III. UNE MÉTHODE CHOISIE POUR ÉVITER CERTAINS ÉCUEILS DE LA SIMPLIFICATION

Pour respecter sa feuille de route, le groupe de travail a arrêté une méthode : simplifier sans dérèglementer (A), ne pas nourrir l'instabilité normative (B), tenir compte des simplifications déjà intervenues (C), se donner les moyens d'identifier les noeuds de complexité (D).

A. SIMPLIFIER N'EST PAS DÉRÈGLEMENTER

Les causes de la complexité sont multiples mais toutes ne relèvent pas d'une politique de simplification stricto sensu . Certaines complexités sont voulues ou nécessaires et ne peuvent être levées que par des inflexions de fond des politiques publiques concernées. Ce type de mesures excédait le champ d'un groupe de travail transpartisan qui a donc voulu simplifier sans déréglementer.

1. Les causes de la complexité du droit sont multiples

La multiplication et la complexité des normes peuvent d'abord s'expliquer par des défauts des mécanismes de fabrique de la norme , tels que, par exemple :

- l'édiction de normes trop imprécises ou obscures ou, au contraire, trop détaillées pour s'adapter à la diversité des situations concrètes ;

- des procédures mal conçues qui établissent des formalités dilatoires, bloquantes, redondantes ou disproportionnées au regard des objectifs poursuivis ;

- le maintien de règles obsolètes qui ont pu avoir leur justification mais qui n'ont plus lieu d'être compte tenu de l'évolution du droit et des techniques.

La complexité du droit se nourrit également du changement économique et social incessant inhérent aux sociétés démocratiques . Dans un monde toujours plus complexe, ouvert et mouvant, le droit tend à se transformer en même temps que la réalité politique, sociale et économique à laquelle il s'applique et qu'il régule. La pression sociale s'exprime par la médiation du jeu politique démocratique, qui tend à intégrer les demandes que les acteurs expriment continument afin d'adapter les règles existantes et prendre en compte des situations nouvelles, développer de nouvelles protections ou accompagner l'innovation.

Sans doute l'inflation normative est-elle aussi la conséquence d'une propension à privilégier la production de normes impersonnelles par rapport à la prise de décision de terrain impliquant une responsabilité personnelle.

Contre la représentation un peu simpliste d'une loi imposée d'en haut par le pouvoir politique et administratif à des acteurs qui seraient uniquement en attente de plus de souplesse et de liberté, il faut souligner que c'est l'innovation économique et sociale elle-même qui vient sans cesse bouleverser l'ordre juridique en lui demandant de construire des équilibres toujours plus complexes, jamais pleinement satisfaisants, entre des demandes souvent divergentes ou contradictoires . Si elle est un facteur de blocage de l'innovation économique et sociale, la complexification du droit est aussi une conséquence de cette innovation.

Les évolutions du droit de l'urbanisme et des sols illustrent bien cette tendance « normale » à la complexification normative. Elles tiennent en effet pour une part importante au fait que ce droit intègre un nombre croissant de politiques publiques, dont chacune poursuit des objectifs aussi légitimes que potentiellement divergents :

- objectifs proprement urbanistiques d'organisation de l'espace autour d'un projet urbain collectif, mais dans le respect du droit de propriété privée ;

- objectifs environnementaux de préservation ou de mise en valeur des ressources agricoles et naturelles (loi sur l'eau, protection des espèces animales et végétales, prise en compte de risques nouveaux auxquels sont soumises les populations et/ou abaissement du seuil de tolérance aux risques, etc...) ;

- objectifs économiques de développement de l'activité, qui passent par le développement de la construction, l'aménagement,... ;

- objectifs patrimoniaux et paysagers (protection et mise en valeur du patrimoine historique et des paysages, archéologie préventive,...) ;

- objectif démocratique de développement de la participation du public à la définition des projets de plans ou de travaux ;

- objectifs de politique de décentralisation , qui, par nature, augmentent le nombre d'acteurs institutionnels concernés et accroissent automatiquement les besoins de coordination entre eux.

Ainsi, le droit de l'urbanisme, qui était à l'origine un droit relativement simple centré sur le contrôle des autorisations d'occupation des sols, tend à devenir, au fil du temps, le « déversoir » de toutes les politiques publiques qui nécessitent un ancrage territorial. Il n'y a pas un texte sectoriel où l'on ne propose, avec de bons arguments, de modifier le droit de l'urbanisme pour intégrer la prise en compte de normes ou de schémas nouveaux issus de législations connexes. Or, plus nombreux sont les acteurs parties prenantes dans la définition et la mise en oeuvre des projets urbanistiques, plus variés sont les objectifs devant être conciliés par ces projets, plus complexes sont aussi les outils juridiques nécessaires pour tenter de réaliser cette conciliation.

C'est pourquoi le code de l'urbanisme est devenu telle une boîte contenant une variété incroyable d'outils destinés à construire l'équilibre le plus pertinent possible localement entre des objectifs aussi légitimes que variés, conformément à l'exigence posée par les principes généraux du droit de l'urbanisme formulés à l'article L. 101-2.

Un droit de l'urbanisme au carrefour d'exigences aussi diverses que légitimes

L'objectif de construire un équilibre délicat, sinon improbable, entre des exigences plurielles constitue aujourd'hui le principe fondamental qui structure tout le code de l'urbanisme. Il est exprimé à l'article L. 101-2, dont la lecture montre bien que l'urbanisme est un exercice d'équilibriste.

« Art. L. 101-2.- Dans le respect des objectifs du développement durable, l'action des collectivités publiques en matière d'urbanisme vise à atteindre les objectifs suivants :

1° L'équilibre entre :

a) Les populations résidant dans les zones urbaines et rurales ;

b) Le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux ;

c) Une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ;

d) La sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables ;

e) Les besoins en matière de mobilité ;

2° La qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville ;

3° La diversité des fonctions urbaines et rurales et la mixité sociale dans l'habitat, en prévoyant des capacités de construction et de réhabilitation suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs de l'ensemble des modes d'habitat, d'activités économiques, touristiques, sportives, culturelles et d'intérêt général ainsi que d'équipements publics et d'équipement commercial, en tenant compte en particulier des objectifs de répartition géographiquement équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services, d'amélioration des performances énergétiques, de développement des communications électroniques, de diminution des obligations de déplacements motorisés et de développement des transports alternatifs à l'usage individuel de l'automobile ;

4° La sécurité et la salubrité publiques ;

5° La prévention des risques naturels prévisibles, des risques miniers, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature ;

6° La protection des milieux naturels et des paysages, la préservation de la qualité de l'air, de l'eau, du sol et du sous-sol, des ressources naturelles, de la biodiversité, des écosystèmes, des espaces verts ainsi que la création, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ;

7° La lutte contre le changement climatique et l'adaptation à ce changement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'économie des ressources fossiles, la maîtrise de l'énergie et la production énergétique à partir de sources renouvelables. »

2. La politique de simplification du droit ne prend en compte que la dimension formelle de la complexité normative
a) La simplification est la recherche d'un droit « optimisé »...

Stricto sensu , la simplification du droit consiste à agir sur les dysfonctionnements de la fabrique de la norme sans s'interroger sur les objectifs de fond poursuivis par cette dernière. Elle vise à traquer les formalités excessivement tatillonnes, peu claires ou redondantes qui existent dans le droit en vigueur ou qui pourraient résulter de la création de nouvelles normes ou procédures. Son ambition est de faire en sorte que le droit ne devienne pas par lui-même un facteur de complication, mais sans se prononcer sur la pertinence des objectifs poursuivis ou revenir sur des choix politiques effectués précédemment.

On pourrait la décrire comme une recherche d'« optimisation » des procédures.

Concrètement, cette simplification du droit peut passer par l'abrogation de normes législatives ou règlementaires devenues inutiles compte tenu des changements sociétaux, économiques, techniques ou institutionnels, par la clarification de leurs conditions d'interprétation et d'application ou encore par l'édiction de normes nouvelles plus claires et plus opérationnelles. Elle peut également s'appuyer sur des changements organisationnels dans l'application et le suivi des normes (contentieux, dématérialisation des procédures, réorganisation des services administratifs,...).

Précisément parce que les évolutions du monde contemporain se traduisent par une tendance à la multiplication des normes, cet enjeu de la simplification et de la qualité du droit devient stratégique et hautement sensible. La simplification est en effet essentielle pour trouver le meilleur équilibre possible entre l'encouragement aux innovations de tous ordres et la stabilité nécessaire à la sécurité juridique des personnes ; entre la facilitation des projets privés ou publics nécessaires au développement économique et la protection des personnes, de l'environnement et du patrimoine ; entre l'allègement des contraintes réclamé par les porteurs de projets et le respect du droit des parties prenantes et des tiers ; entre l'adaptation à des situations différenciées, la concision des normes et l'égalité devant le droit.

b) ... et non la redéfinition du contenu et des objectifs des politiques publiques

La politique qui cherche à agir sur le fond des politiques publiques ne relève pas à proprement parler d'une politique de simplification et sort du mandat de ce groupe sénatorial de travail transpartisan sur la simplification.

Elle consiste en effet à redéfinir le contenu et le périmètre des politiques publiques pour décider de ne plus prendre en compte par la loi ou le règlement certains objectifs. C'est un choix très clairement politique, qui consiste à hiérarchiser les objectifs et à en écarter certains. Cela passe donc par des réformes de fond, qui ont toutes les chances de ne pas être consensuelles. C'est pourquoi, pour éviter toute confusion, il vaut mieux parler dans ce cas de redéfinition des politiques publiques plutôt que de simplification.

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