) consistant à installer un équipement actif (DSLAM) au niveau du sous-répartiteur et non plus du répartiteur, financée essentiellement par les collectivités territoriales, à un coût relativement élevé. Des opérations de démultiplexage ont été menées par France Télécom, dont le terme était annoncé pour la fin de l'année 2013. Force est toutefois de constater que ces opérations ne sont pas achevées, dès lors que l'opérateur historique continue ponctuellement à les mener dans les territoires ruraux en 2015. Selon l'ARCEP, les zones blanches ADSL sont toutefois devenues résiduelles et concernent moins de 1 % des lignes.

La longueur de certaines lignes cuivre reste le principal obstacle au débit sur l'ADSL , compte tenu de l'affaiblissement significatif du courant électrique au-delà de quelques kilomètres. De toute évidence, la dispersion de l'habitat concerné compromet durablement un déploiement du FttH. Il est donc peu probable d'observer un saut technologique, du faible haut débit au très haut débit. Les « zones blanches » du vrai haut débit d'aujourd'hui risquent fortement d'être les « zones blanches » du très haut débit de demain.

La résolution de ces difficultés est complexe et coûteuse. Une règle connue des réseaux de communications électroniques, dite « loi des 80-20 », illustre l'augmentation exponentielle du coût avec la baisse de la densité : la première moitié des prises coûte 20 % de l'investissement total, tandis que la seconde moitié des prises en représente 80 %. Les derniers déciles concentrent particulièrement les coûts. Afin de couvrir les foyers concernés à un coût optimal, plusieurs solutions peuvent être envisagées.

La montée en débit sur cuivre correspond tout à la fois à la solution la plus simple à industrialiser mais également la plus coûteuse, dès lors qu'il s'agit toujours d'un réseau filaire. Le réaménagement de la boucle locale cuivre s'appuie sur un rapprochement des noeuds de raccordement par rapport aux utilisateurs, en créant de nouveaux équipements dits NRA-xy, historiquement des NRA-ZO pour réduire les zones blanches ADSL, et désormais des NRA-MeD afin d'augmenter le débit sur les lignes ADSL. La construction d'un NRA-xy coûte approximativement 150 000 euros. L'effet de cette opération sur le débit disponible dépend de la distance restante entre le nouveau NRA et les habitations. Si cette technologie reste moins onéreuse que le FttH, la dispersion de l'habitat pèse encore sur la viabilité technique et économique du raccourcissement du segment en cuivre dans certains territoires. Le nombre de lignes en aval du nouveau NRA, dont le coût est forfaitaire, conditionne grandement la pertinence de cette solution.

Les solutions hertziennes peuvent apporter une solution plus rapide que la montée en débit sur cuivre, en s'affranchissant des contraintes physiques liées à la distance. Selon l'ARCEP, le Wifi, le satellite et la boucle locale radio pour le haut débit représentent fin juin 475 000 abonnés ; un chiffre stable depuis plusieurs trimestres.

Le satellite possède des avantages évidents en termes de déploiement, mais les contraintes sur les débits, particulièrement lors des pics d'utilisation, compromettent l'industrialisation de cette solution pour l'habitat dispersé. L'évolution des usages accroît les tensions sur le volume des données. En juillet 2015, Eutelsat, opérateur du satellite KA-SAT, a annoncé la suspension de la commercialisation des offres haut débit dans 28 départements, compte tenu de la saturation des faisceaux du satellite dans ces territoires. Destiné à un public de 300 000 abonnés, la saturation approche dès 100 000 abonnements. Afin de proposer une qualité de service stable aux abonnés, les opérateurs de satellites privilégient une maîtrise de l'offre. La mise en place opérationnelle d'un nouveau satellite n'interviendra sans doute pas avant plusieurs années, malgré des réflexions avancées sur un nouveau satellite fournissant des services très haut débit. Lors du Comité interministériel aux ruralités du 14 septembre 2015 à Vesoul, le Gouvernement a annoncé des capacités de connexion au haut débit par satellite pour 150 000 foyers supplémentaires à l'horizon 2018. Cette proposition s'appuie sur le lancement d'un nouveau satellite par Eutelsat. Soutenu par le PFTHD dans le cadre du financement des équipements de réception, le satellite est une solution à réserver aux situations les plus difficiles à traiter. Malgré le lancement d'un nouveau satellite, la saturation de l'offre fragilise la composante satellitaire du PFTHD comme solution majeure à l'absence de haut débit correct par voie filaire.

L'hertzien terrestre , principalement le WiMAX en zone rurale, est une solution jusqu'à présent peu industrialisée. Si des réseaux WiMAX ont été mis en place à l'initiative de certaines collectivités territoriales, cette réponse n'a pas été généralisée. Dans les projets de RIP déposés au FSN, le CEREMA dénombre 70 000 accès par la boucle locale radio. Le modèle économique des réseaux hertziens gagnerait à être affiné, plusieurs déploiements de réseau WiMAX par des RIP de première génération ayant abouti à des échecs commerciaux. Un recours accru à l'hertzien terrestre nécessiterait toutefois un élargissement de la bande de fréquences radioélectriques 3,5 GHz, actuellement affectée au WiMAX . Ce changement dans la répartition des ressources radio augmenterait le débit fourni par les réseaux terrestres. En opticalisant les points hauts, ces solutions pourraient dépasser le seuil des 30 Mbit/s. Il serait alors souhaitable que le subventionnement de l'État soit étendu aux infrastructures passives de l'hertzien terrestre : collecte, établissement de points hauts, réhabilitation de sites existants.

L'utilisation fixe des réseaux mobiles représente une autre technologie prometteuse , afin d'offrir un très haut débit aux territoires aujourd'hui dépourvus de haut débit de qualité. La généralisation de la 4G à usage fixe reste incertaine en France. Le rôle de l'État en la matière devrait être accru car il s'agit d'une solution qui pourrait être plus aisément industrialisée que les autres technologies hertziennes .

Proposition : définir un droit au haut débit de qualité, en mobilisant tous les leviers disponibles pour assurer un accès supérieur à 3 Mbit/s à l'ensemble de la population d'ici 2017 : prime au raccordement des foyers concernés, nouvelles capacités satellitaires, subventionnement d'une composante hertzienne terrestre, élargissement de la bande 3,5 GHz, commercialisation de la 4G à usage fixe.

Les moyens mobilisés pour atteindre le haut débit de qualité pour tous, essentiellement la montée en débit sur cuivre et l'équipement de réception satellitaire, semblent très limités par rapport à l'ampleur du problème. Vos rapporteurs regrettent qu'une stratégie nationale d'amélioration du débit n'ait pas été élaborée en définissant des actions rapides et des ressources dédiées.

On ne saurait souligner assez l'importance de permettre à tous de disposer d'un accès correct à internet. La notion de « couverture » numérique n'est pas étrangère à celle d'assurance. Vos rapporteurs invitent tout un chacun à prendre conscience de cet enjeu : ne pas être couvert par un accès haut débit, fixe ou mobile, c'est désormais être exposé à une certaine précarité . Cette absence de couverture est source d'insécurités multiples. L'importance que prend chaque jour le numérique accroît toujours un peu plus la gravité de cet isolement et ses conséquences dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Aujourd'hui des utilisateurs connaissent des différences de 1 pour 100, entre les bénéficiaires d'un débit supérieur à 100 Mbit/s et ceux qui souffrent d'un débit inférieur à 1 Mbit/s. À ce jour, l'engagement pris par le Gouvernement en 2013 d'assurer une telle inclusion numérique reste lettre morte.

Vos rapporteurs notent que la possibilité d'intégrer une composante haut débit dans le service universel est compatible avec le cadre européen. Si cette évolution supposerait une coordination avec le déploiement du très haut débit, une distinction entre le raccordement des foyers et la fourniture de service pourrait faciliter cette perspective. Elle permettrait de séparer la fourniture du raccordement de la prestation du service, en distinguant éventuellement les opérateurs chargés de ces composantes. La diversification des technologies d'accès permettrait de réduire l'importance du réseau de cuivre au profit de la fibre notamment.

L'esprit du service universel est de prévoir des modalités spécifiques de fourniture de certains services, jugés indispensables compte tenu de l'évolution des technologies et des usages. Disposer d'un accès correct à internet apparaît de plus en plus comme une condition essentielle à l'intégration et à la participation à la vie collective . L'ARCEP a estimé en 2013 qu'une couverture totale de la population en haut débit à hauteur de 2Mbit/s représenterait un coût de 3,2 milliards d'euros. Compte tenu de ce niveau élevé d'investissement, peu compatible avec le déploiement concomitant du très haut débit, une intégration à court terme du haut débit dans le service universel ne semble pas économiquement soutenable. Il sera toutefois souhaitable de réévaluer ce coût au fur et à mesure des déploiements afin d'envisager la mise en place d'un véritable « filet de sécurité », car l'absence de haut débit de qualité est un handicap critique pour la vie quotidienne.

2. Le raccordement des sites prioritaires, un objectif de développement territorial

Le raccordement rapide de certains sites est essentiel afin de permettre aux territoires de bénéficier rapidement des potentiels du numérique en matière de développement local. Il s'agit aussi bien de zones d'activité économique qui concentrent les entreprises, que de lieux d'implantation de services publics : établissements scolaires, établissements de santé, guichets administratifs... Identifiés comme « sites prioritaires » ces points stratégiques pour le maillage territorial n'ont pas véritablement bénéficié d'un traitement prioritaire jusqu'à présent.

Concomitamment à la couverture des logements, le raccordement des sites prioritaires doit être accéléré, afin de soutenir la rénovation de certaines politiques publiques dans une perspective d'aménagement du territoire : e-santé, e-éducation, e-administration... Pour les zones d'activité, il s'agit d'améliorer l'attractivité économique des territoires pour permettre à des entreprises de s'implanter dans les zones moins denses.

QUELLES OFFRES POUR LES ENTREPRISES ?

Plusieurs offres de services, liées à une architecture différente au niveau de la boucle locale optique, peuvent être proposées aux entreprises et aux sites publics. Ces options doivent répondre à des besoins différents.

Le FttH « pro » correspond à une offre FttH résidentielle, commercialisée avec des services supplémentaires à destination des professionnels. Reposant intégralement sur la boucle locale grand public, cette technologie propose des services compris entre 50 et 60 euros par mois.

Le FttE* correspond à une offre intermédiaire, avec un raccordement dédié à l'entreprise concernée (liaison point-à-point 55 ( * ) ) à partir de la boucle locale grand public. Proposé pour l'essentiel en zone AMII par Orange et Numericable-SFR, le FttE offre un débit de 50 Mbit/s pour un coût de 200 euros par mois.

Le FttO* correspond à une offre haut de gamme, avec un raccordement spécifique de l'entreprise depuis le noeud (NRO) le plus proche, indépendamment de la boucle locale grand public. Le FttO offre un débit supérieur à 100 Mbit/s pour un coût mensuel de 1 500 euros.

Afin d'accélérer le raccordement des entreprises et des sites d'intérêt général, la version 2015 du cahier des charges prévoit de nouvelles dispositions pour soutenir les projets des collectivités territoriales. Une composante spécifique permet de financer le déploiement anticipé d'un segment visant à offrir un accès rapide aux entreprises (FttE), dès lors que les infrastructures mises en place sont dimensionnées pour intégrer à terme un déploiement du FttH sur l'ensemble de la zone arrière. Une composante relative au raccordement spécifique des sites prioritaires, essentiellement en FttE, vise à compléter ce dispositif. Ces évolutions doit permettre aux porteurs de RIP de viser un raccordement prioritaire des entreprises et des sites publics, sans attendre l'établissement de l'ensemble de la boucle locale optique nécessaire au FttH. Les RIP déposés auprès du FSN identifient environ 40 000 entreprises et sites d'intérêt général à raccorder prioritairement. Un renforcement du subventionnement pour l'accélération du raccordement de ces sites est indispensable au développement du tissu économique et à l'intégration du numérique dans l'ensemble des services locaux.

L'enjeu pour les entreprises, notamment les PME en milieu rural, est également de disposer d'offres de services adaptées, à un coût raisonnable . Comme le note le rapport de la mission dirigée par Paul Champsaur, les offres de milieu de marché aujourd'hui disponibles sur le réseau de cuivre, ne sont pas encore proposées dans des conditions techniques et économiques comparables sur la fibre optique. Les entreprises situées hors des premières plaques de déploiement réalisées par les opérateurs privés sont exclues du très haut débit ou ne se voient proposer que des offres haut de gamme par un réseau FttO, inadaptées à des PME. En développant les accès FttE et FttH « pro », les collectivités territoriales favoriseront l'émergence d'offres de services plus diversifiées aux entreprises, y compris dans des zones où Orange proposait jusqu'à présent une offre FttO quasi-monopolistique.

Proposition : Accélérer le raccordement des sites stratégiques pour les territoires par un subventionnement accru, afin de diffuser rapidement les progrès du numérique là où ils sont le plus nécessaires (santé, éducation, administration, attractivité économique...)

* *


* 52 Article 8 de la proposition de loi n°118 visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat le 14 février 2012.

* 53 Annexe de l'observatoire des marchés.

* 54 En cas de multiplexage, plusieurs abonnés sont desservis par un même câble téléphonique partagé.

* 55 En proposant une liaison spécifique du noeud de réseau vers le site final, l'architecture point-à-point se distingue de l'architecture PON qui transporte le trafic de plusieurs utilisateurs sur une même fibre.

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