B. RÉACTIONS DE LA DÉLÉGATION

Les témoignages des personnes auditionnées le 14 janvier 2016 ont, avec les précautions qu'impose le principe de laïcité, suscité trois séries d'observations de la délégation.

1. L'égalité entre femmes et hommes, un combat essentiel contre les extrémismes

Ainsi que la table ronde du 14 janvier l'a mis en exergue, le message religieux n'est pas en soi porteur d'inégalités entre femmes et hommes. Ce sont ses interprétations - construction humaine - qui ont accompagné, voire justifié, le maintien des femmes dans un statut social inférieur. C'est en raison de certaines interprétations, auxquelles ne saurait être réduit le message religieux, que les extrémismes menacent aujourd'hui la place des femmes dans notre société.

Un document de l'ONU sur la condition de la femme au regard de la religion et des traditions le relevait déjà en 2002 : « Si on a des griefs à adresser, il faut blâmer l'homme ne n'avoir pas su, ou pu, ou voulu changer les traditions culturelles et les préjugés, qu'ils aient ou non un fondement religieux » 38 ( * ) .

Cette table ronde a validé l'intuition de la délégation : c'est par le renforcement de l'égalité , à tous les niveaux, que l'on peut faire obstacle aux extrémismes qui menacent les droits des femmes et tout notre « vivre ensemble ».

2. Une nécessaire vigilance contre toute remise en cause du droit des femmes à disposer de leur corps

Lors de son audition le 12 novembre 2015, dans le cadre de la préparation du rapport de la délégation sur les femmes victimes de la traite des êtres humains, Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice pour les droits de l'homme, évoquait « un mouvement de fond bien réel » qui s'était traduit par un recul des droits des femmes « depuis une vingtaine d'années ». Elle observait « dans les enceintes des Nations Unies une pression pour remettre en cause leurs acquis » au nom de « revendications relativistes liées à la religion et à la tradition , y compris au sein du bloc occidental ».

Comme l'a souligné Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes lors de son audition par la délégation, le 27 octobre 2016 : « Il s'agit de savoir si les droits des femmes sont, ou non, relatifs et soumis à des accommodements en fonction des cultures et des traditions respectives des pays. La bataille de l'universalité des droits des femmes se mène à l'ONU , mais aussi en France et partout dans le monde ».

Au cours de sa réunion du 20 octobre 2016, la délégation a souhaité à cet égard rappeler l'importance de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique de 2011 (entrée en vigueur en 2014), dite convention d'Istanbul, dont l'article 5 (point 5) stipule : « Les Parties veillent à ce que la culture, la coutume, la religion, la tradition ou le prétendu « honneur » ne soient pas considérés comme justifiant des actes de violence couverts par le champ d'application de la présente Convention » 39 ( * ) .

Les remises en cause des droits des femmes concernent tout particulièrement leur droit à disposer de leur corps, parfois menacé au nom du relativisme culturel dans les discussions internationales.

S'agissant plus particulièrement des droits sexuels et reproductifs, on peut mentionner l'appel aux dirigeants politiques et responsables d'organismes internationaux lancé par des évêques africains à Accra (Ghana) en juin 2015, dans la perspective du sommet onusien des 25-27 septembre 2015 40 ( * ) .

Les auteurs de cet appel se sont élevés contre la diffusion des « préservatifs, contraceptifs, programmes d'éducation sexuelle fabriqués ailleurs [...], avortement prétendument sans risque », qu'ils ont estimés « imposés comme condition d'aide au développement » dans un « esprit colonialiste », « sous l'euphémisme de « santé et droits sexuels et reproductifs » ». Ils regrettent que « la Campagne pour l'accélération de la réduction de la mortalité maternelle, néonatale et infantile en Afrique [promeuve] activement la contraception comme moyen de réduire la mortalité maternelle ». Ils estiment que les mesures liant développement et programmes de santé sexuelle et reproductive n'ont comme objectif que « le contrôle et la réduction drastique de la population africaine, la démolition planifiée du mariage et de la famille ».

On remarque aussi une intervention de l'évêque aux armées, en février 2015, pour comparer les pertes subies du fait des attentats de janvier 2015 et le nombre annuel d'IVG 41 ( * ) :

« L'idéologie islamique vient de faire 17 victimes en France. Mais l'idéologie de la bien-pensance fait chaque année 200 000 victimes dans le sein de leur mère. L'IVG devenue droit fondamental est une arme de destruction massive » 42 ( * ) .

Il est plus que probable que les catholiques, dans leur très grande majorité, ne se reconnaissent pas dans l'outrance de cette comparaison entre IVG et attentats. De tels propos sont néanmoins très contestables et il faut se féliciter que cette assimilation de l'avortement à une « arme de destruction massive » ait eu pour conséquence la suppression du logo du ministère de la défense de la publication ayant servi de support à ces affirmations.

La délégation rappelle que les cultes n'ont pas à mettre en cause les lois de la République et à inciter à leur non-respect, a fortiori quand ces interventions reviennent à contester le principe d'égalité entre femmes et hommes.

Les récentes tentatives de limiter encore l'accès à l'IVG en Pologne et l'émotion internationale qu'elles ont suscitée auprès de nombreuses femmes montrent combien les menaces contre les droit des femmes à disposer de leur corps sont d'actualité en Europe 43 ( * ) .

La délégation est convaincue que le droit des femmes à disposer de leur corps est une dimension non négociable de la liberté et de l'émancipation des femmes.

Elle estime que toute remise en question de ce droit conduit fatalement à un recul inadmissible des droits des femmes.

Elle appelle donc les autorités françaises à la plus grande vigilance dans les instances diplomatiques internationales pour que la politique étrangère française :

- défende les droits sexuels et reproductifs ;

- combatte avec détermination toute tentative de mettre en cause ces droits, de quelque pays qu'elle vienne, par exemple au nom du relativisme culturel.

Elle formulera une recommandation dans ce sens.

3. Femmes et religions

La délégation a été interpellée, le 14 janvier 2016, par certains participants à la table ronde qui considèrent que la loi de la République, et plus particulièrement l'égalité entre femmes et hommes, ne doit pas s'arrêter à la porte des lieux de culte.

Elle est convaincue que la question du rôle des femmes fait partie des plus grands défis auxquels est confrontée la religion aujourd'hui.

Si le compromis établi par la loi du 9 décembre 1905 interdit au législateur d'interférer avec le fonctionnement interne des cultes, qui ne relève pas des compétences de la délégation, celle-ci a pris acte du souhait de certaines femmes d'exercer davantage de responsabilités au sein de leur religion , voire d'avoir accès au sacerdoce.

La délégation a remarqué qu'une femme avait brigué la présidence du Consistoire central israélite pour la première fois lors des élections de 2016 44 ( * ) .

Elle a constaté que, le 14 septembre 2016, lors de la rencontre interreligieuse organisée lors de la visite du Dalaï-Lama, le président du Conseil supérieur du culte musulman avait appelé à une réflexion des responsables religieux sur la place des femmes dans chaque religion, le président de la Fédération protestante de France ayant pour sa part parlé de « fraternité » et de « sororité » 45 ( * ) .

La délégation espère que la problématique de l'égalité entre femmes et hommes sera perçue comme prioritaire par des structures telles que l'instance de dialogue mise en place entre les Français de confession musulmane et les pouvoirs publics, qui a tenu en mars 2016 sa deuxième réunion et que cette question pourrait être inscrite à l'ordre du jour d'une prochaine session.

Elle exprime le même espoir à l'égard de la nouvelle Fondation pour l'islam de France 46 ( * ) , instance laïque à laquelle sera adossée une association cultuelle. Cette fondation financera des projets dans les domaines éducatif, social et culturel (comme par exemple des études d'islamologie) visant à mieux faire connaître l'islam. La délégation espère que la fondation sera en mesure d'encourager des projets concernant les femmes.

La délégation est convaincue que la question du rôle des femmes fait partie des plus grands défis auxquels est confrontée la religion aujourd'hui.

Consciente qu'il ne lui appartient pas d'interférer avec le fonctionnement interne des cultes, elle a entendu le témoignage de femmes qui aimeraient pouvoir, dans leur religion, exercer davantage de responsabilités et l'appel qui lui a été adressé par certains pour que les valeurs de la République, et plus particulièrement le principe d'égalité entre femmes et hommes, ne s'arrêtent pas à la porte des lieux de culte.

Elle souhaite qu'une proportion significative de femmes soit nommée dans les instances de dialogue avec les cultes parmi les représentants des pouvoirs publics et que la question de l'égalité entre femmes et hommes soit abordée par ces structures.


* 38 Étude sur la liberté de religion ou de conviction et la condition de la femme au regard de la religion et des traditions , Commission des droits de l'homme, Conseil économique et social, ONU, avril 2002.

* 39 L'article 78 de cette convention exclut qu'une réserve soit déposée par une partie à la convention pour en exclure l'application.

* 40 http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/monde/les-eveques-africains-denoncent-le-chantage-

neocolonialiste-de-l-onu

* 41 Un tel rapprochement n'est pas isolé et ne semble pas propre au catholicisme. Dans Du sexe en Amérique - une autre histoire des États-Unis , l'historienne Nicole Bacharan rappelle les propos tenus sur la chaîne Christian broadcasting network , le 13 septembre 2001, au cours de la semaine des terribles attentats de new York, par le révérend Jerry Faldwell pour imputer ces attentats à la « colère de Dieu » causée par la « [destruction de] quarante millions de petits bébés innocents » et par l'action conjuguée des « païens, avorteurs, gays, lesbiennes » qui essaient de « déchristianiser l'Amérique », concluant : « Vous avez contribué à ce qui vient de se passer » (Paris, Robert Laffont, 2016, p. 365).

* 42 « Propos de l'évêque. La guerre compliquée », EGMIL, Le mensuel d'information de l'aumônerie militaire catholique des armées , n° 2, février 2015, p. 2.

* 43 Un article publié le 28 septembre 2016 sur le site du journal La Croix fait état d'une pétition signée par le patriarche orthodoxe russe pour appeler à « la fin du meurtre légal des enfants avant leur naissance » et interdire l'avortement chirurgical et médicamenteux ainsi que la pilule du lendemain et les technologies de procréation médicalement assistées.

* 44 Le président élu a remporté 156 voix contre 42 pour la candidate.

* 45 L'enregistrement de cet échange est accessible sur le site de France culture.

* 46 Une femme devrait siéger en tant que personnalité qualifiée au conseil d'administration de la fondation.

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