B. L'OPPORTUNITÉ DE CRÉER UNE « GARDE NATIONALE »

Une récente étude faisait à juste titre valoir que « la création d'une "garde nationale" se heurte à un premier obstacle : l'absence de définition précise . Elle est généralement comprise comme une force locale semi-permanente qui est utilisée comme auxiliaire des unités d'active 127 ( * ) . »

Pour le moment, l'expression la plus aboutie, dans une forme officielle, de l'idée d'une « garde nationale » d'abord émise par le Président de la République, sans guère de précision, lors de son allocution devant le Congrès du Parlement réuni le 16 novembre 2015, consiste, comme on l'a indiqué plus haut, dans les propos du ministre de la défense, dans le discours qu'il a tenu à l'occasion des « Assises de la réserve » du 10 mars 2016. Citons-les, ici, à nouveau : « [la réserve militaire] devra contribuer plus fortement à la protection du territoire national et à la sécurité des Français. Elle renforcera ainsi la capacité de l'État à réagir en cas de crise majeure. Elle constituera le socle, éventuellement, d'une garde nationale, militaire, composée des réserves des armées et de la gendarmerie nationale, déployée en métropole pour assurer des missions de défense et de sécurité telles que la surveillance et la protection de sites, le contrôle de zones ou le soutien des opérations . »

Dans le répertoire des scénarios concevables, modèles déjà disponibles ou champs de réflexions possibles, celui que le ministre a ainsi esquissé ne représente sans doute pas le plus inventif, comparé à certains de ceux qui ont pu être avancés, déjà, dans le débat public. Cependant, vos rapporteurs notent d'emblée ici qu'ils souscrivent largement à cette vision relativement simple, sous la condition de donner à cette initiative le sens qu'ils exposent ci-après.

1. Les scénarios envisageables
a) Les modèles disponibles

En fait de « garde nationale », les modèles à disposition dans l'histoire et selon la géographie paraissent ne pouvoir inspirer que très faiblement une nouvelle organisation de ce type dans la France d'aujourd'hui.

Si l'on regarde, d'abord, du côté de l'histoire, force est de constater que l'expérience de soixante-douze années qu'a eue notre pays en ce domaine, étendue de 1789 à 1871, a laissé dans la mémoire collective un souvenir plutôt mitigé .

Certes, un certain prestige demeure attaché au commandement confié à La Fayette, en 1789 lors de la création de la première Garde nationale de Paris puis, à nouveau, en 1830. Le symbole tenant au principe de la « Nation en armes » sur lequel se trouvait fondée la Garde, constituée de milices de citoyens qui étaient les héritières des « gardes bourgeoises » apparues sous l'Ancien Régime, reste également puissant.

Toutefois, ce dispositif a été discrédité dans son rôle de garant de la sécurité et de l'ordre par la part qu'ont prise les gardes nationaux parisiens dans l'épisode sanglant de la Commune , à l'initiative de la « Fédération républicaine de la Garde nationale » constituée en février-mars 1871. Cet évènement, de fait, a entraîné la dissolution, le 25 août 1871, de toutes les gardes nationales alors présentes dans les communes françaises ; et la loi du 27 juillet 1872, en énonçant en son article 6 que « tout corps organisé en armes et soumis aux lois militaires, fait partie de l'armée et relève du ministère de la guerre », a entendu mettre un terme définitif à l'expérience.

La Garde nationale a d'ailleurs suscité, en son temps, la méfiance de la plupart des régimes qui l'ont connue, à commencer par la Constituante qui lui a donné, en 1791, sa première loi d'organisation 128 ( * ) . En particulier, si Napoléon I er eut massivement recours à ses forces, c'est au titre de réserve de l'armée active, pour les campagnes extérieures, et non pour maintenir l'ordre public. En fait, après la Révolution, seule la Monarchie de Juillet, qui assit sur elle une partie de sa légitimité et de son dispositif d'ordre, a soutenu une organisation qui, cependant, fut aussi pour elle un élément croissant de déstabilisation. Politisée, peu contrôlée et guère contrôlable, elle n'a du reste pas plus défendu Louis-Philippe de la chute, en 1848, que la Deuxième République lors du coup d'État du 2 décembre 1851, restant également passive dans les deux cas.

Au souvenir à tout le moins ambivalent de cette existence mouvementée de la Garde nationale, vient s'ajouter, pour notre temps, les connotations négatives que confèrent aux milices, sous quelque nom qu'elles se présentent, le rôle qu'elles ont tenu dans l'histoire du XX e siècle.

Si l'on se tourne du côté de la géographie, les exemples de « garde nationale » que l'on peut observer, aujourd'hui, à travers le monde, ne sont guère transposables en France ou, du moins, semblent ne pas pouvoir répondre aux besoins .

Le premier modèle possible qui vient à l'esprit est celui de la National Guard des États-Unis , formée de l' Army National Guard , elle-même composante de l' US Army - l'armée de terre américaine -, et de l' Air National Guard , composante de l' US Air Force - l'armée de l'air. Or cette Garde nationale, lointaine descendante des milices qui, dès le XVII e siècle, s'étaient opposées aux représentants de la Couronne britannique, regroupe aujourd'hui 455 000 hommes formés, entrainés et équipés sans commune mesure avec les moyens de la France. Elle s'avère en outre très fortement marqué par l'histoire et l'organisation constitutionnelle des États-Unis. Ainsi, son statut est mixte : il s'agit à la fois de milices d'État et de forces militaires de réserve ; à ce titre, elles se trouvent placées sous la double autorité des États fédérés et de l'État fédéral.

Sur le territoire américain, chaque État peut mobiliser la Garde nationale pour des missions de maintien de l'ordre, par exemple en cas d'émeutes comme à Ferguson, dans le Missouri, en 2014, ou dans la lutte contre le narcotrafic, et pour la lutte contre les catastrophes naturelles, comme à la suite de l'ouragan « Katrina », en Louisiane, en 2005 ; l'intervention de l'armée et des réserves fédérales sur le territoire national est en effet interdite en principe. La Garde nationale, de ce point de vue, matérialise le droit des citoyens américains de participer à la défense au niveau territorial, et procède du droit constitutionnel pour chaque État de former une milice. Par ailleurs, elle peut se voir déployée dans des opérations extérieures, aux côtés des forces fédérales.

Bien qu'elle n'en affiche pas l'intitulé, l'organisation de la réserve militaire suisse constitue en partie une forme de « garde nationale » comparable au modèle états-unien, dans la mesure notamment où elle s'avère elle aussi liée à un système de type fédéral. Les 80 000 hommes environ qui la composent sont soit des militaires en service long, qui constituent des compagnies d'intervention mobilisables pour des opérations, soit des miliciens répartis dans les formations de la réserve. Ces derniers, soumis à l'obligation d'un tir annuel, conservent leur fusil d'assaut à leur domicile ; ils incarnent le concept du « peuple en armes », confirmé par le référendum du 18 mai 2003. En cas de crise majeure, il revient au Conseil fédéral et au Parlement de décider de l'emploi opérationnel de ces « gardes nationaux » qui ne disent pas leur nom.

Sous celui-ci, en revanche, certains pays désignent l'équivalent de nos gendarmes. C'est le cas notamment de la Tunisie , où la Garde nationale, force militaire relevant du ministère de l'intérieur, se trouve chargée de la surveillance du territoire, habituellement dans les zones rurales et non urbaines, ainsi que de la sécurisation des frontières. C'est le cas également, sans nul souci d'exhaustivité ici, du Venezuela , dont la Guardia Nacional , composante des forces armées du pays, peut jouer un rôle dans la défense civile mais aussi servir de force de réserve d'infanterie légère.

Dans un autre registre, en Arabie saoudite , la Garde nationale, composée d'environ 75 000 hommes des forces d'active et de 25 000 autres fournis par les tribus, se présente comme une entité autonome par rapport aux armées, dotée de son propre ministère et jouant un rôle pour la sécurité intérieure et pour la défense ; elle est souvent analysée comme une forme de « garde prétorienne » de la monarchie saoudienne. On mentionnera encore la toute récente Garde nationale russe ( Íàöãâàðäèè - Natsgvardia ), dont la création a été approuvée le 29 juin 2016 par le Conseil de la Fédération de Russie pour réorganiser les forces de l'intérieur : cette nouvelle entité relève directement de l'autorité du président de la Fédération ; sa tâche doit consister dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la protection de l'ordre public, notamment contre les émeutes, et celle de « l'intégrité territoriale de la Russie », ainsi que la lutte contre les catastrophes ; elle devrait en outre assurer la protection personnelle du président de la Fédération.

Ces différents montages sécuritaires sont, pour servir de modèle, ou bien trop éloignés de la tradition française, ou bien sans rapport avec les enjeux actuels de notre défense nationale. Du reste, l'une des conclusions à laquelle aboutit l'étude sur l'organisation des réserves militaires de six États étrangers élaborée, sur la demande de vos rapporteurs auprès du ministre de la défense, par les services de la DGRIS 129 ( * ) , est précisément que les modèles, en ce domaine, demeurent marqués par les cultures nationales qui les ont sécrétés .

Si la France doit se doter d'une « garde nationale », c'est donc un schéma propre qu'elle doit adopter.

b) Le champ des possibles

Pour ce qui concerne notre pays aujourd'hui, sans même compter l'ébauche de projet présenté par l'Exécutif, un certain nombre de propositions de « garde nationale » récemment avancées témoigne que le champ des possibles, en la matière, reste assez vaste . La revue ci-dessous, par ordre chronologique, en donne un aperçu non exhaustif.

En mars 2012, le groupe de réflexion « Janus » 130 ( * ) , composé de militaires et de chercheurs, a proposé la création d'une Garde nationale de 75 000 hommes, dont 15 000 issus des armées ; les autres « gardes nationaux » auraient un statut de civils accomplissant des périodes d'emploi militaire de 30 à 100 jours par an, rémunérés au taux de leur grade, et pourraient « bénéficier de certains avantages fiscaux, de stages et d'emplois "réservés", mais aussi de possibilités d'intégration rapide au sein des forces d'actives ». Il s'agirait d'un « corps autonome avec un uniforme distinct des trois autres armées. L'ossature d'active (15 à 20 % du personnel) viendra indistinctement des trois armées et sera issue des cadres militaires mutés, de civils travaillant pour la défense, de personnel affecté à leur demande mais aussi de militaires d'active préparant un stage ou une reconversion. [...] Toutes les spécialités seront ouvertes aux gardes nationaux (pilote d'hélicoptère, permis mer, permis de conduire, brevet de parachutisme, qualification montagne, cursus officiers, sous-officiers et officiers mariniers, spécialistes, etc.). Une partie de la formation se tiendra dans les écoles actuellement existantes (terre, air et mer). »

Cette nouvelle force serait « organisée en divisions territoriales de 10 000 hommes pour le nord-est, le sud-est, le nord-ouest et le sud-ouest du pays. L'Île-de-France sera dotée de 20 000 hommes et les Dom-Tom de 15 000 hommes. La brigade franco-allemande pourra être intégrée à cet ensemble. Les divisions territoriales seront commandées par des officiers généraux issus des trois armées [...] ».

Pour les auteurs du projet, le dispositif visait, tout ensemble, « à répondre à la demande des jeunes Français volontaires pour des actions au profit de la collectivité, à valoriser ce volontariat, à compenser les pertes en effectifs des armées, à avoir une organisation et les forces effectives pour de nouvelles missions comme la protection civile (catastrophes naturelles, accident nucléaire, etc.), les actions humanitaires de tous types, l'assistance aux forces de sécurité en cas d'événements importants, la mission Vigipirate mais aussi la présence dans les banlieues, la formation des jeunes et la participation à la chaîne de reconversion. Éventuellement, [la Garde nationale] pourra être considérée comme un vivier de forces disponibles pour des opérations militaires. »

En décembre 2015, un autre « Plaidoyer pour une Garde nationale républicaine 131 ( * ) » a été présenté par M. Hervé Drévillon , directeur de l'Institut des études sur la guerre et la paix à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne. Celui-ci, estimant que « déclarer la France en guerre sans donner aux Français les moyens d'agir revient à les plonger dans un état d'impuissance anxiogène », a préconisé la création d'une Garde nationale qui renouerait avec les principes posés sous la Révolution, en considérant que « l'histoire du principe même de la Garde nationale souligne la nécessité d'en faire une force essentiellement civile. La Constitution de 1791, en effet, précisait que "les gardes nationales ne forment ni un corps militaire, ni une institution dans l'État ; ce sont les citoyens eux-mêmes appelés au service de la force publique." Une telle force ne saurait donc être placée sous statut et commandement exclusivement militaires. »

M. Drévillon précisait que l'« encadrement [de cette nouvelle Garde nationale] pourrait être confié à des réservistes, dont un grand nombre est déjà affecté à des missions sur le territoire national, dans les Compagnies de Réserve territoriale de la gendarmerie. Et il faudrait leur adjoindre des policiers, mais également les acteurs de la sécurité civile (pompiers, secouristes). Mais surtout, il faudrait que son organisation et sa composition soient plus largement ouvertes sur la société civile. Les moyens pour y parvenir passent par une organisation calquée sur les structures civiques (communes, cantons, départements), une soumission à l'autorité civile et, surtout, par l'élargissement de son recrutement. Il faudrait ainsi organiser le lien entre la Garde nationale et le service civique et ouvrir une ample réflexion sur le statut de ses membres et de ses cadres. Faut-il, par exemple, y appliquer le principe de l'élection des officiers ou, au contraire, prévoir des contrats rémunérés, qui élargiraient l'assise sociale de la participation, afin d'éviter la constitution d'une garde bourgeoise ? »

Le dispositif ainsi proposé serait utilisé pour « des missions de surveillance et de sécurité civile » : « la Garde nationale n'aurait pas pour mission de lutter directement contre le terrorisme, ni d'assurer le maintien de l'ordre. Elle devrait être un instrument de vigilance citoyenne, mobilisé en soutien de la force publique, dont nous sommes tous les garants. À la question de son armement, il faudrait [...] répondre de façon souple et pragmatique, sans condamner cette force à l'impuissance, tout en évitant d'en faire une oligarchie de citoyens en armes. »

Au mois de mars 2016, notre collègue député Jacques Myard a déposé une proposition de loi « tendant à la création d'une réserve citoyenne "Volontaires pour ma ville" » 132 ( * ) ; or il s'avère que cette nouvelle réserve, conçue comme une force locale d'appoint pour les forces de sécurité civile, présenterait les caractéristiques d'une « garde nationale ». Il s'agirait en effet de donner à chaque maire « agissant au titre de ses pouvoirs de police d'État, sous l'autorité du préfet », la faculté de « créer une réserve citoyenne constituée de volontaires » à laquelle il pourrait être fait recours « en cas de nécessité , [...] en renfort des services publics chargés de la sécurité civile ou de la sécurité publique ». L'exposé des motifs de la proposition fait apparaître que « les missions que ces citoyens volontaires pourront être amenés à exercer sont de nature très variée : incendies, catastrophes naturelles, accidents importants, intempéries, manifestations particulières... Ces missions, fort diverses en fonction des besoins et ayant lieu dans un contexte bien identifié sont, par exemple, des missions de surveillance ou d'alerte, en renfort des services chargés de la police ou de la gendarmerie ou des services chargés de la sécurité civile . »

La proposition de loi prévoit que les volontaires en cause seraient bénévoles et bénéficieraient du statut de collaborateurs occasionnels du service public. Pour définir les modalités d'organisation et d'intervention de cette nouvelle « réserve citoyenne », il serait renvoyé à un décret, mais l'exposé des motifs précise l'idée que s'est formée, à cet égard, l'auteur de la proposition, en indiquant, notamment : « Les citoyens volontaires sont répertoriés à l'avance par la commune, après avoir fait connaître leur intérêt à la suite d'appels diffusés par le maire. La spécialité de ces personnes, médecin, infirmier, informaticien, agent de surveillance... est recensée afin d'être utilisée au mieux des besoins qui se feront jour. La commune dispose de leur numéro de téléphone portable et de leur adresse de messagerie électronique. L'action des appelés se déroule dans un cadre défini : les citoyens volontaires se placent évidemment sous l'autorité du maire. Ils ne détiennent pas de fonction autonome mais sont soumis à l'autorité hiérarchique administrative dans l'exécution de leurs missions . »

En mai 2016, l'Union-IHEDN , qui regroupe les associations d'auditeurs de l'Institut des Hautes Études de défense nationale, a rendu public 133 ( * ) son propre projet, particulièrement détaillé, de création d'une Garde nationale. Les missions de celle-ci viseraient « la protection du territoire au sens large », à la double exclusion, ce faisant : d'une part, des opérations extérieures - dont la meilleure exécution a été considéré par les promoteurs de ce projet comme relevant d'un renfort d'effectifs des armées dans le cadre existant ; d'autre part, des opérations de maintien de l'ordre, déjà assurées par la police et, sous l'aspect militaire, la gendarmerie. La « Garde » ainsi envisagée assurerait « la défense face à des menaces intérieures et extérieures mais aussi la participation à la prévention des risques et à l'assistance aux populations lorsque ceux-ci se matérialisent. Dans ces deux missions principales, la Garde Nationale serait engagée selon les cas sous commandement militaire ou sous l'autorité civile compétente. Ses capacités, tant au niveau humain qu'à celui des équipements devraient être adaptées aux deux champs de ses missions . »

D'une manière générale, pour les concepteurs du projet, « [en] reprenant à son compte la défense intérieure du territoire, la Garde Nationale permettrait aux Armées de se concentrer sur leur mission première, d'intervenir avec moins de contraintes à l'extérieur et de consacrer le temps nécessaire à l'entraînement, condition indispensable de leur efficacité. Ses unités seraient aussi une réserve supplémentaire en cas de tension. Assurant des actions de protection civile, la Garde Nationale permettrait à la Police de se recentrer sur le maintien de l'ordre, viendrait apporter un renfort précieux aux corps de sapeurs-pompiers minés par le sous-effectif et accroitrait les chances de survie des blessés par un prétraitement qui amènerait aux hôpitaux des patients mieux préparés aux interventions médicales lourdes ».

Cette Garde serait ouverte « à tous les citoyens âgés de 18 à 40 ans au moment de l'engagement, n'ayant pas fait l'objet d'une condamnation, présentant les aptitudes physiques requises et ayant satisfait à des tests psychotechniques. Une priorité serait donnée aux militaires, policiers et pompiers sortant de leur propre période de réserve ». Il a été précisé que « le recrutement se ferait sur la base du volontariat. Les gardes suivraient une formation amenant au brevet élémentaire militaire en trois mois complétée par une initiation aux questions de défense ainsi qu'aux libertés publiques. Ce tronc commun serait complété par des formations de spécialités en vue de donner à la Garde Nationale son autonomie en matière d'entretien et de gestion de son équipement, de transmission, de logistique, d'administration mais aussi d'acquérir les compétences propres à l'emploi des équipements militaires ainsi qu'à la protection civile (incendie, conduite d'engins, formation aux premiers soins...). Selon les spécialités, les formations prendraient entre 2 et 4 mois. Ensuite les gardes rejoindraient les compagnies d'entraînement où ils affineraient leurs capacités par un travail en commun en situation réelle. Cette période d'exercice serait de 3 mois. Au total, chaque garde servirait au minimum 8 mois sans interruption avec le bénéfice de 2 jours de congé acquis par mois de service, prenable pour moitié au plus durant la période d'entraînement et payés à la sortie du service actif. L'encadrement serait assuré par des réservistes des Forces Armées, de la Police et des corps de protection civile auxquels s'ajouteraient des officiers et des sous-officiers issus de la Garde Nationale qui suivraient des pelotons de formation au commandement de 3 mois en sus des autres formations.

« Le lien entre l'État et les volontaires serait un contrat de disponibilité sur cinq ans qui réglerait tant la période initiale que les obligations et droits dans la réserve. L'obligation de disponibilité devrait avoir pour contrepartie des dispositions propres à assurer la stabilité de la vie professionnelle des gardes ; leur détail dépasserait le cadre de cette note. En tout état de cause et en dehors des rappels pour emploi, chaque garde devrait consacrer l'équivalent de deux semaines par an à l'entretien de sa formation et à des exercices en compagnies d'entraînement. La durée serait portée à 3 semaines pour l'encadrement . »

Il était par ailleurs indiqué que, « si pour son instruction, son entraînement et sa gestion la Garde Nationale, de par ses spécificités, devait avoir une organisation dédiée, ses règles et cadres d'emploi seraient fixés par l'autorité militaire ou l'autorité civile selon les missions qui lui seraient confiées ». La nouvelle force « pourrait être articulée en unités d'active de la taille d'une compagnie appuyées sur des réserves à disponibilité rapide (24 heures à 72 heures). Ces unités d'active seraient essentiellement des sections d'instruction (formation de base et spécialités) et des compagnies d'entraînement. Elles serviraient de base aux réserves par dédoublement ou triplement, assurant l'accueil et l'équipement des gardes à partir du matériel stocké sous leur responsabilité, y compris l'armement, la détention de l'arme de service à domicile sur le modèle helvétique, paraissant à éviter pour des raisons tant techniques que de sécurité. La proportion entre gardes servant en situation d'activité et gardes en réserve pourrait être d'un sur cinq. Si l'on se fonde sur les effectifs engagés dans les actions de protection en 2015, la Garde devrait être en mesure de fournir en 24 heures 15 000 hommes et femmes pour l'ensemble du territoire [...]. »

Enfin, notons que, selon ce projet, « les services fournis dans la Garde Nationale seraient rémunérés sur la base des grilles indiciaires militaires pendant les périodes d'activité initiale ou en rappel. La sujétion de disponibilité dans la réserve ferait l'objet d'une indemnisation forfaitaire dont le montant reste à fixer mais dont l'existence rendrait plus attrayant l'engagement dans la Garde . »

On signalera, pour finir, la proposition de « Garde nationale et civique » que M. Laurent Azoulay a présentée au sein du Parti socialiste en juin dernier 134 ( * ) . Ce projet s'éloigne un peu de ceux qui viennent d'être passés en revue dans la mesure où son objet relève moins prioritairement de la défense que d'une visée d'ordre social. L'intention expressément poursuivie en l'occurrence, en effet, consisterait en synthèse à « fédérer en un seul dispositif cohérent et performant l'ensemble des dispositifs actuels liés au service civique, en les améliorant, les complétant et en amplifiant leur complémentarité et leur efficacité avec pour but essentiel de proposer aux jeunes des options nouvelles et dynamiques qui favorisaient leur émancipation et l'accomplissement de leurs projets ».

Cependant, la « garde nationale » proposée dans ce cadre viserait à la fois à « soulager les forces de défense et de sécurité de missions qui les accaparent et les détournent de leur coeur de métier » et à « restaurer l'idée d'une participation citoyenne à la politique de défense et de sécurité (y compris la sécurité civile) ». Son organisation devrait « permettre de satisfaire ces deux objectifs, civique et opérationnel, en amalgamant des personnels de statuts différents : volontaires, jeunes du service civique, professionnels, réservistes. [...] La Garde Nationale aurait ainsi une mission de soutien (y compris logistique) aux forces de défense et de sécurité, de protection civile, d'intervention en cas de catastrophe naturelle, de surveillance de points sensibles (incluant les gardes statiques dont l'armée pourrait ainsi être déchargée),... »

Le projet précise notamment que « la Garde Nationale serait d'abord constituée à partir de la réserve opérationnelle actuellement constituée de 56 000 réservistes (21 000 anciens militaires et 35 000 personnels issus de la société civile), dont une partie (environ 30 000) formerait l'ossature de la Garde Nationale. L'autre partie (26 000 dans l'hypothèse d'un maintien des effectifs actuels ou plus, dans l'hypothèse d'un renforcement de la réserve) continuerait à effectuer les missions actuelles, qui sont identiques à celles de l'armée de métier (OPEX, opérations sur le territoire national). Outre ces 30 000 réservistes, la Garde Nationale serait encadrée par environ 5 000 militaires, policiers, pompiers professionnels, et les 200 000 pompiers "volontaires" mobilisés sur l'ensemble du territoire. [...] Ainsi constituée (30 000 réservistes + 5 000 cadres), la Garde Nationale accueillerait environ 30 000 jeunes effectuant leur service civique en tant qu'auxiliaires de la Garde Nationale pour des missions n'impliquant pas le port d'armes. À l'issue de ce service en tant qu'auxiliaires, certains (environ 20 000) pourront s'engager pour des contrats rémunérés de 1 à 3 ans en tant que volontaires de la Garde Nationale. Dûment formés, ces volontaires pourraient être armés. À l'issue de ce contrat, ceux qui le souhaiteraient pourraient être intégrés dans les forces (armée ou police) en conservant leur grade et le bénéfice de l'ancienneté accumulée pendant le service dans la Garde Nationale. Dans tous les cas, à l'issue de leur période, ils rejoindront les effectifs des réservistes. »

Enfin, il est indiqué que « les missions de la Garde Nationale et Civique seront organisées selon un principe de subsidiarité en distinguant trois types de missions : les missions propres à la Garde Nationale et Civique assurée de façon autonome [ ;] les missions de soutien aux forces de défense et de sécurité, auxquelles une partie des Auxiliaires de la GNC serait intégrée (les volontaires de la GNC seront affectés aux missions spécifiques de la GNC pour ne pas être confondus avec les volontaires de l'armée). Dans ce cas, la GNC agirait en tant que réserve mise à la disposition de la police, de l'armée, des pompiers ou de la gendarmerie [ ;] les missions de mainforte où la GNC serait déployée en tant que telle, mais en appui des forces de défense et de sécurité et sous leur contrôle opérationnel. La GNC serait alors une force concourante. »

2. Le sens d'une initiative : une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux crises

Parmi la gamme des modèles de « garde nationale » à disposition, y compris les récents projets de montage plus ou moins nettement dessinés dont on vient de donner des exemples, vos rapporteurs ont choisi de privilégier une approche à la fois réaliste et pragmatique . Ils recommandent en effet d'éviter, à cet égard, deux écueils qui paraissent vouer à l'échec les initiatives qui méconnaîtraient l'un ou l'autre :

- en premier lieu, éviter toute tentation d'une armée « bis » à côté de l'armée active, ou d'une « quatrième » armée aux côtés de l'armée de terre, l'armée de l'air et la marine. Si « garde nationale » il peut y avoir, c'est auprès des armées et sous la chaîne de commandement militaire existante, quand bien même celle-ci devrait être aménagée en tant que de besoin afin de tenir compte du nouveau dispositif. En effet, la « greffe » d'un corps nouveau sur l'organisation militaire actuelle, à supposer qu'elle puisse prendre, ne paraît ni souhaitée par les armées ni, par conséquent, souhaitable, s'agissant d'une réforme d'abord conçue pour leur venir en appui ;

- en second lieu, éviter toute construction trop complexe qui, en tant que telle, ne serait pas praticable. L'organisation d'une « garde nationale », pour être assurée d'efficience, paraît devoir ne pas trop s'éloigner des mécanismes de fonctionnement d'ores et déjà éprouvés. Il n'est pas certain que tous les projets que l'on voit aujourd'hui s'échafauder respectent cette règle de sagesse.

Ces jalons posés, vos rapporteurs sont parvenus à la conviction qu'en l'état, d'une part, des menaces qui pèsent aujourd'hui sur notre pays et, d'autre part, de notre outil de défense - compte tenu, en particulier, de l'implantation inégale des forces sur le territoire national -, la « garde nationale » dont nous avons besoin est celle que l'on constituerait à partir d'une réserve militaire rénovée, notamment, par sa territorialisation . C'est le sens qu'ils souhaitent donner à la proposition esquissée en ce domaine par le Président de la République en novembre 2015 et janvier 2016, et précisée par le ministre de la défense en mars dernier.

Le plus pressé est de disposer, avec une réserve redimensionnée, d'un surcroît de forces qui permette à l'armée active de se concentrer sur ses missions de plus haute intensité , et de maintenir son activité, aussi lourde devrait-elle être, dans les limites que déterminent ses contrats opérationnels. Ces derniers se trouvent aujourd'hui outrepassés, du fait notamment de la durée et du niveau d'engagement de l'opération « Sentinelle » 135 ( * ) ; demain, la réserve doit contribuer à la définition d'un format d'armée qui soit au niveau des besoins de notre défense, en voyant son rôle étendu d'une logique de complément de l'armée active, qui est la pratique actuelle, à un statut de force opérationnelle dédiée, principalement, à la protection du territoire national.

Mais, à moyen terme, une régénération en profondeur de la réserve, fondée sur la territorialisation dont on a exposé ci-dessus les linéaments et réorganisée suivant les directions préconisées ici, constituera une garantie pour notre outil militaire de pouvoir répondre, au plus vite et partout, aux différentes crises susceptibles de survenir . On vise, à cet égard, non seulement les actes terroristes que tout un chacun, maintenant, a présent à l'esprit, et bien sûr les catastrophes de tous ordres - naturel, technologique, industriel -, mais encore les divers troubles sociaux graves pouvant éclater en différents points de notre pays, qu'il n'est peut-être pas aisé de prévoir avec précision, mais qu'il est indispensable d'anticiper - comme le font, du reste, nos services de renseignement 136 ( * ) .

Telle est la nature et l'objet de la « garde nationale » que vos rapporteurs souhaitent voir se mettre en place , sous l'aspect d'une réserve militaire - réserve des armées et réserve de la gendarmerie - plus forte et territorialisée. Telle est, en effet, l'organisation de « défense opérationnelle du territoire », pour reprendre une terminologie plus récente 137 ( * ) , qu'ils estiment adaptée au temps, que nous vivons depuis 2015, d'une sorte de « crise ordinaire » ; rappelons que la situation a justifié, notamment, le recours à l'état d'urgence pendant huit mois consécutif, et que l'opération « Sentinelle » dure depuis plus de 18 mois à la date de rédaction du présent rapport.

Ainsi se trouverait écarté le risque de « dés-optimiser » la réserve en créant une « garde nationale » , comme plusieurs des interlocuteurs du groupe de travail de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en ont exprimé la crainte. Bien au contraire, selon le voeu de vos rapporteurs, il s'agirait de fonder celle-ci sur celle-là , et ainsi de retrouver, dans la future « Garde nationale », les quatre principes qui, à leurs yeux, doivent guider le redimensionnement de la réserve 138 ( * ) : conservation d'un statut et d'un emploi militaires 139 ( * ) ; forte coordination assurée, au moyen d'une gouvernance révisée comme il a été ici proposé, au niveau de l'état-major des armées ; structuration en fonction de la territorialisation à mettre en place ; participation à la cohésion nationale en favorisant l'engagement de la jeunesse de notre pays.

Reste en suspens une question : celle du nom même à donner à ce dispositif. « Garde nationale » ne ferait-il pas trop fâcheusement écho aux dérives du système homonyme qui, comme on l'a plus haut rappelé, ont culminé lors de la Commune de Paris ? Faudrait-il, en conséquence, lui préférer une autre appellation - par exemple, celle de « garde territoriale », ou même de « défense opérationnelle du territoire », en révisant pour la cause ce concept en théorie toujours en vigueur ? Vos rapporteurs ne prétendent pas trancher cette question de sémantique. Ils observent toutefois que le souvenir glorieux de La Fayette et l'image de la « Nation armée » issue de la Révolution ne sont pas, pour mobiliser les engagements nécessaires, de mauvais atouts ; et, à cet égard, l'intitulé de « Garde nationale » pourrait avantageusement remplacer le terme de « réserve », dès lors que cette dernière se trouvera promue à un nouveau rôle , dépassant celui du simple « réservoir » de forces pour devenir un outil de défense à part entière.

Les préconisations de vos rapporteurs pour la création d'une « garde nationale » :

1) rejeter tout projet conduisant à la mise en place d'une armée parallèle aux forces existantes ou d'une organisation trop complexe ;

2) fonder la « garde nationale » sur la réserve militaire rénovée, notamment, par sa territorialisation et respectant les principes définis par vos rapporteurs : statut et vocation militaires, structuration à partir du territoire, forte coordination interarmées, recrutement prioritaire de la jeunesse ;

3) retenir a priori le nom de « Garde nationale » pour ce dispositif, traduisant ainsi le passage de la réserve d'un rôle de « réservoir » de forces à celui d'outil de défense à part entière.


* 127 Matthieu Anquez et Pierre Goetz, en collaboration avec Christian Cosquer, « Les opérations intérieures ou "OPINT". Du contrat opérationnel à la vision capacitaire », note stratégique CEIS, 2015.

* 128 Loi des 29 septembre-14 octobre 1791 sur la Garde nationale.

* 129 Documentation annexée au présent rapport.

* 130 Tribune présentée par M. Jean Guisnel et reproduite le 20 mars 2012 par le site Internet du magazine Le Point .

* 131 Texte reproduit sur le site Internet « Secret Défense » de M. Jean-Dominique Merchet le 21 décembre 2015.

* 132 Proposition de loi n° 3554 (AN, XIV e législature), déposée le 8 mars 2016.

* 133 Communiqué de presse de l'Union-IHEDN du 12 mai 2016.

* 134 « Propositions pour un projet de Garde nationale et civique », rapport présenté au secrétariat général du Parti socialiste le 20 juin 2016.

* 135 Cf. le rapport d'information déjà mentionné de nos collègues députés Olivier Audibert-Troin et Christophe Léonard, n° 3864 (AN, XIV e législature), « Le rôle des armées sur le territoire national : après l'heure de la riposte, le temps des choix politiques », juin 2016.

* 136 Voir à cet égard, par exemple, l'article intitulé « Quand le patron de la DGSI évoque un risque de "guerre civile" », par Marie-Amélie Lombard-Latune, publié dans l'édition du 22 juin 2016 du journal Le Figaro .

* 137 Héritière d'un concept établi dans les années 1950, la « défense opérationnelle du territoire » (DOT), tombée en déshérence depuis la fin de la guerre froide, désigne toujours actuellement, dans le code de la défense (article R* 1421-1), le concours qui, « en liaison avec les autres formes de la défense militaire et avec la défense civile », serait apporté par les autorités militaires  « au maintien de la liberté et de la continuité d'action du Gouvernement, ainsi qu'à la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation », dans trois hypothèses : « 1° en tout temps, [pour] participer à la protection des installations militaires et, en priorité, de celles de la force nucléaire stratégique » ; « 2° en présence d'une menace extérieure reconnue par le conseil de défense et de sécurité nationale ou d'une agression [...] [pour] assurer au sol la couverture générale du territoire national et [...] s'opposer aux actions ennemies à l'intérieur de ce territoire » ; « 3° en cas d'invasion, [pour] mener les opérations de résistance militaire qui, avec les autres formes de lutte, marquent la volonté nationale de refuser la loi de l'ennemi et de l'éliminer ».

* 138 Cf. supra , point II in limine .

* 139 Le dispositif de « réserve de sécurité nationale » créé par la loi du 28 juillet 2011 et rendu juridiquement applicable en 2015 (cf. supra , 1 e partie, point I, B, 1), dans la mesure où il tend à mobiliser, pour le cas de crise majeure, l'ensemble des réserves militaires et civiles de sécurité, constituerait, s'il venait à être activé, une hypothèse de recours à la « Garde nationale » dans un cadre interministériel.

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